Intervention de Laurence Abeille

Séance en hémicycle du 16 mars 2015 à 16h00
Biodiversité - nomination du président du conseil d'administration de l'agence française pour la biodiversité — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Abeille :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, nous attendons en effet depuis un certain temps – neuf mois – l’examen de ce texte en séance publique. C’est un délai très long, et nous regrettons que ce sujet si important ne soit pas toujours reconnu comme une priorité.

Le groupe écologiste se félicite bien sûr de l’examen d’une grande loi sur la nature, après celle de 1976.

Oui, les projets de loi sur la nature et la biodiversité sont rares. C’est pourquoi ce texte suscite beaucoup d’attentes, de la part des écologistes et des ONG de protection de l’environnement, que je salue, mais également de la part de nos concitoyens, qui vivent très mal la dégradation de leur environnement, et donc de leur qualité de vie.

La dégradation de notre environnement et l’érosion de la biodiversité s’opèrent en effet à un rythme soutenu. Nous le savons, nous vivons la sixième crise d’extinction des espèces. Le tout récent rapport de l’Agence européenne de l’environnement rappelle que l’érosion de la biodiversité est dramatique, et qu’il est urgent d’agir avec force et conviction. Si une politique ambitieuse n’est pas menée rapidement, c’est près d’un tiers des espèces vivant sur terre qui pourrait avoir disparu d’ici à la fin du siècle, et cela entièrement de la faute de l’homme. Et la France a une responsabilité particulière, avec ses territoires d’outre-mer particulièrement riches en biodiversité, notamment endémique, et son domaine maritime, qui est le deuxième au monde.

Le constat est connu, mais pour beaucoup, l’impact de cette disparition de biodiversité semble maîtrisable. Comme pour le réchauffement climatique, c’est la logique de l’adaptation des sociétés à ce bouleversement qui prévaut. On pense qu’on pourra s’adapter, que nos sociétés sont suffisamment résilientes pour se permettre de détruire l’environnement. Mais l’érosion de la biodiversité, ce n’est pas seulement la disparition d’une espèce animale et végétale remarquable à l’autre bout de la planète : c’est le bouleversement complet de nos écosystèmes, qui nous permettent de produire de la nourriture, d’avoir de l’eau potable, de respirer un air de qualité, bref de vivre.

Qu’une espèce disparaisse dans un écosystème, et c’est tout l’écosystème qui est transformé. Ce projet de loi le rappelle bien, en mettant l’accent sur le caractère dynamique de la biodiversité, et sur l’importance qui s’attache à protéger la biodiversité ordinaire.

Permettra-t-il pour autant de stopper cette disparition de la biodiversité ? Ce n’est pas certain, tant la tâche est longue et difficile. Mais du moins apportera-t-il des outils pour préserver et reconquérir cette biodiversité ordinaire.

L’essentiel des dispositions de ce projet de loi vont dans le bon sens, et le groupe écologiste le soutient. Néanmoins, il reste insuffisant et encore timoré sur plusieurs sujets.

La définition de la biodiversité, telle que modifiée en commission, nous semble ainsi pouvoir être améliorée. Datant de la convention sur la biodiversité de 1992, elle n’intègre pas l’idée de biodiversité dynamique et d’interaction entre les écosystèmes. C’est pourtant un point important, qu’il convient de prendre en compte pour mieux préserver notre biodiversité.

De même, il nous paraît essentiel d’intégrer dans notre code de l’environnement le principe de non-régression du droit de l’environnement. Je sais, madame la ministre, que vous avez montré des signes d’ouverture sur ce sujet lors de l’examen du projet de loi sur la croissance et l’activité. Ce principe de non-régression est défendu par de nombreuses associations. Au regard du déclin actuel de notre biodiversité et des atteintes régulières portées à notre environnement, ne pas affaiblir les dispositions réglementaires favorables à la protection de l’environnement paraît un minimum.

