En quelques mots, je m'efforcerai de vous présenter les ambitions et la structure du débat qui nous intéresse, de faire un point sur la gouvernance telle qu'elle est en train de se consolider, et de vous donner quelques éléments de calendrier.
Les ambitions ont été fixées en des termes très clairs par le Président de la République, notamment en ouverture de la conférence environnementale du 14 septembre. La France étant tenue par les objectifs internationaux, dits « facteur 4 », de réduction par quatre des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050, ainsi que par le paquet énergie-climat européen d'amélioration de l'efficacité énergétique de 20 % et de réduction, dans les mêmes proportions, de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre à l'échéance de 2020, mais aussi par l'engagement du Président de la République de réduire notre production d'électricité nucléaire de 75 à 50 %, l'idée a été retenue d'engager, à l'échelle nationale, un débat réunissant l'ensemble des acteurs et des citoyens afin de définir les conditions de la transition énergétique et de dessiner la trajectoire d'évolution de la politique énergétique d'ici à 2050, en prévoyant des points de passage en 2025 et à la fin du mandat.
La question énergétique est compliquée en France, le moindre mot suscite des tensions. Une des ambitions du débat est de pacifier le sujet, de poser, une fois pour toutes et le plus précisément possible, des faits, des données, des chiffres recueillant l'accord de tous, de façon à créer les conditions d'un débat plus serein pour le moyen et le long terme. Ce n'est pas en six mois, en effet, aussi structuré et dynamique que soit le débat, qu'on pourra définir de manière ferme et définitive une trajectoire de transition énergétique entre aujourd'hui et 2050. Il faudra revenir sur le sujet à intervalles réguliers. Si ce débat pouvait être l'occasion de poser les enjeux en termes clairs et de pacifier les échanges, même entre intérêts divergents, une avancée majeure serait accomplie, qui permettrait de construire, par la suite, du consensus sur les sujets importants.
Une deuxième ambition consiste à tracer la trajectoire d'évolution en commençant par apprécier les niveaux de besoin en énergie de l'ensemble de la société – particuliers, industries, services, agriculture et collectivités locales –, et en distinguant, à confort constant, les besoins minimaux pour fonctionner correctement de ceux intégrant désir et superflu. Si l'on peut s'autoriser quelques désirs, je ne suis pas sûr que la situation permette de céder au superflu. Ces besoins serviront de base pour déterminer les services énergétiques, notion insuffisamment prise en compte en France, où l'énergie n'est entendue qu'au sens de ressource primaire. C'est pourtant en termes de chaleur, domestique ou industrielle, qu'on exprime d'abord des besoins, puis en termes de mobilité et d'électricité spécifiques. Aborder la problématique énergétique dans ce sens-là permettrait de se projeter plus sereinement en 2050, dans une société sobre en énergie, donc en carbone, et offrant un niveau de confort satisfaisant, et d'envisager ce que cela impliquerait pour les différents secteurs industriels.
Une fois évalués les besoins et la capacité d'efforts en termes de sobriété et d'efficacité énergétiques, la réflexion sur la couverture des besoins et le débat sur le mix énergétique et son évolution pourront commencer. En la matière, divers éléments entrent en ligne de compte : la disponibilité des ressources actuelles, l'épuisement probable de certaines ressources fossiles, l'évolution du coût de ces ressources sur le marché, la disponibilité de technologies alternatives utilisant les énergies renouvelables et les investissements à mettre en oeuvre pour développer ces différentes solutions.
