Intervention de Francis Duseux

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Francis Duseux, président de l'Union française des industries pétrolières :

Auparavant, le coût marginal de production du pétrole était celui des sables bitumineux du Canada, lequel s'élevait à environ 80 dollars le baril. Le prix de 110 dollars sur le marché revêtait donc, dans une certaine mesure, un caractère artificiel. Compte tenu de la baisse actuelle des cours, qui exerce une pression sur les parapétroliers, on va tailler dans les coûts, améliorer les procédés et rationaliser de manière à gagner en efficacité – conformément à ce qui s'est passé tout au long de l'histoire de l'industrie. On peut penser que le coût marginal sera alors celui du pétrole de schiste produit dans le Dakota, qui est de 60 à 70 dollars le baril – je suis tout à fait d'accord avec les chiffres donnés par M. Waechter. Il est donc plausible que le prix de marché s'établira à ce niveau-là.

Les compagnies pétrolières viennent d'arrêter la production des sables bitumineux, car elle pose toutes sortes de problèmes, notamment environnementaux, et n'est plus rentable. Elle ne redémarrera que si le prix du pétrole connaît une forte hausse. Mon hypothèse est qu'elle devrait dans tous les cas rester réduite.

J'en viens à la question essentielle du raffinage. Deux enquêtes, l'une européenne, l'autre française – menée par Bercy il y a trois ans –, ont soulevé la même question : a-t-on besoin d'une capacité de raffinage dans un grand pays industriel ? La réponse a été positive : le raffinage est stratégique. En effet, il est relativement facile pour un État de sécuriser un approvisionnement en pétrole brut, soit par l'intermédiaire des compagnies, soit directement – le Gouvernement français serait tout à fait capable de négocier des contrats directement avec les grands producteurs. En revanche, un pays qui dépend à 100 % des importations pour son approvisionnement en produits pétroliers est très vulnérable, car il doit alors multiplier les contrats, ce qui est complexe. En outre, un pays tel que la France ne dispose pas nécessairement des infrastructures adaptées, notamment des pipelines et des dépôts. Nous devons donc, collectivement, conserver une capacité de raffinage.

Cependant, le raffinage connaît, malheureusement, un certain nombre de problèmes. Premièrement, les raffineries françaises ont été conçues dans les années 1960 pour fabriquer de l'essence. On consommait alors relativement peu de gazole. Or les petits moteurs diesel Renault et Peugeot ont rencontré un succès fantastique, à tel point que le gazole représente aujourd'hui 80 % des ventes de carburants en France. Quant à la consommation d'essence, elle a chuté de manière continue. Or la quantité de gazole que l'on peut tirer d'un baril de pétrole est limitée. Nous n'avons donc pas d'autre choix que d'importer la moitié des 40 millions de tonnes de gazole que nous consommons par an, ce qui contribue très fortement à creuser notre déficit commercial.

Nous demandons depuis longtemps de rétablir un équilibre entre la consommation d'essence et celle de gazole, dans l'intérêt de notre outil industriel. Nous pouvons y parvenir par la fiscalité. La première solution serait d'augmenter la taxation du gazole. Cependant, toute mesure de cette nature est généralement très impopulaire : les chauffeurs de taxi, les camionneurs et, plus généralement, l'opinion y réagissent fortement. Par chance, la hausse de 5 centimes au 1er janvier dernier est passée quasi inaperçue en raison de la chute du prix du pétrole. La deuxième solution serait de baisser la taxation de l'essence, mais on nous a répondu que c'était impossible en raison du déficit budgétaire. La situation est donc restée inchangée pendant des années. Néanmoins, les choses évoluent un peu : une nouvelle augmentation de la fiscalité sur le gazole est prévue. Il vous appartient, mesdames, messieurs les députés, de décider ce qu'il est juste de faire en la matière.

L'industrie du raffinage française et européenne s'en est tirée en exportant massivement de l'essence vers les États-Unis. Il y a encore quatre ou cinq ans, la pétrochimie américaine avait les mêmes problèmes que la nôtre, notamment des raffineries vieillissantes et une consommation en baisse, en partie en raison des évolutions de la législation. Mais l'envolée du gaz de schiste a tout changé : grâce à ce combustible très bon marché, les États-Unis sont en train de relancer non seulement leur outil de raffinage, mais aussi toute leur industrie pétrochimique – secteur très important qui représente, chez eux comme chez nous, un grand nombre d'usines, de PME et d'emplois. Ils font tourner leurs usines à plein régime, réinvestissent, reconstruisent de nouvelles unités de craquage à vapeur – steam crackers – et ont donc augmenté considérablement leur production de carburants, notamment d'essence. Nos exportations d'essence vers les États-Unis sont donc en train de s'écrouler. Le jour où elles cesseront complètement, nous serons obligés d'arrêter nos raffineries. La situation devient critique.

