Intervention de éric Fournier

Réunion du 10 mars 2015 à 18h00
Commission des affaires étrangères

éric Fournier, directeur de l'Europe continentale au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Merci, madame la présidente. Je suis la crise ukrainienne depuis son origine, en octobre 2013. J'espère donc pouvoir répondre à l'essentiel de vos questions.

C'est non pas moi, mais l'une de mes collaboratrices qui a été présente à Minsk tout au long de la négociation. Pour ma part, je me suis occupé de la phase précédente, au mois de janvier, d'abord de la coordination entre les ministres des affaires étrangères français et allemand, puis des réunions à quatre avec les ministres russe et ukrainien, Sergueï Lavrov et Pavlo Klimkine. Au mois de février, ma collègue a pris le relais.

Je commencerai par présenter les grandes lignes des accords signés à Minsk. À cet égard, je souhaite apporter une nuance importante : il n'est pas approprié de parler des accords de « Minsk 1 » et de « Minsk 2 ». Les premiers accords, ceux de septembre 2014, ont été conclus à un niveau très technique entre des représentants de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de la Russie, de l'Ukraine et des séparatistes, ces derniers figurant sur la liste des personnes frappées par les sanctions de l'Union européenne. Quant à l'accord signé le 12 février 2015, il n'a pas été négocié par les séparatistes, puisqu'ils ne se trouvaient pas dans la salle aux côtés des chefs d'État. Avec ce sommet, nous avons cherché non pas à élaborer un nouveau document, mais à garantir la bonne mise en oeuvre des accords passés en septembre. Or il y a eu une ambiguïté : la presse a évoqué un accord de cessez-le-feu, voire un accord de paix, alors qu'il s'agit d'un texte beaucoup plus modeste, intitulé en français « ensemble de mesures en vue de l'application des accords de Minsk » de septembre 2014.

La négociation de ce texte a été très longue car, ainsi que vous l'avez indiqué, madame la présidente, les divergences étaient, au départ, très fortes – y compris entre Français et Allemands – sur ce que devait être le premier objectif à atteindre : le rétablissement du contrôle sur la frontière internationale entre la Russie et l'Ukraine, le cessez-le-feu ou le lancement d'un dialogue politique. Pour notre part, avec Laurent Fabius, nous avions tenté, au mois d'août, de définir une séquence avec les Russes et les Ukrainiens : d'abord le cessez-le-feu, puis le retrait des armes lourdes, puis un échange de prisonniers, et ainsi de suite jusqu'au déroulement d'un processus politique. Nous nous sommes rendu compte, à la fin de l'année, que ce calendrier rigoureux ne fonctionnait pas, car les divergences entre Russes et Ukrainiens étaient trop fortes pour que nous puissions satisfaire les deux parties. Nous avons donc proposé une approche différente, qui consistait, si je puis dire, à mettre tous les chevaux sur la ligne de départ : nous avons décidé que les différents volets – cessez-le-feu, amnistie, échange des prisonniers, processus politique, etc. – seraient lancés en même temps et que nous verrions bien lequel aboutirait en premier. En d'autres termes, il ne fallait pas être trop exigeant quant à la formalisation des engagements. Il a été un peu difficile de faire accepter cette approche aux Allemands, qui souhaitaient une séquence très rigoureuse.

Reste que le premier point de l'accord du 12 février est un « cessez-le-feu immédiat et général dans certaines zones des régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk et mise en oeuvre rigoureuse de celui-ci à partir du 15 février à zéro heure ». Il s'agissait donc du premier test du point de vue des chefs d'État. Globalement, cette étape a été réussie, puisque, vaille que vaille, les armes se sont tues peu de temps après la chute de Debaltsevo. À Minsk, les Ukrainiens étaient persuadés qu'ils allaient pouvoir tenir cette poche, alors que, sur le terrain, il apparaissait déjà de manière quasi certaine qu'elle ne résisterait pas face aux coups de boutoir des séparatistes, massivement renforcés par l'armement, la logistique et le renseignement russes. Nous avons jugé qu'il ne fallait pas considérer la chute de Debaltsevo comme une démonstration de l'échec des accords de Minsk, mais qu'il fallait, au contraire, insister pour que le cessez-le-feu tienne le plus vite possible.

