Intervention de Bruno Rebelle

Réunion du 28 novembre 2012 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bruno Rebelle, directeur général de Transitions, membre du comité de pilotage relatif au débat national sur la transition énergétique, président du conseil d'administration de l'association Planète Urgence :

S'agissant des possibles conflits d'intérêt, effectivement, j'ai été directeur de Greenpeace France entre 1997 et 2003, numéro deux de Greenpeace dans le monde entre 2003 et 2006. Depuis, je vis la vie d'un citoyen à peu près normal, je travaille à conseiller des collectivités et des entreprises, notamment des grandes entreprises françaises telles que L'Oréal, Veolia ou Carrefour dans la gestion de leur stratégie de développement durable. Ce qui les intéresse, c'est la vision de quelqu'un qui a une expérience de la société civile. Je crois pouvoir faire la différence entre mes convictions profondes et mon expertise citoyenne sur ces sujets.

Ce débat est extrêmement important parce qu'il suscite énormément d'attentes, d'où peut-être une pression excessive. Il faut dire que sont en jeu l'avenir de la politique énergétique française, voire l'avenir du pays, et peut-être même l'exercice de la démocratie. Nous avons besoin d'apprendre à débattre collectivement de sujets complexes qui concernent des intérêts contradictoires. L'enjeu est d'arriver à rapprocher ces intérêts contradictoires de l'intérêt collectif, qui doit être nécessairement commun. En l'espèce, l'intérêt collectif pourrait être ainsi énoncé : assurer la couverture des besoins énergétiques du pays de manière sûre, équitable et écologiquement responsable à l'échéance de 2050, tout en tenant compte des impératifs européens et internationaux. L'équation n'est pas simple, j'en suis bien d'accord.

En tout cas, en composant le comité de pilotage, le Gouvernement ne nous a pas demandé de signer quelque engagement relatif aux éventuels conflits d'intérêt que ce soit. Je trouverais tout à fait normal qu'il le fasse et je mets au défi quiconque de me prendre en défaut de probité et d'intégrité.

J'en viens au sujet du garant. Dès le mois de juillet, avec un certain nombre d'acteurs, j'ai, de manière totalement bénévole et spontanée, réuni des gens des collectivités territoriales, des associations, de l'industrie, de la recherche, des sciences sociales pour réfléchir à ce que devrait être ce débat. Il me semblait, en effet, très important qu'il ait lieu et dans de bonnes conditions. À ce moment-là, avait été évoquée l'idée d'un groupe de garants, qui aurait pu être composé d'experts sociologues désignés comme les observateurs silencieux de l'ensemble du dispositif. Le fait que Georges Mercadal, qui a été vice-président de la CNDP et a une expertise et un vrai regard sur le sujet, soit aujourd'hui invité à rejoindre le comité de pilotage est, à mon avis, un gage pour la qualité du suivi de ce débat. Il sera le garant du pilotage sérieux et de la transparence de l'exercice. Personnellement, je ne suis pas opposé à ce qu'un groupe de garants, indépendant du comité de pilotage, suive l'ensemble des étapes pour prévenir d'éventuelles anomalies. L'affaire est si complexe qu'un surcroît de sécurité ne peut pas nuire.

Que la présidence du comité de pilotage soit assurée par la ministre de l'environnement a fait l'objet d'un débat au sein même du comité. Nous avons recommandé qu'elle prenne ses distances, notamment au moment où le débat devra élaborer les recommandations qu'il remettra au Gouvernement. Pour l'instant, dans la mesure où la ministre met en place le comité de pilotage et lance le débat, la situation n'est pas problématique.

S'agissant de la riposte, à la faveur de notre travail préalable, nous avions jugé utile qu'une cellule de communication puisse à la fois réguler les initiatives de communication prises par les uns et les autres pour influencer le débat, et corriger certaines informations mises en circulation dans le but de donner un avis biaisé sur certains sujets. C'est bien une difficulté. Je me rappelle que, dans le cadre du débat piloté par Nicole Fontaine il y a quelques années, les associations avaient demandé que soit pris, pendant la durée du débat, un moratoire sur les publireportages financés par les industries de l'énergie. Mme Fontaine en avait acté le principe mais avait dû revenir dessus sous la pression des supports de presse qui prétendaient leur mort arrivée. Dans l'objectif de pacification, je fais le pari d'obtenir des grands annonceurs qu'ils fassent un effort sur la qualité de l'information pendant cette période. Je précise que je ne suis pas le directeur du débat, je ne suis qu'un des membres du comité de pilotage. C'est au secrétaire général et à son équipe qu'il reviendra de gérer opérationnellement le débat. Pour ma part, je milite pour que, dans cette équipe, quelqu'un soit en charge de la vigilance pour rétablir la vérité sur des informations qui pourraient être erronées ou induire en mésinterprétation.

