Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 16 mars 2015 à 16h00
Biodiversité - nomination du président du conseil d'administration de l'agence française pour la biodiversité — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les rapporteures, chers collègues, aujourd’hui arrive devant la représentation nationale l’un des textes les plus ambitieux de cette législature. Ce projet de loi relatif à la biodiversité s’attaque en effet à la lourde tâche de réorganiser l’action publique en matière de protection et, surtout, de reconquête de notre environnement. Malheureusement, comme souvent lorsqu’il s’agit de textes ambitieux, il pourrait susciter un certain nombre de déceptions.

Il faut dire que concilier intérêts écologiques et économiques n’a jamais été une mince affaire. Les velléités publiques en faveur de la croissance verte se heurtent systématiquement à des intérêts privés contradictoires et ce, alors même qu’il existe désormais un consensus au sein de la classe politique française autour de l’idée que notre développement ne pourra pas se réaliser sans intégrer de façon volontariste les préoccupations environnementales.

Qu’on se le dise, les plus déçues seront probablement, une fois de plus, les populations d’outre-mer. L’ironie de la situation est patente dans la mesure où 80 % de la biodiversité française se trouve en dehors de l’Hexagone. Avec une telle concentration de la biodiversité nationale sur seulement 15 % du territoire, tous s’attendaient pourtant à ce qu’une attention particulière soit portée à nos régions, départements et collectivités ultramarines. Pourtant, de façon surprenante, ces territoires sont les parents pauvres du texte présenté aujourd’hui devant nous.

Car, si le Gouvernement se lance avec courage dans la lutte contre la phase d’extinction de masse de la biodiversité qu’a empruntée notre pays dans une indifférence quasi-générale depuis quelques années déjà, il faut bien avouer que l’une des composantes essentielles de l’équation semble avoir été oubliée. Je veux parler ici, bien évidemment, des populations riveraines de la biodiversité.

Madame la ministre, je ne veux surtout pas remettre en cause ici les ambitions que vous vous êtes données. De nombreuses dispositions sont inédites en droit français et attendues depuis très longtemps par les acteurs de la biodiversité comme par la société civile. Les principes de compensation de la perte de biodiversité et le régime de partage équitable des avantages en font partie.

Ce régime d’accès et de partage des avantages – APA – est particulièrement bienvenu en Guyane où les populations autochtones voyaient jusqu’à présent leurs ressources génétiques et leurs savoirs faire traditionnels exploités sans aucune contrepartie. Là où, cependant, le bât blesse, c’est indéniablement du côté de l’AFB, bras armé de votre projet de loi. Cette sorte de super-agence aura la lourde tâche d’assister techniquement et financièrement l’ensemble des acteurs de la biodiversité, en particulier les collectivités. Elle devra aussi aider à l’élaboration de la politique de lutte contre le biopiratage et organiser le régime APA. Elle sera donc naturellement amenée à développer une relation privilégiée avec les territoires réservoirs de biodiversité – en somme, avec les outre-mer.

Le problème, c’est que nulle part dans le texte il n’est assuré aux outre-mer une représentation juste au sein des organes décisionnels de l’AFB ; je dis bien : nulle part. Au mieux leur promet-on des places d’observateurs. Ces territoires auront donc le droit d’assister, mais pas de décider, alors même qu’ils sont détenteurs de l’immense majorité du trésor écologique national. Ce serait là un nouveau camouflet pour ces collectivités accusant de forts retards de développement, où le tout-protection voulu par des directives européennes est déjà difficilement acceptable pour les populations locales, lesquelles aspirent, on ne peut plus légitimement, à exploiter leurs ressources naturelles.

C’est pourtant grâce à l’outre-mer que la France possède le deuxième domaine maritime mondial, incluant 55 000 kilomètres carrés de récifs coralliens et de lagons. C’est grâce à l’outre-mer qu’elle détient 83 000 kilomètres carrés de forêt amazonienne, véritable poumon de la planète. C’est toujours grâce à l’outre-mer qu’elle est présente dans cinq hot spots de la biodiversité, ce qui constitue un véritable record mondial. C’est bien simple : plus de 98 % de la faune vertébrée et 96 % des plantes endémiques à la France sont situés outre-mer.

Comment expliquer alors que le passage de ce texte en commission n’ait pas permis de définir une gouvernance de l’AFB assurant aux représentants et spécialistes de ces territoires une place de choix, ou, à défaut, une représentation juste au regard de leur participation au patrimoine naturel national ? Ce n’est pourtant pas faute de vous avoir entendue, madame la ministre, répéter à l’envi l’importance des territoires ultramarins pour la biodiversité et pour la croissance verte. Mais pour leur attribuer quel rôle in fine ? Certainement pas celui d’acteurs de leur propre destin.

Pourtant, si l’on souhaite vraiment enclencher une nouvelle dynamique verte, il est indispensable que les populations s’emparent des outils mis à leur disposition et que l’on comprenne enfin que toute politique publique de protection environnementale est vouée à l’échec si l’on oublie qu’il est avant tout question ici d’organiser des bassins de vie. La protection de notre environnement ne peut être qu’une figure de style. C’est un élément fondamental de cohésion sociale qui nécessite une véritable appropriation de la biodiversité par les populations de ces bassins de vie. Cela est valable aussi bien en France hexagonale qu’en outre-mer.

Les outre-mer sont prêts à relever le grand défi du XXIe siècle qu’est la croissance verte et veulent montrer au reste de la France l’exemple de ce qui est possible. Pour cela, ils ne demandent qu’à être mieux valorisés et traités avec équité.

Madame la ministre, ce gouvernement a toujours pu compter sur mon soutien ; il l’aura une fois de plus sur ce texte, le plus important, sûrement, pour la Guyane, département recouvert à 97 % par la forêt amazonienne et abritant sur un sixième du territoire national près de 50 % de notre biodiversité. Toutefois, ce soutien sera évidemment conditionné à l’assurance que les outre-mer soient représentés de façon juste et équitable dans toute instance amenée à connaître de leur patrimoine naturel. Dans l’attente des débats qui auront lieu sur les amendements, je tiens, d’avance, à vous en remercier.

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