Lors de la discussion de la proposition de loi du groupe écologiste, nous avions souligné que l'intégration progressive et concrète de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) dans la stratégie de nos entreprises était absolument nécessaire. Elle constitue, d'ailleurs, l'une des conditions pour donner une réalité aux politiques d'aide au développement ainsi qu'à l'efficacité de ces politiques sur le terrain. Toutefois, de telles dispositions peuvent conduire à réduire la compétitivité de nos entreprises par rapport à leurs concurrents qui ne seraient pas soumis aux mêmes obligations. Elles risquent également de complexifier encore leur gestion en ajoutant une strate de contraintes administratives et de risques au plan pénal. Je reconnais cependant que l'enjeu peut en valoir la peine.
Voilà que six semaines à peine après le renvoi en commission du texte de nos collègues du groupe écologiste, nous examinons une proposition de loi qui porte sur le même sujet. Certes, le contenu a quelque peu changé : d'une responsabilité juridique permanente des entreprises, on passe à l'obligation d'élaborer et de rendre public un plan de vigilance ; des précisions ont été apportées quant aux seuils et quant aux conditions de contestation. Nous prenons acte de cette évolution, mais déplorons que ce texte, pas plus que le précédent, ne se soit appuyé sur une étude d'impact comme on pourrait s'y attendre s'agissant de dispositions comportant de lourdes conséquences pour les entreprises. Cette absence conduit à se demander quel type de dialogue a pu être mené durant ces six semaines d'intervalle avec les entreprises potentiellement concernées.
Combien de sociétés se verraient appliquer l'obligation d'un plan de vigilance ? Où en sont-elles en matière de vigilance ? Combien ont déjà adopté la norme ISO 26000 ? Quelle est leur situation financière ? Quels délais auraient-elles pu demander pour se conformer aux obligations que le texte veut leur imposer ? Quel travail représenterait pour elles l'élaboration de plans de vigilance et leur mise en oeuvre ? Quelles obligations s'imposent à leurs concurrents directs, dont le siège se situe hors de France ? Poser ces questions aurait permis de mieux éclairer la discussion à laquelle vous nous invitez aujourd'hui.
Si nous soutenons le principe d'un devoir de vigilance sans doute davantage aujourd'hui qu'il y a six semaines au vu de la forme qu'il prend, nous estimons ne pas avoir suffisamment d'éléments pour juger des conséquences de ces nouvelles dispositions pour les entreprises.
Le devoir de vigilance qui s'appliquera à nos entreprises peut se heurter, sur le terrain, à un cadre réglementaire qui n'y est pas favorable, à un droit du travail qui ne serait pas compatible avec les exigences qu'il imposerait, à certaines règles relatives à l'environnement. L'obstacle des réglementations locales pourrait toutefois être contourné si l'on autorise les entreprises à tenir compte dans leur plan des spécificités propres à chaque pays où elles sont présentes.
Ironie de notre calendrier, le 29 janvier, lors de la discussion de la proposition de loi écologiste, le Premier ministre était en Chine, accompagné d'une délégation d'industriels. Dans la presse, il n'a été mentionné nulle part qu'il aurait évoqué le respect du droit du travail, la protection de l'environnement ou la lutte contre la corruption, volets pourtant indispensables à la mise en oeuvre de la RSE. Tout cela me fait dire que nous devons non seulement placer nos entreprises dans une position d'exemplarité mais aussi nous assurer que les pays où elles sont implantées font le même chemin dans leur législation.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.