Intervention de Daniel Fasquelle

Réunion du 28 novembre 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle, rapporteur :

La proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter concerne deux sujets distincts que sont, d'une part, les indications géographiques appliquées aux produits artisanaux et manufacturiers et, d'autre part, la protection des dénominations des collectivités territoriales. Ces questions sont connexes et s'inscrivent dans une même perspective, celle de renforcer la reconnaissance des savoir-faire des entreprises françaises en s'appuyant sur les identifiants forts pour les produits que sont les noms des collectivités territoriales, lesquels permettent une identification à un terroir, une histoire ou une renommée.

Tout se passe comme si la mondialisation de l'économie et de la concurrence avait pour corollaire un intérêt accru des consommateurs pour la proximité, le local, l'identification des produits à leur origine et l'authenticité. Ces tendances peuvent s'analyser comme autant de défenses à l'encontre de l'uniformisation et du marché global, qui ne permettent plus de rattacher un produit à une entité géographique. Ce constat, notre commission a eu maintes occasions de le dresser, notamment lorsqu'elle a traité des questions relatives aux droits de plantation, aux couteaux Laguiole ou à l'AOC gruyère.

Ce texte s'inspire largement des débats que nous avons eus lors de l'examen en 2011 du projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, dont j'étais le rapporteur. Le projet de loi comportait un article relatif aux indications géographiques des produits non alimentaires, et la Commission des affaires économiques avait également adopté, à mon initiative, un amendement visant à mieux protéger les noms des collectivités territoriales contre les usages dévoyés ou déloyaux. Ce texte n'ayant malheureusement pu aboutir, je vous propose aujourd'hui de revenir sur ces questions qui avaient recueilli un large consensus parmi nous et devraient illustrer la volonté unanime de notre commission de mieux protéger le nom des collectivités et les produits de nos terroirs.

J'en viens aux articles de cette proposition de loi. J'indique par ailleurs que j'ai été amené, au fil des auditions et de mes réflexions, à modifier la proposition initiale afin de lui conférer une meilleure lisibilité et une plus grande efficacité. J'ai d'ailleurs déposé plusieurs amendements dont l'objet est de préciser, de compléter et de restructurer le texte.

En ce qui concerne tout d'abord la création d'indications géographiques protégées en faveur des produits artisanaux ou manufacturiers, il s'agit pour notre pays d'être précurseur tout en s'inscrivant dans un cadre européen. Le droit positif comporte depuis fort longtemps un système de protection des produits alimentaires sous la forme des appellations d'origine contrôlée (AOC), définies à l'article L. 115-1 du code de la consommation. Même si le texte de cet article n'exclut pas formellement les produits autres qu'alimentaires, la pratique qui exige un lien fort entre un terroir et un savoir-faire a conduit à ce que l'immense majorité des produits AOC soit des produits alimentaires. Il existe certes quelques contre-exemples comme la dentelle du Puy, les mouchoirs et toiles de Cholet, la poterie de Vallauris, les émaux de Limoges et le monoï de Tahiti, mais il s'agit d'AOC très anciennes.

Le droit européen, quant à lui, prévoit deux modes de protection de l'indication géographique des produits alimentaires : l'appellation d'origine protégée (AOP), qui garantit un très fort lien avec le terroir et qui est l'équivalent de l'AOC française, et l'indication géographique protégée (IGP), qui garantit un lien avec l'origine au moins à l'un des stades de la production, de la transformation ou de l'élaboration.

La volonté européenne d'étendre la catégorie des IGP aux produits non alimentaires existe et des études préparatoires sont en cours, mais cela n'a pas encore débouché sur des propositions concrètes.

L'article 1er de la proposition de loi reprend le texte du projet de loi voté en 2011 en première lecture. Il prévoit une procédure d'homologation par décret d'un cahier des charges qui indique le nom du produit, délimite l'aire géographique, définit la qualité, la réputation et les autres caractéristiques qui peuvent être attribuées à cette origine géographique, et précise les modalités de production, de transformation, d'élaboration ou de fabrication qui ont cours dans cette aire géographique ainsi que les modalités de contrôle des produits.