La nouvelle architecture des instances compétentes en matière de biodiversité nous convient, avec ce découpage entre l’instance sociétale qu’est le Comité national sur la biodiversité et l’instance scientifique qu’est le Comité national de protection de la nature. Le groupe écologiste défendra des amendements pour donner davantage de poids à ces instances.

Nous avons également proposé des amendements – malheureusement déclarés irrecevables – sur la répartition territoriale des compétences en matière de biodiversité. Si la région est chef de file sur les politiques de la biodiversité, il est nécessaire d’avoir davantage de clarté sur le paysage institutionnel dans ce domaine, le rôle des départements et l’architecture régionale de l’Agence pour la biodiversité.

Nous nous félicitons de la création de cette dernière. Mais si cette agence est attendue depuis longtemps, c’est pour le moment une agence a minima.

Nous reviendrons sur la non-intégration de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage qui déséquilibrera fortement l’Agence en défaveur des milieux terrestres. Tous les acteurs de la biodiversité demandent cette intégration, le personnel même de l’ONCFS n’y est pas opposé ; seul le monde de la chasse bloque cette intégration. Nous devons ici penser en termes d’intérêt général et dépasser les intérêts particuliers. Je le dis sans animosité, et sans attaque contre le monde cynégétique, mais une agence pour la biodiversité sans l’ONCFS est un véritable non-sens. Surtout, nous savons que, tôt ou tard, l’ONCFS intégrera l’Agence pour la biodiversité, puisqu’une telle situation n’est pas tenable. Il serait dès lors préférable que l’ONCFS à l’AFB dès la mise en place de la nouvelle agence, plutôt qu’après : il est toujours plus difficile de trouver sa place dans un organisme déjà en place, qui a sa façon de travailler, ses règles et ses mécanismes propres.

Nous aurions également souhaité discuter du financement de l’AFB, qui, pour l’instant, n’est que de 230 millions d’euros, soit le budget consolidé des organismes qui composeront cette institution. À cet égard, j’ai été stupéfaite de voir que les amendements que j’ai proposés n’ont pas passé l’article 40, alors qu’il s’agissait de dégager des ressources nouvelles et aucunement d’instituer une charge pour l’État. Il n’est pas possible de faire plus avec les mêmes moyens, et un financement de 400 millions d’euros serait nécessaire pour une politique de préservation de la biodiversité réellement plus ambitieuse. Nous proposions notamment de financer l’AFB à travers la suppression des aides néfastes à la biodiversité. Le rapport Sainteny de 2011 a listé de nombreuses aides publiques qui ont un impact négatif sur la biodiversité : il est temps d’ouvrir une discussion à propos de leur suppression.

Nous ferons également des propositions pour renforcer les missions de l’agence, notamment dans les domaines de la lutte contre les espèces invasives et de la préservation de la biodiversité des sols.

Un thème, absent de ce texte, me tient particulièrement à coeur : celui de la biodiversité en milieu urbain. Je suis l’élue d’une circonscription urbaine et je sais que la nature en ville a un rôle fondamental à jouer pour améliorer le quotidien de nos concitoyens. La minéralisation excessive de nos zones urbaines nuit à la qualité de vie. La biodiversité participe aussi à l’adaptation de la ville au changement climatique, en luttant notamment contre l’effet de l’îlot de chaleur. Elle joue enfin un rôle important en faveur de la qualité de l’air et pour permettre l’épuration des eaux. Je ferai plusieurs propositions en ce sens.

J’en arrive à un point très sensible : l’examen en commission a permis l’introduction d’un mécanisme de compensation des impacts néfastes que peuvent avoir certains projets sur la biodiversité. Sur ce sujet, je ferai plusieurs remarques. Tout d’abord, la compensation doit être le dernier recours, et la création d’un mécanisme pour compenser risque de pousser certains à zapper les étapes précédentes et primordiales consistant à « éviter » et à « réduire ». Or, nous savons que la compensation ne permet pas de compenser l’intégralité de la biodiversité détruite et que l’on ne peut pas recréer artificiellement un biotope détruit. Par ailleurs, la création de réserves d’actifs naturels doit être strictement encadrée et ne doit pas aboutir à un droit à détruire et permettre à certains de se libérer de leurs obligations en contribuant financièrement à certaines opérations. L’exemple des banques de biodiversité aux États-Unis nous laisse pour le moins perplexes. Aussi, sur cette compensation, proposerons-nous plusieurs amendements.

