– Table ronde sur l'évolution du prix du pétrole et ses conséquences économiques, avec la participation de :
– M. Patrick Criqui, directeur de recherche au Centre national de la (CNRS),
– M. Francis Duseux, président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP),
– M. Philippe Waechter, directeur de recherche économique à Natixis Asset Management 2
– Informations relatives à la commission
La commission a organisé une table ronde sur l'évolution du prix du pétrole et ses conséquences économiques, avec la participation de : M. Patrick Criqui, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), M. Francis Duseux, président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP), et M. Philippe Waechter, directeur de recherche économique à Natixis Asset Management.
Nous traitons ce matin de l'impact de la baisse du prix du pétrole sur l'économie française. Même si ses effets sont atténués par une autre baisse, celle de l'euro, le prix des carburants à la pompe s'est tassé depuis un ou deux ans. De nombreuses questions se posent : quelles sont les raisons de cette diminution du prix du pétrole ? Revêt-elle un caractère durable ou simplement conjoncturel ? Quelles conséquences peut-on en attendre ?
Notre commission a le plaisir d'accueillir pour la première fois M. Francis Duseux, qui vient de prendre ses fonctions à la présidence de l'Union française des industries pétrolières (UFIP), laquelle regroupe l'ensemble des entreprises du secteur pétrolier exerçant leur activité en France. Il faudra notamment que nous évoquions, monsieur le président, la situation des raffineries, qui connaissent des difficultés du fait de la réduction des ventes de produits pétroliers.
Je souhaite également la bienvenue à M. Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis, société bien connue notamment pour son activité d'observateur financier.
Enfin, je suis heureux de retrouver M. Patrick Criqui, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste des questions climatiques, que j'ai eu l'occasion de rencontrer en Isère. Dans la perspective de la vingt et unième conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), rendez-vous très important qui se tiendra à Paris en décembre, doit-on considérer la baisse du prix du pétrole comme un signe favorable ou non ? La consommation de pétrole ne va-t-elle pas augmenter de ce fait ? Dans ce cas, cette baisse, qui constitue une bonne nouvelle pour les industriels, ne le serait pas nécessairement pour la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président. La question de l'évolution du prix du pétrole est très importante pour l'industrie, non seulement en France, mais dans le monde.
Depuis le milieu de l'année 2014, le prix du baril de brent, pétrole brut de référence en Europe, est passé de 115 à 54 dollars – 56 ce matin –, soit une chute de 53 %. Ainsi que vous l'avez mentionné, monsieur le président, cette baisse a été atténuée en Europe par celle de l'euro, qui a perdu environ 15 % de sa valeur sur la même période. Le prix du baril de brent est ainsi passé de 84 à environ 48 euros, soit une diminution ramenée à 43 %.
En France, le coût des importations de pétrole brut et de produits pétroliers est passé de 50 à 43,3 milliards d'euros, soit une réduction de 6,7 milliards. Le prix du gaz naturel étant indexé à 40 % en moyenne sur celui du pétrole, le coût des importations de gaz a lui aussi diminué, de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros en année pleine.
Si nous retenons l'hypothèse d'un maintien du cours moyen du baril de brent à 55 dollars en 2015, quel serait l'impact sur la balance commerciale ? La facture pétrolière baisserait de 12 milliards d'euros supplémentaires, ce qui ferait, au total, une économie d'environ 19 milliards pour les années 2014 et 2015. Si nous y ajoutons la diminution de la facture gazière de 3 à 4 milliards, l'économie globale pour la France serait de 22 à 23 milliards, ce qui représente près de 1 % du produit intérieur brut (PIB).
Ces économies auront nécessairement un impact sur l'économie française, même si nous ne savons pas encore ce que les acteurs économiques en feront : les particuliers consommeront-ils ou épargneront-ils davantage ? Les entreprises investiront-elles ou bien verseront-elles des dividendes à leurs actionnaires ? Je laisse le soin à MM. Waechter et Criqui d'évoquer ces questions.
Quel est l'impact de cette baisse importante du prix du pétrole sur les entreprises, notamment sur l'industrie ? Bien évidemment, elle a un effet positif sur les coûts, qui est de nature à améliorer la compétitivité des entreprises, ce qui leur permettra de restaurer leurs marges ou de baisser leurs prix, voire de combiner ces deux leviers. À titre d'exemple, les achats de produits énergétiques représentent 65 % de la valeur ajoutée de l'industrie chimique et 23 % de celle du secteur des transports, contre seulement 1,4 % de celle des services marchands. La consommation d'énergie répond à trois besoins principaux des entreprises : le transport – gazole pour les camions, kérosène pour les avions –, le chauffage – gaz naturel et fioul domestique – et la transformation industrielle – gaz naturel, fioul lourd et fioul domestique. À ces trois postes s'ajoute l'alimentation des véhicules industriels et des véhicules agricoles, ce qu'on appelle le « gazole non routier ».
En 2014, les entreprises ont réalisé une économie de 2 milliards d'euros sur les achats de produits pétroliers, auxquels s'ajoutent 210 millions sur les achats de gaz naturel. En 2015, si nous retenons à nouveau l'hypothèse d'un maintien du prix du baril de brent à 55 dollars, l'économie devrait être de 10 milliards au total, ce qui est considérable. Compte tenu de l'augmentation de la taxe sur les carburants, qui se traduira par un prélèvement supplémentaire de 1,4 milliard d'euros, l'effet net devrait être d'environ 8,5 milliards. Notons que 60 % de ces économies seront faites sur les dépenses en « gazole routier ».
L'agriculture va, elle aussi, bénéficier de la baisse du prix du pétrole. La consommation énergétique du secteur agricole s'élève à près de 10 millions de tonnes équivalent pétrole, dont 3,5 millions en consommation directe et 5,7 millions en consommation indirecte – pour les engrais, les matériels, les bâtiments et les aliments destinés au bétail. La facture énergétique s'établit à environ 2 milliards d'euros par an pour l'agriculture, ce montant ayant tendance à augmenter.
Au total, nous vivons une révolution : en année pleine, la baisse du prix du pétrole se traduit par un transfert d'environ 2 milliards de dollars des pays producteurs de pétrole vers les pays consommateurs. Les pays producteurs vont donc être confrontés à une baisse de leurs revenus, parfois très sérieuse. Ils vont donc réduire leurs achats, notamment aux entreprises françaises. Il convient d'évaluer cet effet.
Quel est l'impact de la baisse du prix du pétrole pour les ménages ? Elle induit une diminution du coût des carburants, d'une part, et du fioul domestique, d'autre part. S'agissant des carburants, entre le début de l'année 2014 et le début de l'année 2015, le prix du litre de gazole a été réduit d'environ 20 centimes et celui du litre d'essence de 16 centimes, soit une baisse de l'ordre de 13 % dans l'ensemble. Les ménages français ont ainsi économisé près de 1 milliard d'euros sur leur consommation de carburants en 2014, dont 520 millions sur le gazole et 470 millions sur l'essence. Si les cours du pétrole restent au niveau actuel, ils pourraient économiser près de 4 milliards en année pleine hors effet taxe, ce montant étant réduit de 700 millions par la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
De manière plus détaillée, le prix du litre de gazole s'élevait à 1,32 euro au 31 janvier 2014, dont 66 centimes de prix hors taxes (HT) et 66 centimes de taxes. Celles-ci représentaient donc 100 % du prix HT ou 50 % du prix toutes taxes comprises (TTC).
Au 31 janvier 2015, le prix du litre de gazole était de 1,12 euro, dont 45 centimes de prix HT – lequel a donc connu une baisse considérable, en proportion de celle du prix du pétrole – et 67 centimes de taxes – qui sont donc restées au même niveau. Les taxes représentaient 150 % du prix HT ou 60 % du prix TTC.
À la même date, le prix du litre d'essence était de 1,28 euro, dont 43 centimes de prix HT et 85 centimes de taxes. Celles-ci représentaient 200 % du prix HT ou 66 % du prix TTC.
Quant à l'effet sur les recettes fiscales de l'État, il est presque nul, la très légère baisse du produit de la TVA étant compensée par l'augmentation de la TICPE au 1er janvier 2015.
Pour ce qui est du fioul domestique, la baisse du prix du pétrole a permis aux ménages français d'économiser près de 300 millions d'euros en 2014. Certes, le fioul domestique n'est pas un produit d'avenir. Néanmoins, 4 millions de ménages, soit 10 millions de Français, n'ont pas accès au gaz : ils se chauffent donc soit au fioul domestique, soit à l'électricité, laquelle est encore bien plus chère. De plus, 1,5 million de ces ménages, soit environ le tiers, sont en situation de précarité énergétique. Ce sont donc, en quelque sorte, des clients captifs.
Que pèse l'industrie pétrolière en France ? Nous disposons de 8 raffineries, de 200 dépôts de pétrole et de 11 000 stations-service sur le territoire national. Nous représentons 200 000 emplois, dont 30 000 dans le raffinage. À cet égard, n'oublions pas que le développement des énergies renouvelables créera des emplois dans ces secteurs, mais en détruira au moins autant dans l'industrie pétrolière.
Les effets de la baisse du prix du pétrole sur le secteur pétrolier sont divers, mais, d'une manière générale, l'évolution est très violente pour notre industrie. À l'échelle internationale, les activités amont du secteur sont particulièrement exposées à un retournement du prix du baril. Ainsi, les grandes compagnies pétrolières ont évoqué une réduction de leurs investissements d'exploration de 10 à 20 %, ce qui n'est pas majeur à ce stade. Cependant, si la situation persistait, le nombre de découvertes de gisements baisserait, alors que la demande mondiale de pétrole continuera à augmenter dans les décennies à venir, essentiellement en dehors des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les grandes entreprises françaises du secteur parapétrolier – Technip, Vallourec et CGG, entre autres – subissent de plein fouet cette baisse des investissements. La plupart des grandes compagnies ont demandé aux sociétés de services pétroliers de diminuer leurs coûts de 30 %.
