Intervention de Marc Mortureux

Réunion du 31 mars 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, ANSES :

Je suis impressionné par votre connaissance des sujets dont l'ANSES assure le suivi. Le temps est toujours compté pour vous répondre, mais nous serons très heureux de vous accueillir à Maisons-Alfort.

L'ANSES est une agence qui a montré sa capacité à faire bouger les lignes, tant au niveau national qu'au niveau européen. Certes, elle n'est pas suffisamment connue du grand public, même si elle s'efforce de travailler avec les parties prenantes qui sont un relais pour elles auprès des médias ; nous n'avons heureusement pas connu récemment de crise sanitaire susceptible d'accroître sa notoriété. Mais l'ANSES demeure très attentive, par principe, à rendre publics et accessibles les résultats de ses travaux.

Quant aux inquiétudes qu'a pu susciter le transfert à notre agence de l'autorisation de mise sur le marché des phytopharmaceutiques, nous essayons d'y répondre grâce à un dispositif qui assure une séparation fonctionnelle, interne à l'agence, entre l'évaluation et le processus de décision. La première appartient au domaine de la direction de l'évaluation des risques, qui formule un avis en vertu d'une procédure labellisée ISO9001 garantissant qu'il est pris sous son entière responsabilité. Des lignes directrices définissent de manière explicite sur quels critères complémentaires à l'expertise scientifique, et dans quel type de situation, peut se fonder le second. Il convient en effet de juger si des mesures de gestion des risques qui sont envisagées sont praticables et réalistes.

Du côté de l'évaluation des risques, un comité d'experts est déjà en place. En matière de délivrance, la loi a prévu un comité de suivi qui sera bientôt institué. Constitué de personnalités indépendantes, plutôt spécialistes de terrain qu'experts scientifiques, il veillera à assurer à ce que les décisions prises soient réalistes, cohérentes, et puissent être bien appliquées. Il analysera également les informations qui remontent du terrain dans le cadre de la pharmacovigilance.

Une charte sera bientôt établie pour compléter nos règles de déontologie relativement à nos relations avec les différents porteurs d'intérêt. Un registre des porteurs d'intérêt sera ouvert, où seront consignées les réunions avec eux. Car, de par la nature de nos activités, nous serons exposés à des pressions venant de différentes directions. Plutôt que dans un isolement complet, l'indépendance réside à nos yeux dans ces contacts fréquents entretenus selon des règles bien établies et avec une parfaite traçabilité. En tout état de cause, nous continuerons à appliquer rigoureusement la réglementation, sans crainte de chercher à la faire évoluer au niveau européen lorsque nous l'estimons souhaitable.

Une troisième grande réunion de concertation aura lieu ce jeudi 2 avril pour définir quelles sont les conditions de mise en place des nouvelles procédures qui seront les mieux à même de créer la confiance.

Quant aux moyens de l'agence, nous sommes confrontés à une baisse des subventions. Depuis la fusion dont est née l'ANSES, 80 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sur 1 300 ont été supprimés. Comme il est normal, le rapprochement des agences préexistantes a permis d'optimiser l'emploi de certains moyens, tandis que nous opérons un recentrage de nos activités en privilégiant les sujets prioritaires.

Pour les trois années à venir, nous avons estimé à 35 ETPT le besoin en personnel découlant de nos nouvelles missions sur les produits phytosanitaires et la phytopharmacovigilance. Pour cette année, la loi de finances initiale pour 2015 nous a accordé dix ETPT supplémentaires, mais il est prévu que l'ANSES en perde ensuite cinq en 2016 et autant en 2017. Les besoins nouveaux seront donc couverts par des redéploiements internes qui nous obligent à faire des choix.

Sur le plan financier, la loi de finance rectificative pour 2014 a institué une taxe sur la vente de produits phytopharmaceutiques, dont le taux maximum est fixé à 0,3 % du chiffre d'affaires hors TVA des entreprises qui les commercialisent. Un arrêté ministériel a été publié ce matin qui fixe le taux effectif à 0,2 %, et seulement 0,1 % pour les produits de biocontrôle. Devant rapporter 4,2 millions d'euros en 2015, la taxe servira à financer la création du dispositif de phytopharmacovigilance, ainsi qu'à financer des études indépendantes dans des domaines où la collecte de données complémentaires est nécessaire. La tendance générale est cependant à une baisse des subventions.

Au sujet des abeilles, mes collègues vous donneront peut-être plus d'explications, mais il s'agit sans conteste d'un sujet scientifique complexe. Un consensus se dégage cependant au sein de la communauté scientifique pour trouver que leur mortalité accrue résulte sur un plan général de plusieurs facteurs, auxquels s'ajoutent des phénomènes locaux. Notre laboratoire de Sophia-Antipolis a été désigné laboratoire de référence de l'Union européenne pour la santé des abeilles par la Commission européenne. Nous avons piloté une étude financée par elle, en recourant à une méthodologie harmonisée qui permet de comparer les taux de mortalité des abeilles à travers toute l'Europe. Elle fait apparaître un important gradient entre le Nord et le Sud.

