Monsieur le président, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mesdames les rapporteures, mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi relatif à la biodiversité a pour ambition de protéger et de valoriser nos richesses naturelles. Il permet une nouvelle alliance entre l’homme et la nature. C’est une chance qui nous est donnée, avant qu’il ne soit trop tard, de nous appuyer sur le vivant pour faire de la France le pays de l’excellence environnementale et de la croissance verte et bleue.
Quarante ans après la loi de portée générale sur la nature, celle de 1976, qui faisait de la protection des espaces et des espèces une cause d’intérêt général, vingt-deux ans après la loi Paysages, que j’avais fait voter ici même en 1993 et qui donnait une base législative à la création des parcs naturels régionaux tout en permettant la labellisation des paysages et des produits de qualité, nous entamons un débat qui dotera la France de la loi la plus en avance dans le monde.
Je veux saluer à cet égard l’ensemble des ONG et toutes les parties prenantes du Conseil national de la transition écologique. Je salue aussi le travail de mon prédécesseur, M. Philippe Martin, qui avait présenté ce projet en conseil des ministres avant que je ne l’enrichisse et complète à ma façon, ainsi que votre important travail en commission, mesdames et messieurs les députés. Je remercie tout particulièrement ceux qui, dans cet hémicycle, représentent les outre-mer, notamment Serge Letchimy et Chantal Berthelot, ici présents, qui se sont beaucoup engagés dans la protection et la reconquête de la biodiversité des outre-mer.
Je salue enfin la présence, dans la tribune du public, de M. Hubert Reeves, qui a accepté de parrainer la future Agence française pour la biodiversité. Comme il le dit simplement et fortement, « la reconquête de la biodiversité est impérative, elle est aussi possible, mais elle nécessite la mobilisation de tous les acteurs, publics et privés et à toutes les échelles. » L’ambition de ce projet de loi et des actions concrètes qui l’accompagnent est précisément d’y parvenir.
Il est urgent d’agir. La biodiversité est un mot encore jeune, apparu en 1985 et consacré lors du sommet de Rio en 1992 – j’y participais en tant que ministre de l’environnement –, pour désigner une réalité aussi ancienne que la vie sur terre, depuis toujours caractérisée par la diversité du vivant dont nous, les humains, sommes partie intégrante.
Certains experts français parlent d’une « sixième extinction de masse ». Le rapport de l’Agence européenne de l’environnement estime que 60 % des espèces sont en situation défavorable en Europe où, en trente ans, 420 millions d’oiseaux ont disparu.
Nous mesurons, en France et dans le monde, l’érosion accélérée, due aux activités humaines, de cette biodiversité vitale : non seulement son ampleur, qu’illustrent la disparition des espèces animales et végétales et la dégradation des espaces et des milieux, mais surtout son rythme, qui a été multiplié par cent et parfois plus et qui excède désormais les capacités de régénération et d’adaptation de la nature. « Nous coupons, nous prévient Hubert Reeves, la branche sur laquelle nous sommes assis : c’est nous qui sommes désormais dans le collimateur de cette destruction. »
Ce projet de loi et les actions dont il sera assorti, notamment les appels à projets, visent à accélérer l’invention d’un nouveau modèle. Telle est l’ambition que je vous propose. Il ne s’agit plus d’agir contre la nature mais d’agir avec elle, de la traiter en partenaire et de faire de l’urgence une chance à saisir, avec la recherche, le génie écologique et tous les emplois liés à la croissance verte et à la croissance bleue, avec le biomimétisme et tous les services rendus par la nature dans tous les domaines : agriculture, santé, alimentation, climat.
La France est un des pays du monde les plus riches en biodiversité et en merveilles de la nature, donc un des plus menacés par la destruction de la biodiversité.
