Intervention de Yannick Favennec

Séance en hémicycle du 2 avril 2015 à 9h30
Renégociation des conditions de saisine et des compétences de la cedh — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Favennec :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est toujours difficile de trouver le juste équilibre entre le respect des droits et des libertés de chacun et la protection de la population. Cette délicate recherche du compromis est d’autant plus complexe à l’heure où notre nation traverse, au lendemain des attentats de janvier dernier, des moments particulièrement éprouvants et bouleversants. Dans ce contexte particulier, qui fait de la lutte contre la radicalisation un enjeu majeur, la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à renégocier les conditions de saisine et les compétences de la CEDH, notamment dans des cas relevant de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme. Avant d’évoquer l’hypothèse d’une telle révision, il me semble important de rappeler le contexte de la naissance de la CEDH et sa vocation première.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, caractérisée par la barbarie et la violence, l’ONU adopte la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous sommes alors en 1948 et le monde émerge avec peine d’années d’atrocités pratiquement innommables. Les États prennent conscience de l’importance de reconnaître universellement les droits de l’homme. La Déclaration est un premier pas non négligeable vers le renforcement de la protection des droits de chacun au niveau international.

Par ailleurs, la Seconde Guerre mondiale a fait prendre conscience aux États européens de l’importance de créer une communauté soudée ayant pour priorité d’opposer un rempart aux idéologies les plus néfastes. En 1949, la création du Conseil de l’Europe à Londres réaffirme l’attachement de notre continent aux libertés fondamentales, racines mêmes de nos démocraties européennes. En 1950, la Convention européenne des droits de l’Homme est adoptée et la CEDH est créée en 1959 afin de veiller à son respect. Elle a vocation à constater les atteintes subies par les victimes et à leur attribuer, si elle le juge nécessaire, une réparation appropriée. Sur la base du texte de la Convention, elle garantit de nombreux droits et interdit les détentions illégales, les discriminations, l’esclavage et plus généralement toutes les formes de torture et de traitement inhumain.

Indéniablement, nous devons veiller à la préservation du rôle de protection des droits de l’homme de la CEDH. Les garde-fous que constituent les conventions que nous avons signées doivent perdurer, faute de quoi nous risquerions de répondre à la barbarie par des actes ne nous plaçant pas au-dessus de ceux qui nous attaquent.

Mes chers collègues, alors que la menace terroriste pèse sur l’Europe, la lutte contre la radicalisation est devenue l’un des enjeux les plus importants de nos démocraties. La proposition de résolution de notre collègue Pierre Lellouche s’inscrit justement dans la démarche visant à faire en sorte que les États trouvent des solutions pour progresser dans leur combat contre une menace de plus en plus importante. Depuis le début de l’année, l’Europe a été particulièrement touchée par des attentats qui ont marqué nos populations. De Paris à Copenhague, ce sont nos valeurs, celles de l’Union européenne, qui ont été attaquées !

Dans ce contexte, on peut aisément comprendre qu’une population encore traumatisée par les récents attentats soit scandalisée qu’une institution créée pour sauvegarder les droits de l’Homme protège des terroristes et qu’ainsi une personne condamnée pour terrorisme par une juridiction nationale passe pour une victime aux yeux de la Cour européenne. L’auteur de la proposition de résolution vient de rappeler les décisions par lesquelles la CEDH s’est opposée à plusieurs reprises aux jugements de juridictions nationales en interdisant aux gouvernements d’expulser certains individus vers leur pays d’origine. Citons notamment la décision du 17 janvier 2012, Othman contre Royaume-Uni, par laquelle la Cour a jugé que l’expulsion du requérant, déclaré coupable en 1999 d’organisation d’attentat, était illégale et emportait violation de la Convention malgré l’accord conclu entre le Royaume-Uni et la Jordanie.

Si le principe de protection de tout individu contre des expulsions entraînant des violences ou des comportements inhumains est primordial, la CEDH ne semble pas, dans ces cas précis, avoir pris en compte l’ensemble des éléments reprochés à l’accusé et les précautions prises par les États. Or la multiplication par trente du nombre des recours individuels en seulement quinze ans systématise une pratique qui ne devrait pas l’être. Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur du protocole 11, le recours individuel automatique auquel les États membres ne peuvent s’opposer semble être devenu la règle.

Cependant, protéger les personnes susceptibles d’être exposées à des traitements inhumains constitue l’un des fondements de la Cour européenne des droits de l’homme. Réviser les conditions de saisine de la CEDH n’est pas une décision que l’on peut prendre à la légère. Si une réforme doit être menée, elle doit l’être après une longue réflexion, en coordination avec l’ensemble des pays européens et loin de tout affect : nous devons prendre garde de ne pas arrêter de décisions à la hâte, sous le coup de l’émotion.

À ce titre, nous émettons une réserve sur la formulation du premier alinéa de la présente proposition de résolution, selon lequel notre assemblée affirmerait « sa volonté de voir la France maîtresse de ses décisions politiques et juridiques notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ». Cette disposition ne doit pas être interprétée comme la volonté de nous soustraire au contrôle de la CEDH, indispensable à la préservation des droits de l’Homme. Nous avons souvent insisté sur la nécessité de lutter contre le terrorisme au niveau européen. C’est par la coordination avec nos voisins que nous serons réellement efficaces pour lutter contre ce fléau.

Vous le savez, mes chers collègues, les députés du groupe UDI sont profondément européens et attachés aux engagements pris par la France au niveau européen. Nous savons aussi combien il est important que notre pays mette tout en oeuvre pour lutter contre la progression du terrorisme. En ce sens, il nous semble opportun que le Gouvernement engage des négociations avec les pays signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme afin de discuter des compétences et des modes de saisine de la Cour. Par conséquent, le groupe UDI votera la proposition de résolution.

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