Intervention de Patrick Criqui

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Criqui, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique :

La stratégie de l'OPEP est en effet de mener une guerre des prix contre les nouvelles sources d'hydrocarbures, en particulier contre les hydrocarbures non conventionnels. Combien de temps va-t-elle durer ? Souvenons-nous qu'en Algérie, pays producteur de pétrole, des émeutes très violentes ont eu lieu en 1988, soit deux ans après le contre-choc pétrolier de 1986. Il y a donc un certain temps de latence, mais, à un moment donné, la situation deviendra problématique pour les producteurs qui n'ont pas l'assise financière des pays du Golfe.

D'autre part, il est très difficile d'évaluer à partir de quel moment la baisse des prix commencera à porter préjudice aux nouvelles sources d'hydrocarbures non conventionnelles, en particulier au pétrole et au gaz de schiste. Leur production peut se maintenir pendant un certain temps, car il suffit de couvrir les coûts opératoires une fois que les investissements ont été réalisés. Néanmoins, il existe un seuil de renouvellement des investissements, qui se situe, selon moi, au niveau de 60 à 80 dollars le baril pour le pétrole et de 6 à 8 dollars par million de BTU pour le gaz. Si la situation actuelle se prolonge, les nouveaux investissements de production pourraient donc être retardés.

En résumé, il y a probablement une fenêtre de deux, trois ou quatre ans pendant laquelle la baisse des prix n'aura d'incidence ni sur les pays exportateurs les plus vulnérables, ni sur la production d'hydrocarbures non conventionnels. Au-delà, elle finira par se faire sentir, ce qui pourrait créer des tensions.

À la différence de certains de mes collègues, je ne crois pas, malheureusement, à une pénurie structurelle de sources d'énergie fossiles à long terme. Si l'on accepte de payer un prix suffisant, sans doute supérieur à 100 dollars le baril, on peut faire beaucoup de choses, par exemple produire des hydrocarbures liquides à partir du charbon. Or nous disposons d'énormes réserves de charbon. Peut-être y aura-t-il un « pic pétrolier » pour les hydrocarbures conventionnels bon marché, mais, si tel est le cas, nous nous mettrons à produire des hydrocarbures non conventionnels, ce que nous faisons d'ailleurs déjà.

Pour reprendre les termes de mon collègue Pierre-Noël Giraud, professeur à l'École des mines de Paris, avec les énergies fossiles, nous sommes confrontés à un problème non pas de ressources, mais de poubelle, c'est-à-dire à des difficultés en aval plutôt qu'en amont de la production. La poubelle, c'est l'atmosphère, dans laquelle nous rejetons les déchets issus de l'utilisation de ces énergies. Même en faisant l'hypothèse d'une grave crise d'approvisionnement en énergies fossiles en 2050, il sera trop tard à cette date : la poubelle débordera déjà.

En ce qui concerne l'agriculture et l'introduction d'une fiscalité sur le carbone, l'enjeu d'adaptation est en effet majeur. Le meilleur moyen de développer ce qu'on pourrait appeler une « bioéconomie », tant au niveau des sources d'énergie que des matériaux, est probablement de stimuler la production des hydrocarbures d'origine végétale. Un certain nombre de chercheurs travaillent sur le concept de bioéconomie. C'est un vrai sujet, car il faut parvenir à gérer une transition complexe.

S'agissant des comportements d'investissement et des problèmes que pose l'incertitude, l'introduction d'une forte composante carbone ou écologique dans les prix de l'énergie est sans doute l'élément le mieux à même de stabiliser l'environnement décisionnel de l'ensemble des acteurs économiques. Cela lisserait en quelque sorte l'évolution du prix des énergies fossiles, en réduisant l'importance de leurs fluctuations. Surtout, on délivrerait ainsi le message que l'on s'achemine vers une réduction de la consommation de ces énergies, en tout cas lorsqu'il n'y a pas de captage et de séquestration du carbone.

Dans les conditions actuelles, les véhicules électriques permettent une économie structurelle assez limitée. À l'achat, ils coûtent environ 8 000 euros de plus que les véhicules traditionnels. Ensuite, leurs propriétaires économisent 1 000 euros par an sur le carburant, l'électricité étant moins chère que l'essence. Le temps de retour sur investissement est donc de huit ans, ce qui équivaut presque à la durée de vie du véhicule : c'est encore un peu long. En introduisant une forte composante carbone dans le prix de l'essence, nous donnerions le signal que ce prix va augmenter et nous aiderions les consommateurs à s'orienter vers ce type d'équipement. Voilà comment la fiscalité écologique peut contribuer à stabiliser l'environnement décisionnel des entreprises et des consommateurs.

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