Nous sommes au premier rang européen en termes de diversité d’amphibiens, d’oiseaux et de mammifères, au quatrième rang mondial pour les récifs coralliens, au deuxième rang mondial pour ce qui est de l’étendue de notre domaine maritime, et dans le peloton de tête des dix pays du monde qui abritent le plus grand nombre d’espèces. Mais nous sommes aussi, selon la liste de l’Union internationale pour la conservation de la nature, au sixième rang des pays abritant le plus grand nombre d’espèces menacées.
C’est dire le rôle d’exemplarité qui doit être le nôtre et l’ardente obligation que nous avons à agir.
Bien sûr, la France s’est dotée de moyens d’action et de protection de sa biodiversité et de ses paysages. Certains, comme le Conservatoire du littoral, les parcs nationaux, les parcs marins, les parcs régionaux actuels, ou encore les grands sites, nous ont permis d’enregistrer des progrès, mais, face à la pression de l’activité humaine, cela reste insuffisant pour enrayer la dégradation de notre patrimoine naturel et tirer pleinement parti de son potentiel sans le détruire.
J’en viens aux grandes valeurs de la biodiversité.
Le concept de biodiversité, dit-on, est complexe. Aussi ce projet de loi s’appuie-t-il sur des valeurs que je veux comprises par tous, du chercheur le plus éminent au citoyen. Il faut faire oeuvre de pédagogie. À cet égard, je compte beaucoup sur les enfants, notamment à l’école, pour apprendre ensuite aux adultes la fragilité des milieux, la nécessité d’agir et les capacités dont nous disposons. Tout le monde doit pouvoir s’approprier ces connaissances. Il s’agit d’un formidable mouvement de science participative et de démocratie citoyenne. Vous savez que c’est une de mes convictions profondes : c’est d’abord en ayant accès à la connaissance que l’on peut devenir citoyen du monde.
La première grande valeur est la solidarité écologique, fondée sur la prise en compte des écosystèmes et des innombrables services vitaux qu’ils nous rendent dans des domaines aussi variés que l’agriculture et la régénération des sols, la régulation climatique et la protection de nos littoraux, la qualité de l’air et de l’eau, la pollinisation, les médicaments et bien d’autres choses encore.
À cette occasion, je vous annonce le lancement d’un plan national d’action pour les abeilles et les pollinisateurs sauvages, qui jouent un rôle stratégique dans la chaîne du vivant et pour notre agriculture. Ce plan sera mis en consultation à la fin de cette semaine, en conclusion de nos débats, sur le site du ministère.
La solidarité écologique, c’est la reconnaissance des interactions multiples de ces écosystèmes. La biodiversité est le tissu vivant de la planète dont nous sommes une partie et au sein duquel tout se tient. C’est la capacité d’adaptation de ces écosystèmes qu’il convient de préserver. Le sujet sera au coeur de la conférence de Paris sur le climat.
La deuxième valeur est le principe « éviter, réduire, compenser », qui met l’accent sur l’action préventive et sur la notion de valeur écologique : anticiper plutôt que réparer après coup, en ayant pour méthode l’élaboration partenariale et participative des politiques publiques et privées, condition de l’efficacité, en cohérence avec le chantier que nous avons lancé sur la modernisation et la démocratisation du dialogue environnemental.
La troisième valeur est la mise en mouvement des territoires autour des continuités écologiques, des schémas régionaux de cohérence écologique, des trames verte et bleue – dont toutes les régions se seront dotées avant la fin de cette année – et de l’aménagement durable du territoire.
Quatrième valeur : « innover sans piller ». Il s’agit d’ériger contre la biopiraterie un principe de justice qui fonde le partage équitable des avantages tirés des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles, pour le bénéfice mutuel des territoires et des habitants concernés, de la recherche scientifique, de l’innovation et de l’exploitation commerciale de ces ressources par des secteurs comme l’agroalimentaire ou les industries cosmétiques et pharmaceutiques. Certaines entreprises françaises ont commencé à le faire. La Polynésie, la province Sud de la Nouvelle-Calédonie et le parc amazonien de Guyane ont mis en place des systèmes de partage sur leurs territoires, qui comptent parmi les « points chauds » de la planète, c’est-à-dire les points les plus fragiles.
