Intervention de Marc Mortureux

Réunion du 31 mars 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, ANSES :

Je suis heureux d'avoir de nouveau l'occasion de faire le point devant vous sur les activités de l'Anses. L'Anses couvre un champ très large de compétences et de sujets, qui ont une dimension à la fois environnementale, sanitaire et sociétale. Elle est en charge des questions de santé humaine, mais aussi animale et végétale, car nous souscrivons au concept que la santé est une.

Dans le domaine de la santé humaine, l'agence assure le contrôle de la chaîne alimentaire et de la sécurité sanitaire des aliments, mais prend aussi en charge le sujet de la santé environnementale et les questions relatives à la santé au travail. Nous travaillons aussi bien sur les risques microbiologiques que sur les risques chimiques ou encore physiques –ondes radiofréquences, bruit… Beaucoup de sujets sur lesquels nous sommes sollicités se caractérisent par des incertitudes scientifiques. Nous nous employons à documenter les questions en faisant l'état des connaissances pour dégager ce qu'il est possible d'affirmer sur un sujet donné, sans omettre les incertitudes qui peuvent aussi exister.

Notre crédibilité a été construite depuis 2010 sur un modèle original basé sur une vision intégrative des risques, qui considère l'homme dans son environnement au sens large, au travail, mais aussi comme consommateur à travers l'alimentation. C'est une originalité sur le plan international. Dès l'origine, un cadre déontologique renforcé a en outre garanti l'indépendance de l'expertise scientifique. De plus, l'ANSES a développé une gouvernance ouverte au dialogue avec tous les acteurs de la société, en amont et en aval de l'expertise scientifique. Enfin, elle affirme une forte présence en Europe et à l'international, car les sujets qu'elle traite ont, en règle générale, une dimension européenne ou une dimension plus large encore.

L'ANSES peut être aussi bien saisie par l'un de ses cinq ministères de tutelle, à savoir les ministères de l'agriculture, de la consommation, de l'écologie, de la santé ou du travail, mais aussi par des membres de notre conseil d'administration, où se retrouvent des représentants des cinq collèges du Grenelle de l'environnement. Nous pouvons également nous saisir nous-mêmes. Le Parlement n'a pas cette possibilité formellement, mais nous y sommes ouverts, car nous sommes toujours heureux de lui apporter notre expertise.

L'agence compte près de 1 300 agents et mobilise environ 800 experts extérieurs via ses collectifs d'experts. Elle conduit des évaluations de risques, mais aussi des activités de laboratoire de référence et de laboratoire de recherche. Notre budget est d'environ 130 millions d'euros, aux deux tiers venant de subventions des différents ministères, auxquelles s'ajoute le produit de taxes versées par les industriels lorsqu'ils déposent des dossiers de demande d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes, produits biocides ou médicaments vétérinaires.

Je vais vous présenter nos trois axes prioritaires pour 2015 : la détection des problèmes émergents ; la prévention des risques liés aux nouveaux produits et aux nouveaux modes de consommation ; l'évaluation scientifique des risques en appui des politiques publiques en matière de sécurité sanitaire.

J'aborde premièrement la détection des problèmes émergents. En 2015, nous allons significativement renforcer nos dispositifs de vigilance et de surveillance, c'est-à-dire la collecte et l'exploitation de données de terrain, en priorité sur les pesticides. Comme vous le savez, la loi d'avenir pour l'agriculture nous confie la responsabilité de délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires, matières fertilisantes et supports de culture à compter du 1er juillet 2015. Les décrets d'application sont en cours de finalisation. C'est un changement important pour une agence précédemment concentrée sur l'évaluation des risques et qui devra désormais renforcer son activité de gestion de ces mêmes risques.

Mais l'enjeu n'est pas tant la délivrance des AMM, car la réglementation européenne fixe un cadre précis pour cela. Le vrai défi – on l'a vu avec l'affaire du Médiator dans le domaine du médicament – c'est d'être en capacité de capter et d'analyser sans délai les signaux de terrain pour détecter d'éventuels effets néfastes des produits autorisés, sur l'homme, la faune, la flore ou les milieux, même si ces effets sont diffus et difficiles à détecter. Il s'agit en effet d'en tirer si besoin les conséquences, en remettant en cause ou en modifiant les décisions prises. C'est ce que la loi a appelé la « phytopharmacovigilance », qui est le corollaire de la nouvelle mission de l'ANSES sur les AMM. Nous allons ainsi commencer dès cette année à recueillir des données auprès de nombreux acteurs, en lien avec des moyens nouveaux alloués à l'agence pour l'inspection des conditions de fabrication et de distribution des produits, et de contrôle de conformité des produits disponibles sur le marché.