J’interviendrai également sur plusieurs sujets qui devraient figurer dans ce texte et au sujet desquels nous ferons des propositions.

Sur l’artificialisation des terres, il est nécessaire de mener des actions d’envergure. En effet, nous savons que cette artificialisation est l’une des causes majeures de disparition de la biodiversité, mais nous laissons disparaître tous les sept ans l’équivalent d’un département français sans vraiment rien faire.

Nous reviendrons sur la question des OGM, sur l’interdiction stricte des épandages aériens, sur l’utilisation des pesticides par les collectivités et les particuliers, sur la pollution azotée qui détruit les cours d’eau et les côtes, notamment en Bretagne, et sur l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes. Cette classe de pesticides, nous le savons tous, a un impact dévastateur sur la biodiversité, notamment sur les pollinisateurs. Nous sommes nombreux sur ces bancs à défendre l’apiculture et les services écosystémiques de la pollinisation ; c’est un sujet transpartisan. Il n’est plus possible d’être dans la demi-mesure ; il est au contraire plus qu’urgent d’interdire l’ensemble des pesticides de la classe des néonicotinoïdes. N’attendons pas qu’il soit trop tard.

Je présenterai également des amendements pour préserver la vie marine, en proposant la création d’un statut de sanctuaire marin et en proposant l’interdiction de la pêche au chalut en eaux profondes, qui ravage des espaces de biodiversité qu’il faut impérativement protéger.

Je proposerai également l’interdiction des delphinariums, qui nécessitent de prélever des espèces sauvages, puisque les naissances des cétacés en captivité sont très rares.

Autre sujet qui me tient à coeur et sur lequel nous avons commencé à travailler utilement en commission : celui du statut de l’animal. Les actes de cruauté envers les animaux domestiques sont punis de sanctions pénales ; en commission, nous avons étendu cette sanction aux animaux sauvages. C’est une magnifique avancée. Comment expliquer que l’on puisse torturer un animal sauvage comme un renard, mais pas un chien ? Aussi, je note avec stupeur que de nombreux amendements de suppression de cette mesure ont été déposés. J’espère que le Gouvernement soutiendra les progrès importants qui ont été effectués. Il est temps que notre droit évolue.

J’ai également déposé un amendement pour faire reconnaître, dans le code de l’environnement, le caractère sensible de l’animal sauvage, dans le prolongement des travaux menés récemment, qui ont conduit à la reconnaissance de ce caractère sensible dans le code civil.

Dernier thème qui ne peut être laissé de côté : celui de la chasse. Il est incompréhensible que l’impact de la chasse sur la biodiversité ne soit pas abordé par un texte sur la biodiversité. C’est en considérant l’impact de certaines activités de chasse sur la biodiversité que j’ai déposé plusieurs amendements, visant notamment à interdire la chasse de nuit. Nous avons obtenu quelques avancées importantes en commission, et j’en profite pour remercier M. le président Jean-Paul Chanteguet et Mme la rapporteure Geneviève Gaillard pour la qualité du travail mené en commission et pour leur soutien.

Dernier point, je déplore qu’un amendement ait été adopté en commission qui reconnaît un lien de complémentarité entre l’environnement et l’agriculture. Comment peut-on considérer que l’ensemble de l’activité agricole a un impact positif sur la biodiversité et l’environnement ? Si c’est le cas pour un certain type d’agriculture, ce n’est pas une généralité – la disparition de la biodiversité dans les plaines de monoculture ou sur les plages bretonnes souillées par les nitrates sont là pour nous le rappeler.

Pour conclure, le groupe écologiste souhaite que les avancées obtenues en commission soient préservées et que nous puissions avancer sur certains sujets. Cela conditionnera bien sûr notre vote final qui, à cette heure, est très favorable, comme vous le savez.

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