Intervention de Geneviève Gaillard

Séance en hémicycle du 16 mars 2015 à 16h00
Biodiversité - nomination du président du conseil d'administration de l'agence française pour la biodiversité — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Gaillard, rapporteure de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Monsieur le président, madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, monsieur le président de la commission du développement durable, madame la présidente de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure de la commission des lois, chers collègues, nous examinons enfin – enfin ! – un texte porteur d’actions et d’espoir en faveur de la biodiversité, mettant fin à la longue traversée du désert commencée après 1976, année d’adoption de la loi relative à la protection de la nature.

Depuis quarante ans, notre appréhension du vivant et de la biosphère a beaucoup changé sur de multiples aspects et, à l’inverse, est demeurée identique sur d’autres, ce que l’on peut d’ailleurs vivement regretter. L’évolution de notre perception a bien sûr suivi logiquement le développement de nos connaissances : des découvertes importantes et l’avancée des technologies nous ont permis d’appréhender plus finement la biodiversité et ses interactions complexes. Elle est toutefois également le résultat de l’impact désastreux de notre développement irraisonné, qui a engendré une érosion vertigineuse de la biodiversité tant terrestre qu’aquatique et marine. Malgré tous les outils qui sont à notre disposition et en dépit de tous les discours bien huilés qui ont pu être tenus sur le sujet, nous avons été incapables depuis plusieurs décennies de stopper ce phénomène.

Je ne reviendrai pas sur un tel constat, et je me contenterai de rappeler les faits sur lesquels s’accordent nos plus grands spécialistes en leur rendant hommage, qu’il s’agisse d’Hubert Reeves, de Robert Barbault, de Jean Dorst, de Jean-Claude Lefeuvre, de Philippe Cury, de Gilles Boeuf ou de bien d’autres, dont les travaux sont tout aussi précieux : la dégradation permanente de la biodiversité est un phénomène continu et le rythme d’extinction des espèces et de leurs habitats est jusqu’à mille fois supérieur à ce qu’il était au moment de la révolution industrielle ; 50 % des espèces animales et végétales pourraient avoir disparu d’ici à la fin du XXIe siècle.

Ce texte très attendu sur la biodiversité vise à réorganiser la protection, la reconquête de la biodiversité et des écosystèmes face au constat dramatique que font les instances nationales, européennes et internationales.

Pourquoi ce texte est-il si attendu ? D’abord, parce que la biodiversité, c’est nous : nous en dépendons, nous sommes en quelque sorte une incarnation résultant de son évolution perpétuelle ; au sens propre, d’ailleurs, notre organisme recèle des millions de micro-organismes, bactéries et autres formes de vie dont nous sommes l’hôte. L’homme est un animal, un mammifère parmi d’autres, qui a, certes, bien réussi.

Il faudra faire l’effort de se souvenir de ce point pour nous dissuader de céder à la tentation continuelle de l’anthropocentrisme, qui veut que tout tourne autour de notre espèce, que tout soit à notre service et que nous ne protégions que ce qui nous est utile. La biodiversité représente en effet notre avenir à tous et à toutes, notre capacité à pouvoir travailler, nous nourrir, nous divertir. Continuer de bénéficier des services qu’elle nous rend sans obérer les capacités des générations futures à faire de même constitue donc un enjeu vital pour l’humanité.

Protéger la biodiversité, c’est affronter nos responsabilités, car le grand massacre est essentiellement lié aux activités humaines. Pour inverser la tendance, il est grand temps de reconnaître, que nous soyons entrepreneur, agriculteur, pêcheur, chasseur, homme ou femme politique, ou simple citoyen, que nous en sommes coresponsables.

Certes, la prise de conscience s’est accélérée depuis la conférence des Nations unies sur le développement durable qui s’est tenue à Rio de Janeiro. Il a fallu attendre dix ans pour que le dispositif, d’abord peu contraignant, le devienne tout à fait, et c’est bien en 2002 à Johannesburg qu’un objectif un peu plus clair a été fixé : stopper la dégradation préoccupante de la biodiversité. Nous nous souvenons tous des propos de Jacques Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », propos on ne peut plus justes et auxquels tous, sur ces bancs, nous souscrivons.

Depuis treize ans, en dépit des efforts consentis par notre pays, le constat demeure le même : nous ne progressons pas. Les objectifs arrêtés en 2010 n’ont pas été atteints, c’est donc un échec, comme le montrent le rapport du WWF, les scientifiques, mais aussi les grands observateurs comme Nicolas Hulot et les explorateurs comme Nicolas Vanier et Isabelle Autissier, dont nous connaissons le sérieux et l’engagement.

