Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 11 mars 2015 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières :

M. Hamon comprendra que je ne partage pas entièrement l'appréciation qu'il a portée sur le Président de la Commission européenne. Il est exact que celui-ci a reconnu sa responsabilité dans la mise en place de certains dispositifs par le gouvernement luxembourgeois qu'il a dirigé pendant une assez longue période, mais je ne crois pas que l'on puisse l'interpréter comme l'aveu de l'organisation d'un système d'évasion fiscale. Je suis certain que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Simplement, lorsque l'on est un responsable politique, on assume ce que l'on a fait.

Il faut bien comprendre l'état d'esprit du Président de la Commission européenne. Face à des révélations telles que « Luxleaks », ce serait une erreur d'adopter une attitude de déni et de faire le dos rond, car d'autres fuites, concernant d'autres pays, seront publiées. M. Juncker a donc demandé à deux commissaires, Mme Vestager, commissaire à la concurrence, et moi-même, de jouer la carte de la transparence complète. Des enquêtes sont ainsi menées, avec une diligence, une méticulosité et une indépendance absolues, sur la totalité des aides d'État liées au tax ruling dans l'ensemble des États membres. J'ai pour mission d'aller jusqu'au bout en la matière car, si la Commission apparaissait comme protectrice de je ne sais quels intérêts privés, elle serait suspecte. C'est pourquoi je présenterai, la semaine prochaine, un texte extrêmement simple, bref et clair qui vise à assurer la transparence totale – je dis bien totale – entre administrations sur les tax ruling. Du reste, je souhaite, à titre personnel, que cette transparence soit par la suite étendue – un deuxième paquet sera présenté cet été sur la transparence et la compétitivité. Le Président Juncker souhaite que l'on agisse rapidement et fortement dans ce domaine.

Je veux d'ailleurs vous dire mon optimisme à ce sujet. Les mesures de ce type sont tellement soutenues par l'opinion publique, qui juge ces pratiques insupportables, que je n'imagine pas qu'un État membre s'y oppose. Cette directive peut donc être adoptée et mise en oeuvre rapidement. Les sujets dits « BEPS », tels que l'érosion des bases fiscales, la lutte contre l'évasion fiscale et la transparence fiscale, sont aujourd'hui des sujets majeurs, tout comme la fin du secret bancaire, d'ailleurs. À ce propos, mes services sont en train de négocier avec la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Andorre et San Marin des accords d'échange automatique d'informations en matière bancaire. Nous devrions ainsi pouvoir mettre fin au secret bancaire d'ici à 2017. Une révolution est en cours dans ce domaine, sous la pression de l'opinion publique et des médias, et l'Europe n'a pas l'intention d'être à la traîne, bien au contraire. Je suis très confiant, car je sais avoir le soutien politique complet de mon président, d'autant plus, peut-être, que les faits auxquels vous avez fait référence se sont produits.

À propos de la taxe sur les transactions financières, trois questions demeurent : l'assiette, le produit, les usages. La Commission européenne soutiendra bien sûr sa propre proposition. Si les États membres nous le demandent, nous ferons des propositions nouvelles, mais je n'ai pas d'initiatives à prendre en cette matière puisque la coopération renforcée est une procédure inter-gouvernementale, à laquelle nous apportons un appui technique et politique. Si les discussions n'ont pas abouti, c'est que l'accord ne s'est pas fait sur les catégories d'actifs devant former l'assiette de la taxe – c'est qu'il est facile de vouloir taxer un marché sur lequel in n'est pas, au risque d'évincer une activité dans un autre pays. La réflexion va aujourd'hui dans le sens d'une assiette large incluant éventuellement tous les dérivés et associée à un taux plus bas.

Je suis très attaché à ce projet, pour deux raisons. La première est qu'il s'agit d'une question éthique qui a une incidence sur les finances publiques, le développement, la lutte contre le changement climatique. La seconde est que ce projet n'ayant pu être mené à son terme par les Vingt-Huit faute d'une décision unanime comme il est de règle en matière fiscale, je souhaite qu'il prospère pour que l'on sache que si l'on ne peut aboutir à l'unanimité, on peut recourir à une autre méthode, la coopération renforcée.

Je me garderais de dire ce que je crois bon en matière de réformes structurelles car je ne souhaite pas que la Commission européenne tienne la main aux États membres. Quand j'étais ministre français de l'économie et des finances, ma première visite à la Commission, au moment du semestre européen, en mai 2012, avait été pour mon prédécesseur, Olli Rehn. Il avait entrepris de décrire les mesures que nous devions prendre et je lui avais dit mon désaccord avec cette manière de procéder, en soulignant que les fins étaient partagées mais les moyens d'y parvenir nationaux. Je continue de le penser. Ce que la Commission doit apprécier, c'est la cohérence du plan de réformes structurelles et sa capacité à créer la compétitivité et à permettre la réduction des déficits extérieurs.

