La réunion

Source

COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉTABLIR UN ÉTAT DES LIEUX ET DE FAIRE DES PROPOSITIONS EN MATIÈRE DE MISSIONS ET DE MODALITÉS DU MAINTIEN DE L'ORDRE RÉPUBLICAIN, DANS UN CONTEXTE DE RESPECT DES LIBERTÉS PUBLIQUES ET DU DROIT DE MANIFESTATION, AINSI QUE DE PROTECTION DES PERSONNES ET DES BIENS

L'audition commence à neuf heures quarante-cinq.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mesdames, messieurs, soyez les bienvenus. Nous sommes très intéressés d'entendre vos témoignages et de recueillir vos propositions et suggestions.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de bien vouloir prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Nathalie Torselli et Stéphanie Lévêque, MM. Christian Tidjani, Joachim Gatti, Pierre Douillard, Quentin Torselli et Florent Castineira prêtent serment.)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Docteur Stéphanie Lévêque. Médecin hospitalier depuis 1994, j'aimerais vous exposer les conditions dans lesquelles j'ai été amenée à adresser un courrier au préfet de la Loire-Atlantique pour porter à sa connaissance le nombre de blessés que j'ai soignés à Notre-Dame-des-Landes du samedi 24 au dimanche 25 novembre 2012.

Dans la semaine du 17 novembre 2012, une manifestation est lancée pour construire des cabanes sur le site de Notre-Dame-des-Landes : des milliers de personnes y participent dans une ambiance bon enfant et joyeuse. Le samedi 24 novembre, je rends visite à un ami agriculteur de la commune. Nous nous promenons dans la forêt en début d'après-midi et croisons de nombreux promeneurs de tous horizons. À notre grand étonnement, nous entendons des détonations au loin. En fin d'après-midi, je suis sollicitée pour soigner une dame de soixante ans, blessée, choquée, ne comprenant pas ce qui lui arrive. Elle me rapporte que des heurts violents ont eu lieu dans la forêt et qu'elle a vu de nombreuses personnes blessées autour d'elle. Victime d'une bombe lacrymogène qui a explosé près d'elle, elle a besoin de soins. Je m'installe dans le local le plus proche : une grange prêtée par cet ami agriculteur, à qui je demande d'apporter quelques pansements pour secourir cette dame.

Rapidement, des blessés sont acheminés jusqu'à la grange, qui se transforme peu à peu en poste de premiers soins et bientôt en hôpital de campagne. Nous demandons aux personnes qui nous entourent de faire venir du matériel d'urgence et une infirmière est envoyée à la pharmacie pour chercher de quoi suturer quelques blessés. Les premiers secours s'organisent tant bien que mal avec les moyens du bord. Des soignants présents sur la zone viennent nous aider, chacun apportant désinfectant, pansements, matériels. Un autre médecin me rejoint vers dix-sept heures.

De dix-sept heures à vingt et une heures, les blessés se succèdent, nous plongeant mon collègue et moi-même dans la stupeur et l'incompréhension face au nombre et à la sévérité des blessures, certaines entraînant des risques vitaux, et aux conditions dans lesquelles elles ont été infligées. Les blessés sont pour moitié des promeneurs pacifiques et, pour moitié, des jeunes installés sur la zone dans des cabanes. Je précise qu'aucun n'était armé ni menaçant.

Dans la nuit, nous faisons hospitaliser trois personnes : deux sont transportées par les ambulances de pompiers, sollicitées par le Samu que nous avions appelé, et une blessée est transportée par moi-même vers minuit, l'évacuation étant rendue difficile.

Avec mon collègue, nous organisons par la suite une permanence de soins pour la nuit. Le lendemain, les blessés étant moins nombreux, nous prenons quelques photos des blessures : peu, en réalité, car l'urgence de la situation a émoussé le réflexe de garder des traces.

Le dimanche soir, de retour chez moi, j'écoute la radio et j'entends : « Manifestations à Notre-Dame-des-Landes, des gens violents ont été repoussés par la police ; aucun blessé parmi les manifestants et plusieurs blessés parmi les policiers » – blessés que je déplore également, je tiens à le préciser.

Ayant soigné une quarantaine de personnes, je tiens à adresser au préfet un courrier – que je vous ai communiqué – pour lui apporter mon témoignage.

« Monsieur le préfet,

En ma qualité de médecin, je suis intervenue à Notre-Dame-des-Landes samedi 24 et dimanche 25 novembre 2012. J'ai passé deux jours à soigner des blessés. Je tiens à porter à votre connaissance le nombre de blessés que nous avons eu à prendre en charge.

Pour le samedi 24 novembre :

Onze blessures par Flash-Ball touchant : le thorax pour deux personnes avec un doute sur une lésion hépatique ; la joue et la lèvre supérieure pour une personne avec probable lésion dentaire ou maxillaire ; le genou pour deux personnes ; les doigts pour deux personnes ; la cuisse pour deux personnes ; les côtes pour une personne avec un doute sur une fracture des côtes ; le poignet pour une personne. À cela s'ajoutent trois traumatismes de genou, deux traumatismes de poignet, une plaie tympanique avec risque de surdité, un choqué par gaz, une plaie au crâne suturée par deux points, une autre par quinze points ; six blessures par explosion de bombes assourdissantes dont trois impacts dans les cuisses de trois personnes, un impact dans l'avant-bras ; un impact dans la malléole, dix impacts dans les jambes d'une personne, dix impacts dans les jambes d'une autre personne avec probable lésion du nerf sciatique avec risque de handicap, un impact dans l'aine avec suspicion de présence d'un corps étranger près de l'artère fémorale et possible hémorragie.

J'insiste sur la gravité de ces blessures par explosion. Les débris pénètrent profondément dans les chairs, risquant de léser les artères, nerfs et organes vitaux. Nous avons retiré des débris de 0,5 à 1 cm de diamètre, d'aspect métallique ou plastique, très rigides et coupants. D'autres, très profondément enfouis, ont été laissés en place et nécessiteront des soins ultérieurs. Impossible de prévoir les lésions secondaires.