Du point de vue économique, le mix énergétique devra être appréhendé en prenant en compte trois aspects particuliers. Le premier est l'évolution de la facture énergétique nationale. Celle-ci s'élevait, l'année dernière, à 63 milliards d'euros. En la réduisant de 30 %, on obtiendrait le montant estimé pour déclencher un choc de compétitivité, soit 20 milliards. L'affaire n'est donc pas mince. Le deuxième aspect est l'évolution du coût de l'énergie pour les usagers, particuliers ou acteurs économiques, qui entre également en ligne de compte dans la compétitivité. Rappelons que le coût de l'énergie, c'est la multiplication du coût de l'unité par le nombre d'unités consommées, d'où l'intérêt de se préoccuper d'efficacité et de sobriété. Sachant que, dans les années qui viennent, l'évolution du prix des combustibles fossiles et du coût des investissements entraînera à la hausse le prix unitaire de l'énergie, pour contenir les factures, il faudra faire des efforts significatifs de sobriété et d'efficacité. Le troisième aspect concerne les investissements nécessaires pour faire évoluer l'appareil de production énergétique, pas seulement de l'électricité. En la matière, l'état actuel du système de production doit être pris en compte. Sachant que celui de certaines centrales électriques et raffineries de pétrole nécessiterait des investissements importants, il faudra déterminer s'il vaut mieux investir dans la prolongation, par exemple, du parc de production électronucléaire ou dans son remplacement et, le cas échéant, par quoi. Ce calcul devra intégrer les coûts, les bénéfices et les impacts en termes de structuration de filières industrielles, sujet sur lequel la France a quelque retard.
L'emploi constitue la troisième ambition du débat sur la transition énergétique, car les mutations industrielles que celle-ci impliquera le feront évoluer : certains secteurs en perdront tandis que d'autres en gagneront. Nous avons essayé de configurer le débat pour traiter la question de l'emploi sous forme de bilan net, avec pertes et profits, et en réfléchissant aux efforts à engager en matière de conversions de compétences, d'évolutions de carrières professionnelles, pour permettre à des salariés qui seraient contraints de changer d'activité de retrouver, dans des secteurs plus ou moins proches, des emplois de qualité. Cette transition ne va pas se faire en deux mois ni en deux ans, mais sur vingt ans. Une telle durée est une chance, car elle va permettre d'établir une programmation en définissant des points de passage témoins de l'avancement de la mutation et de mettre en place les dispositifs adéquats le plus souplement possible.
Une dernière composante du débat concerne la gouvernance, à terme, de la politique énergétique, la question centrale portant sur la relation entre la politique nationale, pilotée en lien avec la politique européenne et les enjeux internationaux, et les collectivités décentralisées. Aujourd'hui, les territoires se saisissent de plus en plus de ces questions parce qu'ils sont le niveau où se gèrent au mieux la sobriété et l'efficacité. Ils sont aussi le niveau où l'on peut le plus facilement exploiter les ressources renouvelables, qui sont souvent locales. J'aime à promouvoir une politique énergétique en « 3 D » : diversifiée, car il faut diversifier le plus possible nos sources d'énergie ; déconcentrée, en procédant à un rééquilibrage entre grosses unités centralisées et petites unités dispersées ; décentralisée, en allant au plus près possible de la ressource et de la consommation à travers un maillage de petites unités de production associées à de plus grosses plutôt qu'un système centralisé avec de grosses unités, de gros tuyaux et de gros centres de consommation. Une des bonnes nouvelles de ce débat, c'est que les territoires s'en sont déjà saisis pour lancer des conférences régionales, des débats territoriaux sur cette réappropriation en quelque sorte de la politique énergétique.
La gouvernance du débat a été confiée au comité de pilotage constitué par Mme la ministre, dont le président Chanteguet a rappelé la composition. Ce comité de pilotage va donner le rythme et l'impulsion, et cadrer les grands thèmes qui seront proposés au débat. Il va surtout s'assurer que ce dernier se déroule dans des conditions de sérénité, d'équité et de transparence permettant les échanges entre tous les acteurs. Le lieu proprement dit du débat sera le conseil national du débat sur la transition énergétique, qui fonctionnera sur le même mode que le conseil du développement durable du Grenelle de l'environnement, avec sept collèges : les employeurs, les syndicats, les élus locaux, les parlementaires, l'État et les associations, ce dernier étant divisé en deux collèges : celui des organisations environnementales et celui des autres personnes morales, regroupant associations de consommateurs, corps consulaires, associations d'usagers intervenant sur la précarité énergétique ou les transports, ainsi que les mouvements d'éducation sociale et solidaire, très innovants dans les domaines de l'efficacité et de la sobriété ou de la production d'énergie à partir de ressources renouvelables.