Les pesticides constituent donc notre première priorité et un point de vigilance particulier en 2015, compte tenu des enjeux sanitaires et environnementaux, et de nos nouvelles responsabilités. C'est un sujet très encadré au niveau européen, et c'est à ce niveau qu'il faut peser le plus possible pour faire prendre en compte nos préoccupations. Ainsi en va-t-il des perturbateurs endocriniens, au sujet desquels nous attendons toujours la définition de critères par la Commission européenne. La position adoptée aura des conséquences très directes sur l'application de la réglementation européenne relative aux produits phytosanitaires.

L'actualité nous a fourni un sujet de réflexion avec la question des néonicotinoïdes, phytosanitaires qui pourraient être responsables de la forte mortalité des abeilles et pour lesquels nous attendons un avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments – l'EFSA.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a récemment pris position en classant cinq substances actives comme cancérigènes possibles ou probables, en particulier le glyphosate qui est une substance très utilisée comme herbicide. Cette substance active autorisée au niveau européen est en phase finale de réévaluation par nos collègues allemands du Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR), comme cela est fait tous les dix ans. Nous avons pris contact immédiatement avec eux, et nous sommes convenus qu'ils examinent sans délai les éléments qui ont conduit les experts du CIRC à ce classement, car cela semble en contradiction avec les conclusions auxquelles ils étaient parvenus eux-mêmes après deux ans d'un travail très approfondi. Je souligne que 450 produits sont autorisés sur le marché qui sont à base de glyphosate, qu'ils soient à usage professionnel ou à usage amateur, pour une moindre part.

Dans le cadre de la détection des problèmes émergents, je voudrais citer plusieurs travaux en cours. Nous avons lancé l'étude Pesti'home pour évaluer l'exposition des consommateurs à l'ensemble des produits d'entretien ménager – biocides et insecticides à usage ménager. Une réglementation européenne se met en place sur ces produits très diversifiés. Une expertise est en cours sur les différents facteurs de mortalité des abeilles et sur leur exposition simultanée, dite co-exposition, aux agents pathogènes dans leur ruche et aux pesticides dans leur environnement plus large. Elle devrait être rendue avant la fin de l'année. Enfin, l'ANSES s'emploie à identifier des pratiques à risque pouvant favoriser le développement de l'antibiorésistance dans le domaine vétérinaire. De premiers résultats ont été obtenus ; ils peuvent conduire à des moratoires sur l'emploi de certains antibiotiques.

Le projet de loi relatif à la santé, dont l'examen commence aujourd'hui en séance publique, prévoit de transférer à l'ANSES le pilotage de la toxicovigilance, qui était jusqu'à présent assuré par l'Institut de veille sanitaire (InVS), grâce à ses centres antipoisons. À l'instar des dispositions de la loi agricole relatives aux produits phytosanitaires, la loi relative à la santé devrait transférer à l'agence la délivrance des AMM pour les produits biocides. Un important travail préparatoire est en cours pour assumer ces nouvelles responsabilités. Il s'agit de garantir l'indépendance de l'expertise en matière d'évaluation, tout en mettant en place des procédures garantissant la plus grande transparence. De nombreuses réunions de concertation, internes et externes, sont organisées.

J'en viens à la prévention des risques liés aux nouveaux produits, aux nouvelles technologies et aux nouveaux modes de consommation. Je peux citer quelques expertises en cours, notamment sur les risques liés aux nanomatériaux, en particulier au nano-argent. Cette technologie nouvelle se développe en effet dans de nombreux domaines. L'impact des ondes liées aux téléphones, dites ondes radiofréquence, concentre aussi notre attention. En particulier, une expertise est en cours sur l'utilisation par les enfants de tablettes et d'objets connectés. Les résultats devraient être bientôt disponibles. Enfin, dans le domaine alimentaire, nous nous penchons sur les enjeux sanitaires liés à la consommation d'insectes. (Sourires) Elle ne représente encore qu'une faible part de marché, mais d'aucuns la considèrent comme une source de protéines d'avenir…

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