Nous avons appris hier que Harakat Hazm, groupe financé et armé par Washington – et peut-être également par nous –, est passé avec armes et bagages à Al-Nosra et Al-Qaïda. Je veux bien que l'on aide de « bons islamistes » contre Bachar Al-Assad, mais c'est visiblement plus que risqué !
Je me suis rendu à Damas avec quelques collègues. Je tiens à confirmer un point majeur : tous les États de la région font preuve de duplicité, à un niveau parfois étonnant. Et ces informations ne sont pas orientées : nous les avons recueillies non seulement à Damas, mais aussi à Beyrouth. La grande crainte des Libanais, pour ne pas dire leur terreur, c'est que, si Bachar tombe, tout tombe avec lui, que l'armée soit balkanisée et que le Liban soit balayé. Ils redoutent une attaque dans la plaine de la Bekaa. Le Hezbollah, en particulier, est très inquiet. En principe, la France devrait fournir des armes, notamment des hélicoptères, à l'armée libanaise, via un financement de l'Arabie Saoudite, mais cela risque de prendre du temps.
Bref, ce n'est plus seulement l'Orient compliqué, c'est l'Orient hyper-compliqué ! Évitons donc les postures ! Ne disons pas, en particulier, que nous ne parlerons jamais avec Bachar. Il nous a d'ailleurs été confirmé que les Américains avaient des contacts avec lui, par des intermédiaires. Et n'oublions pas que Staline a reçu un armement massif des États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Si nous accélérons la transition à Damas – vaste programme ! –, il y aura une balkanisation de l'armée. Tout explosera et nous en reviendrons aux grandes compagnies du Moyen-Âge ! C'est en tout cas ce que tout le monde nous dit dans la région. Cessons donc de jouer les apprentis sorciers !
Selon le ministre des affaires étrangères syrien, au début des événements, en 2012, Erdogan a demandé à Bachar de faire entrer les Frères musulmans dans son gouvernement. Bachar a répondu qu'il n'en était pas question : la Syrie était un État laïc, et les Frères musulmans des terroristes. L'objectif d'Erdogan était de créer un axe entre la Turquie, la Syrie et l'Égypte du président Morsi. Il cherche à contrôler directement l'État syrien. Il faut donc savoir ce que nous voulons !
D'autre part, si les Égyptiens ont pris leurs distances avec les Américains, c'est que ces derniers leur ont interdit d'utiliser les F16 pour frapper un « essaim de frelons » en Libye. C'est également l'une des principales raisons de l'achat des Rafale à la France. Les Américains jouent également un double jeu dans cette affaire, notamment avec les Frères musulmans, qu'ils ont beaucoup aidé, fut un temps.
Je vous rejoins sur un point, monsieur l'ambassadeur : nous devons adopter une position équilibrée. Mais, de grâce, gardons-nous des postures, car la situation est très compliquée : une partie de poker menteur se joue sur l'ensemble de la scène internationale !