C'est un plaisir pour moi que de venir présenter devant votre Commission les principaux axes de ce programme de lutte contre l'homophobie et la transphobie.
Pourquoi est-ce la ministre des droits de la femme qui a été chargée de ce sujet ? Si l'ensemble des ministères et des administrations doit se sentir impliqué sur un sujet comme celui-ci, il fallait un pilote. C'est pourquoi le Premier ministre m'a demandé de mener à bien cette mission. C'est aussi qu'il y a une proximité entre le combat contre toutes les violences faites aux femmes à raison de leur condition de femme, et ce combat contre toutes les discriminations dont peuvent être victimes des personnes à raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Dans les deux cas, ces violences trouvent leurs racines dans certaines représentations, certains stéréotypes qui, encore en 2012, enferment les sexes et les individus dans des rôles pré-établis. Il y a également une proximité historique entre le mouvement lesbien, gay, bisexuel et transsexuel (LGBT) et le mouvement pour les droits des femmes. De grandes conquêtes les relient. Enfin, la méthode de travail gouvernementale est la même, qu'il s'agisse de promouvoir les droits des femmes et l'égalité entre les sexes ou de lutter contre l'homophobie. Dans les deux cas, les maîtres mots sont transversalité et interministérialité.
Si en matière de droits des femmes je déplore souvent de devoir partir de pas grand-chose, compte tenu de l'absence pendant vingt-six ans d'un ministère de plein exercice, en matière de discriminations liées à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre, j'ai vraiment dû partir de rien. Jamais jusqu'à présent, ni les ministères ni les administrations n'avaient été incités à mener un travail aussi global que celui-ci. Le blocage sur le mariage entre personnes de même sexe et l'homoparentalité inhibait sans doute nos prédécesseurs sur le sujet. Je me suis aperçue en effet qu'il existait dans les administrations beaucoup de projets qui n'attendaient qu'une consigne politique pour être engagés. Il nous a suffi de lever le tabou pour que l'administration se mette en action dans la lutte contre l'homophobie.
Pourquoi ce programme d'actions maintenant ? Tout d'abord, nous savons bien que l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe ne réglera pas tout. L'égalité des droits, qui figurera dans la loi si le Parlement en décide ainsi, est bien entendu un préalable, mais il faut aussi agir plus en profondeur dans tous les domaines de la société pour faire reculer l'homophobie.
Ensuite, le débat sur le mariage et l'adoption pour tous a réveillé certains réflexes homophobes. Nous nous souvenons tous de la violence de certains propos lors du débat sur le PACS, y compris au Parlement. Nous ne voulons pas que cela se répète. Ce plan d'actions, concomitant au débat sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, a aussi pour vocation de dire que nous souhaitons un débat serein et respectueux, et que nous ferons preuve de tolérance zéro quant aux dérapages homophobes.
Pour faire évoluer les mentalités, nous entendons nous appuyer sur la jeunesse. Tout d'abord, parce que c'est dès le plus jeune âge que se forgent les représentations sexistes ou homophobes. Ensuite, parce que c'est, un peu plus tard, dans la jeunesse, à l'heure où l'on s'interroge sur sa sexualité, que les violences peuvent être les plus destructrices : on sait que la prévalence du suicide est beaucoup plus forte chez les jeunes homosexuels que chez les jeunes hétérosexuels. Enfin, parce que la jeunesse, ce sont les hommes et les femmes de demain. C'est dès maintenant que se prépare le projet d'une société plus juste, plus respectueuse de la promesse républicaine d'égalité.
Nous voulons agir sur les représentations. Il faut faire reculer les préjugés et les clichés dans les domaines de l'éducation, de la culture, de la recherche et du sport.
Nous avons tous en mémoire les grands combats pour l'égalité : dépénalisation de l'homosexualité en 1981, institution du PACS en 1999, combat dans lequel votre président, Patrick Bloche, a joué un rôle remarquable. Toutes ces luttes ont peu à peu changé notre société. Mais si nous avons modifié la loi, nous n'avons pas assez fait évoluer les mentalités. C'est pourquoi nous en faisons aujourd'hui une priorité.
Ce plan, le gouvernement ne l'a pas élaboré seul. Les administrations y ont été associées. Une centaine d'organisations – associations, partenaires sociaux … – ont également répondu à notre invitation pour participer à une large consultation, et nous avons reçu plus d'un millier de pages de contributions.
Quelles en sont les principales mesures ?