En France, nous produisons encore 760 000 tonnes de pétrole par an, qui couvrent environ 1 % de notre consommation. La baisse du prix du pétrole induit, là aussi, une réduction des investissements des compagnies qui sont prêtes à explorer et à produire en France. À cela s'ajoute un problème de blocage des permis, qui devient préoccupant.
L'ensemble des compagnies pétrolières prévoient donc des ajustements à la baisse : Total a annoncé que ses investissements organiques passeraient de 26 à 23 milliards de dollars, soit un recul de 10 %. Ce n'est pas fondamental, mais l'impact sur les petites compagnies risque d'être plus important.
Le contre-choc pétrolier auquel nous assistons est dû à une augmentation fantastique de la production de pétrole de schiste aux États-Unis. Vers le milieu de l'année 2014, le surplus de la production mondiale de pétrole par rapport à la demande a atteint environ 2 millions de barils par jour, ce qui est considérable. Or la réaction de l'Arabie Saoudite, désormais deuxième producteur mondial derrière les États-Unis, a été très différente de ce qu'elle avait été au cours des dernières années : elle a annoncé qu'elle ne couperait pas le robinet, c'est-à-dire qu'elle ne jouerait pas le rôle de producteur d'ajustement – swing producer. En effet, si elle le faisait, elle risquerait de faire la part trop belle au pétrole de schiste et aux producteurs non-membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Or sa logique actuelle est de conserver sa part de marché. Dès lors, l'offre mondiale de pétrole est très excédentaire. Aux États-Unis, les stocks de brut atteignent même un niveau inégalé depuis quatre-vingt-trois ans, ce qui va d'ailleurs poser un problème.
Lorsque le prix du pétrole brut baisse de manière aussi marquée, les marges de l'industrie du raffinage augmentent mathématiquement, le temps qu'un certain rééquilibrage intervienne. Toutefois, la problématique du raffinage demeure inchangée en France et en Europe : la demande de produits pétroliers baisse progressivement, ce qui implique d'ajuster notre capacité de raffinage. Nous avons déjà procédé à un certain nombre de réorganisations en France, en fermant quatre raffineries au cours des dernières années : celles de Dunkerque, de Reichstett, de Petit-Couronne et de Berre, LyondellBasell ventant de confirmer l'arrêt de cette dernière après l'avoir mise sous cocon pendant deux ans. Le groupe Total va annoncer la restructuration complète de sa raffinerie de Provence, qui enregistre des pertes de 150 millions d'euros par an. Il va engager une consultation sur ce dossier avec les organisations syndicales.
Au cours des six dernières années, l'industrie du raffinage a beaucoup souffert en Europe, en raison d'un surplus de production, et a enregistré des pertes importantes, de l'ordre de 3,5 milliards d'euros. En conséquence, les grandes compagnies revoient leurs programmes et rationalisent leur outil de raffinage.
Indéniablement, la baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle pour la compétitivité des entreprises françaises et pour le pouvoir d'achat des ménages. Cela étant, nous devons être très prudents pour l'avenir, car le secteur pétrolier est caractérisé par une grande volatilité des prix, et un retournement brutal de la situation actuelle est tout à fait plausible. La situation géopolitique a rarement été aussi tendue : l'éclatement d'un conflit ou une réaction brutale de M. Poutine pourrait faire repartir immédiatement les prix à la hausse.
D'autre part, si l'Arabie Saoudite, dont les réserves de change s'élèvent à 650 milliards de dollars, peut vivre cinq à six ans avec un budget lourdement déficitaire – celui-ci est équilibré à partir d'un baril de pétrole à 100 dollars –, la plupart des autres pays de l'OPEP ne peuvent pas supporter la situation actuelle. Si elle devait durer, les implications politiques et sociales pourraient être dramatiques dans plusieurs d'entre eux. Ainsi, le Venezuela traverse actuellement une crise très grave. Il n'est donc pas exclu que les pays de l'OPEP et les producteurs non-membres de l'OPEP s'entendent sur une réduction coordonnée de la production pour rééquilibrer l'offre. Un tel accord satisferait l'Arabie Saoudite, qui ne veut pas être la seule à consentir des efforts. Rien n'est encore décidé, mais cette option est évoquée par la presse dans la perspective de la prochaine réunion de l'OPEP au mois de juin.
Enfin, une reprise de l'économie mondiale se dessine, tirée notamment par la croissance américaine, qui pourrait atteindre 5 %. Dans ce contexte, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a revu à la hausse sa prévision de la demande mondiale de pétrole : celle-ci augmenterait d'environ 1,2 million de barils par jour en 2015. Le surplus de production étant actuellement de 2 millions de barils par jours, si les pays de l'OPEP et les producteurs non-membres de l'OPEP s'entendent pour diminuer leur production, nous pourrions revenir assez rapidement à un équilibre.
En quelques mots, comment vous inscrivez-vous dans le débat entre partisans de l'essence et partisans du gazole ?
Nous constatons tous que les vieux moteurs diesel polluent, en particulier ceux qui ont entre dix et quatorze ans, ce dernier chiffre correspondant à la durée de vie d'un parc automobile. En revanche, le problème des émissions de particules a été résolu sur les nouveaux véhicules diesel, qui respectent les normes européennes, très strictes en la matière. Les normes Euro 6 sont entrées en vigueur récemment. Les patrons de PSA et de Renault l'ont dit très clairement : actuellement, les moteurs diesel ne sont pas plus nocifs que les moteurs à essence, ce que confirme la Commission européenne sur la base de plusieurs études.
Néanmoins, les filtres à particules pour véhicules diesel coûtent entre 3 000 et 4 000 euros, prix que peut accepter de mettre l'acheteur d'une grosse Mercedes, mais guère celui d'une Clio. Dans ce contexte, nous assistons, depuis le début de l'année, à une inversion de tendance, selon nous durable : les Français achètent de plus en plus de petits modèles équipés d'un moteur à essence. Nous nous dirigeons d'ailleurs vers des moteurs à essence qui consomment de moins en moins : 4 litres aux 100 kilomètres aujourd'hui, peut-être 3 litres demain, l'objectif étant de parvenir à terme à 2 litres, ce qui soulève toutefois le problème du poids du véhicule, difficile à résoudre sur le plan technologique.
Parallèlement, les véhicules électriques se développent pour le trafic intra-urbain. Cependant, à ce stade, le moteur thermique reste indispensable pour parcourir de grandes distances, par exemple entre Paris et le sud de la France, car l'autonomie des voitures électriques reste limitée : 150 kilomètres aujourd'hui, peut-être 300 demains. En outre, il faudra sans doute beaucoup de temps pour installer les bornes de rechargement sur l'ensemble du territoire. En réalité, l'avenir est au véhicule hybride rechargeable, qui combine les avantages du moteur électrique pour le trafic intra-urbain et ceux du moteur thermique pour les distances plus importantes. Selon nos estimations, seuls 5 % des véhicules circulant en Europe seront électriques à l'horizon 2030, mais 50 % seront hybrides. Certes, les voitures hybrides demeurent relativement chères – 4 000 à 5 000 euros de plus que leurs concurrents –, mais faisons confiance aux ingénieurs : grâce aux évolutions technologiques, les coûts vont baisser.
En revanche, compte tenu de l'état actuel de la technologie, le transport routier devrait continuer à être assuré par des camions diesel au moins dans les vingt prochaines années. Or la croissance économique induit généralement une hausse de la demande de transport par camion. Compte tenu de la reprise de l'économie mondiale, la consommation de gazole va donc augmenter. Et, selon les hypothèses actuelles, le transport par poids lourds restera un fait majeur en France et en Europe.
De votre point de vue, monsieur Waechter, la conjoncture est-elle plutôt favorable ? La croissance va-t-elle induire une consommation supplémentaire de pétrole ?
Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président. Le repli du cours du pétrole auquel nous assistons actuellement est-il durable ou non ? Les comportements que nous observons sur le marché du pétrole aujourd'hui sont similaires à ceux que nous avons connus au moment du contre-choc pétrolier du milieu des années 1980 : dans les deux cas, la baisse a été très profonde et l'Arabie Saoudite n'a pas souhaité jouer son rôle de régulateur du marché, ainsi que l'a relevé M. Duseux.
D'autre part, la Chine et les pays émergents ont joué un rôle majeur dans l'augmentation de la demande mondiale de pétrole ces dernières années. Le marché du pétrole avait ainsi changé de nature en 2003 avec l'insertion de la Chine dans l'économie mondiale. Cependant, cette dynamique s'infléchit actuellement de manière assez marquée, l'économie chinoise convergeant vers une croissance beaucoup plus modérée et un certain nombre de pays émergents ayant réduit leurs subventions à l'essence.
Selon les dernières prévisions de l'AIE, la demande mondiale de pétrole connaîtrait une accélération au second semestre 2015, retrouvant ainsi une situation plus normale. Cependant, quels sont les éléments qui pourraient entraîner un tel redémarrage ? Assisterons-nous à une reprise de l'économie chinoise ? Les pays émergents vont-ils retrouver une trajectoire de croissance forte ? L'économie américaine et l'économie européenne seront-elles suffisamment robustes pour tirer la demande ? Pour ma part, je n'en suis pas persuadé.
En revanche, nous observons que tout le monde produit. En particulier, la production de pétrole continue à progresser de manière spectaculaire aux États-Unis : selon les chiffres hebdomadaires publiés le 13 mars, elle a encore augmenté de 0,5 % en une semaine ! Certes, conformément aux prévisions de tous les économistes, la baisse du prix du pétrole s'est traduite par une réduction du nombre de puits exploités aux États-Unis, mais cela n'a pas eu d'impact sur la production à ce stade. Quant aux stocks de brut évoqués par M. Duseux, ils sont au plus haut depuis 1985 en nombre de jours de consommation. Les Américains en sont à se demander où ils vont entreposer ce pétrole qu'ils produisent à ne plus savoir qu'en faire !
