Même si l'objectif initial des Idex était bien d'accéder au niveau international, huit sites d'excellence ne suffisent pas à constituer une politique de l'excellence sur le territoire. Nous pensons également que la réussite des Idex pourrait aussi, à la longue, affaiblir les autres sites, qui ne disposent pas non plus des mêmes crédits.
Les voies pour remédier à l'insuffisante couverture du territoire par les Idex pourraient être les suivantes. D'abord, développer des regroupements d'excellence au spectre scientifique plus étroit que celui des Idex, mais plus large que celui des Labex. Nous sommes donc favorables à la création des nouvelles I-SITE – initiatives structurantes innovation-territoires-économie – qui correspondent à cette définition.
Ensuite, permettre la création de nouvelles Idex, afin que le système respire : les Allemands, après avoir décidé de lancer des initiatives d'excellence sur leur territoire, ont décidé d'en délabelliser certaines, en même temps qu'ils labellisaient d'autres sites. Une telle démarche n'est pas forcément aisée, mais il faut savoir l'entreprendre en vue de l'excellence et d'une gouvernance robuste. À cette fin, il convient de laisser aux porteurs de projets le temps de constituer l'affectio societatis qui leur permettra de répondre avec succès aux critères des jurys internationaux.
Deux autres risques sont, d'une part, le doublonnage des organes de gouvernance des Idex et de ceux des nouveaux regroupements institués par la loi du 22 juillet 2013, tels que les communautés d'universités et d'établissements – COMUE –, et, de l'autre, la dilution des Idex dans une gouvernance trop confuse de ces nouveaux regroupements.
Pour les éviter, il faut d'abord impérativement veiller à la solidité et à l'efficacité de la gouvernance des Idex. La solution la plus rationnelle sur un site est une gouvernance commune de l'Idex et de la COMUE. Elle doit donc être encouragée, mais à de très strictes conditions. Le transfert de la gouvernance d'une Idex à une COMUE doit être soumis à l'établissement préalable par celle-ci, pour sa propre gouvernance, de règles solides et claires, associant les établissements des grands organismes de recherche nationaux présents sur le site, ainsi que les grandes écoles, et procédant d'une véritable affectio societatis entre ses composantes.
Enfin, 97 % des dotations affectées aux Idex sont dites non consommables : les Idex n'en perçoivent chaque année que les intérêts, actuellement calculés au taux de 3,41 %. Cependant, ces dotations elles-mêmes seront transférées aux Idex dont l'évaluation en 2016 sera positive. Cette disposition prévue dès le départ est essentielle pour la consolidation et la pérennisation des Idex, et la commission des Finances devra veiller à ce qu'elle ne soit pas remise en cause.
Cette chance historique doit être saisie. En revanche, elle ne doit pas être gaspillée. Nous proposons donc que, lors du transfert des dotations non consommables aux Idex, soient fixées des conditions d'utilisation s'inspirant des clauses généralement attachées, à l'étranger – notamment en Allemagne et en Amérique du Nord –, aux financements institués par des fondations.
L'exécution du PIA a aussi fait apparaître, sur le plan financier, des éléments auxquels il faudra remédier. Ainsi, les Equipex ne sont pas toujours financés intégralement. Comme le président de l'université de Strasbourg, M. Alain Beretz, l'a démontré de façon très probante, une partie de leur coût d'exploitation pèse sur les crédits récurrents de l'établissement d'accueil. Les Idex créent une dynamique mais aussi, dans le même temps, des dépenses qui ne sont pas intégralement couvertes par le financement qui leur est dédié. Il en est de même des Labex, qui ne sont pas toujours dotés des crédits nécessaires aux projets qui leur ont valu leur sélection.
L'une des raisons de cette situation est que, alors que les coûts indirects d'un projet sont en moyenne de 25 % de celui-ci, ils ne sont couverts en France qu'à hauteur de 15 % – c'est ce que l'on appelle le préciput, ou overhead en anglais. Au titre du programme des investissements d'avenir, leur taux avait même été fixé à 4 % seulement, avant d'être récemment porté à 8 %, mais pas pour toutes les actions. Une prise en compte plus réaliste des coûts indirects doit remédier au financement partiel des projets par le PIA.
À terme, cependant, le remède est bien le calcul des financements à coûts complets. Pour atteindre cet objectif, il faut ériger en priorité l'établissement d'une comptabilité analytique précise et fonctionnelle au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, auxquels cet outil fait défaut pour le moment.
Le financement seulement partiel de l'équipement ou du projet a pu aussi avoir pour cause l'attente de financements complémentaires, issus d'autres partenaires : or, trop souvent, les crédits qui devaient faire effet de levier ont été les seuls disponibles.
Autre difficulté, le financement du PIA ne couvre pas toujours la durée de vie du projet, ou ne permet pas le renouvellement de l'équipement. Le financement de certaines « cohortes » en matière de santé publique n'est ainsi assuré que pour cinq ans, alors qu'un certain nombre de spécialistes considèrent, à l'instar de l'Inserm, qu'une cohorte nécessite un suivi sur vingt à trente ans pour être efficace. Il faut donc effectuer dès à présent la revue des programmes financés et des conditions de leur réalisation pour anticiper la limitation dans la durée des financements.
