Le rapport d'information sur la gestion des programmes d'investissements d'avenir – PIA – relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur est établi selon trois axes principaux. Le premier porte sur la gouvernance, c'est-à-dire la manière dont les dossiers ont été sélectionnés et les investissements d'avenir gérés. Le deuxième porte sur les conséquences des investissements d'avenir sur l'organisation de la recherche. Enfin, le troisième porte sur l'articulation de ces investissements avec les autres formes de financement de la recherche en France.
Le premier programme d'investissements d'avenir est un programme de 35 milliards d'euros visant à rendre le pays plus compétitif et à favoriser une croissance durable. Il a été lancé en décembre 2009, à la suite de propositions faites par la commission dite « Juppé-Rocard ». Les crédits nécessaires, financés pour la plus grande partie par ce qu'on a appelé le « Grand Emprunt » ont été ouverts par la loi de finances rectificative du 9 mars 2010. Pour en assurer la mise en oeuvre, la fonction de commissaire général à l'investissement, placé sous l'autorité directe du Premier ministre, a été créée.
Les deux tiers des crédits du PIA, soit 21,9 milliards d'euros, ont été attribués à la recherche et à l'enseignement supérieur. Sur ce total, 12 milliards d'euros ont été affectés à la recherche fondamentale et à l'enseignement supérieur proprement dits. Il s'agissait de financer pour 8,7 milliards d'euros des initiatives d'excellence, ou Idex – qui sont en fait des sites d'excellence –, ainsi que des laboratoires d'excellence, ou Labex ; s'y ajoutent 2,3 milliards d'euros destinés au site de Saclay et à des sites parisiens ; un milliard d'euros a aussi été attribué à des équipements d'excellence, ou Equipex ; enfin, 163 millions d'euros ont été redéployés en faveur d'une action « Initiatives d'excellence en formations innovantes », ou Idefi. De plus, 2,4 milliards d'euros ont été affectés à la filière santé et biologie, pour la création d'instituts hospitalo-universitaires – qui jouent aujourd'hui un rôle important sur les territoires – et le financement de recherches dans six domaines ciblés.
Le PIA consacre aussi 4,5 milliards d'euros à la valorisation de la recherche et à la recherche appliquée. Sur ce total, un milliard d'euros est consacré à une chaîne de valorisation entièrement nouvelle, destinée à permettre aux résultats de la recherche fondamentale de traverser ce que l'on appelle la « vallée de la mort », qui les sépare de leur exploitation par l'industrie et qui voit parfois le financement public prendre fin alors même qu'aucun financement privé ne vient prendre le relais. D'amont en aval, 50 millions d'euros sont consacrés à six consortiums de valorisation technologique, 900 millions d'euros à quatorze sociétés d'accélération du transfert de technologies – SATT –, pour assurer la maturation industrielle des résultats, et 50 millions d'euros à une société d'exploitation de brevets adossée à la Caisse des dépôts et consignations et dénommée France Brevets. S'y ajoutent 3,5 milliards d'euros pour le développement de trois types d'instituts de recherche appliquée : huit instituts de recherche technologique – IRT –, douze instituts de transition énergétique – ITE – et trente-trois instituts Carnot.
Enfin, 3 milliards d'euros ont été réservés à des actions de recherche industrielle conduites dans trois filières, l'espace, l'aéronautique et le nucléaire, dont les opérateurs relèvent budgétairement de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur.
Les crédits du PIA devaient être attribués sur la base d'appels à projets, examinés par des jurys internationaux sur des critères de qualité ou d'excellence. J'insiste sur le fait que ces critères sont les seuls pris en compte : ceux relatifs à l'aménagement du territoire ne sont en aucun cas pris en considération – il y a cependant eu, à la demande du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, une demande d'évaluation territoriale ayant pour objet de déterminer comment les crédits provenant du PIA avaient été distribués sur l'ensemble du territoire. Par ailleurs, les financements devaient venir en sus des crédits budgétaires, et ne pas s'y substituer. Enfin, les projets devaient faire l'objet d'un suivi précis et d'évaluations régulières, à la suite desquelles les versements, décaissés au fur et à mesure de leur avancement, pouvaient être suspendus ou supprimés.
Les débuts du PIA, et particulièrement le conventionnement des projets après leur sélection par les jurys, ont été marqués par d'importants retards. La première raison a été constituée par les difficultés des porteurs de projets à répondre aux cahiers des charges très précis, voire pointilleux, qu'il leur était demandé de remplir. Les organismes de recherche et les établissements d'enseignement supérieur sont confrontés à l'obligation de constituer un grand nombre de dossiers, que ce soit pour les investissements d'avenir, pour les demandes adressées directement à l'Agence nationale de la recherche, ou pour les fonds européens destinés à la recherche et à l'enseignement supérieur. La lourdeur des démarches à effectuer a même eu pour conséquence une diminution de la consommation des crédits européens.