Tous ces éléments suggèrent que nous avons actuellement un déséquilibre majeur sur le marché du pétrole. Dès lors, la question est celle qui se posait au moment du contre-choc pétrolier dans les années 1980 : quel pays va réduire sa production le premier ? L'Arabie saoudite n'a pas envie de le faire, pas plus que les États-Unis. La Russie ne peut pas se le permettre, sinon elle entrera dans une récession encore plus profonde que celle qu'elle connaît actuellement. Tous les gros producteurs vont donc rester sur une dynamique de production assez forte. On peut aussi l'expliquer par des joutes géopolitiques. Ainsi, l'Arabie Saoudite est en train d'être quelque peu marginalisée par les États-Unis au Moyen Orient.
Quant aux pays dont la production est plus limitée, ils n'ont, eux non plus, aucun intérêt à réduire leur production. S'ils le font alors que le prix du pétrole reste très bas, ils subiront une baisse de leurs revenus. Or chacun préfère voir ses revenus diminuer de la même manière que ceux des autres plutôt que d'être seul dans ce cas. Le problème de l'équilibre sur le marché du pétrole est donc posé. Pour l'instant, tout le monde espère que la situation va tenir.
Plusieurs questions se posent. Un baril entre 40 et 60 dollars représente une contrainte très forte pour les pays producteurs, qui ont construit leurs budgets en retenant l'hypothèse de prix d'équilibre beaucoup plus élevés : 90, 110 ou 130 dollars. Était-ce d'ailleurs raisonnable ? En tout cas, cela peut être une source d'instabilité importante.
D'autre part, si le prix du pétrole reste bas, il y aura en effet un transfert des pays producteurs vers les pays consommateurs. Selon un chiffre publié par Martin Wolf dans le Financial Times, celui-ci pourrait s'élever à environ 2 % du PIB mondial, ce qui est tout à fait considérable. Nous avions déjà observé un phénomène de cette ampleur au moment du contre-choc pétrolier dans les années 1980.
Certes, nous allons exporter un peu moins vers les pays producteurs, mais les entreprises et les consommateurs européens vont bénéficier très largement de la situation. Cela permettra probablement à l'économie européenne de retrouver un chemin de croissance plus robuste. Rappelons que celle-ci est étale depuis quatre ans : le niveau de PIB de la zone euro au quatrième trimestre de 2014 est identique à celui du premier trimestre de 2011. Sur la même période, la croissance française n'a été que de 0,4 % en taux annualisé. Il faut trouver les moyens d'infléchir cette tendance, qui n'est pas tenable.
La baisse du prix du pétrole va susciter une dynamique d'activité, de revenu et d'emploi plus robuste en Europe et en France. Certains signes suggèrent déjà que la situation est en train de changer : les indicateurs mensuels de la consommation et de la confiance des ménages publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) sont nettement plus encourageants qu'ils ne l'étaient il y a quelques mois ; les ventes au détail augmentent dans la zone euro. Ainsi, les consommateurs commencent à prendre en compte la baisse des prix de l'énergie, facteur qui va jouer favorablement tout au long de l'année 2015 au moins.
Les pays producteurs accumulent beaucoup de capitaux et ne consomment pas tant que cela. De manière humoristique, on pourrait dire que l'arbitrage est le suivant : souhaitons-nous que la baisse du prix du pétrole se traduise par des créations d'emplois supplémentaires en Europe et en France ou bien qu'un pays producteur achète d'autres joueurs de football dans les clubs européens ? La première option est bien évidemment préférable.
Quel peut être l'impact de la baisse du prix du pétrole sur l'économie française ? En se basant sur des hypothèses prudentes, l'INSEE avait estimé que la baisse des prix de l'énergie et celle de l'euro au premier semestre auraient un impact d'environ 0,4 point de PIB sur l'année 2015. Au regard des inflexions que nous avons observées depuis lors, l'impact sera probablement de 0,6 à 0,9 point en année pleine. Il s'agit d'un changement de dynamique très significatif, qui va bénéficier aux consommateurs et aux entreprises. Celles-ci vont pouvoir restaurer leurs marges, ainsi que l'a évoqué M. Duseux. Cette rupture, associée à la politique très volontariste menée par la Banque centrale européenne (BCE), crée des conditions nouvelles dans la zone euro et en France.
Les conditions financières sont très favorables aujourd'hui en Europe : les taux d'intérêt sont très bas. Cependant, en 2014, cela n'avait pas suffi pour que les entreprises se remettent à investir, car elles n'avaient pas d'horizon : les commandes stagnaient faute de débouchés. Or, actuellement, la dynamique des commandes commence à s'améliorer, l'Europe étant passée d'un seul coup, au printemps 2014, à un mode plus favorable à la demande. Cette augmentation de la demande devrait entraîner une nette reprise de l'investissement des entreprises, qui permettra progressivement à l'économie européenne et à l'économie française de se caler sur un cycle économique plus favorable que celui des cinq dernières années. C'est là le plus important.
Selon l'analyse qu'avait faite le président de la BCE, Mario Draghi, au printemps 2014, l'économie européenne et l'économie française n'étaient pas en mesure de rebondir d'elles-mêmes et de retrouver un chemin de croissance plus robuste, contrairement à ce qu'on avait observé dans le passé : après le premier choc pétrolier et après la crise du système monétaire européen en 1992, l'activité était repartie, et la croissance du PIB par tête s'était très vite rétablie à 2 %. Actuellement, le PIB par tête en France est identique à celui de 2011 et reste inférieur à celui de 2007. Selon M. Draghi, il fallait donc trouver le moyen de créer des ruptures pour stimuler l'activité. Or la baisse du prix du pétrole et celle de l'euro vont jouer favorablement dans ce sens.
Compte tenu de la quantité de réserves de pétrole existantes, on peut se demander si l'hypothèse du « pic pétrolier » est fondée. Selon vous, monsieur Criqui, peut-on réussir la transition énergétique dans le contexte actuel, c'est-à-dire sortir de la dépendance au « tout-pétrole » ?
Je rappelle que vous êtes directeur du laboratoire d'économie de la production et de l'intégration internationale rattaché à l'Université de Grenoble et au CNRS, que vous faites partie du Conseil économique pour le développement durable auprès de la ministre de l'écologie et que vous êtes membre de plusieurs conseils scientifiques, dont celui du Conseil français de l'énergie, celui de la Fondation Nicolas Hulot et celui du plan climat local de l'agglomération grenobloise, que vous coprésidez.
Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président.
J'évoquerai d'abord les raisons de la baisse du prix du pétrole et m'interrogerai sur sa durabilité ainsi que sur son impact sur les marchés internationaux. J'essaierai ensuite de replacer cette baisse dans le contexte plus général de l'évolution des prix de l'énergie, en tenant compte d'une éventuelle fiscalité de l'énergie, notamment d'une taxation du carbone, qui est nécessaire de mon point de vue.
Si l'on représente sur un graphique l'évolution du prix du pétrole au cours des cinquante dernières années en fonction du volume de production de l'OPEP, on obtient une courbe en forme d'escargot. La relation entre les deux variables est complexe, de nature cyclique.
En 1965, avant les chocs pétroliers, le prix du pétrole était très bas et le niveau de production de l'OPEP relativement faible : de l'ordre de 15 millions de barils par jour. En 1973, les prix demeuraient bas, mais la production de l'OPEP avait été multipliée par deux depuis 1965. Il était alors nécessaire de réajuster le système, soit de façon à freiner la demande, soit de manière à contrôler l'évolution de la production de l'OPEP. On est alors entré dans une deuxième période, celle des chocs pétroliers, le premier se produisant en 1973-1974, et le deuxième en 1979-1980. De 1973 à 1979, le prix du baril est passé de 20 à 100 dollars, en monnaie d'aujourd'hui. À partir de 1979, la production de l'OPEP a commencé à reculer, l'OPEP étant prise en ciseaux entre la réduction de la demande mondiale du fait de la crise et l'augmentation de la production des pays hors OPEP, laquelle était stimulée par un prix du pétrole élevé. Nous avons d'ailleurs vécu un phénomène analogue au cours des dernières années.
En 1986 est intervenu un contre-choc pétrolier : le prix du pétrole a baissé de manière significative et rejoint un niveau assez faible, de l'ordre de 20 dollars le baril, jusqu'en 1998. De mon point de vue, 1998 est une date très importante, car elle marque le basculement du XXe vers le XXIe siècle : cette année-là, la crise financière a pris fin dans les pays émergents, et ceux-ci ont décidé de se lancer dans des stratégies très agressives d'exportations compétitives. S'est alors ouverte une période de dix ans de très forte croissance mondiale – 5 % par an en moyenne – tirée par la Chine et les autres pays émergents. Cette croissance a très fortement stimulé la demande de pétrole, et la production de l'OPEP a dû passer le cap des 30 millions de barils par jour, maximum atteint jusque-là. À partir de 2003, on a observé à la fois une augmentation assez forte du prix du pétrole et une hausse de la production de l'OPEP, qui a alors dépassé 35 puis 38 millions de barils par jour. En 2008, le prix du baril a été de 110 dollars en moyenne annuelle, et la production de l'OPEP de 36 millions de barils par jour. Le prix a ensuite baissé du fait de la crise, avant de remonter. Entre 2003 et 2008, nous avons vécu en quelque sorte un choc pétrolier, même si nous ne l'avons pas interprété comme tel. Le prix du pétrole était alors très élevé, sans doute surévalué.
En résumé, il existe bien une relation, complexe, entre le volume de production de l'OPEP et le prix du pétrole : on assiste à une alternance entre des périodes où le prix du pétrole est surévalué et d'autres où il est sous-évalué. Si l'on s'en tient à cette analyse, on peut penser que le prix du pétrole est actuellement légèrement inférieur à ce que l'on pourrait appeler un « juste prix » ou un « prix d'équilibre dynamique » du pétrole, ces concepts étant cependant difficiles à manier.