Les hospitalisations n'ont pas été simples. Mon collègue a contacté le Samu et l'ambulance des pompiers a été retardée par les barrages. J'ai donc amené moi-même un deuxième blessé devant être hospitalisé. J'ai ainsi pu avoir des nouvelles d'une troisième personne hospitalisée dans la journée.

Pour le dimanche 25 novembre :

Une blessure par bombe assourdissante avec ablation d'un débris dans le doigt, une réfection d'un pansement de cuisse, une fracture de cheville, une blessure à la main, un impact de Flash-Ball au thorax avec suspicion de fracture de côte et lésion pulmonaire.

Je ne vous fais ici que la liste des patients les plus gravement blessés. Il semble que l'on dénombre une centaine de blessés durant ces deux jours. Je vous précise également que nous tenons à votre disposition les photos des lésions constatées.

En ma qualité de médecin, je souhaite attirer votre attention sur la gravité des blessures infligées par l'utilisation des armes des forces de l'ordre et cela, en dehors de toute considération partisane.

Dans l'espoir que ma description permette un usage plus mesuré de la force, veuillez croire, monsieur le préfet, à ma respectueuse considération ».

À la suite de ce courrier motivé par la disproportion des blessures, j'ai été reçue par le préfet qui a mis en doute mes constatations, me laissant dans l'incompréhension par sa volonté de me persuader que tout cela était nécessaire. Il m'a également adressé un courrier daté du 14 décembre 2012 dont je vais vous citer quelques extraits : « Sur le fond, les forces de l'ordre ont effectivement utilisé un nombre très limité de moyens intermédiaires, grenades de désencerclement et grenades assourdissantes, et parfois Flash-Ball » ; « Cet emploi s'est bien sûr toujours fait suivant les règles » et d'évoquer la proportionnalité ; « C'est dans ce cadre réglementaire que l'autorisation d'emploi a été donnée » ; et en conclusion, « Je ne peux que vous faire part de ma consternation devant de telles allégations, qui traduisent une volonté de désinformation sur la légitimité et la déontologie de l'action de l'État ». Inutile de vous dire que là n'était pas mon but.

Cette méconnaissance des conséquences de l'utilisation de ces armes, qui provoquent de graves blessures pouvant entraîner la mort – ou bien faut-il parler de déni – me pousse à témoigner et à appeler à un usage limité et proportionné des armes. La mort de Rémi Fraisse n'a fait que renforcer ma volonté. Plus jamais ça !

J'ai fermement confiance en l'intelligence et en l'humanité des hommes vivant dans notre pays civilisé. Je ne crois pas en une quelconque violence délibérée de la part de l'État ou des forces de l'ordre. Je n'ai pas rencontré d'opposants violents ou armés. Ce sont les blessures et non le camp auquel elles ont été infligées qui ont motivé mon courrier. Cependant, il me paraît grave de refuser l'évidence de la sévérité des blessures et de la nécessaire réflexion qu'appelle l'usage de certaines armes par les forces de l'ordre.

Permalien
Pierre Douillard, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Nous avons élaboré un texte collectif que nous lirons à plusieurs voix.

Avant de commencer mon intervention, je tiens à rappeler que s'ouvre aujourd'hui le procès d'un gendarme qui a mutilé un enfant de neuf ans à Mayotte, Nassur, qui a perdu son oeil.

Je vous livrerai d'abord notre sentiment sur la façon dont se déroulent les travaux de la commission d'enquête. La mort de Rémi Fraisse, qui l'a motivée, nous a tous révoltés en tant que blessés, mutilés et proches de personnes blessées : chaque personne blessée ou tuée par la police réveille nos propres blessures. Nous avons été étonnés de constater que de nombreuses auditions se sont transformées en tribunes pour la gendarmerie et la police. Le temps de parole qui leur a été réservé et la complaisance de certains commissaires n'ont pas manqué de nous irriter. L'intervention de M. Denis Favier, directeur général de la gendarmerie, venu exposer en dix points ses exigences en matière de restriction des libertés et de nouvelles dotations d'armes, a été exemplaire à cet égard. Dans cette salle, on a plus entendu parler de la violence supposée des manifestants que de la violence des forces de l'ordre. Pourtant, c'est bien un manifestant qui est mort à Sivens ; pourtant, ce sont bien des manifestants qui ont perdu un oeil.

Il faut aussi préciser que c'est parce que des membres de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières en ont fait la demande que nous avons été invités. Sans cette démarche, aucun blessé n'aurait été auditionné.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Permettez-moi de vous interrompre. En tant que président de la commission d'enquête, je ne peux accepter de tels propos.

Premièrement, je précise que cette commission d'enquête ne peut interférer avec l'enquête judiciaire sur la mort de Rémi Fraisse. Son objet n'est pas d'établir les conditions qui ont entouré son décès mais d'analyser les modalités du maintien de l'ordre en France, sa doctrine, et les améliorations qu'on peut lui apporter.

Deuxièmement, si les représentants de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières n'avaient pas demandé à être entendus, nous les aurions invités comme nous avons invité Jean-Baptiste Eyraud, président de l'association Droit au logement. Nous comprenons votre douleur, nous comprenons votre colère, mais il ne me paraît ni sain ni juste de mettre en cause l'impartialité de la commission d'enquête parlementaire.

Troisièmement, cette commission, composée à la proportionnelle des groupes de l'Assemblée nationale, compte trente membres, mais il arrive bien souvent que seuls quelques-uns soient présents lors des auditions, il arrive même parfois que nous ne soyons que deux, le rapporteur et moi-même. Certains sont obsédés par la violence supposée des zadistes, comme vous l'avez souligné, mais vous avez sans doute constaté qu'entre nous, il y avait des affrontements, des oppositions.