Une deuxième raison a pour origine le fait que l'opérateur principal de l'État pour le PIA, l'Agence nationale de la recherche – ANR –, ne disposait ni des instruments financiers ni des moyens humains pour traiter le nombre considérable des projets à conventionner et la masse des 19 milliards d'euros de crédits qu'elle devait attribuer et verser.
L'ANR a été depuis mise à niveau, et cet épisode est derrière elle. Les projets ont été conventionnés, et les crédits sont désormais versés dans les temps. Les non-décaissements sont aujourd'hui le signe non pas d'un engorgement de la machinerie administrative, mais des difficultés du projet financé.
Les projets sont suivis par l'ANR. Des comités de pilotage – COPIL – ont été instaurés. Ils regroupent l'ANR, les administrations compétentes, au premier plan desquelles la direction générale de la recherche et de l'innovation du ministère chargé de la recherche, et le Commissariat général à l'investissement – CGI –, qui y siège au moins à titre d'observateur. Ces comités de pilotage constituent une interface stratégique pour la coordination du pilotage des investissements d'avenir entre le niveau interministériel et le ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur.
À chaque étape, l'ANR fait rapport au COPIL sur le projet concerné, après avoir le cas échéant consulté le jury qui l'avait sélectionné. En fonction de ce rapport, le COPIL décide, par consensus, la poursuite, la réorientation ou – c'est rare, mais c'est arrivé – l'arrêt du projet. Le CGI transmet alors la décision du COPIL au Premier ministre, ou informe celui-ci de son désaccord. La même organisation a été mise en place pour les projets relevant des trois filières spatiale, aéronautique et nucléaire. Cette organisation est désormais jugée pertinente, au même titre que le recours à des jurys internationaux. L'essentiel des propositions de réforme porte sur la simplification des conventionnements et du suivi.
Dans ces conditions, nous proposons de conserver le dispositif institutionnel de suivi des projets : suivi par l'opérateur public, prise des décisions stratégiques sur les projets par un comité de pilotage et, en cas de désaccord au sein de celui-ci, par le Premier ministre sur rapport du CGI. Nous approuvons également l'action conduite pour simplifier les procédures de contractualisation et de contrôle des projets, grâce au préfinancement systématique et à la suppression de certains documents et annexes ainsi que de certaines étapes de validation. Pour la conduite des projets, il faut privilégier les procédures a posteriori, alléger les contrôles a priori et concentrer le suivi individuel sur les situations à risque.
Enfin, nous avons pu constater que le circuit d'attribution des fonds est bien distinct de celui de la répartition des crédits budgétaires. L'usage des fonds est contrôlé avant et après leur attribution. Il est ainsi impossible de rendre les deux types de crédits fongibles. Le seul cas prêtant à confusion, les avances remboursables de l'Airbus A350, est très particulier, et sur ce point nous renvoyons à notre rapport.
Quels sont les premiers résultats des actions menées ? Dans une perspective de développement du potentiel de la recherche française, l'objectif des initiatives d'excellence est de rapprocher universités, écoles et établissements des grands organismes de recherche présents sur un même site. Huit projets ont été sélectionnés par le jury, deux autres recevant des fonds beaucoup plus modestes destinés à les aider à atteindre les critères de sélection.
La création des Idex a abouti à de réels rapprochements : les Idex permettent de remodeler le paysage universitaire et de recherche. À Saclay, où nous nous sommes rendus, une gouvernance commune associant l'ensemble des institutions et organismes d'enseignement supérieur et de recherche présents sur le site a été construite. La totalité des doctorats et des masters y est désormais mutualisée.
L'action Labex produit les mêmes effets. Près de 60 % des Labex sont du reste rattachés à une Idex. À Saclay, les Labex ont un fort effet fédérateur. Le rapprochement des équipes qu'ils provoquent permet de fusionner les laboratoires et d'intégrer les équipes des grandes écoles, en général trop petites pour mener à bien des projets ambitieux. Les effets positifs du rapprochement, dans un même Labex, de spécialistes scientifiques mondiaux en recherche pure et d'équipes habituées à travailler avec l'industrie ont aussi été soulignés.
Ces premiers succès font apparaître de nouveaux défis, que je laisse le soin à Patrick Hetzel de vous exposer.