D'autre part, en analysant les dynamiques relatives de la consommation mondiale et de la production hors OPEP, on peut comprendre les grands équilibres. Ceux-ci peuvent être résumés par l'équation suivante : la production de l'OPEP est égale à la consommation mondiale de pétrole moins la production hors OPEP.
Ainsi, on peut interpréter le contre-choc de 1986 comme une lutte entre Ahmed Zaki Yamani, ministre saoudien du pétrole, et Margaret Thatcher : l'Arabie Saoudite a alors engagé une guerre des prix pour essayer de casser la dynamique de l'extraction pétrolière en mer du Nord. De même, on peut analyser la situation actuelle comme un affrontement entre Ali Al-Naïmi, ministre saoudien du pétrole, et Barack Obama : l'Arabie Saoudite mène à nouveau une guerre des prix pour tenter d'enrayer le développement du pétrole de schiste aux États-Unis. Trente ans séparent les deux épisodes, ce qui est relativement long. Dans l'avenir, tout dépendra des dynamiques relatives de la consommation – c'est-à-dire de la croissance – et de la production hors OPEP, notamment de la manière dont le pétrole de schiste résistera à la baisse du prix, ce qui reste une assez grande inconnue.
Intéressons-nous maintenant à l'évolution, depuis l'an 2000, des prix du pétrole, du charbon sud-africain – considéré comme représentatif du charbon exporté –, du gaz naturel au hub Henry – c'est-à-dire sur le marché américain – et du gaz exporté par Gazprom. En l'an 2000, le prix du baril de pétrole était de 20 dollars, celui de la tonne de charbon sud-africain de 20 dollars également, et celui du gaz naturel aux États-Unis comme en Europe de deux euros par million de BTU – British Thermal Unit –, ce qui facilite les comparaisons.
Le prix du baril de pétrole a augmenté progressivement jusqu'à l'été 2008, puis a chuté du fait de la crise économique, avant de remonter au niveau de 100 dollars et, enfin, de subir la baisse que nous avons connue récemment jusqu'à environ 50 dollars. On se rend compte que le prix du charbon est tout aussi volatil que celui du pétrole, et qu'il connaît une évolution assez similaire.
Il pollue bien davantage, que ce soit en termes d'émissions de dioxyde de carbone ou de rejets de particules dans l'atmosphère. Un simple voyage à Pékin permet de se rendre compte que le charbon est une véritable catastrophe tant pour le climat que pour la qualité de l'air. C'est d'ailleurs ce qui permet de nourrir quelques espoirs quant à l'attitude de la Chine au cours des négociations sur le climat, celle-ci étant fortement déterminée par ses problèmes internes. Le parti communiste chinois a compris que la pollution était une question qui pouvait le déstabiliser.
Le prix du gaz naturel américain a enregistré des pics très importants avant même 2008, ce qui explique dans une certaine mesure le développement du gaz de schiste aux États-Unis, les nouvelles techniques de fracturation hydraulique devenant alors très intéressantes. Surtout, depuis l'été 2008, le prix du gaz américain a complètement décroché par rapport à celui du pétrole. Au cours des dernières années, ce faible prix du gaz a constitué un atout certain pour la reprise de la croissance aux États-Unis, ainsi qu'un élément de compétitivité, en particulier par rapport à l'Europe, dans la mesure où celle-ci importe 30 % de son gaz depuis la Russie et que le prix du gaz russe est resté à un niveau élevé, environ trois fois supérieur à celui du gaz américain. Le prix du gaz est donc un vrai sujet.
Quant à la baisse du prix du pétrole, elle est en effet favorable au pouvoir d'achat des ménages, mais elle bénéficie autant à l'industrie des pays étrangers qu'à celle de la France. Je ne suis donc pas certain qu'elle se traduise par un avantage relatif pour notre industrie en termes de compétitivité.
J'en viens à une réflexion sur le prix du pétrole, le prix du dollar et le prix du carbone, qui sont trois facteurs structurants pour l'évolution des prix de l'énergie au niveau du consommateur final.
La France a défini une valeur tutélaire du carbone. Celle-ci correspond au coût supplémentaire que nous attribuons aux émissions de gaz effet de serre. Elle est utilisée pour l'évaluation des grands projets d'investissement publics et fournit une indication de long terme. Elle résulte de travaux engagés depuis plus de dix ans : ceux des commissions Boiteux et Boiteux II au sein du Commissariat général du Plan, puis ceux de la commission présidée par Alain Quinet au sein du Centre d'analyse stratégique. J'avais participé à l'élaboration du rapport Quinet, qui a ensuite été révisé. Compte tenu des engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il a été estimé que cette valeur tutélaire devait atteindre environ 100 euros par tonne de dioxyde de carbone en 2030. Ce chiffre a constitué le point de convergence entre les différentes parties prenantes au débat et a fait l'objet d'un accord assez solide. Il paraît très élevé par rapport au prix de la tonne de dioxyde de carbone sur le marché européen des quotas, qui est de l'ordre de 5 euros. Mais, en réalité, cela ne représenterait que 25 centimes d'euros supplémentaires par litre d'essence, ce qui est certes important, mais reste inférieur aux fluctuations du prix de l'essence que nous avons connues depuis le début des années 2000.
Comment les différents facteurs – prix du pétrole, prix du dollar, prix du carbone – peuvent-ils se combiner ? Quel est leur impact relatif sur les prix de l'énergie au niveau du consommateur final ?
En 2005, avec un baril de pétrole à 60 dollars – nous étions alors au début du choc pétrolier des années 2000 –, un dollar à 1,25 euro et en l'absence de taxe carbone, le litre d'essence coûtait 1,26 euro. Si l'on prend ce prix comme base 100, on constate que le prix de l'essence avait atteint l'indice 131 en 2010, c'est-à-dire qu'il avait augmenté d'environ 30 %. En 2015, il devrait redescendre à un indice 107.
En 2030, quel serait l'impact d'une taxe carbone de 25 centimes par litre d'essence correspondant à la valeur tutélaire de 100 euros par tonne de dioxyde de carbone ? En retenant l'hypothèse d'un baril de pétrole à 80 dollars et en admettant que l'euro resterait à son niveau actuel par rapport au dollar, le prix de l'essence atteindrait alors l'indice 141, c'est-à-dire qu'il serait supérieur d'environ 40 % à celui de 2005.
Grâce aux travaux du comité pour la fiscalité écologique présidé à l'époque par Christian de Perthuis, la France a déjà instauré une taxe carbone, de l'ordre de 12 euros par tonne de dioxyde de carbone, ce qui est très inférieur à la valeur déterminée par la commission Quinet et dix fois moins que la taxe actuellement en vigueur en Suède. Or l'économie suédoise tourne très bien, ce qui montre qu'une économie moderne peut tout à fait s'accommoder d'une taxe dix fois plus élevée que celle qui est appliquée aujourd'hui en France.
L'impact d'une taxe carbone à 100 euros par tonne de dioxyde de carbone serait plus marqué sur le prix du gaz naturel, notamment car celui-ci a moins baissé que le prix du pétrole.
Surtout, l'impact d'une telle taxe serait beaucoup plus important sur le prix du fioul lourd, ce qui poserait un véritable problème de compétitivité pour l'industrie. Si la valeur de 100 euros par tonne de dioxyde de carbone était retenue dans le monde entier, il n'y aurait guère de souci à se faire, car l'ensemble des économies seraient affectées. En revanche, si la France et l'Europe appliquaient une taxe de cette ampleur avant les autres pays, elles s'infligeraient une pénalité en termes de compétitivité relative.
On comprend alors tout l'intérêt du marché européen des quotas, qui permet de déconnecter le prix du carbone pour les grosses industries du prix du carbone dans les secteurs du bâtiment et des transports. En 2009, nous étions sur le point d'appliquer un système dual de cette nature, avec le premier projet de contribution climat-énergie, lequel a malheureusement été censuré par le Conseil constitutionnel. Je reste convaincu qu'un dispositif qui combinerait une taxe carbone pour les secteurs responsables d'émissions diffuses – transports et bâtiment – et un marché des quotas pour les industries, de manière à modérer l'impact sur la compétitivité de ces dernières, serait un bon système, en tout cas dans un premier temps.
Quelles seraient les recettes issues d'une taxe carbone à 100 euros par tonne de dioxyde de carbone jusqu'en 2050 ? Cet horizon, ne l'oublions pas, est celui de la transition énergétique dans laquelle la France s'est engagée. Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, que l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, a fixé des objectifs très ambitieux, notamment en termes de réduction des consommations d'énergie, en particulier des énergies fossiles. Si nous essayons d'atteindre ces objectifs en augmentant le prix du carbone, ce qui paraît une démarche tout à fait raisonnable du point de vue économique, nous pouvons nous attendre à des recettes moyennes de l'ordre de 30 milliards d'euros par an, ce qui est considérable. La réduction de l'assiette – qui est l'objectif recherché – ne serait sensible qu'au milieu des années 2040. Les recettes ne baisseraient donc qu'à partir de ce moment-là.
L'instauration d'une fiscalité écologique, en particulier d'une taxation du carbone, n'implique pas nécessairement une hausse globale de la fiscalité, ni une augmentation des dépenses publiques. Néanmoins, une telle fiscalité nous procurerait des moyens qui nous permettraient de traiter différents problèmes. Pour ma part, j'en ai identifié trois : la précarité énergétique, la réduction des cotisations sociales des entreprises afin d'améliorer leur compétitivité et le financement de la transition énergétique. Bien sûr, il serait alors nécessaire de faire des choix entre ces différentes priorités. Ce rôle, noble, reviendrait au Gouvernement et au Parlement, qui fixent les orientations politiques, économiques et sociales. Il serait tout à l'honneur de la France de mettre en place un système qui prendrait en compte les externalités environnementales liées à la consommation des énergies fossiles, tout en dégageant des marges de manoeuvre qui contribueraient au financement de nos choix structurels à long terme.