Pour lutter plus efficacement contre les violences commises à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, il importe tout d'abord d'en avoir une meilleure connaissance. Il faut à la fois mieux les mesurer et les analyser. Le gouvernement publiera désormais chaque année les chiffres de l'homophobie – entendue au sens large. Cela sera possible grâce à la réforme engagée du système statistique des ministères de l'intérieur et de la justice. Nous commanderons également une enquête de victimation à l'Institut national d'études démographiques (INED) pour compléter les données sur le sujet, dans le cadre de l'enquête « Virage ».
L'accueil des victimes sera amélioré. Ainsi apporterons-nous un soutien à la ligne d'écoute SOS Homophobie qui a fait ses preuves mais n'a jusqu'à présent jamais été aidée par les pouvoirs publics. Dès l'an prochain, les professionnels au contact des victimes – policiers, gendarmes, magistrats, infirmiers… – seront mieux formés sur le sujet des violences faites aux femmes mais aussi des violences liées à l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Pour le détail de ces formations, je vous renvoie au plan d'actions qui vous a été remis. Afin de faciliter le recueil des plaintes, les policiers et les gendarmes auront à leur disposition des trames d'audition destinées à « guider » le témoignage des victimes.
Enfin, j'ai demandé à la Miviludes, mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, de surveiller ce qu'on appelle les « thérapies de conversion », organisées par des centres qui profitent de la vulnérabilité de ceux et celles qui vivent mal leur homosexualité en prétendant les en guérir. La Miviludes m'a assuré être particulièrement vigilante sur ces pratiques.
Tous ces efforts pour lutter contre les violences homophobes et transphobes n'auraient pas de sens si nous ne luttions pas en profondeur contre les stéréotypes.
De l'école primaire à l'université, des actions seront menées. Les enseignants seront mieux formés à l'éducation à la sexualité et à répondre aux questions des enfants sur l'orientation sexuelle. Les questions relatives à l'homosexualité ne seront pas éludées dans cette éducation à la sexualité. Le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, et moi-même veillerons à ce que la circulaire du 17 février 2003 soit enfin appliquée dans les établissements.
Enfin, les établissements scolaires doivent ouvrir davantage qu'aujourd'hui leurs portes aux associations, qui sont assurément les mieux placées pour prévenir les réflexes homophobes. Nous faciliterons aux associations l'obtention de leur agrément.
Nous voulons aussi mieux prévenir le suicide chez les jeunes, dont le risque est accru chez les jeunes homosexuels. Vincent Peillon a confié une mission sur le sujet à Michel Teychenné. Ce sera également l'une des priorités de Marisol Touraine, dans le cadre du plan « Santé mentale » en préparation.
Nous renforcerons la Charte de l'homophobie dans le domaine sportif. Ces questions seront également intégrées dans les programmes du BAFA – brevet d'aptitude à la fonction d'animateur. Valérie Fourneyron, ministre des sports, a formulé des propositions en ce sens.
Avec Aurélie Filipetti, ministre de la culture et de la communication, nous inviterons le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à adresser une recommandation aux chaînes de radio et de télévision pour qu'elles participent davantage à la lutte contre les préjugés et l'homophobie.
L'histoire du mouvement LGBT sera valorisée davantage qu'elle ne l'a été jusqu'à présent, par des projets de documentaires et l'exploitation des archives, nombreuses, qui existent et doivent être sauvegardées.
Au-delà de ces impulsions pour faire évoluer les mentalités, nous engagerons une lutte déterminée contre les discriminations liées à l'orientation sexuelle, notamment dans l'emploi, public et privé, et l'accès aux soins. Avec Michel Sapin, ministre du travail, nous ferons entrer les questions LGBT dans les outils utilisés par les inspecteurs du travail. Les partenaires sociaux, que nous avons reçus pour préparer ce plan d'actions, ont reconnu que la lutte contre les discriminations homophobes dans le monde du travail n'avait pas été suffisante, reposant le plus souvent sur des associations internes aux entreprises, et qu'ils devaient eux-mêmes maintenant se saisir du sujet. Celui-ci sera désormais abordé dans le cadre de la nouvelle grande Conférence sociale annuelle.
Avec Marylise Lebranchu, ministre de la fonction publique, nous ferons entrer la lutte contre les discriminations homophobes dans la Charte de l'égalité dans la fonction publique.
Avec Dominique Bertinotti, ministre de la famille, nous veillerons à ce que l'État se mobilise pour toutes les familles. Les familles homoparentales seront désormais représentées dans les instances comme l'Union nationale des associations familiales (UNAF).
Les personnels de santé et des maisons de retraite seront formés à cette question. Un module sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre sera intégré à leur formation initiale. Une mission a été confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le sujet spécifique des personnes âgées LGBT, que tout porte à croire encore plus exposées que les autres à l'isolement.