À côté du conseil, un groupe d'experts devrait être piloté par M. Alain Grandjean, économiste de l'énergie et du carbone, par ailleurs conseil au comité de veille écologique de la fondation Nicolas Hulot, et qui intervient sur le plan professionnel auprès de grands groupes pour définir leurs stratégies carbone. Ce groupe d'experts aura pour première mission d'examiner les scénarios de transition énergétique existants, exercice ardu car les propositions ne sont pas établies sur les mêmes périmètres techniques ou projections temporelles, ce qui les rend difficilement comparables. Il fournira des clés de lecture pour réinterpréter ces scénarios, en tirer des propositions ou des scénarios alternatifs qui seront mis en débat dans le cadre du conseil national.
Un groupe de contact des entreprises de l'énergie, issu d'un arbitrage rendu lors de la conférence environnementale, réunira également les grandes entreprises productrices d'énergie, les syndicats professionnels du secteur, mais aussi les industries spécialisées dans les matériaux et services d'économies d'énergie. L'idée, c'est de donner de la transparence à la relation entre ces entreprises et à la dynamique du débat, ainsi que de leur demander, à intervalles réguliers, ce qu'il leur est possible de faire, à quel coût et selon quel calendrier, de façon à pouvoir vérifier la faisabilité d'options qui pourraient ressortir du débat.
Enfin, un comité de citoyens devrait être constitué sur la base d'un panel représentatif de la société, qui aura pour fonction de s'assurer que les citoyens profanes peuvent avoir accès facilement aux éléments du débat, que les documents mis à disposition sont accessibles à tous et que les compartiments de la société d'habitude peu sollicités sont bien consultés.
S'agissant de la structure du débat, d'un côté, le conseil national, fort des 112 membres de ses collèges, organisera des groupes de travail thématiques qui auditionneront, à intervalles réguliers, des acteurs de l'énergie français, européens et internationaux, ainsi que des acteurs sociaux, de façon à avoir des éclairages réguliers sur le financement de la transition, les enjeux technologiques, la question climatique et autres. Il aura donc sa propre dynamique de débat. D'un autre côté, des débats décentralisés seront organisés sur les territoires régionaux, associant régions, grandes agglomérations et EPCI, sur des thèmes proposés par le secrétariat général du débat. Par la suite, les synthèses régionales seront regroupées de manière à avoir une vision nationale. Il sera, en particulier, demandé aux régions de définir les évolutions qu'elles jugent nécessaires dans la réglementation et la décentralisation pour dégripper ce qui, dans le système, les empêche de remplir certaines missions. Un troisième processus de consultation, citoyen celui-là, sera mis en place à travers à la fois un site internet accessible à tous et un panel citoyen faisant office de conférence de consensus et fonctionnant selon des technologies de consultation mises au point au Danemark. Cette consultation donnerait de la perception du sujet par les citoyens une dimension qualitative mais aussi quantitative, grâce à des sondages qui viendraient en complément.
En matière de calendrier, le démarrage du débat demain, ouvrira une première phase, qui durera jusqu'au mois de janvier, de calage des argumentaires, d'information et de mobilisation de l'ensemble des acteurs, ainsi que d'éducation au sujet et à sa complexité. De février à avril se dérouleront les débats territoriaux, cependant que se densifiera le débat national. Vers la fin avril, une consultation citoyenne sera organisée et les synthèses régionales élaborées, les mois de mai et juin étant consacrés à la synthèse nationale de l'ensemble. La conclusion, dans le courant du mois de juin, servira de support à la préparation d'un projet de loi qui pourrait être déposé sur le bureau du Parlement dans le courant du mois de juillet.