Intervention de Bertrand Fragonard

Réunion du 15 novembre 2012 à 9h30
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Bertrand Fragonard, président délégué du Haut Conseil de la famille :

Je m'exprimerai à titre personnel, le HCF n'ayant jamais traité des recettes. D'abord, ses réflexions ont été bloquées par le « rapport Bur », qui, à ma connaissance, n'a jamais été publié. Puis le décret régissant le HCF a été modifié et l'analyse de cet aspect a été supprimée de ses attributions, qui portent essentiellement sur l'équilibre financier de la branche.

De plus, sur beaucoup de points, je ne suis pas en phase avec les préoccupations d'une partie de ses membres, notamment sur le caractère pérenne et la nature des recettes.

En effet, le problème principal est moins la nature de celles-ci que leur niveau. La question essentielle est de savoir combien l'État veut affecter à la branche.

En ce qui concerne l'équilibre financier, nous avons réalisé en septembre 2010 un rapport sur son évolution jusqu'en 2025. Mais nous allons devoir le revoir pour tenir compte des travaux en cours, notamment les vôtres : nous pourrons vous transmettre la version définitive probablement en février prochain.

Cet exercice est en effet assez simple : la branche n'est pas compliquée et repose sur une évolution lente, dépendant du taux de natalité – dont l'effet se diffuse sur vingt ans –, de l'écart entre les salaires et les prix et du dynamisme général de l'économie.

Nous garderons l'échéance de 2025 : nous avons en effet retenu cette date parce que nous souhaitons qu'au-delà de la période de déficit dans laquelle nous sommes engagés, nous puissions prendre en compte celle du retour à l'équilibre – vers 2017-2018 – puis à l'excédent de la branche. Selon nos estimations, celui-ci devait s'élever à 7 milliards d'euros à cette échéance. Or je suis convaincu que si nous sortons de la crise, nous aurons toujours un excédent en 2025.

A contrario, une approche limitée à l'échéance de 2017 ou 2018 ferait seulement apparaître un déficit, incitant ainsi à s'interroger sur une réduction de dépenses – alors que si l'on montre que la branche connaîtra un excédent, la question principale devient : que fait-on de celui-ci ? Le laisse-t-on à la branche ou non ?

Celle-ci est en effet structurellement faite pour créer de l'excédent : à cet égard, la communication de la Cour n'est peut-être pas aussi pertinente qu'on pourrait le penser. Sans doute cela est-il lié à ce qu'elle a retenu un horizon de temps trop court.

De fait, les prestations évoluent globalement comme les prix alors que les recettes progressent plutôt comme le produit intérieur brut (PIB), dont le taux est tendanciellement supérieur à celui des prix de 1,5 à 2 points par an. De plus, le nombre de familles nombreuses diminue, ce qui, dans le système progressif que nous avons, favorise les excédents : si nous n'avions que des familles d'un enfant, nous n'aurions d'ailleurs plus d'allocations familiales ! En outre, quand le revenu global des ménages augmente d'un point plus vite que les prix, on perd des allocataires – que ce soit pour l'allocation de rentrée scolaire (ARS), le complément familial (CF) ou les aides au logement – dans la mesure où les plafonds sous lesquels on sert les prestations sous conditions de ressources évoluent comme l'inflation.

Seul un rebond de la natalité pourrait nous écarter de cette trajectoire excédentaire : si le nombre annuel de naissances passait de 830 000 à 850 000 ou 900 000, on assisterait à une nette augmentation des dépenses les trois premières années – du fait de l'importance de nos prestations liées à l'accueil du jeune enfant –, qui se diffuserait ensuite au cours des quinze années suivantes. C'est la raison pour laquelle nous établissons nos prévisions à partir du scénario central de l'INSEE en prévoyant un certain nombre de variantes, selon qu'on aurait 10 000 naissances de plus ou de moins. On ne peut guère anticiper des ruptures brutales sur ce point.