Pour des raisons de moyens, la première étude menée n'avait pas intégré de prélèvements de produits chimiques, mais ils seront pris en compte dans une deuxième phase, en sus du facteur pathogène mis en lumière par l'étude de l'état sanitaire des ruches, pour mieux documenter la dimension multifactorielle de la question.

Nous n'apporterons sans doute pas de réponse définitive à la fin de l'année, mais certainement des éclairages complémentaires. Je souligne qu'il est difficile de disposer de données exploitables dans le domaine de la phytopharmacovigilance. Aussi un gros travail méthodologique a-t-il lieu en amont, un important apport scientifique étant nécessaire.

Sur le bisphénol A, l'EFSA a publié en janvier un avis non exempt de contradictions avec la position de l'ANSES, puisque la substance y est jugée ne pas présenter de risque au niveau de l'exposition. Sur le plan scientifique, un important travail de convergence a eu cependant lieu, de manière très constructive, entre les experts de l'ANSES et de l'EFSA. Il a permis une meilleure prise en compte de la question des perturbateurs endocriniens, en conduisant l'EFSA à diviser par onze son estimation de la dose journalière tolérable. Ce n'est pas négligeable, alors qu'elle n'avait jugé aucune révision nécessaire il y a encore trois ans. Des différences subsistent cependant entre l'ANSES et l'EFSA quant aux effets qui leur sont imputables, aucune étude n'étant assez solide pour définir une dose journalière tolérable intégrant cet effet. À l'ANSES, nous estimons que cela n'interdit cependant pas de le prendre en compte. Une étude américaine est en cours sur le sujet, dont les résultats devraient être disponibles d'ici un an.

Dans le cadre de la réglementation européenne REACH sur les produits chimiques, l'Agence européenne des produits chimiques – l'ECHA – conduit une étude sur le bisphénol A. Nous avions déposé auprès d'elle un dossier relatif à ses effets en milieu professionnel, notamment sur les caissières ou sur les employés des imprimeries qui utilisent beaucoup de papier thermique. Les données d'imprégnation de ces travailleurs en bisphénol A font apparaître une concentration à un niveau qui mérite attention. Les comités scientifiques de l'ECHA ont retenu les propositions de l'ANSES, qui pourraient conduire à une évolution du classement du bisphénol A.

La décision appartient à la Commission européenne : elle entraînerait des mesures de restriction. Le processus exige cependant du temps. Se pose en parallèle la question des produits de substitution. En tout état de cause, les industriels se sont adaptés en France plus rapidement qu'il était annoncé. À ce stade, nous ne disposons pas d'éléments sur les solutions mises en oeuvre par eux et sur les produits de substitution susceptibles de poser le même type de risques.

J'en viens à la lutte antivectorielle et à l'usage, dans ce cadre, de biocides tels que le malathion, faisant l'objet d'un avis récent du CIRC. Il est clair qu'avec le changement climatique, la question des maladies vectorielles se posera avec de plus en plus d'acuité, et partant celle des produits utilisables contre elles. Or la panoplie disponible contre les moustiques adultes est aujourd'hui réduite. Lorsqu'ils sont utilisés de manière répétée, les produits deviennent faiblement efficaces, car les insectes développent une résistance contre eux. Avec le ministère de la Santé, l'ANSES s'emploie à identifier les solutions possibles en cas de crise, dans les départements d'outre-mer ou même en métropole.

Pour ce qui est des bouquetins, l'ANSES fut saisie en urgence de la question il y a un an et demi. Une expertise de plus long terme est en cours, les travaux faisant une large place aux experts étrangers. Le problème se révèle plus complexe qu'on ne l'imaginait, de sorte que les solutions radicales initialement envisagées ne sont plus si évidentes. Le travail scientifique engagé se concentre en profondeur sur les données collectées. En tout état de cause, les massifs comme celui du Bargy n'apparaissent pas si isolés qu'on le croyait.

Quant aux études sur les OGM, une première série, fondée sur des essais pratiqués sur la période relativement courte de 90 jours, a eu pour but d'identifier certains traceurs précurseurs d'effets sur la longue durée –il apparaît en revanche problématique de pratiquer de manière systématique des essais sur le long terme. Dans le cadre du budget européen, une deuxième série d'études est en cours, qui comprend des études lourdes sur une période de deux ans, soit la même durée que dans l'étude de Gilles-Éric Séralini. Le ministère en charge de l'Écologie a engagé deux millions et demi d'euros pour financer une étude en France, tandis que des études européennes disposant de moyens plus importants portent sur une durée plus longue encore. Leurs résultats cloront-ils le débat sur le sujet ? Nous disposerons de toute façon d'éléments qui documenteront mieux les effets de long terme des OGM.

Quant à l'exposition aux ondes électromagnétiques, sa nature évolue sans cesse, avec les usages. La communauté scientifique commence seulement à disposer du recul nécessaire pour conduire des évaluations solides. L'ANSES reste active sur le sujet et attentive à ses développements. Elle travaillera plus spécifiquement sur la question plus étroite des électrohypersensibles ; elle cherche à collecter des données exploitables en engageant un travail commun avec les associations pour définir des programmes d'investigation spécifiques. Les débats au sein du comité de dialogue sont parfois difficiles, car certains participants peinent à comprendre que toutes les données scientifiques ne soient pas forcément disponibles à bref délai. Quoi qu'il en soit, l'ANSES est l'une des agences les plus actives au monde sur ce sujet des effets des ondes sur la santé humaine.

