Madame la Présidente, mes chers collègues, je ne vous apprendrai rien : le chômage des jeunes est l'un des problèmes majeurs auxquels l'Union européenne et ses pays membres ont à trouver une solution dans des délais rapides, sous peine de courir le double risque d'handicaper durablement une génération, qui pourrait ne jamais avoir accès à un emploi durable et de qualité, et, dans le même temps, en désespérant la jeunesse, d'entamer très sérieusement la cohésion de nos démocraties. Les évènements dramatiques qui ont touché notre pays en janvier 2015 ont, malheureusement, mis en lumière l'importance du rôle de structuration sociale et citoyenne de l'emploi, pour éviter que la jeunesse précarisée et en déshérence devienne la proie de tous les fanatismes.
Les jeunes, et notamment les moins qualifiés d'entre eux, ont payé le plus fort tribut à la crise déclenchée par la faillite du secteur financier en 2008 : ils ont servi de variable d'ajustement à un marché du travail déstabilisé et fortement marqué par les inégalités entre « insiders » – bénéficiant d'un emploi stable et de qualité – et « outsiders » – chômeurs ou précaires.
Je vous rappelle les principaux chiffres : en France, 22,9 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage ; ce taux est variable dans l'Union européenne, allant de 7,7 % en Allemagne à 58,3 % en Grèce. À l'échelle de l'Union, le taux de chômage des jeunes représente plus du double de celui du chômage global, soit 21,9 % contre 10,3 % au deuxième trimestre 2014 ; par ailleurs, 14 millions de jeunes de moins de 29 ans n'ont pas d'emploi, et ne sont ni en formation ni en cours d'études. Ce sont les « NEET », qui constituent un groupe à risque, auquel nous devons être particulièrement attentifs, car il est celui qui rencontre le plus de difficultés dans l'accès à l'emploi et à la socialisation.
En outre, et même dans les pays les moins touchés par le chômage des jeunes, l'emploi des jeunes se caractérise partout par une plus grande difficulté à s'insérer sur le marché du travail ; des emplois moins stables et de moindre qualité ; en 2012, 42 % des jeunes salariés travaillaient dans le cadre d'un contrat temporaire (soit quatre fois plus que les adultes) tandis que 32 % travaillaient à temps partiel (soit près de deux fois plus que les adultes).
De tout cela découle une paupérisation croissante des jeunes, menacés de déclassement. Le paradoxe, c'est que deux millions d'emploi sont vacants dans l'Union européenne ! Malheureusement ce paradoxe – qui n'est qu'apparent – révèle en filigrane le poids dans le chômage des jeunes – comme des moins jeunes d'ailleurs – de l'inadéquation entre les compétences disponibles et les besoins du marché du travail. Il y a du chômage car les compétences ne sont pas toujours les bonnes, et qu'en l'absence de croissance économique, il n'y a pas de place pour ceux qui n'ont pas les bonnes qualifications.
Soyons clairs : nous avons atteint des niveaux de chômage des jeunes qui sont difficilement soutenables. Ceci a fait l'objet d'une prise de conscience des autorités nationales dans l'ensemble des pays, y compris dans les pays qui ont de bonnes performances en la matière, comme l'Allemagne ou l'Autriche – où je me suis rendu – , mais qui s'inquiètent, néanmoins, d'une dégradation de leurs situations nationales.
De son côté, le Gouvernement français met tout en oeuvre pour lutter contre le fléau du chômage des jeunes, que ce soit via des mesures nationales ou en faisant en sorte de maximiser les opportunités liées aux politiques mises en oeuvre à l'échelle de l'Union.
Car, en effet, si elle a longtemps été négligée par les politiques européennes, la question de l'emploi des jeunes est, fort heureusement, et sous l'impulsion de la France, devenue un sujet à part entière des politiques sociales européennes. Depuis décembre 2012 et le « Paquet emploi jeunes », l'Europe se mobilise pour les jeunes, notamment à travers la Garantie pour la Jeunesse et l'Initiative pour l'emploi des jeunes, pierres angulaires de la politique de l'Union en la matière, mais aussi par le biais d'autres mesures visant à l'amélioration de l'exercice des stages, la promotion de l'apprentissage, la promotion de la mobilité, et celle de la création d'entreprise.
Toutes ces mesures sont détaillées dans le rapport dont vous avez été destinataires ; mais je souhaiterais rappeler en deux mots les grandes lignes de l'action de l'Union.
La Garantie pour la jeunesse vise à garantir que tous les jeunes âgés de 15 à 24 ans qui sont sans emploi et qui ne suivent ni études, ni formation se voient proposer une offre de qualité portant sur un emploi, un complément de formation, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois suivant le début de leur période de chômage ou leur sortie de l'enseignement formel.
Il s'agit là d'un objectif très ambitieux, qui s'appuie sur un instrument financier spécifique : l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ). Initialement dotée d'un budget de 6 milliards d'euros sur sept ans (2014-2020), à hauteur de 3 milliards d'euros provenant d'un fonds spécifique, et 3 milliards d'euros provenant du Fonds social européen, la dotation globale de l'IEJ a été portée le 8 février 2013 à 8 milliards d'euros, dont 6 milliards concentrés sur les deux premières années du prochain budget européen, 2014 et 2015.
L'objectif est de permettre aux États de financer les réformes structurelles nécessaires à l'égard de l'emploi, de l'apprentissage, de l'éducation et de la formation des jeunes.