Dans l'interview publiée aujourd'hui par un journal du matin, je n'ai pas dit que les réformes conduites en France étaient insuffisantes en soi ; j'ai dit qu'elles étaient indéniables mais qu'elles n'avaient pas suffi à résorber le déficit extérieur et à muscler la compétitivité autant qu'il était nécessaire. Il appartient donc au Gouvernement français de présenter les réformes qu'il croit bonnes. Comme l'a dit M. Bui, des réformes ont été faites, telles que le crédit d'impôt compétitivité emploi, la création de la Banque publique d'investissement ou la loi bancaire. Il faut continuer. Je ne veux pas interférer dans les débats en cours dans votre Assemblée, mais, pour la Commission européenne, la loi Macron est une réforme de structure qui marque un pas dans la bonne direction. Nous attendons un plan précis et cohérent assorti d'un calendrier. Plus la France présentera des réformes structurelles crédibles, qui peuvent et qui doivent être progressistes, plus elle sera elle-même forte et respectée.

Plutôt qu'une commission d'enquête, monsieur Hamon, le Parlement européen a préféré créer une commission spéciale sur les rescrits fiscaux. Elle n'en sera pas moins exigeante, et je sais que les représentants des groupes veulent aller au fond des choses.

Monsieur Poniatowski, c'est bien de 50 milliards d'euros au total que nous parlons. On verra ensuite, par des échanges entre le Gouvernement français et la Commission, quelles sont les mesures de réforme décidées et de combien elles peuvent renforcer la croissance potentielle française et réduire le déficit structurel afin de procéder aux ajustements possibles. Je souhaite évidemment un rapprochement des positions : l'économie de la France représentant 20 % du PIB de l'Union, aucun pays membre de l'Union européenne ou de la zone euro ne bénéficierait d'une chute de la croissance française. Je ne souhaite donc pas que les efforts que nous demandons légitimement au regard de nos règles la pénalisent. La Commission européenne n'a aucunement l'intention d'imposer une « purge » de l'extérieur, et le Gouvernement français encore le temps de travailler à l'élaboration de son programme de stabilité et à la concordance de celui-ci avec la recommandation.

L'honnêteté me commande de dire que le sujet de la défense n'est pas évoqué. Il en ira peut-être autrement quand une défense européenne aura vu le jour et qu'un pays agira pour le compte des autres.

J'ai déjà rencontré M. Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement, et je rencontrerai M. Pierre-René Lemas, directeur général du groupe Caisse des Dépôts, au terme de cette audition. La France doit s'outiller, comme elle est en train de le faire, pour attirer de nombreux projets du plan Juncker. Ce plan n'est pas fondé sur la notion de juste retour mais sur la qualité des projets. Les institutions publiques compétentes, les collectivités locales et l'État doivent collaborer pour soumettre des projets de qualité, ciblés sur les emplois de demain dans les secteurs du numérique, de la rénovation énergétique, des transports, des infrastructures.

Pour des raisons politiques et économiques, je ne partage pas l'avis de MM. Giscard d'Estaing et Myard à propos de la Grèce. J'observe que les Grecs souhaitent rester dans la zone euro et que tous les autres pays membres de la zone euro souhaitent que la Grèce continue d'en être. La sortie de la Grèce de la zone euro aurait des conséquences très néfastes et pour l'économie grecque et pour la monnaie unique. La zone euro, c'est une monnaie unique que dix-neuf pays ont choisie et qui a vocation à s'ouvrir à d'autres. Qu'un pays en sorte et, sauf s'il y a une intégration plus forte, la question dès lors en suspens sera : « Qui est le suivant ? »

Vous m'avez demandé, monsieur Poniatowski, de vous dire comment je m'habitue à mes nouveaux habits au sein d'une Commission européenne majoritairement à droite. Elle compte 14 conservateurs, 8 socialistes, 5 libéraux et un conservateur britannique. C'est un équilibre qui contraint à faire des compromis. On s'y fait aussi des amis, au-delà des critères politiques. Le commissaire français a pu influencer certaines décisions. Des critères géographiques ou nationaux font que certains commissaires travaillent ensemble en fonction des différents dossiers.

La Commission européenne ne vit pas en apesanteur, monsieur Bui. La progression de l'extrémisme préoccupe absolument tout le monde en Europe et, lors de l'élection législative partielle qui a eu lieu récemment dans le Doubs, tous mes collègues sont venus m'interroger. Personne n'est insensible à la montée de l'extrême-droite dans notre pays. Cela exonère-t-il de la discipline commune ? Non. C'est une discipline partagée, et appliquée de manière intelligente. En tant qu'homme de gauche, dont les convictions politiques n'ont pas varié, j'ai toujours pensé que la dette était l'ennemi du service public, et en tant que Français, je ne serais pas fier que le service de la dette devienne le premier poste budgétaire de la nation. Chaque euro de dette publique est un euro en moins pour l'hôpital, pour l'éducation nationale, pour tout autre service public et pour la compétitivité de notre économie. Les règles communes ne tombent pas du ciel : elles traduisent l'obligation pour les États membres de se désendetter pour préparer l'avenir des générations futures et pour conserver des marges de manoeuvre pour les services publics.

Je constate que M. Myard continue, avec sa flamme coutumière, de jouer les Cassandre, une habitude contre laquelle il lui faudrait lutter. Je partage toutefois ses préoccupations relatives aux questions fiscales ; je puis lui dire que la question de la TVA sera abordée par la Commission au cours de ce mandat, et que je présenterai en juin un nouveau projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). L'exigence de transparence renforcée me donne à penser que les temps sont mûrs, et la Commission mettra les États au pied du mur.

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