Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 11 mars 2015 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières :

Je suis très heureux de m'exprimer, pour la première fois depuis ma prise de fonctions à la Commission européenne, devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Lors de mon audition par la commission des affaires européennes, au mois d'octobre dernier, j'avais en effet insisté sur l'importance, pour un commissaire, d'entretenir avec les parlements nationaux un dialogue ouvert et constructif, afin de conserver un lien direct avec la légitimité démocratique nationale qui, notamment en matière budgétaire, demeure première en Europe. Dans le cadre de ma mission, qui est de soutenir la croissance et l'emploi, je sais à quel point nos échanges sont utiles. Je connais parfaitement, pour en avoir été membre de 2007 à 2009, le rôle stratégique de votre commission, qui a une compétence générale s'agissant du contrôle de la politique européenne du Gouvernement, et la qualité de ses travaux.

Mon premier message sera politique. La Commission Juncker est en effet une Commission politique, au service d'une nouvelle politique économique européenne qui, sans être révolutionnaire, marque une inflexion très substantielle. Cette inflexion était nécessaire, car l'Europe a connu, ces dernières années, la pire crise économique et financière depuis la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, elle renoue progressivement avec la croissance économique et avec la confiance. En effet, en 2015, et pour la première fois depuis 2007, les économies de l'ensemble des pays de l'Union européenne devraient renouer avec la croissance ; selon les prévisions, le taux de croissance de l'Union européenne devrait être de 1,7 % et celui de la zone euro de 1,3 %.

Cette bonne nouvelle est le signe que les efforts consentis par les États membres commencent à porter leurs fruits mais, soyons honnêtes, elle est aussi le produit de circonstances extérieures favorables : baisse du prix du pétrole, dépréciation sans précédent de près de 20 % de l'euro et action massive de la Banque centrale européenne. Sur ce dernier point, il n'appartient pas à une institution de porter un jugement sur une autre institution. Toutefois, j'estime que l'action de M. Draghi est très intelligente et que le quantitative easing est une réponse appropriée aux problèmes du moment : inflation trop faible, risque de déflation et déficit de croissance et d'emplois. Cette réponse a pu être critiquée – elle a notamment fait l'objet de débats au sein de l'instance dirigeante de la Banque centrale européenne –, mais elle a été extrêmement nette et avait du reste été anticipée, ce qui explique en grande partie la dépréciation de l'euro.

Si la reprise économique est là, elle est cependant encore trop faible et, surtout, trop peu créatrice d'emplois : elle ne parvient pas à résorber le chômage de masse dont pâtit le continent européen – je rappelle que le taux de chômage de la zone euro est de 11,2 %. Beaucoup reste donc à faire pour concrétiser ces premiers signaux positifs et amplifier la dynamique de croissance ; tel est l'objectif de la Commission. À cet égard, chaque pays doit prendre ses responsabilités, pour lui-même, pour sa population et pour l'Europe.

Dans ce contexte, la Commission estime que le business as usual n'est plus une option ; nous voulons être plus politiques, plus volontaires, pour relever les défis auxquels est confronté le continent. Une stratégie économique a donc été définie, qui repose sur trois piliers : la responsabilité budgétaire – c'est-à-dire la poursuite de la réduction des déficits publics, nominaux et structurels, avec toutefois l'introduction d'une dose de flexibilité, prévue par les règles du Pacte de stabilité et de croissance –, les réformes structurelles, indispensables pour améliorer la compétitivité des économies et leur permettre de faire face aux défis de la mondialisation, et, enfin, la relance de l'investissement grâce au plan Juncker. Chacun de ces trois piliers traduit l'équilibre des forces politiques en présence au sein de la Commission.

En matière budgétaire, j'ai présenté, le 13 janvier dernier, avec le vice-président Dombrovskis une communication sur la flexibilité. Il s'agit pour la Commission, non pas de modifier les règles du Pacte de stabilité et de croissance, qui ont été définies dans des traités, , mais de les interpréter. Nous estimons ainsi, premièrement, qu'un pays qui investit doit être récompensé et ne pas être pénalisé au titre des procédures de déficit excessif, deuxièmement, qu'un pays qui mène des réformes structurelles doit pouvoir disposer de temps pour atteindre son objectif à moyen terme et, troisièmement, qu'il faut tenir compte de la situation cyclique : un pays qui se porte bien doit faire davantage d'efforts qu'un pays en difficulté. S'agissant de la réduction des déficits structurels, par exemple, la Commission a défini une matrice. À un pays comme l'Italie, qui a connu trois années de récession successives, il est désormais demandé de consentir un effort structurel minimal de 0,25 %. En revanche, à la France, qui ne se trouve pas dans la même situation, il est demandé un effort de 0,5 %.

Ces trois principes contribuent à la clarté et à la prévisibilité de l'appréciation des règles communes de surveillance budgétaire, qui doit être à la fois rigoureuse et intelligente, et permettent de mieux tenir compte de différents facteurs importants pour notre économie.

Le renouveau impulsé par la Commission se caractérise également par l'élaboration d'un plan d'investissement d'un montant d'au moins 315 milliards d'euros sur les trois prochaines années. L'objectif est d'attirer des liquidités privées abondantes vers le financement d'investissements dans les secteurs où ceux-ci sont le plus nécessaires, pour stimuler la croissance, la création d'emplois, la compétitivité et l'innovation. Ce plan est inédit par son calendrier et son ampleur ; il s'agit de faire en sorte que ces investissements soient additionnels. Le Conseil Écofin a adopté hier un projet de règlement amendé, qui doit maintenant être négocié avec le Parlement européen afin que le Fonds européen pour les investissements stratégiques soit opérationnel dès l'été.

