Intervention de Général Jean-François Hogard

Réunion du 25 mars 2015 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jean-François Hogard, directeur de la protection et de la sécurité de la défense :

Je vous remercie de me recevoir, à un moment charnière pour le service que j'ai l'honneur de diriger, dans un contexte marqué par des événements dramatiques.

J'ai pris mes fonctions le 1er septembre 2014 après avoir servi dans l'infanterie de marine, principalement dans les troupes aéroportées. J'ai été engagé en Afrique, notamment à la tête de l'opération Licorne en 2009, en Irak et en Afghanistan, en 2003 d'abord, en 2010 et 2011, ensuite, comme commandant de la task force La Fayette.

Le 13 février 2013, vous aviez reçu mon prédécesseur, le général Bosser, qui avait présenté la DPSD avec précision. Il ne me semble donc pas utile d'en détailler à nouveau les missions et moyens, sachant que j'ai décidé d'inscrire mon action dans la continuité de celle de mon prédécesseur. J'ai souhaité mener à terme la réforme du service qu'il avait lancée. Le fonctionnement de celui-ci reste complexe, soumis à des impératifs antinomiques comme la circulation interne du renseignement et son nécessaire cloisonnement. Cette recherche de continuité s'entend sans préjudice des réflexions stratégiques, de préparation de l'avenir et d'adaptation à la menace que doit mener constamment tout service de renseignement.

La présente audition s'inscrit dans un double contexte : les travaux en cours relatifs au projet de loi sur le renseignement et les suites des attentats de janvier 2015.

Je commencerai par vous faire part de mon analyse du texte. Celui-ci, vu du service, constitue une avancée majeure. Nous disposerons désormais d'un cadre juridique unifié, cohérent et complet qui renforcera notre efficacité et sécurisera l'action des agents. Je souhaite sincèrement que, par les garanties qu'il instituera, il protège les libertés fondamentales et lève les suspicions qui pèsent parfois sur les services.

Je saisis l'occasion d'exposer mon point de vue sur la question des techniques de renseignement. En effet, les mesures votées auront un impact direct sur mes capacités opérationnelles, tout particulièrement en matière de lutte antiterroriste.

Je vous apporterai ensuite un éclairage rapide sur la réponse de mon service aux attentats de janvier. Celle-ci éclaire nos besoins pour travailler efficacement. Nous quittons stricto sensu la question du projet de loi mais la corrélation est forte entre les deux sujets.

Le projet de loi constituera une avancée pour les missions de la DPSD. Il simplifie, synthétise et unifie un ensemble de textes hétérogènes. Il donne aussi une base solide à l'action des services de renseignement.

Les textes écrits avant le développement exponentiel de l'internet et de la téléphonie mobile étaient devenus obsolètes. Au vu de l'ampleur de la menace, d'une part, et de l'évolution des techniques de communication, d'autre part, il était absolument nécessaire de moderniser le cadre juridique de notre action.

Je souhaite par ailleurs que la loi permette de dédramatiser, de démystifier le rôle des services de renseignement dans notre démocratie, en définissant clairement leurs missions, leurs finalités et les modalités du contrôle de leur action. L'enjeu est autant d'obtenir une avancée juridique fondamentale que d'opérer en France une révolution culturelle. Dans le monde anglo-saxon, le renseignement, admis par la société, bénéficie d'une aura plus positive. Il serait bon que la loi fasse évoluer les mentalités et le regard porté sur les services de renseignement, et qu'elle participe de la diffusion de la culture du renseignement chez nos concitoyens. Ce ne serait pas la moindre de ses vertus.

Le projet de loi me semble également avoir une vertu politique. Il pourrait susciter un débat démocratique sur l'équilibre entre sécurité collective et liberté individuelle, en particulier sur la question de l'emploi de techniques de renseignement. Ce débat est fondamental et ce qui en résultera structurera longtemps nos capacités d'action. En tant que soldat, je suis attaché à la souveraineté de mon pays et à la protection de mes concitoyens. En tant que citoyen, j'appelle de mes voeux un texte équilibré, qui veille aux libertés.

Le débat a déjà commencé dans la sphère publique et médiatique. Un équipement, l'IMSI-catcher, fait controverse. Je souhaite aborder ces questions comme directeur d'un service de renseignement, ne pas éluder certains aspects de mes missions mais aussi en préciser la portée véritable. Surtout, je dois souligner le besoin de mon service en matière de techniques de renseignement. J'entends assurer qu'il en fera une utilisation stricte et mesurée.