Permalien
Pierre Douillard, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Nous avons pris très au sérieux notre participation à cette commission d'enquête et avons pris soin de regarder les auditions précédentes. Nous avons simplement voulu exprimer notre sentiment.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Et moi, je vous réponds que ce n'est pas à des sentiments mais à une réalité que je me réfère. Il est normal que, dans une commission d'enquête parlementaire, tout le monde soit entendu. Ce n'est pas à nous de dire dans quelles conditions Rémi Fraisse a trouvé la mort. On peut critiquer le cadre de cette enquête judiciaire, notamment le rôle qu'y jouent les militaires. Ce n'est pas notre objectif ici.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous n'avons écarté personne. Nous avons élaboré un programme qui s'est construit progressivement et n'avons refusé aucune sollicitation, même s'il nous a fallu procéder à quelques contorsions dans nos agendas. Le Docteur Lévêque, qui ne représente aucune association mais apporte un témoignage en son nom propre, a souhaité être entendue et, nous lui avons donné la possibilité de s'exprimer, malgré un programme chargé.

Par ailleurs, notre commission d'enquête ayant pour objet le maintien de l'ordre public, il me semble normal qu'elle entende ceux qui sont chargés de le mettre en oeuvre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous pouvez continuer, monsieur Douillard. Tout ce que vous dites figurera dans le rapport : il n'y a pas de censure dans cette maison, tout au moins dans ce lieu.

Permalien
Pierre Douillard, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Ce qui vient de se passer est intéressant, dans la mesure où aucun des colonels de gendarmerie, aucun des responsables des compagnies républicaines de sécurité (CRS), aucun des policiers auditionnés n'a été interrompu.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Aucun n'a remis en cause l'impartialité de la commission d'enquête parlementaire !

Permalien
Pierre Douillard, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Eh bien, je vais maintenant présenter notre association, l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières, qui rassemble plus d'une dizaine de personnes blessées ou mutilées par la police à la suite de tirs de Flash-Ball ou de lanceurs de balle de défense (LBD) à hauteur de tête. Manifestants, supporters de football, habitants de quartiers populaires, nous venons de toute la France. Nos objectifs sont simples : soutenir les personnes blessées par la police ; partager et diffuser nos expériences en matière tant médicale que juridique, médiatique et politique ; lancer des initiatives communes ; se soutenir mutuellement en cas de procès de policiers mis en cause ; participer aux luttes en cours. Une interrogation nous unit : avec l'augmentation continue des blessés au Flash-Ball et LBD, combien serons-nous demain ?

Ces armes que sont le Flash-Ball et le LBD ont été mises à disposition des policiers en deux temps.

Le Flash-Ball Super-Pro a été mis en circulation à partir de 1995, à l'initiative de Claude Guéant. Se manipulant comme un pistolet, à une main, il a été fourni aux unités d'élite, dans une perspective de lutte contre le terrorisme et de répression des braquages. Très rapidement, il a été généralisé, dans les quartiers populaires en particulier – en 1999, un homme a perdu un oeil dans une cité de banlieue parisienne.

À partir de 2007, est expérimenté le LBD 40, arme de catégorie A – arme à feu à usage militaire – plus précise et plus puissante que le Flash-Ball Super-Pro. Il est doté d'un viseur Eotech, technologie militaire permettant de viser précisément sa cible.

Progressivement, l'usage de ces armes est allé de la périphérie vers le centre : réservées initialement aux « classes dangereuses », aux populations des quartiers, elles ont été expérimentées lors de manifestations lycéennes. En novembre 2007, à Nantes, à l'occasion d'une manifestation contre la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) – premier mouvement social un peu offensif du quinquennat Sarkozy –, le LBD 40 a ainsi été testé in vivo pour la première fois, de manière non encadrée. C'est à cette occasion que j'ai reçu une balle en caoutchouc au visage qui m'a fait perdre la vision d'un oeil.

Depuis 2007, le LBD a blessé de très nombreuses personnes. Accompagnant un processus de militarisation de la police, il a pu être utilisé aussi bien dans les cités qu'à Notre-Dame-des-Landes ou dans des manifestations syndicales ou lycéennes.

Demain, ce seront peut-être vos enfants, vos proches qui seront touchés.

Permalien
Florent Castineira, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Je vais tout d'abord rappeler quelques chiffres. Depuis 1995, pour le Flash-Ball, et depuis 2007, pour le LBD, on recense trente-six mutilés ou blessés graves connus. Parmi eux, des enfants de moins de dix ans ont été éborgnés : en 2011, Nassur, âgé de neuf ans, lors d'une intervention à Mayotte, et Daranka, âgée de huit ans, à Corbeil-Essonnes. On déplore également un mort, Mostefa Ziani, tué pendant une intervention policière à Marseille en 2011.

La justice a été à chaque fois saisie mais l'impunité policière est la règle : il n'y a eu qu'une condamnation de policier contre trente-six classements sans suite, non-lieux ou relaxes. Notons toutefois qu'après une plainte déposée devant un tribunal administratif, la responsabilité d'un préfet a été reconnue et l'État condamné à verser des indemnités. D'autres plaintes ont été déposées collectivement et sont en cours d'examen.

Bref, la police mutile et la justice couvre ses actes, quasi-systématiquement.

Nous tenons à préciser notre position sur l'utilisation du Flash-Ball.

Il faut écarter une première contrevérité selon laquelle le Flash-Ball pourrait se substituer à l'arme de service et permettrait d'éviter les homicides. Dans les situations où les policiers ont recours au Flash-Ball, ils n'auraient jamais utilisé leur arme de service. Sur le terrain, le Flash-Ball vient en complément de la matraque et du gaz lacrymogène. En ce sens, il augmente considérablement la violence de la police. D'autre part, le nombre de personnes tuées chaque année par balle par la police n'a pas diminué depuis l'avènement du Flash-Ball et du LBD.

Cet argument de la substitution est systématiquement mis en avant pour justifier l'usage de ces armes. Ici même, M. Denis Favier, directeur de la gendarmerie nationale, l'a invoqué pour demander que les gendarmes mobiles soient dotés de LBD. M. Cazeneuve l'a également utilisé il y a peu, à l'Assemblée nationale : « L'usage d'armes à feu est très fréquemment évité grâce aux armes de force intermédiaire », a-t-il déclaré. Selon ces raisonnements, nous aurions tous pu être tués par balle à l'occasion d'une manifestation, d'un rassemblement, d'un match de foot, d'une expulsion locative ou en attendant un bus.

