Intervention de Pierre Lellouche

Séance en hémicycle du 2 avril 2015 à 9h30
Renégociation des conditions de saisine et des compétences de la cedh — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans la soumission progressive de la République à un gouvernement des juges supranational ? Peu à peu, celui-ci grignote la totalité des domaines de compétence législative de cette assemblée, au point de menacer, y compris dans les domaines qui touchent à la sécurité nationale, la capacité de la République à mener à bien les missions régaliennes qui sont les siennes, à commencer par la protection des Français contre le terrorisme.

Loin d’être sacrilèges, mes collègues du groupe UMP et moi-même avons la conviction que le moment est venu de porter un regard lucide sur ce qu’est devenue la Cour européenne des droits de l’Homme depuis sa fondation, en gardant en mémoire les traditions juridiques qui sont les nôtres. Cette cour, on le sait, est un organe juridictionnel supranational créé en 1959 par le Conseil de l’Europe pour assurer le respect des engagements souscrits au titre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle est compétente pour traiter des recours portés contre un État membre du Conseil de l’Europe, y compris par le biais de recours individuels contre les États qui ne respecteraient pas les droits et libertés reconnus dans la Convention et ses protocoles additionnels.

Depuis un certain nombre d’années, la saisine de la Cour a dérivé vers une quasi-automaticité une fois épuisées les voies de recours internes. Alors qu’elle n’était saisie que de 5 000 requêtes en 1990, le nombre de requêtes atteignait 35 000 douze ans plus tard. Elle connaît à présent 60 000 requêtes par an, le nombre des affaires pendantes atteignant 150 000 !

La Cour est donc menacée d’asphyxie, mais son influence n’a fait que croître depuis des années, la Convention européenne des droits de l’Homme pouvant désormais être invoquée directement en France devant les tribunaux. Désormais, toute personne physique, indépendamment de sa nationalité et du lieu de sa résidence actuelle, peut saisir la Cour, dès lors qu’elle se considère comme victime directe, indirecte ou potentielle d’une violation des droits de l’homme résultant d’un État membre.

Ce droit, on va le voir, s’étend aux terroristes binationaux, voire étrangers, condamnés par des juridictions européennes, et qui ne se privent pas de saisir la Cour de Strasbourg en même temps qu’ils demandent l’asile politique pour éviter leur expulsion vers leur pays d’origine.de

Depuis l’entrée en vigueur du protocole 11, le recours individuel est en effet automatique, sans que les États membres puissent s’y opposer. Cette évolution a entraîné une jurisprudence souvent contestable et contestée dans plusieurs pays. Au fil du temps, en effet, avec la saisine directe de la Cour et l’introduction dans notre propre droit, en 2008, de la question prioritaire de constitutionnalité – la QPC –, les justiciables se tournent directement vers la CEDH.

Ainsi, la Cour a progressivement envahi tous les domaines du droit et de la société française. De la modification de leur état civil, octroyée aux transsexuels en 1992, en passant par la protection absolue des sources des journalistes, l’obligation de la présence d’un avocat dès les premiers instants d’une garde à vue, la garantie du regroupement familial et le contrôle de la politique de l’immigration en général, jusqu’à l’appréciation de l’indépendance du parquet français au regard du juge du siège – ce qui, au passage, a remis en question l’unicité de notre corps judiciaire –, la totalité, ou à peu près, de la vie quotidienne des Français relève désormais des pouvoirs des 47 juges de Strasbourg.

Cette Babel juridique décide un jour, contre l’avis du Conseil d’État, que Vincent Lambert ne doit pas mourir, interdisant même qu’il change d’hôpital. Un autre jour, elle décide du bout des lèvres que la burqa peut demeurer interdite en France dans les lieux publics, parce que la nature de la sanction prévue – 150 euros – n’est que symbolique.

La même cour s’empare du droit de la famille dans ses arrêts du 26 juin 2014, obligeant la République française à reconnaître sans délai tous les actes d’état civil effectués à l’étranger pour les enfants nés à l’étranger d’un père français et d’une mère porteuse étrangère. Ce faisant, la Cour piétine l’interdiction, pourtant d’ordre public, de la gestation pour autrui prévue à l’article 16-7 du code civil, et le principe fondamental dans notre droit de la non-marchandisation du corps humain. On notera au passage que le gouvernement français a refusé de faire appel de cette décision, alors que j’avais déposé, le 12 septembre, au nom du groupe UMP, une résolution en ce sens.

Un peu plus tard, le 2 octobre 2014, la Cour, tout en reconnaissant à la France le droit de préserver l’ordre et la discipline nécessaires aux forces armées, dont la gendarmerie nationale fait partie, a estimé que la République française devait reconnaître les syndicats de soldats. Dans la foulée, un premier syndicat a été créé au sein de la Gendarmerie nationale.

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