Intervention de Francis Duseux

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Francis Duseux, président de l'Union française des industries pétrolières :

Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président. La question de l'évolution du prix du pétrole est très importante pour l'industrie, non seulement en France, mais dans le monde.

Depuis le milieu de l'année 2014, le prix du baril de brent, pétrole brut de référence en Europe, est passé de 115 à 54 dollars – 56 ce matin –, soit une chute de 53 %. Ainsi que vous l'avez mentionné, monsieur le président, cette baisse a été atténuée en Europe par celle de l'euro, qui a perdu environ 15 % de sa valeur sur la même période. Le prix du baril de brent est ainsi passé de 84 à environ 48 euros, soit une diminution ramenée à 43 %.

En France, le coût des importations de pétrole brut et de produits pétroliers est passé de 50 à 43,3 milliards d'euros, soit une réduction de 6,7 milliards. Le prix du gaz naturel étant indexé à 40 % en moyenne sur celui du pétrole, le coût des importations de gaz a lui aussi diminué, de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros en année pleine.

Si nous retenons l'hypothèse d'un maintien du cours moyen du baril de brent à 55 dollars en 2015, quel serait l'impact sur la balance commerciale ? La facture pétrolière baisserait de 12 milliards d'euros supplémentaires, ce qui ferait, au total, une économie d'environ 19 milliards pour les années 2014 et 2015. Si nous y ajoutons la diminution de la facture gazière de 3 à 4 milliards, l'économie globale pour la France serait de 22 à 23 milliards, ce qui représente près de 1 % du produit intérieur brut (PIB).

Ces économies auront nécessairement un impact sur l'économie française, même si nous ne savons pas encore ce que les acteurs économiques en feront : les particuliers consommeront-ils ou épargneront-ils davantage ? Les entreprises investiront-elles ou bien verseront-elles des dividendes à leurs actionnaires ? Je laisse le soin à MM. Waechter et Criqui d'évoquer ces questions.

Quel est l'impact de cette baisse importante du prix du pétrole sur les entreprises, notamment sur l'industrie ? Bien évidemment, elle a un effet positif sur les coûts, qui est de nature à améliorer la compétitivité des entreprises, ce qui leur permettra de restaurer leurs marges ou de baisser leurs prix, voire de combiner ces deux leviers. À titre d'exemple, les achats de produits énergétiques représentent 65 % de la valeur ajoutée de l'industrie chimique et 23 % de celle du secteur des transports, contre seulement 1,4 % de celle des services marchands. La consommation d'énergie répond à trois besoins principaux des entreprises : le transport – gazole pour les camions, kérosène pour les avions –, le chauffage – gaz naturel et fioul domestique – et la transformation industrielle – gaz naturel, fioul lourd et fioul domestique. À ces trois postes s'ajoute l'alimentation des véhicules industriels et des véhicules agricoles, ce qu'on appelle le « gazole non routier ».

En 2014, les entreprises ont réalisé une économie de 2 milliards d'euros sur les achats de produits pétroliers, auxquels s'ajoutent 210 millions sur les achats de gaz naturel. En 2015, si nous retenons à nouveau l'hypothèse d'un maintien du prix du baril de brent à 55 dollars, l'économie devrait être de 10 milliards au total, ce qui est considérable. Compte tenu de l'augmentation de la taxe sur les carburants, qui se traduira par un prélèvement supplémentaire de 1,4 milliard d'euros, l'effet net devrait être d'environ 8,5 milliards. Notons que 60 % de ces économies seront faites sur les dépenses en « gazole routier ».

L'agriculture va, elle aussi, bénéficier de la baisse du prix du pétrole. La consommation énergétique du secteur agricole s'élève à près de 10 millions de tonnes équivalent pétrole, dont 3,5 millions en consommation directe et 5,7 millions en consommation indirecte – pour les engrais, les matériels, les bâtiments et les aliments destinés au bétail. La facture énergétique s'établit à environ 2 milliards d'euros par an pour l'agriculture, ce montant ayant tendance à augmenter.

Au total, nous vivons une révolution : en année pleine, la baisse du prix du pétrole se traduit par un transfert d'environ 2 milliards de dollars des pays producteurs de pétrole vers les pays consommateurs. Les pays producteurs vont donc être confrontés à une baisse de leurs revenus, parfois très sérieuse. Ils vont donc réduire leurs achats, notamment aux entreprises françaises. Il convient d'évaluer cet effet.

