Mais là ne s’arrête pas la créativité juridique des juges de Strasbourg. S’intéressant à la fraude fiscale et à la criminalité financière, un arrêt de la Cour européenne du 4 mars 2014 – Grande Stevens et autres contre Italie – aboutit, en vertu de l’application du principe non bis in idem, à exclure pour le gouvernement – en l’espèce italien, mais demain français – le droit de poursuivre au pénal des personnes déjà condamnées par une juridiction financière.
Jusqu’à présent, la double condamnation était possible, en matière boursière notamment, le principe du cumul des actions administratives et pénales ayant été consacré par plusieurs arrêts de la Cour de cassation, le dernier en date remontant au 22 janvier 2014. C’est ainsi que les juridictions françaises autorisaient le prononcé d’une sanction pénale contre un contrevenant déjà sanctionné par l’Autorité des marchés financiers, l’AMF. La plus haute juridiction française avait explicitement écarté le recours du plaignant, fondé sur le principe du non bis in idem, au motif que la France avait déposé une réserve à l’article 4 du protocole additionnel no 7. C’est précisément cette possibilité de sanctionner lourdement les fraudeurs, à la fois par des sanctions administratives et par l’application du code pénal, que la Cour européenne des droits de l’homme vient de supprimer par l’arrêt du 4 mars 2014.
On notera que, dans cet arrêt, la Cour a fait litière de la réserve déposée par l’Italie lors de la signature de la Convention, réserve quasiment identique à celle déposée par la France. Cela revient à bafouer le droit d’un État souverain de déposer une réserve, ce qui est sans précédent dans le droit international. Désormais, les moyens de la République française de lutter contre la grande criminalité financière sont considérablement réduits, tout cela au nom des droits de l’homme, ou plutôt de l’interprétation qu’en font les juges de Strasbourg.
Une telle créativité jurisprudentielle forcerait presque l’admiration ! Jean Giraudoux ne disait-il pas que « le droit est la plus puissante école de l’imagination » ? L’ennui, comme l’a souligné notre collègue Guillaume Larrivé, est que ce « progressisme juridique a accouché au fil des années d’une régression démocratique ». Une régression qui nourrit à son tour le sentiment de dépossession du destin national, de la vacuité de nos propres institutions représentatives, chargées pourtant de faire la loi ou de l’appliquer, confirmant ainsi l’image d’une Europe à la fois lointaine et tyrannique.
Ce qui est en marche, mes chers collègues – et cela mérite d’être regardé en face, avec lucidité et sans excès – n’est rien d’autre qu’un pouvoir juridictionnel supranational, dénué de tout contrepoids politique. Cette constatation n’a rien de souverainiste, puisque la notion de « gouvernement des juges » est intimement liée à l’histoire de notre tradition juridique.
En effet l’auteur de cette expression est un grand juriste français, Édouard Lambert, qui avait dénoncé dans les années 1930 les dérives de la Cour suprême américaine contre les mesures prises par le Président Roosevelt au lendemain de la crise de 1929. Le fait que cette expression soit française ne doit rien au hasard. Notre tradition, celle de Montesquieu, n’a rien à voir avec celle de laCommon law britannique. Tandis que Locke voyait dans le juge le garant des libertés, nos lois révolutionnaires sont fondées sur une conception inverse. La loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire indique que : « les juges ne peuvent, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ».
Il faudra attendre 1879 pour voir le Conseil d’État transformé en organe juridictionnel susceptible de contrôler les actes administratifs restrictifs des libertés. Je passe sur l’histoire de la conception française, influencée par Carré de Malberg, mais sachez que pour le général de Gaulle, qui s’est toujours refusé à accepter la compétence de la CEDH, « en France, la seule Cour suprême, c’est le peuple français ».
Certes, le paysage juridique a changé depuis le début de la Ve République et le contrôle de constitutionnalité s’est développé, notamment depuis l’instauration de la QPC, mais prenons garde que le gouvernement des juges ne vienne obérer gravement les moyens de l’État !
Vous trouverez dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution une analyse détaillée de quatre décisions concernant des terroristes emprisonnés en Europe et que la Cour protège mieux que leurs victimes.
