Intervention de Patrick Criqui

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Criqui, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique :

Le prix du gaz naturel américain a enregistré des pics très importants avant même 2008, ce qui explique dans une certaine mesure le développement du gaz de schiste aux États-Unis, les nouvelles techniques de fracturation hydraulique devenant alors très intéressantes. Surtout, depuis l'été 2008, le prix du gaz américain a complètement décroché par rapport à celui du pétrole. Au cours des dernières années, ce faible prix du gaz a constitué un atout certain pour la reprise de la croissance aux États-Unis, ainsi qu'un élément de compétitivité, en particulier par rapport à l'Europe, dans la mesure où celle-ci importe 30 % de son gaz depuis la Russie et que le prix du gaz russe est resté à un niveau élevé, environ trois fois supérieur à celui du gaz américain. Le prix du gaz est donc un vrai sujet.

Quant à la baisse du prix du pétrole, elle est en effet favorable au pouvoir d'achat des ménages, mais elle bénéficie autant à l'industrie des pays étrangers qu'à celle de la France. Je ne suis donc pas certain qu'elle se traduise par un avantage relatif pour notre industrie en termes de compétitivité.

J'en viens à une réflexion sur le prix du pétrole, le prix du dollar et le prix du carbone, qui sont trois facteurs structurants pour l'évolution des prix de l'énergie au niveau du consommateur final.

La France a défini une valeur tutélaire du carbone. Celle-ci correspond au coût supplémentaire que nous attribuons aux émissions de gaz effet de serre. Elle est utilisée pour l'évaluation des grands projets d'investissement publics et fournit une indication de long terme. Elle résulte de travaux engagés depuis plus de dix ans : ceux des commissions Boiteux et Boiteux II au sein du Commissariat général du Plan, puis ceux de la commission présidée par Alain Quinet au sein du Centre d'analyse stratégique. J'avais participé à l'élaboration du rapport Quinet, qui a ensuite été révisé. Compte tenu des engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il a été estimé que cette valeur tutélaire devait atteindre environ 100 euros par tonne de dioxyde de carbone en 2030. Ce chiffre a constitué le point de convergence entre les différentes parties prenantes au débat et a fait l'objet d'un accord assez solide. Il paraît très élevé par rapport au prix de la tonne de dioxyde de carbone sur le marché européen des quotas, qui est de l'ordre de 5 euros. Mais, en réalité, cela ne représenterait que 25 centimes d'euros supplémentaires par litre d'essence, ce qui est certes important, mais reste inférieur aux fluctuations du prix de l'essence que nous avons connues depuis le début des années 2000.

Comment les différents facteurs – prix du pétrole, prix du dollar, prix du carbone – peuvent-ils se combiner ? Quel est leur impact relatif sur les prix de l'énergie au niveau du consommateur final ?

En 2005, avec un baril de pétrole à 60 dollars – nous étions alors au début du choc pétrolier des années 2000 –, un dollar à 1,25 euro et en l'absence de taxe carbone, le litre d'essence coûtait 1,26 euro. Si l'on prend ce prix comme base 100, on constate que le prix de l'essence avait atteint l'indice 131 en 2010, c'est-à-dire qu'il avait augmenté d'environ 30 %. En 2015, il devrait redescendre à un indice 107.

En 2030, quel serait l'impact d'une taxe carbone de 25 centimes par litre d'essence correspondant à la valeur tutélaire de 100 euros par tonne de dioxyde de carbone ? En retenant l'hypothèse d'un baril de pétrole à 80 dollars et en admettant que l'euro resterait à son niveau actuel par rapport au dollar, le prix de l'essence atteindrait alors l'indice 141, c'est-à-dire qu'il serait supérieur d'environ 40 % à celui de 2005.

Grâce aux travaux du comité pour la fiscalité écologique présidé à l'époque par Christian de Perthuis, la France a déjà instauré une taxe carbone, de l'ordre de 12 euros par tonne de dioxyde de carbone, ce qui est très inférieur à la valeur déterminée par la commission Quinet et dix fois moins que la taxe actuellement en vigueur en Suède. Or l'économie suédoise tourne très bien, ce qui montre qu'une économie moderne peut tout à fait s'accommoder d'une taxe dix fois plus élevée que celle qui est appliquée aujourd'hui en France.

L'impact d'une taxe carbone à 100 euros par tonne de dioxyde de carbone serait plus marqué sur le prix du gaz naturel, notamment car celui-ci a moins baissé que le prix du pétrole.

Surtout, l'impact d'une telle taxe serait beaucoup plus important sur le prix du fioul lourd, ce qui poserait un véritable problème de compétitivité pour l'industrie. Si la valeur de 100 euros par tonne de dioxyde de carbone était retenue dans le monde entier, il n'y aurait guère de souci à se faire, car l'ensemble des économies seraient affectées. En revanche, si la France et l'Europe appliquaient une taxe de cette ampleur avant les autres pays, elles s'infligeraient une pénalité en termes de compétitivité relative.

On comprend alors tout l'intérêt du marché européen des quotas, qui permet de déconnecter le prix du carbone pour les grosses industries du prix du carbone dans les secteurs du bâtiment et des transports. En 2009, nous étions sur le point d'appliquer un système dual de cette nature, avec le premier projet de contribution climat-énergie, lequel a malheureusement été censuré par le Conseil constitutionnel. Je reste convaincu qu'un dispositif qui combinerait une taxe carbone pour les secteurs responsables d'émissions diffuses – transports et bâtiment – et un marché des quotas pour les industries, de manière à modérer l'impact sur la compétitivité de ces dernières, serait un bon système, en tout cas dans un premier temps.

Quelles seraient les recettes issues d'une taxe carbone à 100 euros par tonne de dioxyde de carbone jusqu'en 2050 ? Cet horizon, ne l'oublions pas, est celui de la transition énergétique dans laquelle la France s'est engagée. Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, que l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, a fixé des objectifs très ambitieux, notamment en termes de réduction des consommations d'énergie, en particulier des énergies fossiles. Si nous essayons d'atteindre ces objectifs en augmentant le prix du carbone, ce qui paraît une démarche tout à fait raisonnable du point de vue économique, nous pouvons nous attendre à des recettes moyennes de l'ordre de 30 milliards d'euros par an, ce qui est considérable. La réduction de l'assiette – qui est l'objectif recherché – ne serait sensible qu'au milieu des années 2040. Les recettes ne baisseraient donc qu'à partir de ce moment-là.

L'instauration d'une fiscalité écologique, en particulier d'une taxation du carbone, n'implique pas nécessairement une hausse globale de la fiscalité, ni une augmentation des dépenses publiques. Néanmoins, une telle fiscalité nous procurerait des moyens qui nous permettraient de traiter différents problèmes. Pour ma part, j'en ai identifié trois : la précarité énergétique, la réduction des cotisations sociales des entreprises afin d'améliorer leur compétitivité et le financement de la transition énergétique. Bien sûr, il serait alors nécessaire de faire des choix entre ces différentes priorités. Ce rôle, noble, reviendrait au Gouvernement et au Parlement, qui fixent les orientations politiques, économiques et sociales. Il serait tout à l'honneur de la France de mettre en place un système qui prendrait en compte les externalités environnementales liées à la consommation des énergies fossiles, tout en dégageant des marges de manoeuvre qui contribueraient au financement de nos choix structurels à long terme.

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