Le Flash-Ball est l'extension mutilante de la matraque et non le substitut non mortel de l'arme de service. Nous nous opposons à tout usage du Flash-Ball et du LBD.

Permalien
Quentin Torselli, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Dans les médias, lorsqu'il est question des manifestants blessés, on oppose souvent le fait qu'il y ait des policiers blessés. Nous avons établi une liste des personnes blessées ou mutilées à cause d'un Flash-Ball ou d'un LBD mais nous attendons toujours une liste des policiers blessés. La seule réponse, qui a été donnée ici même, est que « statistiquement, le nombre de blessés a augmenté chez les policiers », ce qui, vous en conviendrez, n'est pas satisfaisant.

Dans un entretien paru sur le site de Médiapart, à la suite de la manifestation du 22 février 2014 à Nantes, Jean-Christophe Bertrand, chef de la police de Nantes, affirmait : « Ceux qui prennent le risque de s'en prendre aux forces de l'ordre s'exposent eux aussi à des dommages corporels. ». Il évoquait aussi les blessures des policiers et gendarmes présents ce jour-là : « il y a eu des blessures physiques, comme des acouphènes, et d'autres moins visibles, psychologiques. Plusieurs fonctionnaires souffrent de troubles liés à la violence inouïe à laquelle ils ont dû faire face ». Voilà ce que M. Bertrand a à opposer aux trois personnes mutilées pendant ces manifestations : des acouphènes et des blessures psychologiques. Vous serez d'accord avec nous pour dire qu'il s'agit d'atteintes sans commune mesure avec les blessures subies par les manifestants.

Si le Flash-Ball tue rarement, il mutile très souvent. C'est à ce titre qu'il doit être interdit. Parmi nous, certains ont reçu un tir en plein dans l'oeil, ce qui l'a fait exploser sur le coup : c'est le cas de Florent Castineira, Joachim Gatti et moi-même ; d'autres ont reçu un tir autour de l'oeil, le choc provoquant un décollement de la rétine et une cécité pouvant être complète : c'est le cas de Pierre Douillard et de Geoffrey Tidjani, ici représenté par son père, Christian. Et nous avons aussi tous subi de multiples fractures du crâne et du nez. D'autres ont eu la mâchoire explosée, ont perdu une partie de l'ouïe, souffrent de migraines constantes accompagnées de troubles neurologiques tels que l'aphasie.

Pour ma part, c'est le 22 février 2014 lors d'une manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes que je me suis fait tirer dessus. Je m'apprêtais à quitter la manifestation : je n'étais ni armé ni violent, contrairement à ce que veut laisser croire la police des polices – il faut savoir que l'enquête est en cours et que l'instruction n'a toujours pas été ouverte, plus d'un an après les faits. Les médecins ont pu me sauver in extremis : j'ai eu plus de dix-sept fractures autour du visage, le nez cassé, l'oeil arraché, ce qui a nécessité une reconstruction faciale. Tout cela a entraîné un bouleversement total dans ma vie. J'étais artisan charpentier et, ce 22 février, c'était mon anniversaire : j'avais réservé une table dans un restaurant pour le fêter avec des amis après la manifestation. Du jour au lendemain, tout s'est arrêté, socialement et professionnellement.

J'espère que l'exposition de mon cas personnel vous permettra de vous interroger sur les conséquences de tels tirs.

Permalien
Christian Tidjani, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Nous avons relevé que, dans de nombreuses manifestations, les policiers ne respectaient pas le règlement et visaient explicitement le visage. À Nantes, lors des manifestations du 22 février 2014, les policiers de la brigade anti-criminalité (BAC), armés de Flash-Ball, avaient pour habitude de regarder les manifestants en posant une main sur un oeil, pour leur signifier qu'ils risquaient de le perdre. Rappelons que trois personnes ont perdu un oeil ou la vue d'un oeil et que de nombreuses autres ont été touchées au visage.

Nous estimons toutefois qu'aucune formation, aucun règlement n'est en mesure de prémunir contre ces risques. Quand bien même les policiers ne viseraient pas le visage, cette arme constituerait un conditionnement dangereux. Quelle que soit son utilisation, il existe toujours un risque de mutilation, voire de mort. Mostefa Ziani, à Marseille, a été touché par un tir de Flash-Ball au torse et il est mort d'un arrêt cardiaque.

En matière de maintien de l'ordre, la différence de traitement est aussi de règle. Votre commission a déjà évoqué la différence de traitement entre manifestants, selon qu'ils étaient zadistes ou agriculteurs. Au-delà de la doctrine officielle, l'État met en oeuvre un maintien de l'ordre beaucoup plus offensif, qui s'applique à des pans toujours plus larges de la population. La dotation massive en Flash-Ball et LBD entraîne une augmentation mécanique des tirs perpétrés, donc des blessures graves allant jusqu'à la mutilation, l'infirmité permanente et la mort. Ce changement de pratique reflète un changement implicite de doctrine de la police française.

On tire à nouveau sur la foule et c'est insupportable.

Permalien
Joachim Gatti, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

La simple présence du LBD opère un glissement qui modifie en actes la doctrine appliquée sur le terrain. Si, comme le dit M. Bertrand Cavallier, « la règle d'or en matière de maintien de l'ordre est que la force doit se manifester sans jamais avoir à s'exercer », on doit reconnaître que le Flash-Ball répond à une logique inverse. L'arrivée d'un canon à eau, l'équipement des CRS avant une charge, ainsi que les secondes qui précèdent le lancer des gaz lacrymogènes sont perceptibles par les manifestants. La force se manifeste avant de s'exercer. Le Flash-Ball, lui, ne se manifeste pas ; il frappe. Et pour cause : son déploiement se résume au simple fait d'appuyer sur la gâchette. Les blessés disent d'ailleurs souvent ne pas avoir compris ce qui leur arrivait.