L'état de la menace nous impose d'être parfois intrusifs. In fine, une menace est toujours incarnée. Derrière les définitions d'ordre général, figurées par la menace terroriste ou l'ingérence économique, nous faisons face quotidiennement et très concrètement à des individus ou des groupes d'individus. Il s'agit de personnes impliquées dans l'organisation d'attentats à venir, se préparant à cibler des communautés, des sites protégés par nos soldats ou les symboles de nos institutions, mais aussi d'hommes ou de femmes – du stagiaire au membre d'une officine – traités par un service étranger ou missionnés par un concurrent, afin de conduire des actions d'ingérence visant nos industriels de défense, dont ils veulent dérober les secrets et le savoir-faire.

Parfois, l'emploi de techniques de renseignement sur de tels individus est incontournable. Ne pas être intrusif, c'est se priver de la possibilité de suivre de telles cibles – leurs intentions, contacts, complices ou donneurs d'ordres – et de connaître leurs agendas, particulièrement lors d'un passage à l'acte. Ne pas être intrusif en pareil cas, c'est aggraver le risque qui pèse déjà sur nos concitoyens, mais cette intrusion doit être contrôlée et concentrée sur l'adversaire.

J'aborderai cette problématique dans ses aspects les plus concrets. Mon service n'a ni le besoin, ni l'envie, ni les moyens d'utiliser des techniques de renseignement pour un recueil de grande ampleur. Notre besoin porte le plus souvent sur une cible qui a été identifiée comme une menace. Par ailleurs, je veux témoigner de l'éthique de mes personnels, qui constitue un garde-fou, associée à des savoir-faire et savoir-être spécifiques. Je citerai la discrétion et le cloisonnement, le compte rendu systématique à l'autorité, qui renforce le contrôle interne, et le contrôle exercé par la hiérarchie. Enfin, les agents sont formés sur le contenu des lois et règlements en vigueur.

Un service de renseignement doit disposer de moyens techniques de renseignement adaptés aux cibles et à l'époque dans laquelle il vit. Très concrètement, je comprends que le projet donne un cadre juridique à l'emploi des techniques de renseignement dont je pourrais devoir faire emploi, en contrepartie d'un contrôle ex ante par l'autorité administrative, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Il permet également d'utiliser, sous le contrôle du Premier ministre, des techniques de renseignement en cas d'urgence absolue, avec un contrôle ex post de la CNCTR.

Il me semble donc que le principe retenu à ce stade par le projet de loi est celui du contrôle a priori par une autorité extérieure au service – le principe général est celui d'un contrôle par la CNCTR – et ce, même dans le cadre de la procédure d'urgence absolue. Il ne me revient pas de me prononcer sur les modalités que vous retiendrez finalement pour réaliser un contrôle sur les services. Celui-ci est évidemment justifié. Je souhaite simplement qu'il permette de répondre aux cas d'urgence. En tant qu'opérationnel, je sais qu'il faut parfois raisonner en minutes plus qu'en heures. Il faut donc que nous puissions agir dans ces cas qui restent rares.

Outre des techniques que je qualifierais de classiques – les interceptions de sécurité ou les factures détaillées, les « fadettes » –, l'enjeu est de disposer de techniques adaptées à notre temps. L'adversaire lit la presse, écoute la radio, la télévision et consulte l'internet. Il s'informe de nos forces et faiblesses. Il en tire parti et certaines techniques traditionnelles, il faut le reconnaître, deviennent quasi inopérantes.

Il faut aussi s'adapter à la mobilité des cibles, c'est-à-dire non seulement à la mobilité physique, mais aussi à ce que j'appellerais une forme d'agilité numérique. La cible sait varier ses modes et outils de communication. Il est facile d'acheter plusieurs téléphones mobiles ou plusieurs cartes SIM avant de passer à l'acte. Il faut donc que nous complétions les moyens classiques, comme les écoutes administratives, par des moyens techniques tactiques, qui permettent de suivre la cible avec une agilité égale à la sienne.