La bonne surprise a été que, peu de temps après la chute de Debaltsevo, les deux parties se sont entendues sur le retrait d'un certain nombre d'armes lourdes sur la base du mémorandum de Minsk du 19 septembre. Dès les mois d'août et de septembre, les Russes et les Ukrainiens avaient commencé à négocier, sans en informer leurs partenaires du format « Normandie », sur les modalités concrètes du retrait, c'est-à-dire sur le type d'armement concerné et sur la distance en kilomètres à parcourir de chaque côté pour garantir la crédibilité de ce retrait. Le point 2 de l'accord fixe ces détails techniques : « une zone de sécurité d'une largeur minimale de 50 kilomètres pour les systèmes d'artillerie d'un calibre de 100 millimètres et plus ; une zone de sécurité de 70 kilomètres de largeur pour les systèmes de lance-roquettes multiples et de 140 kilomètres de largeur pour les systèmes de lance-roquettes multiples Tornado-S, Ouragan et Smertch, etc. » Ces aspects très précis n'ont pas été négociés, vous vous en doutez bien, par François Hollande et Angela Merkel : ils avaient été préparés par les experts militaires russes et ukrainiens sur le terrain.

Dans une guerre telle que celle qui se déroulait dans le Donbass, il est clair que les responsabilités étaient partagées en ce qui concerne les violations du cessez-le-feu. Car il n'y avait, ni d'un côté ni de l'autre, de commandement unifié capable de communiquer par des moyens sophistiqués avec l'ensemble des unités combattantes et de leur intimer l'ordre de cesser les tirs. Du côté russe se battaient des Cosaques, des Tchétchènes, des Ingouches, ainsi que des mercenaires, notamment des Serbes et même des Français. Du côté ukrainien, on trouvait non seulement l'armée ukrainienne, mais aussi des milices et des volontaires, notamment des ouvriers et des mineurs qui avaient pris les armes pour défendre leur pays. Des violations ont donc eu lieu des deux côtés. Elles ont d'ailleurs été assez rapidement confirmées par l'OSCE. Il y a quelques jours encore, certaines équipes de surveillance de l'OSCE n'ont pas été autorisées à accompagner des unités militaires ukrainiennes qui procédaient au retrait. En d'autres termes, le terrain était très dangereux, et il n'était pas toujours possible d'attribuer de façon certaine la responsabilité des tirs à tel ou tel camp.

Pour ce qui est de Marioupol et de ses environs, le point sensible est le village de Chirokino. Des échauffourées qui n'étaient pas d'une très grande violence s'y sont encore déroulées il y a quelques jours. Ces violations n'ont pas pu être vérifiées par l'OSCE. Une interrogation demeure : les séparatistes vont-ils ou non pousser leur avantage jusqu'à Marioupol ? Contrairement à ce qu'on lit dans la presse, Marioupol n'est pas une voie d'accès à la Crimée, dont elle est séparée par environ 300 kilomètres. En revanche, son port permettrait aux Russes d'aller plus rapidement en Crimée. Il constitue donc un enjeu tactique évident pour les séparatistes.

Au-delà de Marioupol, certains chefs séparatistes disent vouloir porter le fer à Kharkov ou à Odessa dès que l'occasion leur en sera donnée. Des incertitudes subsistent donc quant à leurs intentions réelles : vont-ils prolonger la lutte sous d'autres formes, notamment par le terrorisme ? Plusieurs attentats se sont produits à Odessa et à Kharkov, où une voiture a notamment été plastiquée il y a deux jours. On soupçonne fortement des unités des services de renseignement russe de chercher à déstabiliser ces deux capitales pour créer un climat de peur. C'est un point qu'il convient de surveiller.

Au regard du calendrier adopté à Minsk, on peut considérer que la phase 1 – cessez-le-feu immédiat et général – est maintenant remplie, et que les phases 2 et 3 – retrait des armes, suivi et vérification de ce retrait par l'OSCE – sont en cours et se déroulent plutôt bien.