Cinquièmement, parce que notre patrimoine naturel mérite d’être mieux connu de tous pour être plus efficacement sauvegardé, je tiens à souligner ici l’importance de la mutualisation des savoirs et des sciences participatives qui associent citoyens et chercheurs à la collecte des données scientifiques relatives à la biodiversité. On constate une grande inégalité dans la capacité d’émerveillement et d’observation face à la nature selon que cette capacité a été ou non transmise. Tous les citoyens devraient être en mesure d’admirer ce qui les entoure. Je lancerai d’ailleurs dans quelques jours, avec le Muséum national d’histoire naturelle, pionnier en la matière, le beau programme « 65 millions d’observateurs ».
Le projet de loi prévoit également la création très attendue de l’Agence française pour la biodiversité. Le chef de l’État l’avait promis en 2012 lors d’une conférence environnementale : nous y voici !
Trop d’instances se sont additionnées au fil des ans. Le texte en réunit les missions et en simplifie les structures, avec la création d’une instance unique d’expertise scientifique, le Conseil national de la protection de la nature, et d’une instance de débat qui rassemble toutes les parties prenantes, le Comité national de la biodiversité.
Dans les outre-mer, où les enjeux liés à la biodiversité sont majeurs, il est prévu de mettre en place des comités régionaux de la biodiversité. J’ai souhaité par ce moyen rapprocher la structure de l’agence et les territoires concernés.
L’Agence française de la biodiversité exercera des missions d’appui technique, de conseil et d’expertise pour tous les acteurs de la biodiversité ; de mobilisation des moyens nécessaires aux politiques en faveur de la biodiversité terrestre, marine et des milieux aquatiques ; de gestion des aires protégées et d’appui aux missions de police de l’eau ; d’amélioration des connaissances ; de formation initiale et continue ; de référence et de représentation dans les instances européennes et internationales. L’agence bénéficiera de 60 millions d’euros au titre des investissements d’avenir, ce qui est tout à fait fondé, puisque la biodiversité nous engage vis-à-vis des générations futures.
Elle regroupera l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’Atelier technique des espaces naturels, l’Agence des aires marines protégées, l’établissement public Parcs nationaux de France. Elle privilégiera une logique de réseau, avec des organismes intégrés, des organismes rattachés et d’autres avec lesquels elle passera des conventions de partenariat, comme le Muséum national d’histoire naturelle, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer – l’IFREMER –, ou encore le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.
Je sais que de nombreuses ONG et nombre d’entre vous auraient souhaité que l’Office national de la chasse soit intégré à l’agence, au même titre que l’ONEMA, mais une bonne contractualisation des relations de l’Office avec l’agence et le rapprochement des équipes dans l’action sur le terrain permettront de dépasser les blocages institutionnels et créeront une dynamique plus positive – j’y serai particulièrement vigilante – que ne l’aurait fait une fusion autoritairement imposée, laquelle aurait en outre pris du temps.
Pour accélérer le mouvement et pour que cette agence, très attendue, puisse être créée tout de suite après la promulgation de la loi, j’ai installé une structure de préfiguration sous le patronage actif et vigilant d’Hubert Reeves et avec pour conseiller scientifique exigeant Gilles Boeuf. Je les en remercie à nouveau très chaleureusement.
Cette agence sera le fer de lance d’une politique volontariste, mobilisatrice, à la fois protectrice et innovante, en lien étroit avec les régions et les territoires.
L’un des objectifs du texte qui vous est soumis, c’est aussi une croissance bleue respectueuse du milieu marin et économiquement durable. C’est notamment la fonction de la création des zones de conservation halieutiques et du renforcement de l’action du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. Réconcilier économie et écologie, équilibrer pêche et biodiversité, tel est l’objectif. L’importance de notre domaine maritime nous donne en cette matière une responsabilité particulière en même temps qu’un potentiel de développement remarquable à valoriser intelligemment.