Le débat n'ayant pas encore commencé, je ne pense pas pouvoir émettre un avis sur les autres sujets que vous avez soulevés, mais je ne suis pas sûr que vous puissiez accepter ce point de vue. Je vous ferai part d'options auxquelles je crois et pour lesquelles il faudra veiller à ce que la méthode soit observée scrupuleusement afin de les explorer totalement.

Commençant par le mix énergétique, j'y inscrirai les efforts de sobriété et d'efficacité, qui représentent l'énergie la moins coûteuse et la moins polluante puisque non consommée. Si les deux démarches sont un peu différentes, elles doivent être accomplies dans tous les domaines, et passent par des comportements à adopter au quotidien, ainsi que par la mise en oeuvre de mesures techniques et structurelles d'organisation de la société et de nos systèmes de production, qui auront un effet à moyen et long termes. Il était ressorti de notre réflexion préalable que, finalement, repenser la politique énergétique, c'est repenser la société. Ce débat a beau ne pas être destiné à imaginer ce que sera la société de 2050, au bout du compte, c'est quand même un peu cela.

Au terme des six mois, un certain nombre de sujets seront identifiés comme points de consensus et pourront rapidement faire l'objet de mesures à moyen et long termes. D'autres seront sources de désaccord et il reviendra au politique de trancher en fonction des éclairages qui auront été apportés et au nom de l'intérêt général qu'il devra distinguer des intérêts particuliers. D'autres encore nécessiteront que l'on ouvre des chantiers. Pour avoir participé à l'élaboration de quelques plans climat, dont celui de Brest métropole océane, qui prennent en compte des aspects comme la gestion de la pointe et la fragilité de l'approvisionnement, je sais que tout sujet touchant à l'aménagement du territoire ne peut pas être réglé en six mois. Ce sont des chantiers qu'il faudra ouvrir et sur lesquels il faudra revenir, d'où l'intérêt de la pacification initiale.

À mon avis, il serait souhaitable que les collectivités territoriales aient plus de responsabilités sur une partie de la gestion des politiques énergétiques, notamment pour ce qui concerne la sobriété, l'efficacité et la valorisation des énergies renouvelables. Je ne crois pas, cependant, qu'elles puissent devenir subitement autonomes du point de vue énergétique. Notre pays est parcouru d'interconnexions, et l'énergie passe d'une collectivité à l'autre par des lignes à haute tension ou des gazoducs. Il serait intéressant d'identifier un potentiel que chaque collectivité pourrait exploiter pour en consommer une part et en reverser une autre au pot commun. La recherche d'un tel équilibre s'accompagnera de la responsabilisation des acteurs en faisant comprendre aux citoyens que chaque option technologique porte en elle son lot d'avantages et d'inconvénients. S'ils refusent les éoliennes parce que ce n'est pas joli dans le paysage, les panneaux solaires parce qu'ils font briller les toits et les gaz à effet de serre parce c'est mal pour les générations futures, il faudra bien qu'ils acceptent d'avoir des déchets nucléaires dans leur jardin. Mais on peut aussi tenir le raisonnement inverse. Ce que je veux dire, c'est que, sur des questions complexes, il faut maintenant faire monter en capacité d'arbitrage collectif la société dans son ensemble.

Les problèmes de pointe et de puissance ont également toute leur importance, même s'ils concernent seulement l'électricité et que celle-ci représente 20 % de notre consommation d'énergie, soit un morceau de la problématique énergétique. Bien évidemment, les besoins énergétiques des électro-intensifs ne sauraient être niés. Il n'est pas question de faire tourner tout de suite les industries de l'aluminium avec quelques unités de panneaux solaires. Tout l'enjeu de la transition énergétique est de définir comment opérer ces mutations.