On peut souligner une autre caractéristique du Flash-Ball et du LBD, qui les met en porte-à-faux avec la doctrine française du maintien de l'ordre. Les gaz lacrymogènes, une charge de CRS, un jet de canon à eau s'adressent au corps collectif des manifestants : leur fonction est de les repousser dans le cadre des dispositions relatives à l'attroupement. Le Flash-Ball et le LBD répondent aux mêmes cadres d'usage mais leurs effets sont tout à fait différents. D'abord, ils ne s'adressent pas au corps collectif des manifestants mais à une seule personne. Ensuite, ils ne repoussent pas mais frappent. S'ils dispersent, ce n'est pas par l'exercice contenu de la force contre l'ensemble des manifestants mais par l'extrême violence exercée sur l'un d'entre eux. Pour cette raison, nous disons que le Flash-Ball et le LBD sont des armes de terreur. Leur devise, c'est : « En frapper un pour terroriser tous les autres ».

Aux principes d'absolue nécessité, de proportionnalité, de mise à distance, est associée de manière sous-jacente la responsabilité que les forces de l'ordre ont de l'intégrité physique des manifestants, quelles que soient les manifestations et quels que soient leurs participants. Les jets d'eau repoussent et mouillent. Les gaz lacrymogènes piquent les yeux, le visage et la gorge. Le Flash-Ball et le LBD blessent, mutilent et parfois tuent. Il y a là, en actes, un changement de la doctrine qui ne dit pas son nom, une transformation lourde de significations. Avec le Flash-Ball et le LBD, c'est la possibilité même d'agir collectivement sans prendre le risque d'être mutilé qui est remise en question.

À de nombreuses reprises, les membres de la commission ont mis en équivalence la violence des manifestants et la violence des forces de l'ordre : l'une viendrait justifier l'autre. Cela n'a pas de sens pour nous. D'un côté, il y a un corps armé composé de milliers d'hommes entraînés ; de l'autre, une population civile. On a bien compris qu'avec cette équivalence, ce que l'on essaie de nous faire accepter, c'est qu'une minorité violente s'infiltrerait à l'intérieur de cortèges pacifiques et respectueux de la légalité. Au final, ce seraient eux les responsables de la mort de Rémi.

Ce qui fut la stratégie de défense du Gouvernement trouve une prolongation ici. Cet ennemi intérieur justifierait des armes nouvelles et des lois d'exception. Pour nous, la réalité est tout autre. D'une certaine manière, on la devine dans les mots des policiers eux-mêmes : la police fait face non pas à une augmentation de la violence mais à une augmentation de la conflictualité générale. Qu'ils soient agriculteurs, travailleurs précaires ou zadistes, ceux qui se battent n'ont plus d'autre choix que d'emprunter des formes de lutte sortant du cadre de la simple manifestation. Il n'y a pas de bons ou de mauvais manifestants ; il y a des gens, de plus en nombreux qui, dépossédés de leur activité, de la richesse commune, de leur territoire, de leur environnement, se battent pour les garder, voire pour les reconquérir. Et ils font face à un pouvoir qui ne lâche plus rien car il est entièrement soumis à des intérêts économiques privés.

Permalien
Nathalie Torselli, représentante de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Le Flash-Ball et le LBD ne se contentent pas de blesser physiquement un seul individu, ils touchent également familles et entourage. Il est important et nécessaire que cette commission soit informée de ce que des parents ressentent.

Nos enfants ont été éborgnés, marqués à vie, atteints dans leur intégrité par un policier qui, armé d'un Flash-Ball, leur a tiré dans l'oeil, alors qu'ils ne présentaient de danger pour personne. Ces enfants, ils auraient pu être les vôtres. Ils sont plus de quarante aujourd'hui à traverser cette épreuve.

À la douleur de voir son enfant démoli, s'ajoute l'incompréhension : comment cela peut-il se produire dans un pays qui se dit civilisé ? S'ajoute aussi la rage : on ne peut pas, on ne doit pas se taire, il faut dénoncer ces faits avec force.

Une blessure reçue dans de telles circonstances n'a rien à voir avec un accident de bricolage ou un malencontreux hasard. Les parents, les frères et soeurs, les proches sont touchés au plus profond d'eux-mêmes. Eux aussi sont abîmés, enveloppés qu'ils sont par une sensation glauque, poisseuse, collante, qui ne les lâche plus et les transforme irrémédiablement. Pour eux aussi, il y a désormais un avant et un après la mutilation.

Ils vont de surcroît devoir vivre avec le ressenti très net que leur fils, leur frère, leur ami est désormais perçu comme un individu dangereux selon l'idée répandue par la police et les responsables politiques, et entretenue par une certaine presse, que s'il a été blessé par la police, c'est qu'il l'a bien cherché et qu'il l'a mérité.

Ils vont aussi devoir traverser de longues et pénibles années de procédure judiciaire à l'issue incertaine – non-lieu, relaxe – et dont la lenteur étudiée suspend le temps et empêche la réparation, la reconstruction. C'est une nouvelle violence.

Il leur faudra enfin soutenir psychologiquement et financièrement celui qui, fragile, est devenu socialement un handicapé et qui devra parfois réorienter sa vie professionnelle ou étudiante.

Avant ce drame, nous faisions partie de la masse des citoyens insérés et engagés dans la société ignorant tout des violences policières durant les manifestations. Nous n'étions pas révoltés, nous le sommes devenus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tiens tout d'abord à préciser que personne ici ne peut rester indifférent à vos témoignages, à vos situations personnelles et aux cas que vous avez exposés.

Vous le savez, nous ne sommes pas juges. Nous sommes ici pour construire une réflexion collective sur les manières de garantir la liberté de manifester, qui connaît de nouvelles formes, de plus en plus diverses, dans le respect de l'ordre républicain, nécessaire dans une démocratie comme la nôtre.

Pour ce qui me concerne, monsieur Douillard, je n'ai pas perçu les dix propositions du directeur de la gendarmerie nationale comme un appel à la restriction des libertés publiques, en particulier lorsqu'il invite à renforcer le dialogue avec les manifestants, à améliorer la lisibilité des sommations ou encore à adapter les équipements, notamment les moyens de force intermédiaire, en vue d'une utilisation plus encadrée.

