Il nous faudra définir des priorités pour les dépenses : défendre les classes moyennes ou populaires ne revient pas au même que cibler les jeunes familles ou les familles monoparentales.
S'agissant des recettes, j'entends la position des partenaires sociaux et des associations au sujet de l'opportunité d'affecter tel ou tel prélèvement à telle ou telle dépense.
Ils craignent d'abord une budgétisation de la branche, voire une étatisation de la gestion de la sécurité sociale. Il faut bien toutefois considérer la situation actuelle : le conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) n'a pas son mot à dire sur les prestations, qui sont décidées au préalable, et le seul domaine où la branche a une autonomie concerne l'action sociale. En outre, je vois mal un gouvernement expliquer qu'il va supprimer les caisses d'allocations familiales (CAF) et faire gérer les prestations par les services fiscaux. Les partenaires sociaux disposent d'un véritable pouvoir de décision surtout pour l'assurance chômage et les retraites complémentaires.
Cette crainte traduit peut-être le fait que les gouvernements n'ont pas avec eux un dialogue aussi constant sur la politique familiale que sur la retraite par exemple. Elle fait plus écho à un changement symbolique qu'à une modification de fond.
Les partenaires sociaux redoutent aussi d'être trompés : la « tuyauterie » du financement de la sécurité sociale est tellement compliquée qu'elle fait perdre toute visibilité et sécurité juridique.
Selon moi, il n'existe aucune sécurité juridique pour quiconque, même si d'aucuns peuvent la souhaiter : le Parlement peut changer comme il veut l'ensemble des paramètres de ce qu'il veut. Certes, il peut sanctuariser certaines dispositions par la loi organique, comme ce fut le cas pour la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), mais on voit bien que cela ne peut constituer une garantie absolue. De toute façon, il est toujours possible de changer le point de cotisation ou l'assiette des prélèvements – les gouvernements le font régulièrement.
Il n'y a guère plus de visibilité, sauf pour quelques spécialistes. Mais si l'on modifie tel canal de financement, on peut rarement le cacher longtemps au Parlement et à l'opinion publique. Après l'opération de transfert de 0,28 point de contribution sociale généralisée (CSG) vers la CADES, le Parlement a ainsi exigé qu'on lui précise l'évolution des recettes de substitution de la branche famille jusqu'en 2017 : le rapport de la Cour des comptes a montré qu'elles baissaient, un débat parlementaire a eu lieu, le Conseil constitutionnel s'est prononcé, à la suite de quoi la direction de la sécurité sociale a indiqué qu'elle apporterait chaque année une compensation. Cela dit, cette prévision, qui est à mon avis sincère et la meilleure qui soit aujourd'hui, n'a pas plus de validité qu'une ligne de cotisation de sécurité sociale.
Il n'en reste pas moins que les gestionnaires ont ce sentiment de défiance, ce qui n'est pas sain. Il faut donc que soient produites des prévisions de long terme – les schémas de programmation budgétaires servent à cela. De manière générale, les documents publiés par les administrations sont sincères et réalistes.
Sur la nature des recettes, on a commencé par dire que certaines branches étaient foncièrement contributives – les retraites ou l'assurance chômage – et devaient donc logiquement être financées par des cotisations, contrairement à d'autres, universalistes, dites de solidarité, pour lesquelles d'autres sources de financement ont leur place.
Vous remarquerez que ce débat est né lorsqu'on a voulu stabiliser les cotisations patronales. Quand, en 1976, on a sorti les prestations familiales de la logique contributive, personne ne s'est demandé s'il fallait changer la nature des recettes : ce n'est qu'après, sous le gouvernement de Raymond Barre, lorsqu'on a souhaité opérer cette stabilisation, qu'on a décidé de réserver ces cotisations prioritairement aux régimes contributifs et nourri une réflexion sur le fait que les autres branches pourraient avoir plus de recettes fiscales. D'où l'idée récente selon laquelle, si l'on devait alléger les cotisations, elles devraient porter sur les allocations familiales – ce qui crée à juste titre beaucoup de nervosité chez les partenaires sociaux.
Mais il s'agit d'une construction intellectuelle : si vous me demandiez de justifier l'inverse, je pourrais sans doute y arriver ! L'allégement pourrait tout aussi bien porter sur les cotisations de l'assurance maladie, qui est tout autant universelle, depuis la création de la couverture maladie universelle (CMU), que la branche famille.
Reste à savoir, si on allégeait les cotisations, quelles seraient les recettes de substitution, ce qui pose la question du changement d'assiette – qui peut porter sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la fiscalité écologique ou tout autre prélèvement. Il ne m'appartient pas de l'apprécier.
Toujours est-il que le Gouvernement a préféré créer un crédit d'impôt pour réduire le coût du travail plutôt que baisser les cotisations patronales. Du coup, plus personne ne considère la nature du financement de la branche comme un problème.
Il faut en fait distinguer trois types de débats : le débat intellectuel sur la nature des recettes, qui est intéressant au regard de la philosophie du droit ; celui sur les moyens que l'on souhaite donner à chaque branche de sécurité sociale ; celui, enfin, sur les assiettes de substitution en cas d'allégement des cotisations.