On entre maintenant dans la phase politique, avec le point 4 de l'accord, qui stipule d'abord : « le premier jour suivant le retrait, engager un dialogue sur les modalités de la tenue d'élections locales conformément à la législation ukrainienne et à la loi de l'Ukraine relative aux modalités temporaires de l'exercice de l'autonomie locale dans certains arrondissements des régions de Donetsk et de Lougansk, etc. » ; puis : « trente jours au plus tard à compter de la signature du présent document, faire adopter par la Rada suprême d'Ukraine une résolution précisant le territoire relevant d'un régime particulier en vertu de la même loi ». Ce délai expire le 12 mars, c'est-à-dire après-demain. Il s'agit là d'un véritable défi pour M. Porochenko. À ma connaissance, la loi qui doit être adoptée par la Rada n'a pas encore été présentée aux députés ukrainiens. On ignore donc si les Ukrainiens tiendront cet engagement. En tout cas, la phase politique est désormais la plus sensible. Car, si les volets politiques – adoption de textes législatifs, dialogue, etc. – ne sont pas mis en oeuvre, les séparatistes et les Russes pourront arguer que la partie ukrainienne ne respecte ses engagements et qu'il y a violation de l'accord de Minsk. Il y a là un risque.

S'agissant du point 5, relatif à l'amnistie, une loi a déjà été adoptée par la Rada. Elle prévoit que l'amnistie s'appliquera à tous, sauf à ceux qui sont impliqués dans des massacres de civils ou dans la destruction du vol MH17 en juillet 2014, pour peu qu'on parvienne à les identifier et à prouver leur culpabilité – il s'agit d'un point important, notamment pour nos partenaires hollandais. On peut penser que cette loi sera mise en oeuvre, d'autant qu'un certain nombre de prisonniers ont déjà été échangés : les militaires, les miliciens et les agents isolés ont regagné leur camp respectif.

Néanmoins, au regard du point 6, qui prévoit « l'échange de l'ensemble des otages et des personnes retenues illicitement sur la base du principe “tous contre tous” », le cas des cinq prisonniers ukrainiens kidnappés en Ukraine et détenus illégalement en Russie n'a pas été traité de façon satisfaisante à Minsk. Parmi eux figure notamment Mme Savtchenko, pilote ukrainienne élue députée, que la Russie accuse d'être complice d'un assassinat. L'enquête a montré que c'était faux, puisqu'elle avait déjà été arrêtée au moment des faits. Quoi qu'il en soit, ces cinq prisonniers devraient en principe être inclus dans l'échange « tous contre tous ». Toutefois, M. Poutine a refusé de prendre un engagement sur ce point. Il a simplement dit et répété au cours des entretiens qu'il a eus avec le Président de la République et la Chancelière que la justice russe était en train d'examiner ces cinq dossiers, ce qui n'est guère rassurant, car elle peut mettre plusieurs années à le faire.

On a plutôt bien avancé sur le point 7 de l'accord, « garantir la sécurité de l'accès à l'aide humanitaire, de sa livraison, de son stockage et de sa distribution aux personnes nécessiteuses sur la base d'un mécanisme international ». En effet, le président de la Croix-Rouge s'est rendu à Moscou il y a quelques jours et ses entretiens se sont bien déroulés. Au cours de la réunion que nous avons tenue vendredi dernier à Berlin avec les Ukrainiens et les Russes, nous avons appris que la Russie était favorable à un engagement plus important de la Croix-Rouge afin de faciliter la supervision de la distribution de l'aide humanitaire. Nous sommes donc plutôt optimistes sur ce point.

Le point 8, « définir les modalités du plein rétablissement des rapports socio-économiques, notamment les transferts sociaux tels que le versement des pensions et autres prestations », est un sujet très sensible. Comme vous le savez, l'Ukraine a suspendu le versement des retraites aux populations ukrainiennes du Donbass, ce qui les a appauvries et les a rendues plus fragiles. Ce n'est pas bon pour l'image de l'Ukraine, et nous incitons le gouvernement ukrainien à rétablir au plus vite ces versements.

Enfin, le point 9, « rétablissement du contrôle total de la frontière d'État par le gouvernement de l'Ukraine dans l'ensemble de la zone du conflit », est le plus sensible de tous. Il est lié au point 11, qui prévoit la « mise en oeuvre d'une réforme constitutionnelle en Ukraine, avec entrée en vigueur d'ici à la fin de 2015 d'une nouvelle constitution prévoyant comme élément clef une décentralisation, compte tenu des spécificités de certains arrondissements des régions de Donetsk et Lougansk ». Il s'agit donc de voter une nouvelle constitution, puis d'organiser des élections locales et, seulement ensuite, de rétablir le contrôle sur la frontière.