J'ai finalement assez peu de questions à vous poser. Votre exposé à plusieurs voix, très charpenté, a permis de répondre à nombre de celles qui me venaient à l'esprit. Je pense en particulier aux circonstances dans lesquelles vous avez été blessés les uns et les autres, qui ont été marquées, me semble-t-il, par le non-respect de la doctrine et des modalités d'emploi de la force, tels qu'ils nous ont été décrits, ce qui nous pousse à nous interroger sur les possibilités de leur apporter des améliorations, même s'il y a toujours une part d'humain.

Vous nous avez aussi éclairés sur les suites judiciaires. Le pouvoir législatif s'interdit autant que faire se peut de commenter les décisions des autorités judiciaires mais s'efforce de lui conférer la plus grande indépendance possible, si difficile que cela soit, notamment lorsque cela passe par des modifications constitutionnelles.

J'ai bien reçu le message qui était le coeur de vos divers témoignages : l'interdiction de l'emploi des LBD par les unités en charge du maintien de l'ordre et des Flash-Ball par les autres forces de police – mais nous savons que ces armes produisent les mêmes effets. Je nuancerai simplement le propos de M. Gatti qui a distingué l'emploi du Flash-Ball et du LBD de celui d'autres outils comme les gaz lacrymogènes. Le Docteur Lévêque a bien indiqué que tant les gaz lacrymogènes que les grenades assourdissantes blessaient. Ces équipements, dans leur ensemble, ne doivent être utilisés qu'en dernier recours, après sommation, dans des conditions strictement encadrées. C'est un élément sur lequel nous devrons réfléchir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce sont moins des questions que des réactions que suscitent chez moi vos propos.

Les témoignages tant du Docteur Lévêque que des représentants de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières sont accablants, il faut le dire. Je fais partie de ceux qui, après ce qui est arrivé à Joachim Gatti, ont demandé l'interdiction des Flash-Ball et des tasers. Je n'ai aucune raison, compte tenu du nombre de blessés par LBD et Flash-Ball, de renoncer à cette demande. Contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, les LBD sont encore plus dangereux que les Flash-Ball.

Je constate avec satisfaction que le ministre de l'intérieur, à la suite de la tragédie de Sivens, a interdit l'utilisation des grenades offensives, après l'avoir suspendue dans un premier temps. Les forces de l'ordre, bien formées comme le sont les gardes mobiles, n'ont pas à avoir recours à des armes à caractère létal, qui contiennent autant de TNT que celles utilisées pendant la guerre de 14.

Cette demande d'interdiction du Flash-Ball et du LBD n'est pas seulement motivée par les blessures et les traumatismes qu'ils peuvent entraîner. Elle se justifie aussi par un argument qu'a fort bien développé Joachim Gatti. Le recours à ces armes induit un renversement de la doctrine du maintien de l'ordre qui repose, en France, sur la mise à distance, l'intervention n'étant envisagée qu'en dernier recours. Il implique qu'il n'y ait plus de sommation, plus de possibilité pour les manifestants de sentir la force se manifester avant qu'elle ne s'exerce. L'argument selon lequel le recours aux armes intermédiaires éviterait d'utiliser des armes plus lourdes ne tient pas. Leur utilisation contrevient à la doctrine qui prévaut depuis plusieurs décennies dans le maintien de l'ordre. Mes collègues se sont rendus à Hambourg : les forces de l'ordre sont dotées de canons à eau mais n'utilisent pas d'armes intermédiaires comme en France.

En revanche, monsieur Gatti, je ne partage pas forcément votre conclusion selon laquelle les gouvernements seraient soumis aux lobbies économiques. Vous dites aussi que certaines catégories de la population sont obligées de recourir à de nouvelles formes de lutte, car elles ne peuvent plus exercer leur activité, citant parmi elles les agriculteurs. Je vous ferai remarquer que l'impunité, si elle bénéficie parfois aux policiers, concerne aussi certaines catégories sociales dans ce pays qui peuvent faire ce qu'elles veulent. Ainsi, les forces de l'ordre sont particulièrement clémentes avec des agriculteurs suréquipés, qui peuvent détruire la préfecture de Morlaix et provoquer de graves dégâts, sans être inquiétés. Il y a aussi cet aspect à prendre en compte.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame Levêque, je vous remercie de votre témoignage. J'aimerais être sûr de ne pas me tromper : le préfet de l'époque était-il bien Christian Galliard de Lavernée ?

Docteur Stéphanie Lévêque. Effectivement !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je n'aurai pas beaucoup de questions, l'audition ayant été particulièrement bien préparée.

Je partage la position du président. J'ai participé à la commission d'enquête sur l'affaire dite d'Outreau : sa publicité, son ouverture ont permis qu'elle évolue. Il en va de même pour cette commission d'enquête, nous n'avons rien à cacher. Si nous avons pu vous donner l'impression de trop écouter les forces de l'ordre, cela n'implique pas que nous acquiescions. Et même si nous avons posé des questions qui peuvent paraître complices, je peux affirmer qu'elles ne l'étaient nullement.

Dans un autre cadre, j'ai pu rencontrer des syndicats de policiers et des membres de la gendarmerie qui s'inquiètent de la radicalisation de certains fonctionnaires dans leurs rangs. Ce phénomène n'est pas aujourd'hui quelque chose qui nous échappe, c'est même une préoccupation pour nous.

Vous avez pu vous rendre compte que je ne prenais pas de note car cet exercice serait un reflet de ma subjectivité. J'aurai notamment pu être influencé par le fait qu'un ami, sapeur-pompier à Lille, a perdu sa main dans une manifestation.

Avant de porter une appréciation sur le fonctionnement de la commission, je suis obligé de vous demander d'attendre la publication du rapport final. C'est à partir de ce document objectif que la commission sera amenée à se prononcer auprès du rapporteur et du président. Vous aurez de la part des commissaires un véritable jugement, marqué par l'indépendance et la pluralité. Soyez-en assurés.

