Intervention de Patrick Criqui

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Criqui, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique :

Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président.

J'évoquerai d'abord les raisons de la baisse du prix du pétrole et m'interrogerai sur sa durabilité ainsi que sur son impact sur les marchés internationaux. J'essaierai ensuite de replacer cette baisse dans le contexte plus général de l'évolution des prix de l'énergie, en tenant compte d'une éventuelle fiscalité de l'énergie, notamment d'une taxation du carbone, qui est nécessaire de mon point de vue.

Si l'on représente sur un graphique l'évolution du prix du pétrole au cours des cinquante dernières années en fonction du volume de production de l'OPEP, on obtient une courbe en forme d'escargot. La relation entre les deux variables est complexe, de nature cyclique.

En 1965, avant les chocs pétroliers, le prix du pétrole était très bas et le niveau de production de l'OPEP relativement faible : de l'ordre de 15 millions de barils par jour. En 1973, les prix demeuraient bas, mais la production de l'OPEP avait été multipliée par deux depuis 1965. Il était alors nécessaire de réajuster le système, soit de façon à freiner la demande, soit de manière à contrôler l'évolution de la production de l'OPEP. On est alors entré dans une deuxième période, celle des chocs pétroliers, le premier se produisant en 1973-1974, et le deuxième en 1979-1980. De 1973 à 1979, le prix du baril est passé de 20 à 100 dollars, en monnaie d'aujourd'hui. À partir de 1979, la production de l'OPEP a commencé à reculer, l'OPEP étant prise en ciseaux entre la réduction de la demande mondiale du fait de la crise et l'augmentation de la production des pays hors OPEP, laquelle était stimulée par un prix du pétrole élevé. Nous avons d'ailleurs vécu un phénomène analogue au cours des dernières années.

En 1986 est intervenu un contre-choc pétrolier : le prix du pétrole a baissé de manière significative et rejoint un niveau assez faible, de l'ordre de 20 dollars le baril, jusqu'en 1998. De mon point de vue, 1998 est une date très importante, car elle marque le basculement du XXe vers le XXIe siècle : cette année-là, la crise financière a pris fin dans les pays émergents, et ceux-ci ont décidé de se lancer dans des stratégies très agressives d'exportations compétitives. S'est alors ouverte une période de dix ans de très forte croissance mondiale – 5 % par an en moyenne – tirée par la Chine et les autres pays émergents. Cette croissance a très fortement stimulé la demande de pétrole, et la production de l'OPEP a dû passer le cap des 30 millions de barils par jour, maximum atteint jusque-là. À partir de 2003, on a observé à la fois une augmentation assez forte du prix du pétrole et une hausse de la production de l'OPEP, qui a alors dépassé 35 puis 38 millions de barils par jour. En 2008, le prix du baril a été de 110 dollars en moyenne annuelle, et la production de l'OPEP de 36 millions de barils par jour. Le prix a ensuite baissé du fait de la crise, avant de remonter. Entre 2003 et 2008, nous avons vécu en quelque sorte un choc pétrolier, même si nous ne l'avons pas interprété comme tel. Le prix du pétrole était alors très élevé, sans doute surévalué.

En résumé, il existe bien une relation, complexe, entre le volume de production de l'OPEP et le prix du pétrole : on assiste à une alternance entre des périodes où le prix du pétrole est surévalué et d'autres où il est sous-évalué. Si l'on s'en tient à cette analyse, on peut penser que le prix du pétrole est actuellement légèrement inférieur à ce que l'on pourrait appeler un « juste prix » ou un « prix d'équilibre dynamique » du pétrole, ces concepts étant cependant difficiles à manier.

D'autre part, en analysant les dynamiques relatives de la consommation mondiale et de la production hors OPEP, on peut comprendre les grands équilibres. Ceux-ci peuvent être résumés par l'équation suivante : la production de l'OPEP est égale à la consommation mondiale de pétrole moins la production hors OPEP.

Ainsi, on peut interpréter le contre-choc de 1986 comme une lutte entre Ahmed Zaki Yamani, ministre saoudien du pétrole, et Margaret Thatcher : l'Arabie Saoudite a alors engagé une guerre des prix pour essayer de casser la dynamique de l'extraction pétrolière en mer du Nord. De même, on peut analyser la situation actuelle comme un affrontement entre Ali Al-Naïmi, ministre saoudien du pétrole, et Barack Obama : l'Arabie Saoudite mène à nouveau une guerre des prix pour tenter d'enrayer le développement du pétrole de schiste aux États-Unis. Trente ans séparent les deux épisodes, ce qui est relativement long. Dans l'avenir, tout dépendra des dynamiques relatives de la consommation – c'est-à-dire de la croissance – et de la production hors OPEP, notamment de la manière dont le pétrole de schiste résistera à la baisse du prix, ce qui reste une assez grande inconnue.

Intéressons-nous maintenant à l'évolution, depuis l'an 2000, des prix du pétrole, du charbon sud-africain – considéré comme représentatif du charbon exporté –, du gaz naturel au hub Henry – c'est-à-dire sur le marché américain – et du gaz exporté par Gazprom. En l'an 2000, le prix du baril de pétrole était de 20 dollars, celui de la tonne de charbon sud-africain de 20 dollars également, et celui du gaz naturel aux États-Unis comme en Europe de deux euros par million de BTU – British Thermal Unit –, ce qui facilite les comparaisons.

Le prix du baril de pétrole a augmenté progressivement jusqu'à l'été 2008, puis a chuté du fait de la crise économique, avant de remonter au niveau de 100 dollars et, enfin, de subir la baisse que nous avons connue récemment jusqu'à environ 50 dollars. On se rend compte que le prix du charbon est tout aussi volatil que celui du pétrole, et qu'il connaît une évolution assez similaire.

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