La bourgeoisie sunnite des villes constituait le centre de gravité de la Syrie. Il s'agit d'une élite très importante, composée de nombreux avocats, médecins, etc. Ce sont généralement des personnes assez douées, qui font fortune lorsqu'elles s'installent à l'étranger. Mais, historiquement et culturellement, ces sunnites – c'est l'un des drames de la Syrie – se sont occupés de commerce et de religion, mais pas du pouvoir politique, lequel a été exercé successivement par les Mamelouks, les Ottomans, les Français et les Alaouites. Ils n'ont donc pas l'habitude de mener des débats, ni de faire émerger le consensus, ni même d'élaborer un programme politique.
De plus, loin de former une communauté soudée – asabiyya –, les 73 % de sunnites sont un agrégat fragmenté entre Damas et Alep – deux mondes complètement différents –, entre citadins et ruraux, entre sédentaires et Bédouins, etc. Malheureusement, cet éparpillement se retrouve aujourd'hui dans la structure de l'opposition. Jusqu'à ce jour, malgré le potentiel de talents que j'ai évoqué, les sunnites n'ont pas été capables de s'unir. Certes, l'actuel président de la CNS est un homme moderne et il jouit d'une stature supérieure à celle de ces deux prédécesseurs. Mais je ne me fais guère d'illusion : tant qu'il n'y aura pas de projet concret grâce auquel ils sentiront qu'ils peuvent accéder aux responsabilités, ils auront beaucoup de mal à se rassembler. Les discussions de Genève II, souvenez-vous en, avaient été très pénibles : l'opposition était encore plus divisée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Néanmoins, nous avions réussi à créer une délégation honorable, qui avait produit des papiers honnêtes. On peut en déduire que, si nous, Occidentaux, engagions un véritable processus de discussion d'un règlement politique, nous aurions une chance de cristalliser une opposition modérée convenable.