Enfin, si les crédits mobilisés par le PIA ont bien financé des projets identifiés comme d'avenir, il s'avère que les crédits récurrents du ministère de la recherche ne sont pas suffisants pour financer d'autres projets. Comme l'a dit Alain Claeys, nous devrons donc revenir sur la question essentielle de l'articulation entre les financements budgétaires, c'est-à-dire récurrents, et les financements extrabudgétaires – en l'occurrence, les investissements d'avenir. Ainsi, les crédits annuels du ministère ne lui permettent de financer ni le renouvellement prochain de notre flotte océanographique, ni la participation de la France à un grand projet européen de production de neutrons. Pour assurer une meilleure cohérence des financements de la recherche, il faut donc développer la fonction de coordination interministérielle du Commissariat général aux investissements auprès du Premier ministre lors de l'analyse préalable des projets à financer. Cette procédure doit permettre l'expression des ministères de tutelle de la mission Recherche et enseignement supérieur, au premier rang desquels le ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur leurs priorités.
S'agissant de la chaîne de valorisation de la recherche créée par le PIA, les consortiums de valorisation thématiques offrent aux alliances de recherche, auxquelles ils sont adossés, et qui regroupent par grands secteurs les acteurs de la recherche, un instrument nouveau pour signaler à l'industrie les recherches à valoriser. Par ailleurs, l'activité de France Brevets est désormais bien connue de certaines industries, et son directeur général en est un professionnel reconnu. Que cette activité ne soit profitable que sur le temps long n'est pas considéré comme un obstacle par la Caisse des dépôts et consignations, qui s'y est engagée en toute connaissance de cause.
En revanche, malgré leur rapide développement, les SATT suscitent des controverses : à quelques exceptions près – je pense notamment à la société Conectus Alsace, qui donne toute satisfaction –, il apparaît que leur fonctionnement peut encore être amélioré. Leur fonction de « coopératives de brevets » a rapidement fait entrer certaines d'entre elles en conflit avec les grands organismes nationaux de recherche qui s'étaient dotés de leurs propres filiales de valorisation industrielle, comme le CEA ou l'Inserm.
Quels que soient son dynamisme et son utilité, la chaîne de valorisation du PIA ne doit pas avoir pour conséquence la mise en cause de ce qui a déjà été construit. Dans ces conditions, nous proposons d'assouplir le modèle initial des SATT de façon, en particulier, à tenir compte des dispositifs de valorisation existant dans les grands organismes nationaux de recherche : il serait dommage de ne pas valoriser l'expertise qui a été acquise.
Par ailleurs, il est demandé aux SATT d'assurer leur équilibre économique à dix ans. Si un tel objectif n'est pas toujours insurmontable, il peut amener les SATT à privilégier leur rentabilité interne à court terme grâce à la vente de brevets, ce qui constitue une source de tensions : un certain nombre d'activités de recherche ne doivent pas être traitées uniquement à l'aune du court terme. Nous considérons aussi que les critères d'évaluation des SATT doivent privilégier des objectifs de développement économique : l'articulation entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée – c'est-à-dire l'industrialisation, qui permet la création de richesses pour le pays – ne doit pas être négligée.
Les instituts destinés à mieux associer l'industrie et la recherche, en faisant travailler celle-ci pour celle-là, semblent souvent, même s'il y a des exceptions, connaître des débuts laborieux. L'octroi de la personnalité juridique, des ambitions parfois excessives, ainsi que des conflits entre partenaires, semblent être les causes de ces difficultés. Il faudra donc veiller à insérer dans leur univers scientifique et industriel les instituts de recherche technologique, les instituts de transition énergétique et les instituts Carnot. Cela peut passer par des assouplissements de statuts. Là encore, une évaluation régulière doit être réalisée pour juger de la bonne utilisation des crédits.
La répartition des crédits consacrés aux filières spatiale, aéronautique et nucléaire semble rencontrer un grand succès : l'effet de levier est là, les projets auxquels ces crédits sont affectés renforcent les industriels français face à la concurrence mondiale, des retours sur investissement ont déjà été obtenus et d'autres sont attendus.
Le choix de confier la sélection des projets aux filières elles-mêmes a cependant abouti à privilégier des recherches à maturité technologique élevée aux dépens de recherches plus en amont, porteuses d'innovations de rupture au-delà de l'horizon des projets financés – mais c'est là une difficulté que la France n'est pas la seule à rencontrer.
Dans les filières industrielles qui déterminent elles-mêmes la nature des projets financés sur crédits du PIA, nous devrons être attentifs au maintien de crédits suffisants pour la recherche civile amont, la partie strictement opérationnelle n'étant pas la seule qui importe.
Enfin, si la Mission d'évaluation et de contrôle ne peut que donner acte au CGI de l'abondance de l'information donnée au Parlement sur la progression des actions financées par le PIA, l'information fournie lors des demandes d'ouvertures de crédits en loi de finances est en revanche trop succincte. Il faut donc développer l'information du Parlement, en amont de la phase de lancement des futurs PIA, sur le choix des domaines qu'il est envisagé d'ouvrir à un PIA, notamment par des auditions du commissaire général à l'investissement soit par la Mission d'évaluation et de contrôle, soit par la commission des Finances, sur la base d'un document élaboré par le CGI en prévision de chacune de ces auditions.