Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 4 mars 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

La mission effectuée aux États-Unis du 9 au 12 février avec mes collègues MM. Deflesselles, Lambert et Leroy a été riche de rencontres, puisqu'elle nous a permis de mener plus d'une quinzaine entretiens, et de recueillir le sentiment de près d'une cinquante interlocuteurs représentant aussi bien l'administration onusienne et des délégations étrangères à New York, que des représentants de la société civile (think tanks, ONG, chercheurs) et des membres du Congrès et de l'administration américaine à Washington.

Nous souhaitions donc partager aujourd'hui avec vous les enseignements qui nous semblent devoir être tirés de ces rencontres, et se déclinent selon nous sous deux chapitres : l'importance pour de nombreux acteurs du thème du développement qui conditionnera la réussite de la conférence climat de décembre 2015, et la volonté unanime de participer à un accord sur le climat, selon des configurations cependant sensiblement différentes ; la persistance d'une situation intérieure complexe aux États-Unis, avec une opinion publique évoluant rapidement sans que toutefois la situation politique ne laisse une grande marge de manoeuvre pour les futures négociations.

Tout d'abord, le dialogue avec les représentants de l'ONU et les délégations étrangères a permis de mettre en lumière l'importance fondamentale du thème du développement : la capacité des pays développés à adopter une position crédible sur ce sujet devrait conditionner la réussite de la Conférence climat à Paris.

A New York, nous avons eu l'opportunité de rencontrer des personnalités de l'ONU très impliquées dans les négociations climatiques, comme M. Thomas GASS, Sous-Secrétaire général du Département des Affaires Économiques et Sociales, ou M. Janos Pasztor, Directeur du bureau « Changement climatique » au sein du Secrétariat Général des Nations Unies.

Ces entretiens nous ont permis de prendre conscience de l'intrication croissante des thèmes du climat et du développement, notamment au sein des nouveaux Objectifs pour le développement durable, qui prennent en 2015 le relai des Objectifs du Millénaire pour le développement, parvenus à leur terme.

Au sein de l'ONU, l'ambition de lutte contre le réchauffement climatique est de plus en plus conçue comme étant pleinement intégrée à un agenda de développement. C'est pourquoi la conférence d'Addis Abeba, qui aura lieu en juillet 2015, constitue une étape majeure sur le chemin de Paris en décembre.

Les résultats de cette troisième conférence internationale sur le financement du développement seront en effet observés avec attention par les pays en développement. Ceux-ci attendent des pays les plus avancés qu'ils apportent la preuve de leur crédibilité en matière d'aide au développement : c'est seulement à cette condition que des efforts en faveur du climat seront possibles pour des pays qui luttent encore souvent contre une pauvreté endémique.

L'ambassadeur indien n'a ainsi pas manqué de nous rappeler que si son pays était très disposé à faire des efforts pour parvenir à intégrer un accord en décembre, il se débattait encore avec une pauvreté qui privait 600 millions d'Indiens d'électricité. Des aides financières et des transferts technologiques sont donc pour lui indispensables, et sont cohérents avec l'idée d'une responsabilité commune mais différenciée défendue par l'ensemble de pays du Sud. Les pays en développement sont prêts à réaliser des efforts, à condition que les pays développés leur en fournissent les moyens en vertu de leur responsabilité historique dans le changement climatique.

C'était également le sens du message de l'ambassadeur chinois, qui a insisté sur les efforts réalisés par son pays pour substituer une croissance plus soutenable à un modèle très intensif en énergie carbonée. L'ambassadeur est également revenu sur l'engagement chinois de réduction en valeur absolue des émissions de gaz à effet de serre après le pic prévu pour 2030 dans l'accord récent avec les États-Unis, et sur la nécessité de trouver dans le futur accord climatique mondial le juste équilibre entre le niveau de contrainte et l'applicabilité de l'accord.

Pour les ambassadeurs des pays africains francophones rencontrés lors d'un déjeuner à la résidence française, la priorité du développement était également très sensible, d'autant que le changement climatique produit déjà des effets notables sur les conditions de vie des populations. Voix légèrement dissonante parmi les ambassadeurs francophones, l'ambassadeur canadien a lui plaidé pour un maximum de flexibilité dans l'accord.

Il nous apparait donc essentiel que la France soit représentée au plus haut niveau lors de la Conférence d'Addis Abeba en juillet, afin de donner aux pays en développement le juste signal d'une implication profonde des pays développés sur ces problématiques de financement du développement.

À cette condition, les représentants des pays émergents ou en développement rencontrés ont tous appelé à la réussite de la conférence de Paris et témoigné de leur volonté de travailler en coopération étroite avec la France pour ce succès. Certaines initiatives proposées, comme le modèle des cercles concentriques présenté par le représentant brésilien, touchaient à la structure même de la négociation, pour dépasser la division entre les pays de l'Annexe I et II et inscrire les discussions dans un cadre dynamique. Si la pertinence d'un tel outil doit être réfléchie, son élaboration témoigne de l'implication nouvelle des grands émergents, qui veulent désormais avoir leur mot à dire sur la gouvernance même de ces négociations. Une telle implication nous semble devoir être regardée positivement.