Cela dit, des erreurs sont possibles. En 1993-1994, nous avions aussi établi notre cadrage en fonction des prévisions de l'INSEE, qui anticipait 710 000 naissances : or, à peine avons-nous voté la loi relative à la famille du 25 juillet 1994 que celles-ci se sont accrues, passant de 720 000 en 1993 à 830 000 aujourd'hui.

J'aurais aimé demander aux membres du HCF ce qu'ils souhaiteraient faire de l'excédent prévu : leur position est a priori de le garder, ce qui, comme je leur ai dit, est un pari aléatoire. Si la situation financière de la protection sociale n'est pas bonne, qu'on n'arrive pas à mieux maîtriser les dépenses d'assurance maladie et qu'on décide d'aider davantage les personnes dépendantes ou pauvres, il est possible que ce surplus soit redéployé. Cela pourrait se traduire notamment par le fait de transférer à la branche le financement du congé de maternité, comme c'est déjà le cas pour le congé de paternité.

On a ainsi transféré en 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin, les charges de retraite du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) sur la branche famille à hauteur de 4,5 milliards d'euros. Cela a scandalisé les associations familiales, qui y ont vu un moyen de neutraliser l'excédent potentiel de la branche. Aucun gouvernement n'est revenu sur ce transfert.

La question, dès lors, est de savoir si, compte tenu de ce potentiel financier, nous faisons le meilleur emploi de nos fonds – en situation de crise, mais aussi en période d'excédent.

Je rappelle que lorsqu'on est en excédent, on appauvrit en termes relatifs les familles par rapport au seuil de pauvreté ou au revenu médian, les prestations et les plafonds étant indexés sur les prix. Cette règle d'indexation ne me paraît pas optimale, dans la mesure où elle traite tout le monde de la même façon : pour une famille de deux enfants, la non-indexation des allocations familiales sur les salaires fait perdre globalement 1,5 point par an en termes de richesse relative, soit quelques euros chaque année ou 15 à 20 euros au bout de quatre à cinq ans ; alors que, pour une famille de trois ou quatre enfants, disposant d'un revenu primaire plus bas que la moyenne, plus exposée au chômage, avec un taux d'activité féminine plus faible, les prestations familiales et de logement représentant 40 % du revenu global, la perte est de quelques dizaines d'euros par an. Ce faisant, on tend à désarmer les familles nombreuses à revenu moyen ou modeste que l'on veut précisément protéger.

Cette indexation sur les prix, qui a été imposée à la branche depuis l'origine, a été pratiquée par tous les gouvernements, ce qui a pour conséquence de réduire au fil du temps l'efficacité de la politique familiale. J'ai donc proposé que l'on réfléchisse à une modification de la structure de cette politique : cela serait d'autant plus justifié si la contrainte financière était plus durable que prévu.

Je ne pense pas à cet égard qu'on augmentera les recettes de la branche à long terme : je crois même qu'on la diminuera – sous la forme du prélèvement de l'excédent que j'ai évoqué.

Nous n'avons pas réussi à avoir une réponse unanime au sein du HCF à ce sujet, car les syndicats et l'Union nationale des associations familiales (UNAF) n'ont pas voulu réfléchir à des hypothèses qu'ils rejettent par principe, souhaitant au contraire la sécurisation, voire l'accroissement des recettes.

Il nous faudrait travailler sous contrainte et que le Gouvernement dise au HCF de lui préciser comment il souhaite rétablir l'équilibre à l'horizon 2017 et ce qu'il ferait si les recettes n'augmentaient pas, sans allégement des charges indues, notamment le FSV. Or le président de l'UNAF voudrait au contraire que l'on sorte les charges de ce dernier de la branche famille pour avoir une politique familiale dynamique et revenir ainsi sur le péché capital que constitue l'indexation durable des prestations sur les prix.

En 2010, nous avons fait nos projections à recettes constantes : nous ferons a priori de même pour notre prochain exercice prospectif.

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