Quel est l'impact de la baisse du prix du pétrole pour les ménages ? Elle induit une diminution du coût des carburants, d'une part, et du fioul domestique, d'autre part. S'agissant des carburants, entre le début de l'année 2014 et le début de l'année 2015, le prix du litre de gazole a été réduit d'environ 20 centimes et celui du litre d'essence de 16 centimes, soit une baisse de l'ordre de 13 % dans l'ensemble. Les ménages français ont ainsi économisé près de 1 milliard d'euros sur leur consommation de carburants en 2014, dont 520 millions sur le gazole et 470 millions sur l'essence. Si les cours du pétrole restent au niveau actuel, ils pourraient économiser près de 4 milliards en année pleine hors effet taxe, ce montant étant réduit de 700 millions par la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

De manière plus détaillée, le prix du litre de gazole s'élevait à 1,32 euro au 31 janvier 2014, dont 66 centimes de prix hors taxes (HT) et 66 centimes de taxes. Celles-ci représentaient donc 100 % du prix HT ou 50 % du prix toutes taxes comprises (TTC).

Au 31 janvier 2015, le prix du litre de gazole était de 1,12 euro, dont 45 centimes de prix HT – lequel a donc connu une baisse considérable, en proportion de celle du prix du pétrole – et 67 centimes de taxes – qui sont donc restées au même niveau. Les taxes représentaient 150 % du prix HT ou 60 % du prix TTC.

À la même date, le prix du litre d'essence était de 1,28 euro, dont 43 centimes de prix HT et 85 centimes de taxes. Celles-ci représentaient 200 % du prix HT ou 66 % du prix TTC.

Quant à l'effet sur les recettes fiscales de l'État, il est presque nul, la très légère baisse du produit de la TVA étant compensée par l'augmentation de la TICPE au 1er janvier 2015.

Pour ce qui est du fioul domestique, la baisse du prix du pétrole a permis aux ménages français d'économiser près de 300 millions d'euros en 2014. Certes, le fioul domestique n'est pas un produit d'avenir. Néanmoins, 4 millions de ménages, soit 10 millions de Français, n'ont pas accès au gaz : ils se chauffent donc soit au fioul domestique, soit à l'électricité, laquelle est encore bien plus chère. De plus, 1,5 million de ces ménages, soit environ le tiers, sont en situation de précarité énergétique. Ce sont donc, en quelque sorte, des clients captifs.

Que pèse l'industrie pétrolière en France ? Nous disposons de 8 raffineries, de 200 dépôts de pétrole et de 11 000 stations-service sur le territoire national. Nous représentons 200 000 emplois, dont 30 000 dans le raffinage. À cet égard, n'oublions pas que le développement des énergies renouvelables créera des emplois dans ces secteurs, mais en détruira au moins autant dans l'industrie pétrolière.

Les effets de la baisse du prix du pétrole sur le secteur pétrolier sont divers, mais, d'une manière générale, l'évolution est très violente pour notre industrie. À l'échelle internationale, les activités amont du secteur sont particulièrement exposées à un retournement du prix du baril. Ainsi, les grandes compagnies pétrolières ont évoqué une réduction de leurs investissements d'exploration de 10 à 20 %, ce qui n'est pas majeur à ce stade. Cependant, si la situation persistait, le nombre de découvertes de gisements baisserait, alors que la demande mondiale de pétrole continuera à augmenter dans les décennies à venir, essentiellement en dehors des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les grandes entreprises françaises du secteur parapétrolier – Technip, Vallourec et CGG, entre autres – subissent de plein fouet cette baisse des investissements. La plupart des grandes compagnies ont demandé aux sociétés de services pétroliers de diminuer leurs coûts de 30 %.

En France, nous produisons encore 760 000 tonnes de pétrole par an, qui couvrent environ 1 % de notre consommation. La baisse du prix du pétrole induit, là aussi, une réduction des investissements des compagnies qui sont prêtes à explorer et à produire en France. À cela s'ajoute un problème de blocage des permis, qui devient préoccupant.

L'ensemble des compagnies pétrolières prévoient donc des ajustements à la baisse : Total a annoncé que ses investissements organiques passeraient de 26 à 23 milliards de dollars, soit un recul de 10 %. Ce n'est pas fondamental, mais l'impact sur les petites compagnies risque d'être plus important.