Le texte qui vous est proposé aborde également la question des paysages, qui constituent un axe important de protection et de valorisation et auxquels je suis de longue date très attachée. Il est possible aujourd’hui d’aller plus loin en englobant, dans une action vigoureuse ne s’arrêtant pas à nos sites les plus remarquables, les paysages du quotidien, lesquels concernent directement la qualité de vie de tous les Français et contribuent à forger l’image de la France et de ses territoires.
Je viens d’ailleurs de rendre public l’appel à candidatures pour l’édition 2015 du grand prix national du paysage. C’était l’un des dix points du plan d’actions pour les paysages et la place de la nature en ville que j’ai présenté en septembre dernier en conseil des ministres. Et je me réjouis que, désormais, les journées annuelles du patrimoine allient patrimoine naturel et patrimoine culturel.
Nous aurons l’occasion de débattre plus en détail de l’articulation entre l’inscription et le classement, mais une chose est sûre : ce projet de loi vise à renforcer la prise en compte de la qualité paysagère dans tous les projets de territoire et d’aménagement. Le paysage, c’est le cadre de vie des Français ; cela touche à la santé et au bien-être, concerne l’attractivité de la France, l’économie touristique, en particulier les filières d’horticulture, qui créent plusieurs de dizaines de milliers d’emplois, et tous les métiers du paysage qui y sont associés. Tout conduit à prendre davantage soin de ce capital paysager qui est notre bien commun et auquel les Français sont très sensibles, car il y va aussi de notre qualité de vie et de notre identité.
Permettez-moi de conclure par quatre observations qui me tiennent particulièrement à coeur.
La première, c’est que la lutte contre le dérèglement climatique et le combat pour la reconquête de notre biodiversité sont indissociables. C’est la raison pour laquelle je suis heureuse que le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et le projet de loi relatif à la biodiversité s’inscrivent dans une même séquence temporelle. Le réchauffement climatique affecte en effet gravement notre biodiversité, tandis qu’une nature bien protégée et bien valorisée a le pouvoir de nous aider à réduire nos émissions de gaz à effet de serre et à atténuer les effets de la dérive climatique.
C’est aussi pourquoi Alain Vidalies et moi-même avons installé à la fin du mois de janvier le comité national de suivi de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, coprésidée par vos collèges Pascale Got, députée de Gironde, et Chantal Berthelot, députée de Guyane. Ce phénomène d’érosion côtière concerne non seulement les zones dites ultrapériphériques, mais aussi le littoral atlantique.
C’est d’ailleurs pourquoi, parmi les engagements souscrits par la France dans le cadre de la feuille de route dite « Message de la Guadeloupe » adoptée lors de la Conférence internationale sur la biodiversité et le changement climatique, j’ai annoncé l’extension et l’accélération du plan de protection de nos mangroves et des actions de sauvegarde de nos récifs coralliens – la France est le quatrième pays récifal du monde –, ces écosystèmes si protecteurs mais fragilisés.
C’est enfin pourquoi, bien sûr, je veillerai à ce que le sommet de Paris sur le climat de décembre 2015 prenne bien en compte la biodiversité, dimension essentielle de la maîtrise de notre destin énergétique.
Ma deuxième observation porte sur les liens étroits entre biodiversité et santé, liens que reconnaît ce projet de loi en facilitant le recours au traitement naturel de l’eau et en interdisant le rejet en mer des eaux de ballast non traitées. Il complète en cela très utilement les mesures d’interdiction des pesticides et des sacs plastiques à usage unique, dont certaines figurent dans la loi de transition énergétique – je les avais fait adopter par votre commission – et dont les appels à projets « terre saine, ma commune sans pesticides » et « territoires zéro déchet, zéro gaspillage » anticipent l’application.
Le quatrième plan national santé environnement, qui valorise notamment les jardins thérapeutiques et les bienfaits des contacts avec la nature pour les convalescences, s’inscrit pleinement dans cette démarche, qui est également que promeut le projet de loi relatif à la biodiversité.