Dans les médias, lorsqu'il est question des manifestants blessés, on oppose souvent le fait qu'il y ait des policiers blessés. Nous avons établi une liste des personnes blessées ou mutilées à cause d'un Flash-Ball ou d'un LBD mais nous attendons toujours une liste des policiers blessés. La seule réponse, qui a été donnée ici même, est que « statistiquement, le nombre de blessés a augmenté chez les policiers », ce qui, vous en conviendrez, n'est pas satisfaisant.
Dans un entretien paru sur le site de Médiapart, à la suite de la manifestation du 22 février 2014 à Nantes, Jean-Christophe Bertrand, chef de la police de Nantes, affirmait : « Ceux qui prennent le risque de s'en prendre aux forces de l'ordre s'exposent eux aussi à des dommages corporels. ». Il évoquait aussi les blessures des policiers et gendarmes présents ce jour-là : « il y a eu des blessures physiques, comme des acouphènes, et d'autres moins visibles, psychologiques. Plusieurs fonctionnaires souffrent de troubles liés à la violence inouïe à laquelle ils ont dû faire face ». Voilà ce que M. Bertrand a à opposer aux trois personnes mutilées pendant ces manifestations : des acouphènes et des blessures psychologiques. Vous serez d'accord avec nous pour dire qu'il s'agit d'atteintes sans commune mesure avec les blessures subies par les manifestants.
Si le Flash-Ball tue rarement, il mutile très souvent. C'est à ce titre qu'il doit être interdit. Parmi nous, certains ont reçu un tir en plein dans l'oeil, ce qui l'a fait exploser sur le coup : c'est le cas de Florent Castineira, Joachim Gatti et moi-même ; d'autres ont reçu un tir autour de l'oeil, le choc provoquant un décollement de la rétine et une cécité pouvant être complète : c'est le cas de Pierre Douillard et de Geoffrey Tidjani, ici représenté par son père, Christian. Et nous avons aussi tous subi de multiples fractures du crâne et du nez. D'autres ont eu la mâchoire explosée, ont perdu une partie de l'ouïe, souffrent de migraines constantes accompagnées de troubles neurologiques tels que l'aphasie.
Pour ma part, c'est le 22 février 2014 lors d'une manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes que je me suis fait tirer dessus. Je m'apprêtais à quitter la manifestation : je n'étais ni armé ni violent, contrairement à ce que veut laisser croire la police des polices – il faut savoir que l'enquête est en cours et que l'instruction n'a toujours pas été ouverte, plus d'un an après les faits. Les médecins ont pu me sauver in extremis : j'ai eu plus de dix-sept fractures autour du visage, le nez cassé, l'oeil arraché, ce qui a nécessité une reconstruction faciale. Tout cela a entraîné un bouleversement total dans ma vie. J'étais artisan charpentier et, ce 22 février, c'était mon anniversaire : j'avais réservé une table dans un restaurant pour le fêter avec des amis après la manifestation. Du jour au lendemain, tout s'est arrêté, socialement et professionnellement.
J'espère que l'exposition de mon cas personnel vous permettra de vous interroger sur les conséquences de tels tirs.