Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 10 mars 2015 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente :

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation, monsieur le directeur. Votre audition doit nous permettre de faire le point sur la situation en Ukraine, en particulier sur l'application de l'accord signé à Minsk le 12 février dernier. Vous étiez présent lors de sa négociation. Quelles impressions en retirez-vous ? Quelle est votre analyse en ce qui concerne l'entrée en vigueur du cessez-le-feu et le retrait des armes lourdes ? Peut-on espérer que ces deux premières exigences de l'accord soient mieux respectées dans les prochaines semaines ?

Depuis le sommet de Minsk, les séparatistes ont achevé de conquérir la poche de Debaltsevo. Comment analysez-vous cet épisode ? Dans la mesure il a eu lieu après le début officiel du cessez-le-feu, constitue-t-il une violation de l'accord ? Ou bien considérait-on déjà, à Minsk, que cette conquête était en voie d'être faite ? Y a-t-il eu d'autres violations du cessez-le-feu ? Si oui, qui en porte la responsabilité ? Désormais, les inquiétudes se portent sur Marioupol et ses environs. Quelle est la situation sur le terrain ? Quelles sont les intentions des Russes ?

Au-delà des deux questions centrales du cessez-le-feu et du retrait des armes lourdes, l'accord signé à Minsk comporte une série d'engagements, assortis d'un calendrier précis. Pouvez-vous nous donner des indications sur l'économie générale et le contenu de l'accord à cet égard, ainsi que sur sa mise en oeuvre ? Le conseiller diplomatique du Président de la République, M. Jacques Audibert, que j'avais rencontré quelques jours avant le sommet de Minsk, m'avait expliqué que les deux parties divergeaient radicalement sur la séquence qui devait être observée s'agissant, d'une part, des changements institutionnels relatifs aux oblasts de Donetsk et de Lougansk et, d'autre part, du rétablissement du contrôle de la frontière par les autorités ukrainiennes. Selon lui, la Russie demandait que l'on commence par garantir l'autonomie de ces zones, alors que l'Ukraine souhaitait recouvrer d'abord le contrôle de sa frontière. Cette analyse reste-t-elle d'actualité ? Que prévoit exactement l'accord de Minsk à ce sujet ? Où en est-on de son application ?

Pouvez-vous nous éclairer sur les autres dispositions de l'accord, notamment sur les mesures d'amnistie, sur la libération des personnes en détention, sur la distribution de l'aide humanitaire, ainsi que sur les modalités de supervision et de dialogue mises en place ?

Nous souhaitons également vous entendre sur les motivations de la Russie et de l'Ukraine, ainsi que sur la capacité des dirigeants à tenir leur propre camp. Du côté ukrainien, le président Porochenko est fort de son net succès à l'élection présidentielle, mais conserve-t-il le charisme et l'autorité nécessaires pour promouvoir la paix ? La tâche est d'autant plus difficile qu'il doit se battre en même temps sur un deuxième front, très délicat vis-à-vis de l'opinion publique ukrainienne, celui de la lutte contre la corruption et des réformes économiques pour sortir le pays de la crise. Si M. Porochenko a été élu très confortablement, avec 54 % des voix, il n'a pas réussi à obtenir une majorité parlementaire : les législatives ont été remportées par M. Iatseniouk, qui a été confirmé au poste de Premier ministre. Or celui-ci n'est pas tout à fait dans le même état d'esprit que lui s'agissant de l'accord à trouver avec les Russes. Comment se passe cette forme de cohabitation entre eux ? Où en est le processus de réforme et de redressement économique en Ukraine ?

Du côté russe, le président Poutine semble avoir toutes les cartes en main, mais ne devient-il pas, au fur et à mesure, prisonnier de ses engagements et de la politique nationaliste, voire ultranationaliste, qu'il promeut depuis quelques années ? Par ailleurs, au cours de la négociation à Minsk, il a dû, semble-t-il, insister fortement auprès des séparatistes pour qu'ils acceptent l'accord qui venait d'être conclu. Que pouvez-vous nous dire sur ce point ? Quelles sont les intentions de M. Poutine, dans la mesure où il est possible de les décrypter ? L'intérêt objectif de la Russie serait d'apaiser la crise, le Président de la République, Mme Merkel et Mme Mogherini ayant indiqué qu'une levée des sanctions, à tout le moins de certaines d'entre elles, serait possible si la Russie adoptait une attitude plus raisonnable et conforme à ce que nous souhaitions. M. Poutine est-il à la recherche d'une sortie honorable ? Ou bien entend-il renforcer son emprise sur le Donbass ? À quel prix ?

Plus fondamentalement, l'épisode ukrainien marque-t-il selon vous une simple parenthèse ou bien un tournant stratégique dans la politique étrangère russe ? Notre commission vient de constituer une mission d'information qui devra notamment répondre à cette question et s'efforcera de formuler des propositions concernant les relations entre la Russie, l'Union européenne et la France. Nous estimons tous que la situation actuelle est très dommageable et qu'il serait souhaitable de rétablir des relations plus normales avec ce grand voisin qu'est la Russie. Encore faut-il que M. Poutine nous y aide.

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