Permalien
Joachim Gatti, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Monsieur le rapporteur, il est un peu étrange de résumer nos propos en disant à peu près le contraire de ce que nous avons dit.

Le problème du Flash-Ball ne renvoie pas simplement aux circonstances ou au non-respect du règlement. Nous considérons que cette arme, du fait de son extrême dangerosité, est toujours susceptible de provoquer de graves blessures et des mutilations, y compris lorsque le cadre d'usage est respecté.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il me faut donc redire que, de mon point de vue, après avoir écouté vos témoignages, les blessures que vous avez décrites résultent d'un emploi des LBD, Flash-Ball, et autres équipements qui se situe en dehors du cadre réglementaire. J'ai aussi dit avoir bien compris que votre message était l'interdiction totale des LBD et Flash-Ball.

Permalien
Joachim Gatti, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Je vais vous donner un exemple pour que vous compreniez bien. Lors d'une manifestation à Grenoble, Quentin, un jeune pompier, a été mutilé au Flash-Ball. L'un de ses collègues avait dirigé le tuyau d'incendie vers les policiers, mais seulement en faisant un jet en cloche. En réaction, les policiers ont répliqué par un tir de Flash-Ball : le collègue a esquivé en se baissant et c'est Quentin qui a reçu le projectile en plein visage. Peut-on dire que, dans cette situation, le cadre d'usage n'a pas été respecté ?

Vous affirmez aussi, monsieur le rapporteur, que toutes les armes sont susceptibles de blesser. Certes, mais on ne peut pas les mettre sur le même plan car elles n'ont pas toutes les mêmes effets. La généralisation du Flash-Ball a entraîné une multiplication des mutilations. Penser que les conditions d'usage du Flash-Ball et d'une bombe lacrymogène sont les mêmes est faux. Cela dit, je suis d'accord avec vous pour dire que les bombes assourdissantes sont aussi dangereuses qu'un Flash-Ball.

S'agissant des agriculteurs, il y en a, je vous l'accorde, monsieur le président, de différents types : ceux de la FNSEA ne sont pas les mêmes que ceux qui sont venus protéger la ZAD à Notre-Dame-des-Landes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il n'y a pas qu'une agriculture en France, il y a des agricultures ; en conséquence, il y a plusieurs sortes d'agriculteurs.

Permalien
Joachim Gatti, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Bertrand Cavallier, ancien directeur du centre de Saint-Astier, a évoqué lors de son audition devant votre commission le tour de l'Europe qu'il avait fait, soulignant qu'en Espagne, lorsqu'il a participé à la formation des premiers gardes civils, il a insisté sur la nécessité de renoncer à utiliser les pistolets gomme-cogne. Or qu'est-ce qu'un Flash-Ball sinon un gomme-cogne ? C'est exactement la même arme ! Les plastic bullets utilisées en Irlande, qui étaient aussi un genre de gomme-cogne, ont été interdites par le Parlement européen en 1982. Le Flash-Ball n'est pas autre chose que la résurgence de ces armes interdites.

Il m'apparaît important de se poser la question des intérêts économiques qui se cachent derrière le maintien du LBD 40.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'aimerais réagir car c'est la première fois que je suis confronté à une telle transformation de mes propos. Je n'ai pas établi de hiérarchie, je me suis contenté de dire que l'interdiction des Flash-Ball et LBD que vous appelez de vos voeux n'implique pas que les autres armes utilisées lors des manifestations sont anodines. Je vous saurai gré de ne pas me faire dire ce que je n'ai pas dit.

Permalien
Pierre Douillard, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Pour compléter les propos de Joachim Gatti, j'ajouterai que la police catalane est désormais équipée de LBD de fabrication française après qu'une très forte mobilisation a abouti à l'interdiction des fusils tirant des balles en caoutchouc, qui ont entraîné des mutilations sur de très nombreux manifestants.

Par ailleurs, il faut rappeler que toutes les grenades explosives n'ont pas été interdites après la mort de Rémi Fraisse : les grenades lacrymogènes de type GLI F4 sont toujours en usage, alors même qu'elles contiennent du TNT et peuvent tuer. Des grenades d'autres types sont elles aussi dangereuses, comme l'a rappelé le Docteur Lévêque.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je ferai partie de ceux qui en demanderont l'interdiction. Le TNT n'a pas à être utilisé lors de manifestations.

Quant aux intérêts économiques, on peut sans doute cerner leur poids s'agissant des grenades offensives qui sont fabriquées par la même société depuis la guerre de 14.

Permalien
Christian Tidjani, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Monsieur Delcourt, lors d'une précédente audition, vous avez demandé de manière insistante si des dérapages incontrôlés de la BAC avaient fait dégénérer des manifestations. À cette question, vous n'avez pas obtenu de réponse.

D'autres questions demeurent sans réponse. Aucun des blessés que compte notre assemblée n'a été secouru par les forces de maintien de l'ordre alors qu'il me semble de leur devoir de le faire. Cela me paraît constituer une forme de non-assistance à personne en danger. Le cas de Quentin est flagrant puisqu'on a empêché les secours d'arriver. Quel est donc l'objectif du maintien de l'ordre aujourd'hui ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Bertrand Cavallier, ancien directeur du centre de formation de la gendarmerie, a indiqué de façon très claire lors de son audition qu'à son sens, il serait préférable, lors des manifestations, que les brigades départementales de gendarmerie restent en casernement et que l'on ne fasse appel qu'aux unités formées à Saint-Astier. Je lui ai demandé s'il estimait qu'il devait en être de même pour les effectifs de police. Certaines enquêtes intérieures – car il y en a – ont révélé que des gendarmes débordés, craignant sans doute pour eux-mêmes, ne s'étaient pas conduits de manière adéquate.

Pour les BAC, je suis soumis à l'obligation de réserve qu'impose le cadre de la commission d'enquête mais j'aurai la réponse à ma question. Je considère que les fonctionnaires de la BAC, à qui je rends un vibrant hommage pour l'exercice quotidien de leurs missions, ont reçu une formation qui ne peut s'adapter aux opérations de maintien de l'ordre lors de manifestations, qui supposent un commandement central. Dans la phase encadrée de la manifestation, ils n'ont pas à intervenir. Et c'est un point de vue que partagent nombre d'entre eux du reste.