Après Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement, je dois rencontrer aujourd'hui le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, car il est très important que la France dispose d'un outil performant de sélection des investissements pour pouvoir bénéficier pleinement de ce plan. En effet, les projets qui seront retenus le seront en fonction, non pas de leur nationalité, mais de critères bien définis. Je me réjouis que la France apporte un franc soutien à ce fonds, le Président de la République ayant annoncé, vendredi dernier, que le pays y contribuerait à hauteur de 8 milliards d'euros via la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d'investissement. Elle émet ainsi un signal de soutien et de confiance en l'Europe et, surtout, elle manifeste sa volonté de soutenir l'investissement dans les infrastructures et les projets innovants de grandes entreprises ou de PME.

En ce qui concerne les avis de la Commission sur le respect par les États membres de leurs engagements dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance, il est vrai que la décision concernant la France a fait l'objet d'une longue discussion au sein du collège des commissaires. Les opinions étaient différentes, mais nos échanges nous ont permis de cheminer vers une décision unanime – j'insiste sur ce point, car je lis parfois des choses étranges à ce sujet. Le collège n'était pas divisé entre laxistes – les Français, par exemple – et rigoristes : une appréciation objective a été portée, à partir des règles, sur les conséquences à tirer d'une situation objective.

Le message que nous avons adressé à la France est le suivant : celle-ci doit poursuivre sa consolidation budgétaire tout en accélérant et en intensifiant ses réformes, en soutien à l'emploi et à la croissance. Il n'a pas été question de sanctions, que rien ne justifiait dans la situation actuelle. Celles-ci existent et peuvent être appliquées, mais elles doivent reposer sur des données objectives. En l'espèce, les données dont nous disposions nous ont conduits à formuler des incitations, à « monter » dans certaines procédures, mais elles n'appelaient pas de sanction.

Sans réformes, il n'y a pas d'assainissement durable et, sans assainissement durable, la croissance sera toujours handicapée. La dette est un boulet et, lorsqu'elle avoisine 100 % du PIB, sa réduction devient une priorité. La France représente 20 % du PIB de la zone euro ; si, demain, elle devenait vulnérable, nos voisins en seraient affectés. Il faut donc à la fois réduire les déficits et protéger la croissance.

Je ne fais là que vous livrer le sentiment qui prévaut au sein du collège des commissaires, de l'Eurogroupe et du Conseil Écofin, qui a adopté hier la nouvelle recommandation proposée par la Commission. La France n'est victime d'aucun acharnement ; elle ne bénéficie d'aucun laxisme ni d'aucune indulgence. Il est demandé à ce pays, qui est un pilier de la zone euro et dont la dette continue de croître, de mener les réformes nécessaires, dans lesquelles il s'est du reste engagé – tous l'ont souligné –, et de poursuivre son effort de réduction des déficits.

Ainsi la recommandation de la Commission concernant la France est-elle à la fois exigeante et équilibrée. Tout d'abord, nous lui demandons de corriger son déficit excessif pour le ramener sous la barre des 3 % d'ici à 2017. Je lis, ici ou là, que ce délai est bref, mais il s'agit tout de même du troisième délai consécutif : aucun pays n'a bénéficié d'une telle mesure. Au reste, les commissaires et les ministres membres du Conseil Écofin ne jugent pas cette décision particulièrement sévère ; elle est même unique, en réalité. Ce nouveau délai signifie tout d'abord qu'une amélioration du solde structurel de 0,5 point de PIB – il s'agit de la quotité minimale – doit intervenir en 2015. Or, l'amélioration attendue des mesures qui ont été votées serait plutôt de l'ordre de 0,3 %. C'est pourquoi j'ai évoqué ce matin des économies supplémentaires à hauteur de 3 à 4 milliards d'euros, chiffre qui a d'ailleurs été repris par le Président de la République dans une interview au Parisien. Nous travaillons en effet en bonne intelligence avec Michel Sapin, et la France s'est engagée à présenter ces mesures supplémentaires, dont vous aurez à connaître le moment venu, d'ici au 10 juin.

Pour 2016 et 2017, il est vrai que, s'agissant du déficit structurel, certains éléments de trajectoire sont communs, d'autres différents, entre la loi de programmation des finances publiques votée par votre assemblée en décembre et la recommandation de la Commission. Nous sommes donc en train de comparer, avec le ministère des finances français, nos chiffres respectifs concernant la croissance potentielle, son impact sur le déficit structurel, la comparaison avec le déficit nominal… Je rappelle d'ailleurs que nous ne faisons appel au déficit structurel que lorsque le déficit nominal est excessif : si ce dernier était respecté, il prendrait le pas sur le déficit structurel. En tout état de cause, j'ai indiqué ce matin, dans une interview, que cet ajustement représentait environ 50 milliards d'euros, soit un chiffre comparable à celui qui a été annoncé. Mais parle-t-on de la même chose ? Là encore, c'est vous, mesdames, messieurs les députés, qui aurez le dernier mot, car vous sera soumis, fin avril, comme chaque année, un programme de stabilité qui retracera la trajectoire retenue et sa cohérence avec les recommandations de la Commission.

Bref, ni rigorisme excessif ni volonté de sanction ni laxisme : l'intérêt général européen est que la France réduise ses déficits, poursuive ses réformes et mette sur pied une politique de croissance qui soit à la hauteur des besoins du pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion