Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président. Le repli du cours du pétrole auquel nous assistons actuellement est-il durable ou non ? Les comportements que nous observons sur le marché du pétrole aujourd'hui sont similaires à ceux que nous avons connus au moment du contre-choc pétrolier du milieu des années 1980 : dans les deux cas, la baisse a été très profonde et l'Arabie Saoudite n'a pas souhaité jouer son rôle de régulateur du marché, ainsi que l'a relevé M. Duseux.
D'autre part, la Chine et les pays émergents ont joué un rôle majeur dans l'augmentation de la demande mondiale de pétrole ces dernières années. Le marché du pétrole avait ainsi changé de nature en 2003 avec l'insertion de la Chine dans l'économie mondiale. Cependant, cette dynamique s'infléchit actuellement de manière assez marquée, l'économie chinoise convergeant vers une croissance beaucoup plus modérée et un certain nombre de pays émergents ayant réduit leurs subventions à l'essence.
Selon les dernières prévisions de l'AIE, la demande mondiale de pétrole connaîtrait une accélération au second semestre 2015, retrouvant ainsi une situation plus normale. Cependant, quels sont les éléments qui pourraient entraîner un tel redémarrage ? Assisterons-nous à une reprise de l'économie chinoise ? Les pays émergents vont-ils retrouver une trajectoire de croissance forte ? L'économie américaine et l'économie européenne seront-elles suffisamment robustes pour tirer la demande ? Pour ma part, je n'en suis pas persuadé.
En revanche, nous observons que tout le monde produit. En particulier, la production de pétrole continue à progresser de manière spectaculaire aux États-Unis : selon les chiffres hebdomadaires publiés le 13 mars, elle a encore augmenté de 0,5 % en une semaine ! Certes, conformément aux prévisions de tous les économistes, la baisse du prix du pétrole s'est traduite par une réduction du nombre de puits exploités aux États-Unis, mais cela n'a pas eu d'impact sur la production à ce stade. Quant aux stocks de brut évoqués par M. Duseux, ils sont au plus haut depuis 1985 en nombre de jours de consommation. Les Américains en sont à se demander où ils vont entreposer ce pétrole qu'ils produisent à ne plus savoir qu'en faire !
Tous ces éléments suggèrent que nous avons actuellement un déséquilibre majeur sur le marché du pétrole. Dès lors, la question est celle qui se posait au moment du contre-choc pétrolier dans les années 1980 : quel pays va réduire sa production le premier ? L'Arabie saoudite n'a pas envie de le faire, pas plus que les États-Unis. La Russie ne peut pas se le permettre, sinon elle entrera dans une récession encore plus profonde que celle qu'elle connaît actuellement. Tous les gros producteurs vont donc rester sur une dynamique de production assez forte. On peut aussi l'expliquer par des joutes géopolitiques. Ainsi, l'Arabie Saoudite est en train d'être quelque peu marginalisée par les États-Unis au Moyen Orient.
Quant aux pays dont la production est plus limitée, ils n'ont, eux non plus, aucun intérêt à réduire leur production. S'ils le font alors que le prix du pétrole reste très bas, ils subiront une baisse de leurs revenus. Or chacun préfère voir ses revenus diminuer de la même manière que ceux des autres plutôt que d'être seul dans ce cas. Le problème de l'équilibre sur le marché du pétrole est donc posé. Pour l'instant, tout le monde espère que la situation va tenir.
Plusieurs questions se posent. Un baril entre 40 et 60 dollars représente une contrainte très forte pour les pays producteurs, qui ont construit leurs budgets en retenant l'hypothèse de prix d'équilibre beaucoup plus élevés : 90, 110 ou 130 dollars. Était-ce d'ailleurs raisonnable ? En tout cas, cela peut être une source d'instabilité importante.
D'autre part, si le prix du pétrole reste bas, il y aura en effet un transfert des pays producteurs vers les pays consommateurs. Selon un chiffre publié par Martin Wolf dans le Financial Times, celui-ci pourrait s'élever à environ 2 % du PIB mondial, ce qui est tout à fait considérable. Nous avions déjà observé un phénomène de cette ampleur au moment du contre-choc pétrolier dans les années 1980.
Certes, nous allons exporter un peu moins vers les pays producteurs, mais les entreprises et les consommateurs européens vont bénéficier très largement de la situation. Cela permettra probablement à l'économie européenne de retrouver un chemin de croissance plus robuste. Rappelons que celle-ci est étale depuis quatre ans : le niveau de PIB de la zone euro au quatrième trimestre de 2014 est identique à celui du premier trimestre de 2011. Sur la même période, la croissance française n'a été que de 0,4 % en taux annualisé. Il faut trouver les moyens d'infléchir cette tendance, qui n'est pas tenable.
La baisse du prix du pétrole va susciter une dynamique d'activité, de revenu et d'emploi plus robuste en Europe et en France. Certains signes suggèrent déjà que la situation est en train de changer : les indicateurs mensuels de la consommation et de la confiance des ménages publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) sont nettement plus encourageants qu'ils ne l'étaient il y a quelques mois ; les ventes au détail augmentent dans la zone euro. Ainsi, les consommateurs commencent à prendre en compte la baisse des prix de l'énergie, facteur qui va jouer favorablement tout au long de l'année 2015 au moins.
Les pays producteurs accumulent beaucoup de capitaux et ne consomment pas tant que cela. De manière humoristique, on pourrait dire que l'arbitrage est le suivant : souhaitons-nous que la baisse du prix du pétrole se traduise par des créations d'emplois supplémentaires en Europe et en France ou bien qu'un pays producteur achète d'autres joueurs de football dans les clubs européens ? La première option est bien évidemment préférable.
Quel peut être l'impact de la baisse du prix du pétrole sur l'économie française ? En se basant sur des hypothèses prudentes, l'INSEE avait estimé que la baisse des prix de l'énergie et celle de l'euro au premier semestre auraient un impact d'environ 0,4 point de PIB sur l'année 2015. Au regard des inflexions que nous avons observées depuis lors, l'impact sera probablement de 0,6 à 0,9 point en année pleine. Il s'agit d'un changement de dynamique très significatif, qui va bénéficier aux consommateurs et aux entreprises. Celles-ci vont pouvoir restaurer leurs marges, ainsi que l'a évoqué M. Duseux. Cette rupture, associée à la politique très volontariste menée par la Banque centrale européenne (BCE), crée des conditions nouvelles dans la zone euro et en France.
Les conditions financières sont très favorables aujourd'hui en Europe : les taux d'intérêt sont très bas. Cependant, en 2014, cela n'avait pas suffi pour que les entreprises se remettent à investir, car elles n'avaient pas d'horizon : les commandes stagnaient faute de débouchés. Or, actuellement, la dynamique des commandes commence à s'améliorer, l'Europe étant passée d'un seul coup, au printemps 2014, à un mode plus favorable à la demande. Cette augmentation de la demande devrait entraîner une nette reprise de l'investissement des entreprises, qui permettra progressivement à l'économie européenne et à l'économie française de se caler sur un cycle économique plus favorable que celui des cinq dernières années. C'est là le plus important.
Selon l'analyse qu'avait faite le président de la BCE, Mario Draghi, au printemps 2014, l'économie européenne et l'économie française n'étaient pas en mesure de rebondir d'elles-mêmes et de retrouver un chemin de croissance plus robuste, contrairement à ce qu'on avait observé dans le passé : après le premier choc pétrolier et après la crise du système monétaire européen en 1992, l'activité était repartie, et la croissance du PIB par tête s'était très vite rétablie à 2 %. Actuellement, le PIB par tête en France est identique à celui de 2011 et reste inférieur à celui de 2007. Selon M. Draghi, il fallait donc trouver le moyen de créer des ruptures pour stimuler l'activité. Or la baisse du prix du pétrole et celle de l'euro vont jouer favorablement dans ce sens.