À plusieurs reprises, nous avons demandé aux autorités militaires de la gendarmerie et aux officiers de police de nous préciser quelle était la nature de la coordination de l'autorité civile représentée par le préfet. Des dysfonctionnements ont été relevés et nous espérons faire avancer les choses. Pour l'heure, l'affaire n'est pas classée. Cela reste pour nous un sujet de préoccupation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est avec beaucoup d'attention, mesdames, messieurs, que nous avons écouté vos témoignages, qui sont réellement poignants. Nous pouvons en effet nous interroger sur le recours aux Flash-Ball, plus dangereux que ne le croit sans doute l'opinion publique.

Les représentants de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières nous ont remis des photos et je dois dire que la légende de l'une d'elles m'a choqué : « Maintien de l'ordre ou escadron de la mort ? ». Peut-on qualifier les policiers français, même en civil, d'escadron de la mort ? Je ne pense pas que ce type d'excès puisse servir votre cause.

Permalien
Christian Tidjani, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Cette photo représente des policiers de la BAC de Nantes en civil, avec des cagoules tête de mort.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

On ne peut pour autant les comparer avec les escadrons de la mort de la dictature argentine.

Permalien
Christian Tidjani, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Cette manière de cacher son visage nous donne l'impression d'un glissement vers quelque chose de mortifère. Je me demande ce que ces personnes-là, compte tenu de leur attitude, viennent faire dans une opération de maintien de l'ordre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette photo montre des policiers en uniforme à l'arrière-plan et, au premier plan, des policiers en civil munis du brassard « Police ». S'ils ont le visage masqué, c'est sans doute pour échapper aux gaz lacrymogènes ou, tout simplement, ne pas être reconnus. Il est bon aussi que des policiers soient présents à l'intérieur même des manifestations pour transmettre des informations aux autres forces de police et signaler des éléments qui nécessitent une surveillance renforcée. Qualifier ces policiers d'« escadron de la mort », donc de meurtriers, me paraît complètement surréaliste.

Permalien
Christian Tidjani, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Notez que nous avons utilisé ce qualificatif sous forme interrogative.

M. Delcourt a dit qu'il rendait un vibrant hommage aux policiers de la BAC dans l'exercice quotidien de leurs missions. En tant qu'habitant du 93, je peux vous dire qu'ils reproduisent dans les quartiers les provocations dont ils sont familiers dans les manifestations. Quand ils procèdent à un tir, ils ajustent leur procès-verbal sur ce tir au lieu de se conformer à la réalité des faits. C'est la raison pour laquelle il y a autant de non-lieux.

Voilà pourquoi nous accordons autant d'importance à la question du rôle que joue la BAC.

Permalien
Pierre Douillard, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

Monsieur Straumann, sur cette photo, les policiers en civil de la BAC revêtus d'une cagoule tête de mort ne sont pas simplement infiltrés dans la manifestation, ils chargent les manifestants, brandissant matraques et LBD. Ils ne cherchent pas à se camoufler en manifestants, ils veulent délibérément faire peur. Et cette photo a été prise lors d'une manifestation qui a eu lieu moins d'une semaine après la mort de Rémi Fraisse.

Permalien
Florent Castineira, représentant de l'Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières

J'aimerais préciser les conditions dans lesquelles j'ai été blessé. J'étais assis dans une buvette avant un match de foot pour boire un verre avec quelques amis. Une équipe de la BAC a chargé l'un des supporters car il portait un fumigène – ce qui n'était pas interdit car celui-ci était éteint et hors du stade. Certains ont voulu le défendre, d'autant qu'il était avec sa femme et sa fille, mais les policiers ont continué de taper, puis ont reculé et ont tiré au Flash-Ball.

Ils attaquent, ils provoquent la haine et, ensuite, ils plaident la légitime défense ! Le système judiciaire tolère de tels agissements : les policiers peuvent tirer sur les gens sans être inquiétés.

Le peuple exprime son mécontentement à l'égard de l'État en manifestant et la réponse de l'État, ce sont des tirs de Flash-Ball. Il exprime sa rage sans être armé et les policiers lui tirent dessus. La violence, c'est de leur côté qu'elle se trouve.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout l'objet de notre travail au sein de la commission d'enquête est d'essayer d'apporter des réponses pour que les blessures dont vous avez été victimes ne se reproduisent plus, quelles qu'en aient été les circonstances – je le rappelle, nous ne sommes pas juges. Soyez assurés que nous mettrons tout en oeuvre pour formuler des préconisations en ce sens, même si elles ne répondent pas toutes à vos propres préoccupations. Vos cas ne peuvent que heurter notre conscience de républicains.

Un long chemin nous attend. C'est à la fin du mois de mai que nous déciderons de la version finale du rapport. Il ne constituera certes pas le point final de la nécessaire réflexion sur ces questions mais nous espérons qu'il apportera une contribution utile. Vous y aurez participé, au même titre que les fonctionnaires de police et de gendarmerie, et je vous en remercie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, mesdames, messieurs, d'avoir répondu à cette invitation sollicitée. J'aimerais une dernière fois illustrer le caractère impartial de notre commission d'enquête : après l'audition du président de Droit au logement, Jean-Baptiste Eyraud, et des représentants de votre association, nous allons entendre Fabien Jobard, chercheur en sciences sociales, qui compte parmi les meilleurs spécialistes des questions du maintien de l'ordre. Dans Le Monde du 16 mars dernier, il disait à propos des émeutes de 2005 : « Cette tactique de maintien de l'ordre a servi lors des épisodes suivants, avec l'emploi répété du Flash-Ball et des équipes surarmées. Le politique affiche la reprise en main ostentatoire des quartiers ».

L'audition s'achève à onze heures cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Guy Delcourt, M. Noël Mamère, Mme Nathalie Nieson, M. Pascal Popelin, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Jean-Pierre Barbier, M. Pascal Demarthe, M. Hugues Fourage, M. Boinali Said