Le contre-choc pétrolier auquel nous assistons est dû à une augmentation fantastique de la production de pétrole de schiste aux États-Unis. Vers le milieu de l'année 2014, le surplus de la production mondiale de pétrole par rapport à la demande a atteint environ 2 millions de barils par jour, ce qui est considérable. Or la réaction de l'Arabie Saoudite, désormais deuxième producteur mondial derrière les États-Unis, a été très différente de ce qu'elle avait été au cours des dernières années : elle a annoncé qu'elle ne couperait pas le robinet, c'est-à-dire qu'elle ne jouerait pas le rôle de producteur d'ajustement – swing producer. En effet, si elle le faisait, elle risquerait de faire la part trop belle au pétrole de schiste et aux producteurs non-membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Or sa logique actuelle est de conserver sa part de marché. Dès lors, l'offre mondiale de pétrole est très excédentaire. Aux États-Unis, les stocks de brut atteignent même un niveau inégalé depuis quatre-vingt-trois ans, ce qui va d'ailleurs poser un problème.

Lorsque le prix du pétrole brut baisse de manière aussi marquée, les marges de l'industrie du raffinage augmentent mathématiquement, le temps qu'un certain rééquilibrage intervienne. Toutefois, la problématique du raffinage demeure inchangée en France et en Europe : la demande de produits pétroliers baisse progressivement, ce qui implique d'ajuster notre capacité de raffinage. Nous avons déjà procédé à un certain nombre de réorganisations en France, en fermant quatre raffineries au cours des dernières années : celles de Dunkerque, de Reichstett, de Petit-Couronne et de Berre, LyondellBasell ventant de confirmer l'arrêt de cette dernière après l'avoir mise sous cocon pendant deux ans. Le groupe Total va annoncer la restructuration complète de sa raffinerie de Provence, qui enregistre des pertes de 150 millions d'euros par an. Il va engager une consultation sur ce dossier avec les organisations syndicales.

Au cours des six dernières années, l'industrie du raffinage a beaucoup souffert en Europe, en raison d'un surplus de production, et a enregistré des pertes importantes, de l'ordre de 3,5 milliards d'euros. En conséquence, les grandes compagnies revoient leurs programmes et rationalisent leur outil de raffinage.

Indéniablement, la baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle pour la compétitivité des entreprises françaises et pour le pouvoir d'achat des ménages. Cela étant, nous devons être très prudents pour l'avenir, car le secteur pétrolier est caractérisé par une grande volatilité des prix, et un retournement brutal de la situation actuelle est tout à fait plausible. La situation géopolitique a rarement été aussi tendue : l'éclatement d'un conflit ou une réaction brutale de M. Poutine pourrait faire repartir immédiatement les prix à la hausse.

D'autre part, si l'Arabie Saoudite, dont les réserves de change s'élèvent à 650 milliards de dollars, peut vivre cinq à six ans avec un budget lourdement déficitaire – celui-ci est équilibré à partir d'un baril de pétrole à 100 dollars –, la plupart des autres pays de l'OPEP ne peuvent pas supporter la situation actuelle. Si elle devait durer, les implications politiques et sociales pourraient être dramatiques dans plusieurs d'entre eux. Ainsi, le Venezuela traverse actuellement une crise très grave. Il n'est donc pas exclu que les pays de l'OPEP et les producteurs non-membres de l'OPEP s'entendent sur une réduction coordonnée de la production pour rééquilibrer l'offre. Un tel accord satisferait l'Arabie Saoudite, qui ne veut pas être la seule à consentir des efforts. Rien n'est encore décidé, mais cette option est évoquée par la presse dans la perspective de la prochaine réunion de l'OPEP au mois de juin.

Enfin, une reprise de l'économie mondiale se dessine, tirée notamment par la croissance américaine, qui pourrait atteindre 5 %. Dans ce contexte, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a revu à la hausse sa prévision de la demande mondiale de pétrole : celle-ci augmenterait d'environ 1,2 million de barils par jour en 2015. Le surplus de production étant actuellement de 2 millions de barils par jours, si les pays de l'OPEP et les producteurs non-membres de l'OPEP s'entendent pour diminuer leur production, nous pourrions revenir assez rapidement à un équilibre.

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