Est-il normal par exemple, que la France ait été condamnée par la Cour à verser 52 000 euros aux pirates ayant intercepté des bateaux au large de la Somalie et qui ont été capturés par des commandos français ? Est-il normal que Kamel Daoudi, franco-algérien déchu de sa nationalité française pour avoir fomenté une attaque contre l’ambassade des États-Unis à Paris, n’ait pas pu être expulsé vers son pays d’origine en raison d’un arrêt du 3 décembre 2009 selon lequel « vu le degré de son implication dans les réseaux de la mouvance de l’islamisme radical, il était raisonnable de penser que, du fait de l’intérêt qu’il pouvait représenter pour les services de sécurité algériens, M. Daoudi pouvait faire l’objet, à son arrivée en Algérie, de traitements inhumains et dégradants ». Autrement dit, plus le terroriste est dangereux, moins il peut être expulsé !
C’est sur le même raisonnement qu’elle fonde sa décision du 6 septembre 2011 concernant Djamel Beghal. Vous n’êtes pas sans savoir, mesdames et messieurs, que celui-ci était l’émir des frères Kouachi et de Coulibaly, qu’il a reçus dans un hôtel de Murat, dans le Cantal, où il était logé aux frais de la princesse parce que la Cour européenne de justice avait refusé son expulsion alors même que nous l’avions déchu de sa nationalité française !
Que dire aussi de l’arrêt Othman contre Royaume-Uni en raison duquel un citoyen jordanien ne disposant même pas de la double nationalité et condamné pour deux actions terroristes en Jordanie n’a pas pu être expulsé de Grande-Bretagne malgré un accord entre le Royaume-Uni et la Jordanie prévoyant que la peine de mort ne lui serait pas infligée ! Malgré cet accord, la Cour a considéré qu’Othman ne pouvait pas être expulsé du Royaume-Uni.
Que dire enfin de la décision la plus récente du 7 octobre 2014 Trabelsi contre Belgique par laquelle la Belgique, après avoir poursuivi pour une série d’attentats, condamné à l’expulsion et expulsé Trabelsi, a été condamnée par la Cour pour avoir violé les mesures conservatoires interdisant son expulsion vers les États-Unis, où il était poursuivi pour d’autres faits ! De telles décisions sont franchement consternantes et se passent de tout commentaire !
Alors que de graves menaces pèsent sur la sécurité de la France et que le Gouvernement prépare un projet de loi relatif au renseignement, il est incompréhensible de laisser se développer une jurisprudence de ce genre, et d’abord au regard du droit international. Je rappelle que le Conseil de sécurité de l’ONU a voté le 24 septembre 2014 une résolution, promue par la France, invitant expressément les États à veiller à ce que le statut de réfugié ne soit pas détourné à leur profit par les auteurs, organisateurs et complices d’actes terroristes, y compris les combattants terroristes étrangers.
Cette jurisprudence est également insupportable au regard de l’équilibre des pouvoirs, fondement même de nos principes démocratiques. Les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme n’étant pas susceptibles de recours, les États n’ont d’autre choix que de s’incliner ou comme certains, notamment la Russie et la Turquie, de les ignorer purement et simplement. Pour les premiers, les bons élèves dont la France fait partie, la sentence de Montesquieu selon laquelle « pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » s’avère vide de sens, car il n’existe pas de telles dispositions. Quant aux seconds, ils ignorent tout simplement la Cour. Drôle de justice à deux vitesses ! Ici des terroristes sont protégés par les juges de Strasbourg, ailleurs des journalistes et des hommes politiques sont assassinés en pleine rue !
On comprendra donc que l’objectif premier de la présente résolution est d’inviter le gouvernement français à mettre fin à ces dérives inquiétantes en ouvrant un débat avec nos partenaires européens. Elle n’a pas vocation à remettre en cause les principes fondamentaux de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Elle n’a pas davantage pour objectif de sous-estimer les avancées obtenues en matière de libertés publiques, comme le régime de la garde à vue ou la protection des journalistes.
Toutefois, les élus nationaux comme les citoyens qu’ils représentent ne peuvent accepter que certains juges s’arrogent le droit, au nom d’une interprétation dévoyée des droits de l’homme, d’affaiblir l’impératif de sécurité nationale. Afin de rappeler la solidité des institutions françaises, j’invite donc, au nom du groupe UMP, le Gouvernement à ouvrir des négociations avec les pays signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme en vue d’en réviser la composition et les compétences et à tout le moins d’interdire les recours individuels prévus dans le cadre de l’article 34 de la Convention aux individus condamnés pour actes de terrorisme par les juridictions nationales des parties contractantes. Dans l’hypothèse où ces modifications indispensables ne pourraient être obtenues, la présente résolution invite le Gouvernement français à faire savoir à ses partenaires que la France serait prête à dénoncer la Convention...