Ainsi que vous l'avez relevé, monsieur Duseux, la baisse du cours du pétrole aura un effet important sur notre agriculture. La diminution de la facture énergétique, qui s'élève actuellement à 2 milliards d'euros, est probablement une bonne nouvelle à court terme pour les agriculteurs et pour les consommateurs. Cependant, elle risque de remettre en cause, dans une certaine mesure, l'adaptation de notre agriculture à des méthodes de production plus durables, c'est-à-dire le passage à l'agroécologie que prône aujourd'hui notre majorité, avec la culture de légumineuses, la réduction de l'utilisation d'engrais et de pesticides, la relocalisation de la production au plus près des consommateurs. L'agriculture est responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Son adaptation au processus de transition énergétique est donc une question fondamentale. De quels leviers disposons-nous aujourd'hui pour inciter les agriculteurs à adapter nos méthodes de production ?
Le Gouvernement a décidé d'abandonner l'écotaxe sans consulter le Parlement, alors que nous en avions longuement débattu. Appliquée pour la première fois en 2014, la contribution climat-énergie a rapporté 700 millions d'euros. Au bout d'une année de fonctionnement de cette taxe, l'État a donc de quoi rembourser Écomouv'. Comment cette recette supplémentaire peut-elle être utilisée à l'avenir ?
La baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle pour notre pays, mais quels sont ses effets sur les pétroliers français, en particulier sur Total ? On dénonce souvent les bénéfices « excessifs » de Total, mais qu'en sera-t-il de ses éventuelles pertes ?
Quels sont les effets de cette même baisse sur l'emploi en France ? Dispose-t-on de données chiffrées en la matière ?
Aura-t-elle des conséquences sur le prix de l'électricité en Europe ?
Enfin, quel serait l'effet récessif d'une éventuelle augmentation brutale du prix du pétrole ?
Les réserves d'hydrocarbures sont limitées et s'épuiseront à long terme. De plus, la dépendance énergétique de la France aux hydrocarbures est très forte et lui coûte en moyenne 60 milliards d'euros par an. Dès lors, malgré la baisse du prix du pétrole, ne devrions-nous pas nous placer dans la perspective de l'épuisement des ressources en hydrocarbures ?
La baisse du cours du pétrole crée un contexte favorable pour augmenter la fiscalité écologique, laquelle permettrait d'accélérer la transition énergétique, ainsi que vous l'avez indiqué, monsieur Criqui. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette fiscalité écologique ?
Nous vivons des épisodes de pollution de l'air très importants. Comment combiner la transition énergétique avec des changements dans nos comportements ? Je pense en particulier au fret ferroviaire, qui fonctionne mal dans notre pays. Nous devrions le développer essentiellement sur les axes nord-sud, qui sont les plus empruntés par le transport de marchandises en Europe. Qu'en pensez-vous ?
Merci, messieurs, pour vos exposés, qui nous permettent de mieux appréhender l'impact de la baisse du prix du pétrole sur l'économie mondiale et sur l'économie française.
Vous nous avez éclairés, monsieur Criqui, sur les raisons de cette baisse. Selon vous, l'OPEP agit-elle délibérément sur l'offre de pétrole afin de freiner l'essor des hydrocarbures de schiste aux États-Unis ? Quel est désormais le seuil de rentabilité de la production de pétrole ?
Quelles sont les conséquences de cette baisse sur notre commerce extérieur ? En 2014, le déficit commercial de la France s'est établi à 53,8 milliards d'euros. Il a diminué de 11 % par rapport à 2013, la facture énergétique ayant été réduite de 11 milliards d'euros. Les effets ont-ils été similaires sur les balances commerciales des autres pays européens ?
Selon certains économistes, la chute du cours du pétrole pourrait aggraver le risque de déflation dans la zone euro, alors que la situation est déjà très tendue. Qu'en pensez-vous ?
Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir organisé cette table ronde sur ce sujet majeur.
La baisse du prix du pétrole est liée à une crise de surproduction. Quant à la crise de 2008-2009, que l'on a qualifiée de « financière », elle était aussi due à une hausse du prix des matières premières et du coût de l'énergie.
Si la baisse actuelle a des effets positifs, de nombreuses incertitudes demeurent quant à son impact en matière de relance, compte tenu notamment du risque de déflation. Pour obtenir des effets plus positifs en Europe, il nous faudrait une stratégie d'investissement forte.
Il y a une certaine schizophrénie à se réjouir de la baisse du prix du pétrole tout en préparant la COP 21 qui se tiendra à la fin de l'année. Ainsi que l'a très bien expliqué monsieur Criqui, nous avons aujourd'hui une occasion historique de mettre en place une taxe carbone plus ambitieuse sans que cela soit douloureux pour les ménages et pour notre économie. En outre, il est temps de réviser un certain nombre de théories anciennes selon lesquelles la hausse du prix du pétrole orienterait mécaniquement les marchés vers l'investissement dans l'économie bas-carbone. En réalité, une stratégie d'investissements publics est nécessaire afin de rendre notre économie plus résiliente aux chocs futurs, car les coûts augmenteront de toute façon, que ce soit à court, moyen ou long terme.
Vous avez peu évoqué, messieurs, l'impact de la baisse du prix du pétrole sur la rentabilité des exploitations pétrolières et gazières les plus polluantes, notamment sur l'extraction de pétrole des sables bitumineux et sur celle du gaz de schiste. Quelles seront les évolutions dans ce secteur au niveau mondial ?
Selon moi, la question du président Brottes ne portait pas tant sur les normes Euro 6, dont notre commission a déjà débattu, que sur la part relative du gazole et de l'essence dans la production des raffineries françaises. Qu'en est-il ?
En 2014, il a été décidé de porter à 60 % la part du prix de marché « spot » dans les tarifs du gaz. Ce choix ne s'est pas révélé judicieux au regard de l'évolution actuelle des cours du pétrole. Le choix antérieur, qui consistait à s'en tenir à une part de 45 %, était plus raisonnable : il aurait permis de répercuter la baisse du prix du pétrole sur la facture des consommateurs de gaz.
Ainsi que vous l'avez rappelé, les variations du prix du pétrole ont un impact sur la croissance française par plusieurs canaux de transmission. Les effets d'une hausse sont d'autant plus importants que l'économie est dans une phase de croissance faible ou de récession. Bien que l'économie française semble aujourd'hui plus résiliente aux variations du prix du baril, une éventuelle hausse substantielle pourrait peser sur l'emploi, si l'atonie actuelle de la croissance se prolongeait. Qu'en pensez-vous ?
Quelles sont les conséquences, constatées ou attendues, de la baisse du prix du pétrole sur le secteur de l'emballage ?
Qu'en est-il, d'une part, pour les emballages issus de l'industrie pétrochimique ? La baisse du prix des matières plastiques vierges – celui du polyéthylène aurait diminué de près de 40 % entre 2013 et 2014 – se répercute-elle sur le prix de vente de ces emballages et, in fine, sur celui des produits de consommation ?
Qu'en est-il, d'autre part, pour les emballages recyclés ou issus de la biomasse ? Alors que le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit des mesures en faveur des emballages de ce type, la baisse du prix du pétrole ne risque-t-elle pas de les rendre beaucoup moins attractifs ?
Nous constatons qu'il existe un lien très fort entre le prix de l'énergie et celui des matières premières agricoles. Pouvez-vous préciser la nature de ce lien ? Quels sont les mécanismes à l'oeuvre ? La baisse du prix de l'énergie est une bonne nouvelle pour les agriculteurs, mais elle ne fait que leur permettre de s'adapter à une situation où les cours des produits agricoles, notamment celui des céréales, sont eux-mêmes très déprimés.
Le niveau de la taxe carbone est dix fois plus élevé en Suède qu'en France, mais il faut replacer cette donnée dans le contexte global de la fiscalité de chacun des deux pays, ainsi que vous l'avez vous-même laissé entendre, monsieur Criqui. Quoi qu'il en soit, la taxe carbone semble être la seule façon pour les responsables politiques de reprendre la main sur les orientations en matière de transition énergétique et, plus globalement, sur l'ensemble des orientations politiques, économiques et sociales, dont la détermination, hélas, nous échappe très largement aujourd'hui.
Je vous remercie, messieurs, de vos présentations.
La France demeure tributaire des choix politiques et économiques des pays producteurs de pétrole. Ainsi que vous l'avez souligné, la baisse du prix du pétrole est provoquée en grande partie par la course entre les pays de l'OPEP et les producteurs hors OPEP. On peut désormais se poser la question d'une forte hausse des prix à la production à moyen terme. Que pensez-vous de cette éventualité ? Quels dispositifs conviendrait-il de mettre en place pour l'anticiper ?
Vous avez évoqué des bonnes nouvelles pour la compétitivité des entreprises et pour le pouvoir d'achat des ménages. Vous avez signalé, monsieur Duseux, l'engouement pour les petites cylindrées à essence. Quelle est l'incidence de la baisse du prix du pétrole sur les ventes de véhicules électriques et hybrides ? Ne les rend-elle pas beaucoup moins attractifs ?
Les problèmes d'offre et de demande sur le marché du pétrole ont des conséquences politiques et économiques sur les pays producteurs comme sur les pays consommateurs. Selon vous, quelle sera la pérennité de cette énergie fossile en fonction des enjeux politiques et économiques dans les différents pays ?
Qu'en est-il de l'exploitation du gaz de schiste aux États-Unis ? Est-il exact que certaines compagnies envisagent de l'arrêter ? Quel est son seuil de rentabilité ? Quel serait-il en France ? Vos réponses seront sans doute de nature à dissiper les illusions que certains nourrissent encore quant à l'opportunité de développer cette source d'énergie dans notre pays.