Pourquoi un tel échec ? Il y a lieu de s’interroger. Tout d’abord, la biodiversité, qui inclut le respect des êtres vivants, faune et flore, est souvent et malheureusement la dernière roue de la charrette de nos sociétés dites développées où l’appât du gain, le productivisme et le bien-être matériel individuel ont été érigés en dogme absolu. Ensuite, nous n’avons jamais été capables de définir le progrès. Au nom d’un progrès sans délimitations éthiques, l’homme est capable de détruire l’intégralité de nos ressources naturelles en les utilisant jusqu’à plus soif. Enfin, nous n’avons pas su résorber l’opposition ancienne et récurrente entre le développement économique et l’équilibre des services rendus par la nature et les écosystèmes.

Bref, un double égoïsme sévit : celui de l’espèce et, en son sein même, celui des individus, ce qui n’est pas tout à fait écologique face au principe diamétralement opposé du primat de la survie de l’espèce au détriment de l’individu. Vous l’avez dit vous-même devant la commission du développement durable, madame la ministre : « Le monde n’est pas, comme on l’a longtemps cru, un entrepôt passif de ressources illimitées à exploiter toujours davantage mais un tissu de relations au sein duquel les activités humaines interagissent étroitement avec la nature – ce qui justifie que nous changions non seulement notre regard, mais plus largement notre modèle de développement afin de mieux respecter et de mieux valoriser ce formidable potentiel, partie intégrante du grand chantier du développement durable ». Pour ma part, je suis intimement convaincue que l’humanité peut évoluer et s’améliorer sans que les homo sapiens ne se transforment en homo exterminator, selon l’expression de Jacques Vernier. Cela exige de la réflexion, de l’action et surtout un changement de comportement radical que seules des politiques publiques partagées par l’ensemble des acteurs sociaux sont susceptibles d’initier.

L’examen du texte constitue peut-être un moment historique, si du moins chacun ne se retranche pas derrière des réflexes archaïques ou des postures et des certitudes sans fondement acquises au fil du temps. Nous avons mené de nombreuses auditions et tenterons de vous proposer, chers collègues, un texte de compromis ambitieux et volontariste mais en aucun cas stigmatisant pour quiconque. Je remercie ici Mme Viviane Le Dissez, les services de l’Assemblée qui sont nos précieux collaborateurs et votre cabinet, madame la ministre, du travail effectué et des longues discussions que nous avons eues. Viviane Le Dissez et moi-même nous sommes interrogées sur les capacités collectives dont nous disposons pour parvenir à éteindre l’incendie. Je dresse néanmoins un amer constat : si tout le monde se dit prêt à sauvegarder notre biodiversité, celles et ceux qui sont prêts à remettre en question leurs pratiques et volontaires pour retrousser leurs manches sont peu nombreux.

La biodiversité et sa protection ne doivent pas être abordées uniquement dans les milieux intellectuels avertis, les salons et les endroits chics. Il s’agit d’un sujet universel qu’il faut prendre en compte dans toutes nos actions et qui doit transcender tous les clivages politiques au bénéfice de l’intérêt bien compris des générations futures. Mais je doute, car les réticences sont fortes et puissantes au sein de certains groupes, mais aussi parmi bon nombre de nos collègues pour lesquels ladite protection demeure une affaire à traiter plus tard, encore plus tard, toujours plus tard – trop tard ! Le texte propose, d’une part, la reconnaissance de la solidarité environnementale et de la valeur législative du triptyque « éviter, réduire, compenser », et, d’autre part, de nouveaux outils d’une efficacité accrue, parfois impératifs mais le plus souvent contractuels comme les obligations réelles environnementales.

La loi modifie le pilotage de la biodiversité par la création d’un Comité national de la biodiversité et de l’Agence pour la biodiversité, l’AFB, laquelle regroupera en son sein un certain nombre de structures publiques afin de mutualiser les moyens et rationaliser les actions dans le cadre d’une vision élargie de ses missions. À ce sujet, je regrette comme beaucoup d’autres que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage en soit absent car il y a sa place au même titre que l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques car il s’agit d’une structure publique financée en partie par l’État et dont les agents sont très compétents. Le pilotage de l’agence a fait l’objet de longs débats centrés en particulier sur la représentation juste et équitable des populations ultramarines. En effet, 80 % de notre biodiversité terrestre et marine se trouve dans nos départements et territoires d’outre-mer, dont il est donc légitime de prévoir la représentation à la hauteur des enjeux qui s’y trouvent concentrés. Je proposerai plusieurs amendements à cette fin.

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