Mais malgré la forte mobilisation de l'Union, les résultats sont décevants du fait du mode de financement de cette mesure. Sur les 6 milliards consacrés à 2014 et 2015, peu ont encore été débloqués. En effet, au-delà de la question du montant, qui demeure discuté –certains le trouvent trop faible – la part de préfinancement, qui s'élevait initialement à 1 %, est bien trop faible pour permettre aux États déjà en difficulté financière d'engager les sommes que l'Union leur remboursera, plus tard, sur « notes de frais ». Ainsi, fin décembre 2014, seules la France et l'Italie avait accédé aux fonds de l'IEJ, les autres pays ne parvenant pas à trouver les moyens de préfinancer leurs programmes.
Vivement critiquée sur ce point, la Commission a réagi, très récemment et notamment sous l'impulsion du ministre François Rebsamen, via la commissaire Marianne Thyssen, qui a proposé de porter le taux de préfinancement à 30 % pour la partie autonome de l'enveloppe – celle qui ne provient pas du FSE- soit pour la moitié du total. C'est un premier pas, mais qui devra être complété.
Un mot à présent des autres mesures de l'Union en faveur de l'emploi des jeunes. La « Charte de qualité pour les stages », présentée par la Commission européenne le 4 décembre 2013, n'est qu'incitative. Si c'est premier pas à saluer, elle demeure insuffisante pour constituer un réel encadrement des stages au niveau de l'Union. Lancée le 2 juillet 2013, l'Alliance européenne pour l'apprentissage vise à renforcer la qualité, l'offre et l'attrait de l'apprentissage en Europe et à faire évoluer les mentalités à l'égard de ce type de formation. La Commission estime, à raison, que l'apprentissage doit être perçu comme une mesure préventive de lutte contre le chômage des jeunes à moyen et long termes, et qu'il importe ainsi que les États membres accordent une place prioritaire à l'apprentissage dans leurs budgets nationaux et mettent en oeuvre les réformes structurelles nécessaires. Le programme Erasmus, enfin, a été reconduit et refondé dans le programme Erasmus + afin de toucher une cible plus importante (enseignement scolaire, apprentis, jeunes entrepreneurs) tandis que le portail EURES et les services publics de l'emploi visent à aider les jeunes à trouver un emploi en Europe.
Que penser de toutes ces mesures de l'Union ?
Nous ne pouvons que nous féliciter de cette dynamique, mais force est de constater que l'Union doit adapter certains de ces mécanismes afin de leur donner une pleine efficacité. C'est l'objet des conclusions que je vais vous soumettre dans un instant. Mais je voudrais avant indiquer que le travail sur ce rapport m'a permis d'étudier en détail le système germanique d'apprentissage, dit « modèle dual ». Celui-ci, fondé sur une grande implication des partenaires sociaux, adapté aux besoins réels de l'économie, remplit son objectif en matière d'insertion professionnelle, même s'il montre ces derniers temps, que ce soit en Autriche ou en Allemagne, des signes d'essoufflement liés au contexte de ralentissement économique global. L'apprentissage n'est pas, dans ces deux pays, conçu comme une voie de garage, mais bien comme une voie valorisée et performante, ce qui lui permet de rencontrer du succès auprès de la jeunesse et des employeurs, quel que soit le cycle de formation.
En outre, dans ces deux pays, comme en Finlande, où je me suis également rendu, la place accordée dans les politiques publiques à la question des décrocheurs est primordiale, ce qui, j'en suis convaincu, est un très important. En effet, c'est cette sous-population de jeunes qui est la plus fragile et la plus susceptible de s'éloigner durablement du marché du travail et de ne pouvoir développer de compétence professionnelle. À Helsinki, j'ai visité un centre, le centre Happi, qui arrive à resocialiser les décrocheurs les plus en marge de la société en leur offrant toute sorte de possibilités de « passe-temps » qui sont en réalité des formations qui cachent leur nom : tels que la photo, l'informatique, la musique, les arts plastiques. À cela s'ajoute dans ce pays un dispositif intéressant en termes de simplification des démarches, la Saansicard, qui regroupe sur un seul support toutes les informations utiles à un potentiel employeur tout en étant le gage de l'éligibilité à l'aide à l'emploi des jeunes versée par le Gouvernement. Je crois que notre pays pourrait utilement s'inspirer de ces mesures qui visent à maintenir les jeunes sinon dans l'emploi du moins dans la formation, ainsi qu'à simplifier au maximum les formalités administratives qui peuvent freiner tant les démarches des jeunes que celles de leurs futurs employeurs.
Je vous propose à présent d'examiner les conclusions du rapport, qui nous permettent de faire des recommandations tant à l'Union européenne qu'à notre Gouvernement. Celles-ci s'articulent autour d'objectifs importants.
Le premier concerne l'amélioration des conditions de mise en oeuvre et de financement de la Garantie pour la Jeunesse. Il convient notamment de mieux prendre en compte dans les critères d'éligibilité la dimension intra-régionale, ainsi que d'améliorer les conditions de financement et de préfinancement de la garantie. Parmi celles-ci, la prise en compte de la dimension intra-régionale dans les critères d'éligibilité de la Garantie jeunes me paraît particulièrement importante, tout comme celles concernant le financement de l'IEJ (montant et règles de financement et de cofinancement).
Une deuxième série de propositions concerne l'adéquation du marché de l'emploi et des formations, ainsi que la règlementation sur les stages, qui est encore insuffisante au niveau européen. Il s'agit en outre de favoriser le développement de l'apprentissage et la création d'un statut européen de l'apprenti.
Troisième point : la proposition de conclusions invite à concentrer les efforts sur les décrocheurs, population particulièrement fragile, à laquelle il faut notamment proposer des modes de formation souples et adapté.
Enfin, il convient de favoriser la mobilité dans l'Union européenne, qui n'est pas suffisante. L'enveloppe dédiée aux jeunes professionnels dans le cadre d'Erasmus doit être maintenue, et il est important de pouvoir favoriser les mobilités courtes en Europe.