Ce dispositif rappelle très fortement les accords concernant le règlement du conflit au Haut-Karabagh. Chaque fois qu'il est question de ce règlement, le problème de la séquence est mis en avant : tel ou tel district doit-il être restitué avant ou après l'organisation d'un référendum d'autodétermination ? Là est toute la question. Ne perdons pas de vue le parallèle que l'on peut faire entre le Donbass et le Haut-Karabagh : dans l'est de l'Ukraine, il y a potentiellement en germe une crise qui pourrait durer vingt ou trente ans, si jamais l'une des parties n'était pas satisfaite par l'organisation des élections locales. Or le scrutin risque de ne pas être considéré comme fiable, la moitié de la population de ces zones étant en situation de précarité ou s'étant réfugiée loin du Donbass – 600 000 personnes en Russie et 600 000 autres dans le reste de l'Ukraine.

Toutes ces dispositions ont été avalisées par les quatre chefs d'État et qu'elles sont en cours d'application. Notre analyse est, aujourd'hui, relativement optimiste. Je m'appuie notamment sur la déclaration faite ce matin par le président Porochenko : il a confirmé que les armes lourdes avaient été retirées tant du côté séparatiste que du côté ukrainien.

J'en viens, madame la présidente, à vos questions concernant l'Ukraine proprement dite, notamment le rapport de forces politique, la situation de M. Porochenko et la manière dont il s'y prend pour lutter sur le front intérieur. Le président Porochenko a une qualité : celle d'avoir été accepté par la partie russe comme un interlocuteur crédible, dès l'élection du 25 mai 2014. Les présidents Poutine et Porochenko se parlent : depuis le mois d'août, ils se sont appelés au téléphone au moins une fois par semaine, et de très nombreuses choses se négocient entre eux ou entre leurs émissaires. Les ponts ne sont donc pas coupés.

En revanche, on est en droit de s'interroger sur la mise en oeuvre du programme économique de M. Porochenko : un an après son élection, très peu de réformes ont été menées à bien. Notre principale préoccupation concerne les mesures prises pour lutter contre la corruption, car le système oligarchique se perpétue en Ukraine, tout comme en Russie. Les oligarques russes et ukrainiens ont d'ailleurs souvent des intérêts communs. Le président Porochenko a des intérêts économiques en Russie, de même que plusieurs oligarques russes ont des intérêts en Ukraine. Tout cela est très « convivial », si je puis dire. Il sera donc difficile de mettre un terme à ces pratiques. Par ailleurs, il n'est pas sûr que M. Porochenko parvienne à s'entendre avec M. Kolomoïski, oligarque monté en puissance au cours des derniers mois. Celui-ci contrôle la ville de Dniepropetrovsk et a profité de la guerre pour récupérer les intérêts de l'un de ses rivaux, M. Akhmetov, ancien « patron » du Donbass, désormais réfugié à Kiev.

Dans ce contexte, quelles sont les intentions profondes de M. Iatseniouk ? Il se sait fragile, car il peut être démis de ses fonctions par le président. Il table sur une sorte d'ambiguïté en ce qui concerne les orientations fondamentales de l'Ukraine. C'est notamment lui qui a voulu conforter l'engagement de l'Ukraine à rejoindre l'OTAN. Par ailleurs, il a la tâche délicate de conduire la « lustration », c'est-à-dire de mettre à pied tous les corrompus de l'ère Ianoukovitch. Avec un tel mandat, qui revient à nettoyer les écuries d'Augias, il ne va pas se faire que des amis. Sa position est donc loin d'être confortable.

Quant aux intentions de M. Poutine, elles sont connues, voire affichées depuis l'origine : il veut empêcher l'Ukraine de rejoindre l'OTAN, par tous les moyens, y compris la pression militaire, le recours à la guerre et la déstabilisation du pays. Le deuxième objectif de M. Poutine est de conserver des leviers en Ukraine pour y maintenir les intérêts russes, voire, s'il le peut, de mettre en place à Kiev une équipe gouvernementale moins hostile à la Russie.