Deuxième constat fort de cette mission : la situation américaine demeure très complexe. Des signaux positifs ont été largement envoyés de la part de la majorité au pouvoir, mais certaines réticences pourraient mettre en cause in fine la participation des États-Unis à un accord.

À Washington, nous avons eu l'opportunité de rencontrer des membres de l'administration Obama (dont M. Kevin Welsh, Directeur pour l'environnement et le changement climatique au Conseil de la sécurité nationale de la Maison blanche) et du parti démocrate, notamment les conseillers de membres du Congrès et le Sénateur Edward Markey, très impliqué sur le sujet environnemental. Il nous a ont clairement exprimé la volonté du Président Obama d'atteindre les objectifs de financement du Fonds Vert et de participer pleinement à l'élaboration d'un accord mondial. Dans cette optique, les accords passés avec la Chine et l'Inde sont présentés comme un facteur de facilitation, de déblocage en vue des négociations à venir. La forme juridique que pourrait prendre un accord susceptible de rallier le soutien américain est encore indéterminée à ce stade, mais doit permettre de s'appuyer sur les dispositifs légaux et réglementaires préexistants aux États-Unis pour garantir la possibilité de le ratifier sans passer par un Congrès largement hostile à tout engagement contraignant.

Selon les nombreux représentants des ONG et think tanks rencontrés (WWF, Natural Resources Defense Council, UN Foundation, Brookings Institution), il faudra tenir compte du poids des mutations intervenues dans l'opinion publique américaine, désormais plus sensible aux enjeux climatiques. Les récentes marches pour le climat en marge du sommet organisé par le Secrétaire général Ban Ki Moon en septembre ont constitué un signal fort et très positif quant à la mobilisation croissante du public sur ces enjeux.

Pour le représentant du WWF, il pourrait être utile de s'appuyer aux États-Unis plus particulièrement sur la communauté hispanique (qui représente désormais 18 % de la population américaine) et sur l'influence que ne manquera pas d'avoir l'intervention prochaine du Pape François devant le Congrès, pour créer un momentum autour des négociations.

De nombreux interlocuteurs des sphères politique autant que civile ont en effet insisté sur le retentissement prévisible de l'intervention du Pape François auprès de l'opinion américaine. La dimension « morale » de la lutte contre le réchauffement climatique pourrait ainsi être mise en avant pour sensibiliser l'opinion. Les changements intervenus dans l'opinion publique nationale doivent toutefois être mis en rapport avec l'importance relative que présente encore le sujet du réchauffement climatique pour les électeurs (il se place au quatorzième rang des préoccupations).

Selon les « staffers » du Congrès, les deux dernières années du mandat du Président pourraient constituer le moment pour lui de bâtir un héritage, dans lequel la problématique climatique s'inscrirait avec cohérence. Mais ils ont également insisté sur le blocage existant autour de la question climatique au sein de la majorité du Congrès.

Il nous a paru intéressant de noter que selon eux, la plupart des Républicains ne seraient pas opposés à des actions destinées à prévenir les effets potentiels du réchauffement climatique (actions de renforcement de la sécurité du littoral par exemple), et pourraient être sensibles à des arguments reposant aussi bien sur les notions de sécurité que de « business ». Il faudrait en revanche veiller à ne jamais présenter ces mesures sous l'angle du climat, véritablement rédhibitoire. La question du financement des actions pour le climat pourrait s'avérer très épineuse, là encore en raison de l'opposition du Congrès, et particulièrement des puissants « Committes of Appropriations ».

Nous avons pu faire l'expérience directe de ces oppositions, puisque nous avons rencontré le représentant de l'Illinois M. John Shimkus, également président du sous-comité sur l'environnement et l'économie au sein du Comité de l'énergie et du commerce de la Chambre des représentants. Il nous a affirmé sans ambages le peu d'importance que revêtait pour lui l'opinion nationale, qui ne comptait pas dans les élections des Congressmen. M. Shimkus s'est en outre montré très réticent quant à l'opportunité d'un accord climatique mondial : selon lui, les effets du changement climatique devaient être appréhendés par le progrès technologique, mais non par des contraintes imposées au développement économique.

M. Shimkus a exprimé son peu de foi en la sincérité de certains autres pays -- notamment émergents -- qui pourraient être impliqués dans un accord mondial. De façon générale, M. Shimkus qui peut pourtant être rangé parmi les Républicains « modérés » sur la question du climat, nous a semblé avoir des positions très en retrait des positions affirmées en Europe, en arguant par exemple de son incrédulité face aux résultats présentés dans les rapports du GIEC.

Le mérite de cet entretien, qui nous a donné l'impression par moments de revenir des années en arrière, a pourtant été de nous montrer que le succès des négociations à Paris n'était aucunement garanti, et qu'une mobilisation la plus large possible serait plus que nécessaire. Il faut donc que nous continuions à travailler dans un esprit de dialogue avec nos interlocuteurs, et à cet égard, comme l'a rappelé hier le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, la diplomatie parlementaire sera d'une aide précieuse.

Mais je souhaiterais à présent laisser à mes collègues la possibilité de compléter mon propos par leurs propres impressions sur la mission effectuée.

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