Le texte prévoit également l'articulation entre une marque et une IGP portant sur une même dénomination. Les deux dispositifs pourront coexister, conformément aux principes du droit international en la matière. Ainsi, il pourrait exister une IGP pour les couteaux Laguiole qui ne remettrait pas en cause la marque actuellement déposée mais ne se heurterait pas non plus à la prééminence actuelle du droit des marques. Bien entendu, la définition du cahier des charges sera fondamentale pour permettre l'identification des modes de fabrication et les exigences de qualité requises. Cette définition permettra d'inclure au sein d'une IGP des lieux de production distincts, voire éloignés – je pense aux communes de Laguiole et de Thiers –, dès lors qu'ils satisferont aux exigences du cahier des charges.

Le second volet de la proposition de loi concerne la protection des dénominations des collectivités territoriales à l'égard des marques commerciales. On constate en effet que la notoriété de certaines communes peut être utilisée par des entreprises implantées dans d'autres régions ou par des entreprises locales dans un sens contraire aux intérêts et à l'image de la collectivité, voire par une autre collectivité – je pense à l'affaire dite Saint-Nicolas. Afin d'éviter ce type de conflit, la proposition de loi prévoit l'information de la collectivité territoriale dès lors que sa dénomination est utilisée à des fins commerciales. Cette information lui permettra, le cas échéant, de faire opposition à l'enregistrement de la marque auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). J'indique que je proposerai un amendement de précision de cet article, qui n'en modifiera pas l'économie générale. L'opposition ne sera recevable que si la marque contrevient aux dispositions figurant aux articles L. 711-2 à L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle. Il s'agit non de modifier le droit des marques mais de permettre aux communes, au travers de l'obligation d'information et de ce droit d'opposition, de bénéficier de la protection offerte par ce droit. Je souligne qu'il ne s'agit pas d'un droit d'opposition inconditionné, les collectivités devront démontrer l'atteinte au nom, à l'image ou la notoriété, conformément au code de la propriété intellectuelle. L'obligation d'information, quant à elle, permettra aux collectivités d'intervenir beaucoup plus rapidement qu'aujourd'hui

Par ailleurs, je souhaite mettre en valeur le dispositif de l'actuel article 3 de la proposition, qui concerne l'usage exclusif par les collectivités territoriales de leur dénomination dans le cadre de leurs missions de service public. Il s'agit là d'inscrire dans la loi un principe dégagé par la jurisprudence et de lui donner une meilleure visibilité en le plaçant en tête des dispositions relatives à la protection des dénominations. J'ai déposé un amendement en ce sens.

Enfin, pour compléter l'arsenal protecteur du nom des collectivités territoriales, je propose, par le biais d'un amendement, de créer à leur bénéfice une présomption de marque collective pour leur dénomination. Elles pourront s'en prévaloir dès lors qu'elles auront adopté un règlement d'usage mentionné à l'article L. 715-1 du code de la propriété intellectuelle. Cette disposition peut s'avérer d'une grande utilité pour les collectivités qui souhaitent protéger l'utilisation de leur nom et de leurs signes distinctifs. En effet, le principe essentiel gouvernant l'usage d'une telle marque réside dans le fait qu'elle peut être utilisée par tout professionnel qui fournit des produits ou services qui répondent aux exigences imposées par le règlement d'usage.

Cette proposition de loi est très attendue par les élus locaux – l'audition du maire de Laguiole l'a démontré –, lesquels sont soucieux de préserver les intérêts légitimes de leur collectivité face aux pratiques de parasitisme ou de captation de leur image ou de leur réputation, qui reposent sur un savoir-faire et des compétences spécifiques. Il s'agit d'un sujet dont nous avons longuement débattu lors de l'examen du projet de loi Lefebvre, texte qui avait été amélioré en commission et lors de son examen en séance tant à l'Assemblée qu'au Sénat, mais qui n'a pas pu aller jusqu'à son terme. Les auditions auxquelles j'ai procédées ont encore permis de faire évoluer le dispositif en la matière. Je vous propose donc, mes chers collègues, d'adopter la proposition de loi, qui me paraît constituer un texte abouti, qu'il s'agisse de l'extension des IGP aux produits artisanaux attachés à nos territoires, du règlement des conflits avec les marques, du cadre géographique de l'IGP – lequel peut dépasser les limites d'une seule commune – ou de la protection du nom des communes. J'ajoute que ce texte respecte le droit, tant national qu'européen ou international, des marques et de la protection des indications géographiques.

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