Vous m'avez interrogé, madame la présidente, sur le rôle joué par M. Poutine auprès des séparatistes à Minsk. Pendant que les quatre chefs d'État discutaient dans un palais mis à disposition par M. Loukachenko, les séparatistes étaient réunies à deux kilomètres de là avec la représentante de l'OSCE, Mme Tagliavini, pour négocier la mise en oeuvre concrète des accords du mois de septembre. Des navettes ont été organisées entre les deux endroits. À un moment donné au cours de la nuit, les séparatistes ont déclaré qu'ils n'acceptaient pas le principe d'un contrôle de la frontière par les autorités de Kiev – ils craignent que la nasse ne se referme sur eux – et qu'ils ne signeraient pas. M. Poutine s'est alors penché vers François Hollande et Angela Merkel en disant qu'il en faisait son affaire. Il s'est mis à l'écart, a pris son téléphone et a expliqué aux séparatistes qu'ils n'avaient pas le choix et qu'il comptait sur un règlement immédiat de cette question. Sans grande surprise, les séparatistes ont fini par accepter l'accord.

M. Poutine a participé à la négociation du cessez-le-feu dans des conditions, somme toute, satisfaisantes pour lui. Mais quelles sont, au-delà, les intentions de la Russie ? Elle cherche certainement à conserver la possibilité d'exercer une menace sur son voisinage immédiat, qu'il s'agisse de l'Azerbaïdjan, de la Géorgie, de l'Arménie ou de l'Ukraine, voire des pays baltes, ainsi que certains le craignent. M. Poutine n'a donc nullement l'intention d'en revenir au système de sécurité qui prévalait en Europe depuis la signature des accords d'Helsinki en 1975. On peut considérer aujourd'hui que toute l'architecture de sécurité entre l'Union européenne et la Russie, qui reposait sur l'OSCE, a volé en éclats. En particulier, le Traité sur les forces conventionnelles en Europe, qui a été dénoncé opportunément par la Russie à la fin de l'année 2007 avant son attaque contre la Géorgie en 2008, est mort. Un certain nombre de mesures de confiance ont donc disparu. Dès lors, une question se pose : quel type d'architecture de sécurité la Russie sera-t-elle prête à négocier avec nous à l'avenir ?

Vous m'avez demandé, madame la présidente, si M. Poutine cherchait une sortie honorable. De son point de vue, l'honneur de la Russie n'est pas atteint, bien au contraire. Il a même tout lieu d'être fier de ce qui a été accompli : la réintégration de la Crimée au sein de la fédération de Russie et la déstabilisation d'un partenaire qu'il considérait comme dangereux. Les Cosaques et les séparatistes estiment avoir reconquis une partie de territoire traditionnellement sous influence russe. Il s'agit donc non pas d'une parenthèse dans la politique étrangère russe, mais de la mise en oeuvre d'une politique déterminée, qui va se poursuivre et qui aura des effets pour nous.

L'un de ces effets est la montée en puissance des courants nationalistes en Russie. Or il n'existe guère de résistance à cette poussée nationaliste, même au sein de l'opposition : une bonne partie d'entre elle, M. Navalny en tête, s'est félicitée du retour de la Crimée au sein de la fédération de Russie. Boris Nemtsov est l'un de ceux qui ont condamné cette politique et il en est mort. Il s'est agi très clairement d'un assassinat politique. Aux yeux de certains, il faisait partie de la « cinquième colonne » ou des « agents de l'étranger ». D'ailleurs, il n'a pas nécessairement été tué sur ordre du régime – nous ne disposons pas de la moindre preuve en ce sens. Ainsi que le relevait récemment un journaliste, le climat de peur qui s'est développé en Russie est tel que n'importe qui peut se sentir investi d'une mission de consolidation de la nation russe et en venir à éliminer des opposants à la politique menée par le régime. C'est là le point le plus grave. Désormais, les libertés d'opinion et d'expression seront étouffées non pas tant par les autorités que par des personnes qui s'estimeront les défenseurs d'une certaine vision de la Russie.

En ce sens, il y a lieu de craindre un débordement nationaliste sur la droite de M. Poutine. Certains, notamment le chef du parti communiste élu à la Douma, M. Ziouganov, lui ont reproché d'être trop timoré dans l'affaire ukrainienne. C'est une source d'inquiétude. De même, au cours de la grande manifestation anti-Maïdan qui a été organisée à Moscou il y a quelques jours, on a vu refleurir des slogans et des comportements que certains pourraient considérer d'un autre âge, tant ils rappelaient les heures les plus dures du régime soviétique.

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