Les contraintes que le président Obama vient d'imposer à l'exploitation des hydrocarbures de schiste sont-elles aussi lourdes qu'on le dit ?
Je vous remercie, messieurs, de vos interventions. Elles illustrent de manière frappante l'extrême vulnérabilité de notre pays par rapport aux importations de pétrole. On se félicite aujourd'hui que la baisse du prix du pétrole améliore les perspectives économiques. Mais, lorsque ce prix remontera, à l'inverse, l'impact risque d'être très négatif sur notre économie. Dans les années 1970, on nous avait dit que nous deviendrions indépendants en matière énergétique grâce à notre programme électronucléaire !
Compte tenu de cette vulnérabilité, nous avons intérêt à instaurer une fiscalité sur le carbone et à investir massivement dans l'amélioration de l'efficacité énergétique – je souscris totalement à vos propos sur ce point, monsieur Criqui –, ainsi que dans le développement des énergies renouvelables, qui sont produites sur notre territoire et réduisent donc notre dépendance. Je ne néglige pas, monsieur Duseux, l'impact que ce développement peut avoir sur les salariés de l'industrie pétrolière : il convient de prendre en compte les aspects sociaux d'une telle transition.
L'application des normes Euro 6 ne garantit pas que les véhicules diesel cesseront d'être polluants. Demandez donc à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) de vous communiquer ses données concernant les émissions des moteurs diesel, notamment celles de dioxyde d'azote. Et encore s'agit-il des résultats de tests effectués au niveau européen qui n'ont rien à voir avec le fonctionnement usuel des véhicules sur nos routes ! La Commission européenne va d'ailleurs modifier ces tests, qui ne sont plus représentatifs selon elle, ce qui en dit long. Nous continuons donc à penser que les véhicules diesel sont polluants.
D'autre part, les poids lourds ne sont pas tous des véhicules diesel : certains fonctionnent au gaz. Or, à l'avenir, nous produirons du gaz renouvelable, et il existe déjà, en Île-de-France, des partenariats avec GRTgaz pour installer des stations de ravitaillement en gaz. Il est donc possible de développer la flotte de poids lourds roulant au gaz.
En Allemagne, la production d'électricité à partir du charbon et du lignite a baissé en 2014, de même que celle d'électricité nucléaire, alors que celle d'électricité d'origine renouvelable a augmenté.
L'électricité produite en Allemagne en 2014 se décompose comme suit : 157 térawattheures d'origine renouvelable, 156 à partir du lignite, 109 à partir du charbon, 96 d'origine nucléaire et 58 à partir du gaz. La part de l'électricité renouvelable est donc la première. La production d'électricité à partir du charbon et du lignite a augmenté en 2013, mais elle est repartie à la baisse en 2014. Il me paraît important de préciser ce point, car on entend beaucoup de commentaires caricaturaux sur la transition énergétique allemande – Energiewende – mise en oeuvre conjointement par le Parti chrétien-démocrate (CDU) et le Parti social-démocrate (SPD). Je souhaite rassurer les amis politiques de la CDU et du SPD : la transition énergétique allemande est de plus en plus vertueuse !
Vous avez décrit, messieurs, le fonctionnement du marché du pétrole. La guerre des prix actuelle est dirigée notamment contre le gaz de schiste. La baisse du cours du pétrole est une aubaine, qui permet d'envisager un retour de la croissance et, éventuellement, l'instauration d'une taxe dont le produit pourrait être utilisé de manière vertueuse pour réaliser des économies d'énergie ou dans un objectif de développement durable. Cependant, vous n'avez pas précisé combien de temps durera cette guerre, laquelle débouchera à un moment donné sur un prix d'équilibre, ainsi que vous l'avez indiqué, monsieur Duseux. A-t-on une idée, à titre prospectif, de ce que pourrait être ce prix d'équilibre ? Cela nous permettrait de définir les mesures structurelles à prendre, notamment en ce qui concerne le gaz de schiste, mais aussi les dispositions réglementaires et fiscales en matière d'économies d'énergie et, plus généralement, notre politique de développement durable.
Le renforcement de la réglementation annoncé par Barack Obama en matière d'exploitation du pétrole et du gaz de schiste aura-t-il un impact sur le coût de revient de ces activités aux États-Unis ? À quel niveau ce coût peut-il être estimé ? Jusqu'à quel niveau de prix du baril les hydrocarbures de schiste restent-ils compétitifs ?
Vous avez évoqué, monsieur Duseux, un accord possible entre les pays de l'OPEP et les producteurs hors OPEP au mois de juin. Quel pourrait être l'impact d'un tel accord sur les prix ?
Qu'en est-il de l'ajustement des capacités de raffinage en Europe ? Avec la fermeture de la raffinerie appartenant à LyondellBasell et – si on lit entre les lignes – l'arrêt programmé ou la reconversion de la raffinerie de Provence possédée par Total, peut-on considérer que ces capacités sont désormais ajustées ? Ou bien y a-t-il encore d'autres ajustements à prévoir ?
Selon vous, à quel terme et à quelles conditions, géopolitiques ou macroéconomiques, le prix du pétrole repartira-t-il à la hausse ?
D'après vos explications, la chute du prix du pétrole a un impact positif pour les consommateurs, pour les agriculteurs, pour les entreprises et, même, pour l'État. Avez-vous une idée de ce que pourrait être la tendance du marché du pétrole à l'avenir ? La situation actuelle va-t-elle s'installer durablement ? À l'heure de la transition énergétique et du développement des énergies renouvelables, à la veille de la COP 21, cette baisse ne risque-t-elle pas de freiner les dynamiques en cours ? Par exemple, ne va-t-elle par ralentir les ventes de voitures électriques et hybrides, qui sont devenues financièrement moins attractives ?
Plus généralement, peut-on véritablement se satisfaire de cette situation sachant qu'elle est provoquée par l'exploitation du gaz de schiste, dont les effets néfastes sur l'environnement sont connus ? D'autre part, alors même que les épisodes de pollution sont de plus en plus fréquents, elle pourrait retarder le développement des énergies alternatives non polluantes et remettre en cause l'atteinte des objectifs fixés par le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Comment les acteurs économiques appréhendent-ils ces évolutions ? Beaucoup d'entre eux doivent prendre des décisions structurelles pour le long terme. Or la rentabilité des investissements dépend notamment du coût de l'énergie. Les variations non seulement du prix du pétrole mais aussi du cours de l'euro par rapport au dollar apparaissent peu prévisibles, même si elles dépendent en grande partie des choix de politique publique opérés par la France, l'Union européenne, les États-Unis et les pays producteurs du Moyen-Orient. Comment analysez-vous, chacun de votre point de vue, les prises de risque des acteurs économiques dans ce contexte ?
Tout le monde se réjouit, à tous le moins pour le court terme, de l'alignement des planètes, c'est-à-dire de la baisse concomitante de l'euro, des taux d'intérêt et du prix du pétrole. Cependant, les acteurs économiques craignent l'instabilité, laquelle est accrue par la chute des cours du pétrole. Comment voulez-vous que les chefs d'entreprise investissent alors qu'ils ne savent pas à quoi s'en tenir ! Or la France souffre avant tout d'un déficit d'investissement.
Quel est le seuil de rentabilité de la production de pétrole ? À 55 ou 60 dollars le baril, un certain nombre de pays, notamment la Russie, éprouvent de graves difficultés financières. Ne craignez-vous pas que ce climat particulier soit, au contraire, un élément de vulnérabilité ? D'autre part, une éventuelle hausse du prix du baril n'aurait-elle pas des effets encore plus marqués, dès lors que nous payons notre pétrole en dollars ?
Monsieur Duseux, les industries pétrolières sont-elles prêtes, à l'instar du secteur de l'électricité, à contribuer au financement du chèque énergie prévu dans le projet de loi relatif à la transition énergétique ?
La stratégie de l'OPEP est en effet de mener une guerre des prix contre les nouvelles sources d'hydrocarbures, en particulier contre les hydrocarbures non conventionnels. Combien de temps va-t-elle durer ? Souvenons-nous qu'en Algérie, pays producteur de pétrole, des émeutes très violentes ont eu lieu en 1988, soit deux ans après le contre-choc pétrolier de 1986. Il y a donc un certain temps de latence, mais, à un moment donné, la situation deviendra problématique pour les producteurs qui n'ont pas l'assise financière des pays du Golfe.
D'autre part, il est très difficile d'évaluer à partir de quel moment la baisse des prix commencera à porter préjudice aux nouvelles sources d'hydrocarbures non conventionnelles, en particulier au pétrole et au gaz de schiste. Leur production peut se maintenir pendant un certain temps, car il suffit de couvrir les coûts opératoires une fois que les investissements ont été réalisés. Néanmoins, il existe un seuil de renouvellement des investissements, qui se situe, selon moi, au niveau de 60 à 80 dollars le baril pour le pétrole et de 6 à 8 dollars par million de BTU pour le gaz. Si la situation actuelle se prolonge, les nouveaux investissements de production pourraient donc être retardés.
En résumé, il y a probablement une fenêtre de deux, trois ou quatre ans pendant laquelle la baisse des prix n'aura d'incidence ni sur les pays exportateurs les plus vulnérables, ni sur la production d'hydrocarbures non conventionnels. Au-delà, elle finira par se faire sentir, ce qui pourrait créer des tensions.
À la différence de certains de mes collègues, je ne crois pas, malheureusement, à une pénurie structurelle de sources d'énergie fossiles à long terme. Si l'on accepte de payer un prix suffisant, sans doute supérieur à 100 dollars le baril, on peut faire beaucoup de choses, par exemple produire des hydrocarbures liquides à partir du charbon. Or nous disposons d'énormes réserves de charbon. Peut-être y aura-t-il un « pic pétrolier » pour les hydrocarbures conventionnels bon marché, mais, si tel est le cas, nous nous mettrons à produire des hydrocarbures non conventionnels, ce que nous faisons d'ailleurs déjà.