S'agissant du glyphosate et du malathion, le CIRC a communiqué sur les cinq substances dont il a modifié le classement. Mais les monographies correspondantes, documents scientifiques ayant servi de base à sa décision, ne sont pas encore disponibles, de sorte qu'il est difficile à une agence comme l'ANSES de se prononcer. Parallèlement, nos collègues allemands mènent une évaluation qui tendrait à conclure dans une direction opposée à celle du CIRC relativement au glyphosate. Il conviendra en tout état de cause d'y regarder de près avant de reconduire son autorisation. Cette question devra être examinée sans tarder, même s'il est difficile pour l'instant de le faire de manière satisfaisante, faute d'avoir connaissance de l'ensemble des données scientifiques disponibles.

Pour la qualité de l'air, je reconnais que l'air intérieur constitue à lui seul une vraie problématique. D'une manière générale, beaucoup de données scientifiques permettent d'établir un lien entre la pollution atmosphérique et les atteintes à la santé humaine. La question est plutôt abordée sous l'angle des mesures à prendre, mais l'ANSES conduit néanmoins des études visant à mieux cerner quels sont les polluants de l'air. Les particules fines sont l'une des sources majeures de la pollution. Or elles sont d'origine très diverse, n'étant pas seulement dégagées, comme les polluants classiques, par la combustion, mais tout aussi bien par des frottements ou des systèmes de freinage. Aussi l'ANSES travaille-t-elle sur ces processus physico-chimiques et sur les possibles mélanges toxiques, ou cocktails, de ces particules fines avec des substances chimiques. Il s'agit en effet de documenter le phénomène. Des mesures peuvent toutefois être prises d'ores et déjà, sans attendre de disposer de l'ensemble des données scientifiques, le lien avec la santé humaine étant, quant à lui, bien établi. Les principales études-clés ont été répertoriées. Une commission d'enquête est en cours au Sénat sur le coût financier de l'air intérieur et extérieur. Nous avons donc collecté des données précises sur le sujet.

Quant à l'indépendance de l'expertise, de récentes mises en cause d'agences nous ont conduits à renforcer notre vigilance, qui s'exerce à un double niveau. D'abord, nous sélectionnons systématiquement les experts par des appels à candidatures, en recherchant la plus grande diversité et en les retenant sur la base de leurs compétences, dans la perspective d'une expertise collective et contradictoire. Mais il n'est guère envisageable de ne faire appel qu'à des experts dont la déclaration publique d'intérêt est vierge, car il faut aussi de l'expérience dans le secteur concerné. Ensuite, avant chaque réunion d'un collectif d'experts, nous établissons une matrice d'identification permettant de distinguer entre risques et liens d'intérêt. Nous examinons, pour tous les points de l'ordre du jour, s'il existe, ponctuellement, compte tenu des déclarations publiques d'intérêts, un risque de conflit d'intérêts et dans ce cas, nous demandons à l'expert concerné de se déporter à ce moment-là de la réunion, non seulement au moment de la décision, mais aussi durant le débat préalable. Nous ne nous en remettons donc pas à la seule vigilance des experts eux-mêmes, mais exerçons ainsi nos propres responsabilités pour garantir l'indépendance de l'expertise à ce double niveau. Recruter des experts dénués de lien d'intérêt avec une question étudiée conduirait à une impasse. Mais l'attention exercée au deuxième niveau permet de dépasser les risques de conflit d'intérêts qui pourraient alors survenir.

Au sujet des parcs éoliens, l'ANSES est saisie d'une étude sur l'émission d'infrasons par les installations. Peu de données exploitables étant actuellement disponibles, notre première tâche est d'en collecter de manière structurée. Il s'agit d'un problème de métrologie. Parallèlement, l'agence s'emploie à dresser un état des connaissances scientifiques sur ce sujet. Ce sont les deux étapes préalables à l'évaluation qui interviendra dans un troisième temps.

Pour les nanomatériaux, ils ne peuvent faire l'objet d'un traitement global, car chaque type a ses propres spécificités. À l'intérieur même de chaque type, les différents nanomatériaux peuvent présenter des caractéristiques induisant des risques différents. L'agence travaille sur certaines catégories telles que le nano-argent qui partagent certaines de ses propriétés avec les biocides. S'agissant des vêtements qui s'auto-nettoient, nous cherchons à comprendre ce que deviennent les particules quand le nettoyage a eu lieu. Les stations d'épuration ont en effet besoin d'une activité biologique pour purifier l'eau, opération que la présence de matériaux présentant des propriétés biocides peut rendre difficile. Il faut donc envisager tout le cycle de vie des produits, en travaillant sur eux au cas par cas. D'une manière générale, les éléments manquent cependant encore aujourd'hui pour évaluer les risques liés aux nanomatériaux.

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