Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 18 mars 2015 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente :

Merci beaucoup, vous vous êtes très bien partagé le travail. Monsieur le président nous a dressé un panorama très complet des sujets complexes abordés par le rapport et Odile Saugues nous a donné des indications extrêmement précises sur les propositions qui vont certainement nourrir notre débat.

Je partage les prises de position de la mission d'information sur la crise syrienne. En particulier, je pense que vous avez raison de souligner qu'il n'y a pas de solution militaire au conflit. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles renouer avec Assad ne présenterait pas un grand intérêt dans la mesure où les capacités de l'armée syrienne sont désormais extrêmement réduites. Notre ambassadeur sur la Syrie ainsi que M. Michel Duclos, ancien ambassadeur en poste en Syrie pendant de longues années et qui est maintenant chargé de mission au Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS), ont souligné que l'armée de Bachar al-Assad qui comptait entre 350 à 400 000 hommes avant le début des troubles n'en compte plus que 70 000 aujourd'hui. De plus, des dizaines de milliers de sunnites qui font partie de cette armée ne sont jamais envoyés au front pour des raisons évidentes.

Il faut effectivement privilégier une désescalade régionale qui dépend largement du jeu des acteurs extérieurs : Iran, Russie, Turquie, Arabie saoudite. Votre rapport décrit très bien tout l'intérêt et la difficulté qu'il y a à favoriser des rapprochements entre ces puissances régionales, pour la crise syrienne mais aussi pour les autres crises régionales. Le problème, c'est qu'il existe des oppositions entre ces puissances qui ne sont pas uniquement des oppositions religieuses mais qui prennent aussi leurs racines dans des oppositions nationales anciennes et qui sont avivées encore plus par les questions religieuses.

Les souffrances endurées par la population syrienne sont tellement importantes qu'il faut bien sûr donner sa chance au plan de M. de Mistura, l'envoyé spécial des Nations Unies, qui souhaite un gel des hostilités. Néanmoins, nous devons garder à l'esprit que le régime n'a jamais accepté un tel plan. N'abandonnons pas ce plan mais n'ayons pas non plus la naïveté de croire qu'il va pouvoir tout régler.

Vous avez raison de souligner que c'est une solution politique qui s'impose. D'ailleurs, je partage votre analyse selon laquelle la solution politique ne suppose pas le départ préalable d'Assad ou du moins qu'il ne soit pas demandé comme un préalable, mais plutôt comme un aboutissement d'un processus de transition. Il ne peut pas s'agir d'un préalable car il faut que des éléments du régime participent à la négociation, personne n'a intérêt à un effondrement de l'Etat syrien. Néanmoins, on ne peut pas non plus imaginer que ces négociations aboutissent à son maintien au pouvoir. Un dirigeant qui a commis de tels crimes a perdu la légitimité qui est nécessaire pour assurer l'union nationale, c'est de ça dont il s'agit contre Daech. Il s'agit là d'une constatation qui relève de la morale mais aussi du réalisme et du bon sens. Voilà pour ceux qui se régalent de pourfendre le droit-de-l'hommisme.

La position que vous exprimez, à laquelle je souscris, me paraît être une solution de bon sens, de réalisme politique. Nous avons reçu – Pierre Lellouche et moi-même – le nouveau président de la coalition nationale syrienne M. Khaled Khodja, accompagné du premier ministre, du général Idriss, ministre de la défense de la coalition et qui a longtemps commandé l'armée syrienne libre, de l'ambassadeur ainsi que des anciens présidents de cette coalition. Ils nous ont dit deux choses intéressantes et nouvelles me semble-t-il. Tout d'abord, eux non plus ne font plus du départ de Bachar al-Assad un préalable, les positions ont donc évolué. Deuxièmement, ils ont conclu un accord avec les représentants de l'opposition modérée tolérés par le régime et basés en Syrie.