Pour éviter les ruptures dans le parcours des personnes transsexuelles, nous simplifierons ce parcours. On sait combien il est complexe aujourd'hui de changer d'état-civil et la somme de souffrances dont cela s'accompagne.
La notion d'identité de genre est encore mal comprise, comme l'ont montré les débats de l'été dernier lors de l'examen du projet de loi relatif au harcèlement sexuel. Pour intégrer l'identité de genre à notre droit, et notamment utiliser un vocabulaire parfaitement adéquat, nous avons saisi la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), dont c'est le rôle que de qualifier les atteintes aux droits de l'homme. Nous avons cet été complété la composition de la CNCDH où sont désormais représentées des associations comme la Coordination française pour le lobby européen des femmes et l'Inter-LGBT.
La CNCDH sera également saisie pour avis du futur projet de loi réformant le changement d'état-civil. Les propositions des parlementaires sont nombreuses et riches sur le sujet. Un premier travail a été mené à partir d'une proposition de loi de votre ancienne collègue, Michèle Delaunay. Beaucoup d'associations de personnes transsexuelles plaident pour que l'on s'inspire de l'Argentine, où le changement d'état-civil a été rendu plus simple. C'est un sujet délicat où il faut avancer avec prudence, dans le seul souci d'assurer la meilleure protection possible des personnes concernées. Ce travail se poursuit au Sénat, sous la houlette des sénatrices Maryvonne Blondin et Michelle Meunier. Nous le soutenons. Si certaines et certains d'entre vous souhaitent s'y associer, ils seront les bienvenus.
Des consignes seront données immédiatement pour que les personnes transsexuelles puissent utiliser, de manière plus simple, un numéro de sécurité sociale transitoire, ce qui évitera toute rupture dans le bénéfice de leurs droits sociaux. Ce n'est qu'une question d'organisation de l'administration. Pourtant, cela n'avait pas été fait jusqu'à présent, plongeant beaucoup de ces personnes dans de graves difficultés sociales.
Avant notre arrivée aux affaires, un travail avait été engagé sur le parcours de soins des personnes transsexuelles. Interrompu, il va reprendre, animé par les équipes de Marisol Touraine, ministre de la santé. Il s'appuiera sur les propositions du rapport publié par l'IGAS en mai dernier. L'objectif est que ce parcours soit le plus simple et le mieux accompagné possible, avec un libre choix de leur médecin pour les personnes concernées lorsqu'il y a une volonté de passer par la médecine – ce qui n'est pas toujours le cas.
Je termine par le volet international. Il est important que la France porte haut et fort les valeurs et les combats auxquels elle croit. La France s'engagera, comme l'a déclaré le Président de la République à l'Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, dans le combat difficile pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité. Nous avons beaucoup travaillé sur le sujet avec les équipes de Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, nos partenaires européens, certains pays du Sud et certaines ONG. Avec l'Afrique du Sud par exemple, c'est le bon moment pour faire accepter des avancées.
La France organisera une conférence européenne sur ce thème de la dépénalisation de l'homosexualité au premier semestre 2013. Même en Europe, il reste beaucoup à faire pour faire progresser les droits des personnes LGBT. Il faut mettre ce sujet à l'agenda de l'Union européenne, ainsi d'ailleurs que de l'Organisation internationale de la francophonie. Nous comptons sur chacun de ces leviers afin de rassembler autour de nous les pays les plus avancés pour progresser.
En écho à notre action internationale, nous améliorerons les conditions d'application du droit d'asile aux personnes LGBT victimes dans leurs pays d'origine de discriminations liées à leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Une formation spécifique sera dispensée aux professionnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
En dépit de son ampleur, l'effort consenti ne constitue qu'un premier pas. Ce programme d'actions a le mérite d'être global. Tout néanmoins n'y figure pas. Nous avons jugé par exemple que la lutte contre la sérophobie, à laquelle nous nous attachons également, notamment avec l'association Aides, ne relevait pas uniquement de la lutte contre l'homophobie et qu'elle devait être traitée dans un cadre plus approprié.
Soyez assurés enfin que ce programme aura des suites. Sa mise en oeuvre sera régulièrement évaluée. Nous avons proposé à toutes les organisations consultées de faire partie du comité de suivi qui sera créé dans les prochaines semaines. Les associations, les partenaires sociaux, les ministères concernés, mais aussi les élus locaux, y seront représentés. Je serai heureuse de recueillir vos commentaires et suggestions sur le sujet.