Ces moyens sont ceux dits de type « R. 226 », en référence à l'article du code pénal fixant les règles de leur utilisation par dérogation, dans un cadre général de prohibition. Il s'agit notamment des IMSI-catcher qui permettent d'identifier, de localiser, voire d'écouter, pour les modèles les plus perfectionnés, un téléphone portable.

Je confirme mon besoin de tels équipements, y compris de la capacité d'interception des conversations. Ce point est fondamental en cas de passage à l'acte imminent, car il est fort peu probable que les autres données de connexion permettent de le détecter. Cependant, les IMSI-catcher ne constituent pas l'alpha et l'oméga du renseignement technique. La mobilité des cibles, leur agilité numérique et leur méfiance face aux écoutes au sens général, nous obligent, si nous voulons être efficaces, à disposer de toute la gamme des équipements adaptés aux fonctions prévues par la loi : capacités en géolocalisation, capacités en sonorisation et capacités de suivre les communications électroniques.

Au-delà de toute considération technique, je confirme que, à terme, je serais en grande difficulté pour remplir mes missions au service de mes concitoyens si je ne pouvais disposer de moyens techniques de renseignement.

Le projet de loi constitue pour notre service une avancée fondamentale. C'est une brique majeure pour engager la transition du service vers une nouvelle phase. Les récents attentats ont en effet révélé qu'il restait des limites à dépasser pour nous adapter pleinement aux menaces.

La crise a définitivement mis en lumière le dimensionnement que doit avoir un service de renseignement. Les attentats ont souligné l'existence de limites structurelles. La difficulté qu'il a fallu dépasser est celle d'une situation de crise, dans le cadre d'un fonctionnement devenu contraint par une logique de temps de paix. Ces limites avaient déjà été identifiées et exprimées dans les études et réflexions stratégiques dont j'ai demandé l'actualisation.

Dès la survenance des événements, la mobilisation du service a été immédiate et générale. L'analyse de la situation s'est traduite par des ordres donnés à l'ensemble des entités du service pour accompagner la montée en puissance du plan Vigipirate puis le déploiement des forces armées sur le territoire national, par des opérations au profit direct de la sécurité de nos forces, de nos concitoyens et de nos entreprises de défense, par des bascules d'effort sur l'activité antiterroriste du service, par l'appel aux réservistes et, parallèlement, par une analyse des besoins humains et en équipements, transmise à l'autorité politique, qui a attribué soixante-cinq postes supplémentaires dans le cadre du plan antiterroriste, en 2015 et 2016.

Il reste encore un cap à franchir pour relever de nouveaux défis.

La bascule d'effort et l'appel aux réservistes visaient à mieux assurer, dans l'immédiat, certaines missions. L'octroi d'effectifs supplémentaires permettra de pérenniser cet effort. Il s'agit pour moi maintenant de conquérir une ressource humaine rare et disputée.

Dans le cadre de la prolongation du niveau Alerte attentat de Vigipirate, la sécurité de nos 10 000 hommes et femmes déployés relève du défi permanent pour mon service. Chacun d'eux est une cible potentielle. On se rappelle l'agression dont nos soldats ont été victimes à Nice.

La sécurité des hommes s'entend bien entendu sans préjudice de celle des sites ou des installations relevant de ma responsabilité, qu'ils soient publics ou privés. La devise de mon service, « Renseigner pour protéger », prend ici tout son sens.

Le projet de loi sur le renseignement revêt une importance particulière tant il est porteur d'accès à des moyens techniques qui augmenteront notre efficacité en matière d'antiterrorisme, sans toutefois pouvoir se substituer à la ressource humaine, sujet sur lequel nous sommes déjà tous mobilisés dans le cadre de la réactualisation de la LPM. Seule l'intelligence humaine peut faire fructifier les capacités techniques dont nous serons dotés.

Je conclurai sur le projet de loi qui a suscité votre invitation. La loi permettra, je l'espère, des avancées fondamentales. La moindre d'entre elles ne sera sans doute pas de normaliser l'action des services de renseignement dans notre démocratie. Elle fixera les limites voulues par la représentation nationale.

Elle va aussi provoquer un débat de fond, qui a déjà commencé dans la sphère publique et médiatique. J'espère qu'il permettra de dépassionner les questions qui préoccupent légitimement nos concitoyens sur nos missions et nos moyens, et, par extension, sur nos intentions supposées. Je rappelle que ma mission ne peut pas se concevoir sans l'emploi de techniques de renseignement.

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