Les positions sont actuellement figées, l'ASL dispose de 45 000 hommes, moins à priori que l'armée d'al-Assad, mais militairement elle tient le Sud et les faubourgs Est de Damas ainsi qu'une partie de la région autour d'Alep. Ne passons pas l'ASL par pertes et profits, c'est le minimum que l'on peut faire pour donner une chance à ce que dans ce processus de transition inclusif on puisse peut-être aboutir à quelque chose.

Faut-il en déduire, pour faciliter ce processus, qu'il faudrait rouvrir notre ambassade en Syrie ? Peut-être aurait-il été plus avisé de ne pas la fermer. Mais après quatre ans de fermeture, je crois que vous avez raison de souligner dans votre rapport que cela n'a rien d'évident. Vous proposez d'ouvrir la réflexion sur l'opportunité d'une réouverture des ambassades européennes. Je pense que c'est une proposition sage si cela est fait dans un mouvement collectif. A mon sens, une réouverture de notre ambassade n'est envisageable que si ce geste n'est pas interprété comme un aveu de faiblesse ou comme un changement d'orientation. Il faut demeurer prudent et s'assurer du contexte.

Je partage vos conclusions sur l'Iran. Il faut prendre l'Iran au mot, qu'il nous offre des garanties sérieuses, sans que nous cherchions à lui faire perdre la face. Vous avez résumé cette idée dans une formule à laquelle je souscris : « fermeté mais pas fermeture ».

Nous n'avons aucun intérêt à paraître partie prenante des oppositions entre sunnites et chiites. Les crises actuelles sont toutes des crises où les puissances régionales s'affrontent par milices interposées.

Nous avons intérêt à un accord sur le nucléaire mais il faut que ce soit un bon accord. Il y a autant de risques de prolifération en cas d'absence d'accord qu'en cas de mauvais accord. Si l'accord n'était pas jugé crédible par certains partenaires de la région, par Israël ou par d'autres, naturellement ils seraient incités à se doter de l'arme nucléaire.

Sur la question israélo-palestinienne, comme sur les autres sujets d'ailleurs, vous avez extrêmement bien analysé les choses.

Le président américain ne s'est pas impliqué personnellement dans le processus de paix israélo-palestinien et il a laissé faire M. Kerry qui fait ce qu'il peut compte tenu des dissensions sur le sujet à Washington. A moins que l'on arrive à une évolution dans les semaines qui viennent et alors que les Etats-Unis sont désormais assez en retrait, non pas hors du jeu car, en cas d'accord, les Etats-Unis seront les garants de la sécurité d'Israël, il y a certainement une opportunité pour l'Europe de recommencer à être présente sur le plan politique et non plus uniquement sur le plan financier.

Le Financial Times a annoncé il y a deux jours le retrait de Tony Blair de ses fonctions de chef du Quartet. Le journal souligne que les préoccupations d'affaires ont muselé son action diplomatique. Par ailleurs, l'Union européenne a nommé un nouveau représentant spécial : M. Fernando Gentilini, pour le processus de paix au Moyen-Orient. J'espère qu'il aura le profil de M. Moratinos, dont vous avez souligné tout ce qu'il a apporté.

Les résultats des dernières élections israéliennes vont-elles amener des évolutions ? On ne le sait pas encore. Comment M. Netanyahou, qui est arrivé en tête, va-t-il proposer de former son gouvernement s'il y arrive ? Va-t-il maintenir sa position nouvelle prise pendant la campagne ? En effet il a déclaré avant-hier qu'il ne voulait pas d'un Etat palestinien alors qu'il avait jusqu'à présent maintenu la position opposée. Si M. Netanyahou reste sur cette position de campagne et s'il dirige à nouveau le gouvernement israélien, les perspectives ne sont pas très positives. C'est une raison de plus pour oeuvrer, comme vous le préconisez dans le rapport, à l'élargissement du format de la discussion et faire en sorte que l'on puisse au plan européen et international, proposer des évolutions.

Merci encore chers collègues, c'était vraiment un travail tout à fait considérable que nous allons poursuivre dans le groupe de travail sur le terrorisme.

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