Pour finir sur la question du mix, il n'y a pas d'incompatibilité entre la recherche d'économies significatives et l'accomplissement d'efforts d'efficacité, et le développement des énergies renouvelables. Les gisements de toute nature seront les bienvenus.

La question des gaz de schiste reviendra pour deux raisons. La première, c'est que, dans les scénarios les plus ambitieux de transition combinant réduction de gaz à effet de serre et sortie du nucléaire, le gaz reste une base importante pour les cinquante prochaines années. Reste à savoir d'où viendra ce gaz et s'il vaudra mieux le faire venir de Russie, d'Algérie, des gisements schistiques de Pologne ou de ceux de France, dans l'hypothèse où des méthodes d'exploitation totalement sûres seraient mises au point, ce qui constitue la deuxième raison. Là intervient la recherche sur les nouvelles technologies et sur la maîtrise et l'évolution des technologies existantes.

À propos de recherche, au-delà des sciences dures, il ne faut pas oublier les sciences sociales, dont je suis intimement persuadé qu'elles auront un rôle à jouer dans les évolutions que nous aurons à vivre. Celles-ci seront, en effet, autant technologiques que socio-organisationnelles et politiques. Sur les thèmes de mobilité, par exemple, ce sont beaucoup des solutions d'organisation qui font gagner en efficacité.

Le rapport qui résultera du débat n'est pas écrit, mais je pense que l'on peut d'ores et déjà conclure que nous n'avons pas, aujourd'hui, dans ce pays, d'outil de modélisation permettant de construire un scénario de transition suffisamment solide. Avant d'accepter d'intégrer le comité de pilotage, j'avais participé à des tours de table au cours desquels j'ai rencontré des industriels de divers secteurs. Ceux du gaz m'ont affirmé que la transition signifierait plus de gaz quand ceux de l'électricité tablaient sur plus d'électricité. Chacun voit donc midi à sa porte, et il est clair qu'il faudra doter le Gouvernement d'un tel outil de modélisation. Seulement, ce n'est pas en six mois qu'on le construira, plutôt en deux ou trois années de travail. En tout cas, c'est ce à quoi il faudra arriver.

Tous les scénarios qui existent vont être examinés, et les meilleurs morceaux en seront retenus pour dessiner une trajectoire qui sera mise en discussion au sein du « parlement du débat » que constitue le conseil national du débat sur la transition énergétique. Je rappelle que, pour nous, ce débat doit traiter des enjeux environnementaux et économiques ainsi que des leviers de financement. À cet égard, j'ose espérer que le rapport recommandera de faire évoluer les instruments fiscaux, peut-être en remettant en chantier une contribution climat-énergie, une fiscalité carbone ou une fiscalité énergie, en tout cas quelque chose qui constitue un levier structurel de moyen et de long terme de nature à modifier les comportements et à reconnaître le vrai coût de chaque source d'énergie.

Vous vous êtes inquiétés des interférences possibles de certains textes de loi ou projets en cours de traitement dans le débat. L'idéal aurait, certes, été de les suspendre mais cela paraissait difficile. Il est vrai que deux textes au moins, celui instaurant une tarification progressive de l'énergie sous forme de bonus-malus et celui relatif à la décentralisation, auraient pu être examinés après le débat sur la transition énergétique, et il en est d'autres que l'on aurait pu ralentir.

Ce débat doit aboutir à des recommandations qui seront formulées par le conseil national du débat sur la transition énergétique. Personnellement, je milite pour que le comité de pilotage puisse avoir un droit de regard, car je crains que, par le jeu des arbitrages et marchandages entre les sept collèges, on ne tire vers le bas la recommandation finale. La composition plus resserrée du comité de pilotage pourrait être de nature à pousser plus loin les ambitions. Cela fait partie des aspects de l'organisation générale qui restent à préciser. La commande que nous avons reçue consiste à rendre des recommandations en vue de l'élaboration d'un projet de loi de programmation de la transition énergétique. Le débat n'aura de crédibilité que si le texte prend vraiment en compte ces recommandations, c'est un point sur lequel le comité de pilotage sera très vigilant.

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