Pour reprendre les termes de mon collègue Pierre-Noël Giraud, professeur à l'École des mines de Paris, avec les énergies fossiles, nous sommes confrontés à un problème non pas de ressources, mais de poubelle, c'est-à-dire à des difficultés en aval plutôt qu'en amont de la production. La poubelle, c'est l'atmosphère, dans laquelle nous rejetons les déchets issus de l'utilisation de ces énergies. Même en faisant l'hypothèse d'une grave crise d'approvisionnement en énergies fossiles en 2050, il sera trop tard à cette date : la poubelle débordera déjà.
En ce qui concerne l'agriculture et l'introduction d'une fiscalité sur le carbone, l'enjeu d'adaptation est en effet majeur. Le meilleur moyen de développer ce qu'on pourrait appeler une « bioéconomie », tant au niveau des sources d'énergie que des matériaux, est probablement de stimuler la production des hydrocarbures d'origine végétale. Un certain nombre de chercheurs travaillent sur le concept de bioéconomie. C'est un vrai sujet, car il faut parvenir à gérer une transition complexe.
S'agissant des comportements d'investissement et des problèmes que pose l'incertitude, l'introduction d'une forte composante carbone ou écologique dans les prix de l'énergie est sans doute l'élément le mieux à même de stabiliser l'environnement décisionnel de l'ensemble des acteurs économiques. Cela lisserait en quelque sorte l'évolution du prix des énergies fossiles, en réduisant l'importance de leurs fluctuations. Surtout, on délivrerait ainsi le message que l'on s'achemine vers une réduction de la consommation de ces énergies, en tout cas lorsqu'il n'y a pas de captage et de séquestration du carbone.
Dans les conditions actuelles, les véhicules électriques permettent une économie structurelle assez limitée. À l'achat, ils coûtent environ 8 000 euros de plus que les véhicules traditionnels. Ensuite, leurs propriétaires économisent 1 000 euros par an sur le carburant, l'électricité étant moins chère que l'essence. Le temps de retour sur investissement est donc de huit ans, ce qui équivaut presque à la durée de vie du véhicule : c'est encore un peu long. En introduisant une forte composante carbone dans le prix de l'essence, nous donnerions le signal que ce prix va augmenter et nous aiderions les consommateurs à s'orienter vers ce type d'équipement. Voilà comment la fiscalité écologique peut contribuer à stabiliser l'environnement décisionnel des entreprises et des consommateurs.
Selon vous, l'incorporation de biocarburants dans l'essence et le gazole a-t-elle du sens ? Permettrait-elle de faire baisser la consommation de pétrole ?
À mon avis, il y a un potentiel, mais cela dépend de la génération de biocarburants considérée. La production de biocarburants d'origine agricole mobilise une surface de terres importante et peut donc faire concurrence aux cultures destinées à l'alimentation, ce qui constitue une limite. En outre, reste à gérer le problème que posent les biocarburants pour la qualité de l'air : les émissions issues de leur utilisation ne sont pas inférieures à celles qui résultent de la combustion des dérivés du pétrole. Cependant, la bioéconomie ne se résume pas, loin de là, aux seuls biocarburants.
Sur la vingtaine de collègues qui se sont exprimés, aucun n'a soulevé la question des biocarburants, ce qui semble suggérer que nous n'y croyons pas beaucoup.
S'agissant de la dynamique macroéconomique, il convient de distinguer deux questions. Premièrement, l'économie européenne ne progresse plus depuis 2011, ce qui n'est satisfaisant pour personne. À court terme, la baisse du prix du pétrole est un moyen de caler l'économie française et l'économie européenne sur une trajectoire de croissance plus élevée. Il s'agit, selon moi, d'un élément important, car nous n'y sommes pas parvenus jusqu'à maintenant. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faille se satisfaire de la situation actuelle quant à l'utilisation de l'énergie. Nous devons en effet être attentifs aux problématiques qui seront abordées par la COP 21.
Deuxièmement, il existe toute une série de risques en ce qui concerne l'évolution du prix du pétrole. Néanmoins, selon moi, celui-ci va rester bas encore pendant un moment, car je ne suis pas persuadé que les pays producteurs parviennent rapidement à un accord et je ne vois pas qui aurait intérêt à réduire sa production. Telle n'est pas, en tout cas, la logique actuelle.
À l'instar du Venezuela et d'un certain nombre d'autres pays producteurs, la Russie souffre de la « maladie hollandaise ». En 1998, lorsque le prix du pétrole est tombé au-dessous de 10 dollars le baril, elle a connu une situation très dégradée. Cependant, rien n'a vraiment changé depuis lors : tout le monde a profité du prix élevé du pétrole dans les années 2000, mais se retrouve aujourd'hui démuni maintenant qu'il baisse à nouveau. Il s'agit d'une problématique purement interne à la Russie et aux pays qui, comme elle, ont bénéficié de prix élevés des matières premières.
S'agissant du risque de déflation, la baisse du prix du pétrole va se traduire par une contribution négative de l'énergie à l'inflation française et européenne tout au long de l'année. La contribution cumulée des autres composantes de l'indice des prix à la consommation – biens manufacturés et services hors énergie – étant trop faible pour la compenser, le taux d'inflation sera très probablement négatif en 2015. Si les chefs d'entreprise ont ainsi du mal à fixer leurs prix dans le secteur des biens manufacturés et des services, point qui me parait le plus préoccupant aujourd'hui, c'est en raison d'une demande relativement faible. On peut donc s'attendre à ce que cette situation s'infléchisse si nous retrouvons une croissance plus robuste. En tout cas, pour le moment, le contexte est plutôt déflationniste en Europe. Mais n'oublions pas que, si les économistes craignent l'impact déflationniste de la baisse du prix de l'essence, les consommateurs, eux, se réjouissent du gain de pouvoir d'achat qu'elle implique !
Les coûts de production du pétrole de schiste se situent entre 40 et 70 dollars le baril. Les marges sont donc assez importantes. Depuis l'été dernier, plus de 40 % des puits de pétrole ont fermé aux États-Unis. Cependant, la production n'a pas baissé. Dans le secteur énergétique, les entreprises américaines ont tendance à réduire leurs investissements, car la dynamique n'est plus la même. Nous assisterons donc probablement, à terme, à une inflexion de la production d'énergie, mais nous ne l'observons toujours pas dans les statistiques. Rien ne permet donc de penser que le prix du pétrole va connaître un changement de tendance dans les semaines ou les mois qui viennent.
Si le prix du pétrole repart très vivement à la hausse, nous pourrons jeter au panier le scénario d'une reprise de la croissance en France et dans la zone euro. Les contraintes seront nettement plus fortes, et nous aurons beaucoup de mal à améliorer la situation de l'emploi. Donc, profitons de la fenêtre actuelle pour caler l'économie sur une trajectoire de croissance plus élevée. Il faut avant tout enclencher une dynamique plus favorable, qui incite les entreprises à investir et qui s'auto-entretienne, même si nous ne retrouverons sans doute pas les 2 % de croissance d'avant la crise. Nous pourrons probablement, dans un second temps, mettre en place une fiscalité écologique, ainsi que l'a souhaité Patrick Criqui.
Les industriels du pétrole estiment qu'il faut consommer moins et mieux, mais qu'il ne faut pas opposer les énergies entre elles : nous avons besoin de toutes les énergies. N'oublions pas les prévisions établies non pas par les compagnies pétrolières, mais par les experts : à l'horizon 2040, la consommation mondiale de pétrole augmentera de 25 % pour représenter 32 % de la consommation totale d'énergie ; celle de gaz s'accroîtra de 75 % pour peser 26 % de l'ensemble ; quant à la part du charbon, elle restera stable, à 20 %. Globalement, les énergies fossiles continueront donc à couvrir 80 % des besoins en énergie.
Cela pose en effet un problème de protection de l'environnement. Mais – heureusement ! – les progrès technologiques ont été énormes en matière d'efficacité énergétique. Si tel n'avait pas été le cas, la consommation d'hydrocarbures serait encore deux à trois fois supérieure. Dans les années 1870, le principal problème du préfet de police de Paris était la quantité de crottin de cheval qui s'accumulait dans les rues. Extrapolant à partir de la situation qu'il connaissait, il craignait que la ville ne soit bientôt noyée sous le crottin. Or l'automobile est arrivée ! À titre personnel, je crois que la technologie bouleversera les chiffres que j'ai cités. En attendant, il faut tenir compte des réalités. Rappelons que la concentration en énergie dans un litre d'essence reste inégalée.
D'autre part, les investissements nécessaires pour satisfaire les besoins de la planète en énergie dans les trente ans qui viennent s'élèvent à 1 500 milliards de dollars par an, dont 700 milliards pour le pétrole. Si l'on croit au progrès économique et que l'on veut maintenir notre mode de vie, il va donc falloir dégager des moyens financiers considérables.
Quel est le « juste prix » du pétrole ? Du point de vue économique, dans la mesure où il y a un équilibre entre l'offre et la demande, il s'agit du coût marginal de la couche la plus chère à produire.
Auparavant, le coût marginal de production du pétrole était celui des sables bitumineux du Canada, lequel s'élevait à environ 80 dollars le baril. Le prix de 110 dollars sur le marché revêtait donc, dans une certaine mesure, un caractère artificiel. Compte tenu de la baisse actuelle des cours, qui exerce une pression sur les parapétroliers, on va tailler dans les coûts, améliorer les procédés et rationaliser de manière à gagner en efficacité – conformément à ce qui s'est passé tout au long de l'histoire de l'industrie. On peut penser que le coût marginal sera alors celui du pétrole de schiste produit dans le Dakota, qui est de 60 à 70 dollars le baril – je suis tout à fait d'accord avec les chiffres donnés par M. Waechter. Il est donc plausible que le prix de marché s'établira à ce niveau-là.
