Intervention de Pierre Lellouche

Séance en hémicycle du 2 avril 2015 à 9h30
Renégociation des conditions de saisine et des compétences de la cedh — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’entends déjà le choeur des belles âmes, les voix des « droits de l’hommistes » professionnels mêlées aux cris d’orfraie des inconditionnels de l’Europe, celle des cabris dont parlait le général de Gaulle : « Comment ! Un parti de gouvernement, comme l’UMP, qui succombe ainsi aux instincts les plus bas du souverainisme, invitant le gouvernement en place, par le biais d’une résolution déposée à l’Assemblée nationale, à revoir sa politique vis-à-vis de la Cour européenne des droits de l’Homme, ce totem sacré de l’Union ? Comment ! Un ancien ministre des affaires européennes qui s’en prend frontalement à cette « conscience de l’Europe » que représente cette vénérable institution ? »

Passe encore que le Parlement britannique vote de telles résolutions, comme il l’a fait en février 2012 – par 234 voix contre 22, excusez du peu ! – contre la jurisprudence de la CEDH qui exigeait du Royaume-Uni qu’il concède le droit de vote à ses détenus emprisonnés, ce qui est pourtant interdit par la loi britannique ! Passe encore que David Cameron s’exclame en clôturant le congrès du parti conservateur : « Nous n’avons pas besoin de recevoir d’instructions des sages de Strasbourg » !

Passe encore – ou plutôt, pire encore ! – que le nouveau tsar de toutes les Russies, Vladimir Poutine,en août 2014, menace la CEDH d’un retrait de la Russie, après que la Cour a condamné le gouvernement russe à rembourser 2,6 milliards de dollars aux anciens actionnaires de la compagnie pétrolière Ioukos !

Mais la France ! La France patrie des droits de l’homme, la France pionnière de la construction européenne, la France siège de la CEDH ! Que notre France emboîte ainsi le pas aux eurosceptiques anglo-saxons et aux nostalgiques de l’URSS : voilà qui, selon nos bons esprits, témoignerait à coup sûr de la « droitisation » en marche, d’une frénésie souverainiste, ou, au minimum, d’une manoeuvre éhontée de démagogie anti-européenne !

« Et tout ça pour quoi ? », ajouteront sans doute nos procureurs. Pour proposer l’impensable : demander à la France – seule option possible aujourd’hui, au regard des textes de la Convention européenne des droits de l’homme – de dénoncer cette Convention, parce que l’on contesterait telle ou telle décision. Une démarche vaine, contre-productive pour l’image de la France – en un mot, impensable !

Je ne doute pas que ce sera l’argument que vous m’opposerez tout à l’heure. Pourtant, mes chers collègues, c’est bien à un exercice de réflexion que je voudrais vous inviter ce matin, dans l’intérêt même de notre démocratie ; une réflexion apaisée, loin de toute volonté de confrontation idéologique ; un simple appel au bon sens, fondé sur notre tradition juridique et politique, sur l’évolution de notre droit, sur la notion de souveraineté chère à tous les républicains.

Mesdames et messieurs, nous devons avoir le courage de dénoncer aux Français ce qu’il faut bien appeler une dérive inquiétante de la jurisprudence de la CEDH.

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