Par ailleurs, s'il est tout à fait compréhensible qu'il existe une régulation européenne de ce secteur d'activité comme c'est le cas pour d'autres, on rajoute des normes franco-françaises aux normes européennes. Compte tenu de la concurrence internationale, nous demandons que la réglementation ne handicape pas les industries françaises. Or ce n'est pas ce qui se passe actuellement : le poids des normes qui nous sont imposées devient alarmant, en particulier dans le secteur du raffinage.

Les pays producteurs de pétrole tels que l'Arabie Saoudite et le Koweït qui, auparavant, brûlaient les rejets de gaz, s'en servent aujourd'hui comme combustible pour faire tourner des usines. Ainsi que vous avez pu le voir dans la presse, l'Arabie Saoudite vient d'ouvrir deux raffineries de grande capacité et de technologie récente. Son objectif est d'exporter des produits pétroliers au Moyen-Orient et en Chine, et de mieux maîtriser ses ventes de brut.

De même, l'Inde a lancé un programme de raffinage, mis en oeuvre par le groupe Reliance Industries. Elle prévoyait une augmentation considérable des ventes de véhicules. Si elle ne parvient pas à construire les routes, elle dispose désormais d'une forte capacité de raffinage et exporte des produits pétroliers, notamment du gazole, qui arrive à Marseille et au Havre par VLCC – Very Large Crude Carrier –, pétroliers de 220 mètres de long sur 45 mètres de large qui contiennent 2 millions de barils. Il s'agit d'une menace très sérieuse. D'autant qu'il n'y a guère de législation en Inde, notamment pas de normes en matière d'émissions, sans parler des conditions d'emploi de la main-d'oeuvre. Nous sommes donc soumis à une concurrence internationale très féroce, qui va encore s'accroître dans les années qui viennent, compte tenu des investissements réalisés par les États-Unis.

Nous devons donc être très attentifs, collectivement, à l'avenir du raffinage en France. J'ai rappelé que quatre raffineries avaient fermé au cours des dernières années et que le groupe Total allait annoncer non pas la fermeture, mais la reconversion complète de sa raffinerie de Provence, qui enregistre des pertes de 150 millions d'euros par an.

Vous avez évoqué, monsieur Le Roch, l'industrie de l'emballage. Le secteur de la chimie est assez vorace en énergie. Il redevient donc très compétitif du fait de la baisse du cours du brut, mais aussi de la division par deux du prix du naphta, coupe légère issue du pétrole qui constitue l'essentiel de sa matière première. Cela étant, il vit, lui aussi, sous la menace des investissements engagés aux États-Unis.

Nous incorporons déjà des quantités importantes de biocarburants dans le gazole et dans l'essence : globalement, près de 10 % en volume. S'agissant du gazole, nous appliquons actuellement la norme B7 – les biocarburants peuvent représenter jusqu'à 7 % de sa capacité énergétique –, et les instances européennes envisageant de passe à une norme B10 à l'horizon 2020. A priori, il n'existe pas de limitation technique quant à la quantité de biocarburants que l'on peut injecter dans le gazole et dans l'essence. Cependant, selon les spécialistes, nous buterons sur un autre facteur limitant : il nous faudra très rapidement arbitrer, à l'échelle de la planète, entre les cultures destinées à l'alimentation et celles qui sont utilisées pour fabriquer des biocarburants. Ainsi, aux États-Unis, où la part de biocarburants incorporés est importante, le prix du maïs s'est envolé il y a trois ans.

En outre, le bilan carbone des biocarburants de première génération n'est pas particulièrement bon. Néanmoins, celui des biocarburants de deuxième génération – pour la fabrication desquels on utilise non seulement les graines, mais l'ensemble du végétal, y compris la tige – serait un peu meilleur.

Nous sommes favorables au chèque énergie. Cela dit, nous faisons déjà beaucoup pour lutter contre la précarité énergétique et pour encourager les consommateurs à réaliser des économies d'énergie, notamment à changer leur chaudière, ainsi que la réglementation les y incite. Par exemple, l'association Écofioul regroupe des distributeurs de fioul domestique qui aident les particuliers à consommer moins et mieux.

À titre personnel, je suis convaincu qu'il faut protéger l'environnement. Mais il faut aussi protéger les industries françaises ! Nous sommes le pays industrialisé le plus vertueux de la planète en matière d'émissions de dioxyde de carbone, avec 5 tonnes par habitant et par an. L'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis – qui sont à 17 tonnes par habitant et par an, chiffre qui a baissé grâce à la consommation de gaz de schiste – en rejettent davantage que nous. Faisons attention : ne pénalisons pas les industriels français avec des normes plus sévères ; demandons d'abord aux autres pays de réduire leurs émissions jusqu'à 5 tonnes par habitant et par an !

Car de très nombreuses usines ont fermé en France au cours des dix dernières années. La part de l'industrie dans notre PIB a baissé de dix points et n'est plus que de 10 %, contre 23 % en Allemagne. Je m'exprime là non pas en ma qualité de président de l'UFIP, mais en tant que citoyen : nous devons nous efforcer d'attirer des investissements, de redémarrer des usines et de créer des emplois.

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