Les compagnies pétrolières viennent d'arrêter la production des sables bitumineux, car elle pose toutes sortes de problèmes, notamment environnementaux, et n'est plus rentable. Elle ne redémarrera que si le prix du pétrole connaît une forte hausse. Mon hypothèse est qu'elle devrait dans tous les cas rester réduite.
J'en viens à la question essentielle du raffinage. Deux enquêtes, l'une européenne, l'autre française – menée par Bercy il y a trois ans –, ont soulevé la même question : a-t-on besoin d'une capacité de raffinage dans un grand pays industriel ? La réponse a été positive : le raffinage est stratégique. En effet, il est relativement facile pour un État de sécuriser un approvisionnement en pétrole brut, soit par l'intermédiaire des compagnies, soit directement – le Gouvernement français serait tout à fait capable de négocier des contrats directement avec les grands producteurs. En revanche, un pays qui dépend à 100 % des importations pour son approvisionnement en produits pétroliers est très vulnérable, car il doit alors multiplier les contrats, ce qui est complexe. En outre, un pays tel que la France ne dispose pas nécessairement des infrastructures adaptées, notamment des pipelines et des dépôts. Nous devons donc, collectivement, conserver une capacité de raffinage.
Cependant, le raffinage connaît, malheureusement, un certain nombre de problèmes. Premièrement, les raffineries françaises ont été conçues dans les années 1960 pour fabriquer de l'essence. On consommait alors relativement peu de gazole. Or les petits moteurs diesel Renault et Peugeot ont rencontré un succès fantastique, à tel point que le gazole représente aujourd'hui 80 % des ventes de carburants en France. Quant à la consommation d'essence, elle a chuté de manière continue. Or la quantité de gazole que l'on peut tirer d'un baril de pétrole est limitée. Nous n'avons donc pas d'autre choix que d'importer la moitié des 40 millions de tonnes de gazole que nous consommons par an, ce qui contribue très fortement à creuser notre déficit commercial.
Nous demandons depuis longtemps de rétablir un équilibre entre la consommation d'essence et celle de gazole, dans l'intérêt de notre outil industriel. Nous pouvons y parvenir par la fiscalité. La première solution serait d'augmenter la taxation du gazole. Cependant, toute mesure de cette nature est généralement très impopulaire : les chauffeurs de taxi, les camionneurs et, plus généralement, l'opinion y réagissent fortement. Par chance, la hausse de 5 centimes au 1er janvier dernier est passée quasi inaperçue en raison de la chute du prix du pétrole. La deuxième solution serait de baisser la taxation de l'essence, mais on nous a répondu que c'était impossible en raison du déficit budgétaire. La situation est donc restée inchangée pendant des années. Néanmoins, les choses évoluent un peu : une nouvelle augmentation de la fiscalité sur le gazole est prévue. Il vous appartient, mesdames, messieurs les députés, de décider ce qu'il est juste de faire en la matière.
L'industrie du raffinage française et européenne s'en est tirée en exportant massivement de l'essence vers les États-Unis. Il y a encore quatre ou cinq ans, la pétrochimie américaine avait les mêmes problèmes que la nôtre, notamment des raffineries vieillissantes et une consommation en baisse, en partie en raison des évolutions de la législation. Mais l'envolée du gaz de schiste a tout changé : grâce à ce combustible très bon marché, les États-Unis sont en train de relancer non seulement leur outil de raffinage, mais aussi toute leur industrie pétrochimique – secteur très important qui représente, chez eux comme chez nous, un grand nombre d'usines, de PME et d'emplois. Ils font tourner leurs usines à plein régime, réinvestissent, reconstruisent de nouvelles unités de craquage à vapeur – steam crackers – et ont donc augmenté considérablement leur production de carburants, notamment d'essence. Nos exportations d'essence vers les États-Unis sont donc en train de s'écrouler. Le jour où elles cesseront complètement, nous serons obligés d'arrêter nos raffineries. La situation devient critique.
Par ailleurs, s'il est tout à fait compréhensible qu'il existe une régulation européenne de ce secteur d'activité comme c'est le cas pour d'autres, on rajoute des normes franco-françaises aux normes européennes. Compte tenu de la concurrence internationale, nous demandons que la réglementation ne handicape pas les industries françaises. Or ce n'est pas ce qui se passe actuellement : le poids des normes qui nous sont imposées devient alarmant, en particulier dans le secteur du raffinage.
Les pays producteurs de pétrole tels que l'Arabie Saoudite et le Koweït qui, auparavant, brûlaient les rejets de gaz, s'en servent aujourd'hui comme combustible pour faire tourner des usines. Ainsi que vous avez pu le voir dans la presse, l'Arabie Saoudite vient d'ouvrir deux raffineries de grande capacité et de technologie récente. Son objectif est d'exporter des produits pétroliers au Moyen-Orient et en Chine, et de mieux maîtriser ses ventes de brut.
De même, l'Inde a lancé un programme de raffinage, mis en oeuvre par le groupe Reliance Industries. Elle prévoyait une augmentation considérable des ventes de véhicules. Si elle ne parvient pas à construire les routes, elle dispose désormais d'une forte capacité de raffinage et exporte des produits pétroliers, notamment du gazole, qui arrive à Marseille et au Havre par VLCC – Very Large Crude Carrier –, pétroliers de 220 mètres de long sur 45 mètres de large qui contiennent 2 millions de barils. Il s'agit d'une menace très sérieuse. D'autant qu'il n'y a guère de législation en Inde, notamment pas de normes en matière d'émissions, sans parler des conditions d'emploi de la main-d'oeuvre. Nous sommes donc soumis à une concurrence internationale très féroce, qui va encore s'accroître dans les années qui viennent, compte tenu des investissements réalisés par les États-Unis.
Nous devons donc être très attentifs, collectivement, à l'avenir du raffinage en France. J'ai rappelé que quatre raffineries avaient fermé au cours des dernières années et que le groupe Total allait annoncer non pas la fermeture, mais la reconversion complète de sa raffinerie de Provence, qui enregistre des pertes de 150 millions d'euros par an.
Vous avez évoqué, monsieur Le Roch, l'industrie de l'emballage. Le secteur de la chimie est assez vorace en énergie. Il redevient donc très compétitif du fait de la baisse du cours du brut, mais aussi de la division par deux du prix du naphta, coupe légère issue du pétrole qui constitue l'essentiel de sa matière première. Cela étant, il vit, lui aussi, sous la menace des investissements engagés aux États-Unis.
Nous incorporons déjà des quantités importantes de biocarburants dans le gazole et dans l'essence : globalement, près de 10 % en volume. S'agissant du gazole, nous appliquons actuellement la norme B7 – les biocarburants peuvent représenter jusqu'à 7 % de sa capacité énergétique –, et les instances européennes envisageant de passe à une norme B10 à l'horizon 2020. A priori, il n'existe pas de limitation technique quant à la quantité de biocarburants que l'on peut injecter dans le gazole et dans l'essence. Cependant, selon les spécialistes, nous buterons sur un autre facteur limitant : il nous faudra très rapidement arbitrer, à l'échelle de la planète, entre les cultures destinées à l'alimentation et celles qui sont utilisées pour fabriquer des biocarburants. Ainsi, aux États-Unis, où la part de biocarburants incorporés est importante, le prix du maïs s'est envolé il y a trois ans.
En outre, le bilan carbone des biocarburants de première génération n'est pas particulièrement bon. Néanmoins, celui des biocarburants de deuxième génération – pour la fabrication desquels on utilise non seulement les graines, mais l'ensemble du végétal, y compris la tige – serait un peu meilleur.
Nous sommes favorables au chèque énergie. Cela dit, nous faisons déjà beaucoup pour lutter contre la précarité énergétique et pour encourager les consommateurs à réaliser des économies d'énergie, notamment à changer leur chaudière, ainsi que la réglementation les y incite. Par exemple, l'association Écofioul regroupe des distributeurs de fioul domestique qui aident les particuliers à consommer moins et mieux.
À titre personnel, je suis convaincu qu'il faut protéger l'environnement. Mais il faut aussi protéger les industries françaises ! Nous sommes le pays industrialisé le plus vertueux de la planète en matière d'émissions de dioxyde de carbone, avec 5 tonnes par habitant et par an. L'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis – qui sont à 17 tonnes par habitant et par an, chiffre qui a baissé grâce à la consommation de gaz de schiste – en rejettent davantage que nous. Faisons attention : ne pénalisons pas les industriels français avec des normes plus sévères ; demandons d'abord aux autres pays de réduire leurs émissions jusqu'à 5 tonnes par habitant et par an !
Car de très nombreuses usines ont fermé en France au cours des dix dernières années. La part de l'industrie dans notre PIB a baissé de dix points et n'est plus que de 10 %, contre 23 % en Allemagne. Je m'exprime là non pas en ma qualité de président de l'UFIP, mais en tant que citoyen : nous devons nous efforcer d'attirer des investissements, de redémarrer des usines et de créer des emplois.
Merci, messieurs, de vos interventions. Le sujet que nous avons traité aujourd'hui est en effet essentiel pour le redémarrage de l'économie en France et en Europe.
Informations relatives à la commission
La commission a nommé Mme Marie-Hélène Fabre rapporteure sur la proposition de résolution européenne de M. Yves Daniel sur la proposition de règlement relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques (COM(2014) 180 finals – E 9240) (n° 2676).
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 25 mars 2015 à 9 h 30
Présents. - Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Marcel Bonnot, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier
Excusés. - M. Damien Abad, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. André Chassaigne, M. Joël Giraud, Mme Pascale Got, Mme Anne Grommerch, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Germinal Peiro, Mme Josette Pons, M. Bernard Reynès, M. Frédéric Roig, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin