Intervention de éric Fournier

Réunion du 10 mars 2015 à 18h00
Commission des affaires étrangères

éric Fournier, directeur de l'Europe continentale au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Non. Lorsque j'ai accompagné Laurent Fabius à Kiev pour l'investiture du président Porochenko, j'ai pu constater que les Ukrainiens appréciaient la France : nous avons été applaudis dans les rues non seulement pour notre présence ce jour-là, mais aussi pour la vigilance particulière dont nous avions fait preuve pendant la crise ukrainienne. Il y a une certaine francophilie dans le pays. Néanmoins, de nombreuses manifestations anti-françaises ont eu lieu, notamment devant l'ambassade, au moment où il a été question de la livraison des navires Mistral à la Russie. Cela a posé des problèmes de sécurité, qui nous ont amenés à modifier notre dispositif.

Quant aux agressions qui se sont produites au cours des matches auxquels ont participé les clubs de Saint-Étienne et de Guingamp, elles sont le fait de hooligans et relèvent de la basse criminalité. Il s'agit d'affaires très sérieuses : cinq supporters de Saint-Étienne ont été grièvement blessés, et leur état physique ne leur a pas permis de quitter Kiev pendant plus d'une semaine. Des faits analogues se sont reproduits lors de la rencontre entre Guingamp et Kiev : notre ambassadeur, qui était présent dans les tribunes, a vu les supporters littéralement pris d'assaut et jetés à terre par une foule déchaînée. Nous l'avons ensuite dépêché spécialement auprès des autorités ukrainiennes pour exiger des excuses, que nous n'avons pas obtenues. Nous avons fait valoir que ces agressions étaient tout à fait inacceptables. Je le ferai moi-même à nouveau la semaine prochaine à Kiev, où je me rends pour des consultations politiques. C'est un des premiers points que j'aborderai.

S'agissant des équilibres politiques internes en Ukraine, M. Iatseniouk fait face à des pressions de plusieurs types. Il est notamment contesté au sein de sa propre majorité en raison de la lenteur des réformes. En tout cas, il n'appartient plus au parti Batkivchtchyna et s'est séparé de Mme Tymochenko, laquelle ne pèse plus grand-chose dans la vie politique locale. Cependant, on ne peut pas garantir que celle-ci se satisfera de son absence du pouvoir et qu'elle ne tentera pas un retour en contestant MM. Iatseniouk et Porochenko et en s'appuyant sur d'autres forces, le cas échéant en se laissant instrumentaliser par des intérêts russes. N'oublions pas qu'elle a fait fortune en détournant une partie de la richesse nationale au moyen d'opérations douteuses avec la société Naftogaz.

Ainsi que je l'ai indiqué, au moins 1,2 million d'Ukrainiens sont partis de chez eux : 600 000 se sont réfugiés en Russie et à peu près autant se sont déplacés à l'intérieur de l'Ukraine. Ce sont là des chiffres importants, et nous ignorons comment la situation peut évoluer. Certes, il y a suffisamment de place en Russie pour qu'une partie des réfugiés ukrainiens se fonde dans la population, mais les autorités russes ne débloqueront pas nécessairement de gaîté de coeur les moyens requis pour les loger et les nourrir. Cela étant, il est aussi possible que ces populations reviennent assez rapidement chez elles : on nous signale de timides mouvements de retour depuis le début du cessez-le-feu. Ce serait plutôt une bonne nouvelle.

Dans la négociation que nous conduisons sur le dossier ukrainien, nous voulons éviter la mise en place d'un mécanisme international de règlement du conflit qui tenterait de trouver une solution pendant de longues années, à l'image du groupe de Minsk sur le Haut-Karabagh ou des groupes de travail sur la Géorgie qui se réunissent à Genève. Notre objectif est d'achever la mise en oeuvre des accords de Minsk, puis de laisser le soin aux Ukrainiens d'élaborer un système économique viable pour toutes les parties. Nous l'avons dit très clairement aux Russes, aux Ukrainiens et aux Allemands. L'Ukraine a obtenu que la Russie ne conteste pas son intégrité territoriale en ce qui concerne le Donbass. Elle doit absolument trouver un modus vivendi avec les populations de ces régions, qui permette de les inclure.

La population ukrainienne est inquiète, madame Fourneyron. Elle est appauvrie et consciente que l'économie du pays est ruinée. On ne peut donc guère parler d'optimisme, même après l'accord trouvé à Minsk, lequel a laissé les Ukrainiens à peu près indifférents, notamment dans l'Ouest. Ils attendent avant tout une reprise de l'activité économique.

Les patrouilles de l'OSCE n'ont pas pu avoir accès à cinq endroits. Certes, ce n'est pas totalement satisfaisant, mais, d'une manière générale, la présence des observateurs internationaux de l'OSCE – il y a parmi eux des Américains, des Russes, des Bulgares, ainsi que neuf Français – est tolérée par les séparatistes. C'est plutôt une bonne nouvelle.

Monsieur Dupont-Aignan, la France ne croit pas que les sanctions soient l'outil diplomatique le plus efficace. Nous le savons depuis l'époque de Napoléon ! Nous ne sommes donc pas favorables à une prolongation des sanctions contre la Russie au-delà du mois de juillet. Néanmoins, nous devons tenir compte de la solidarité européenne : nous avons pris, à vingt-huit, des décisions qui nous engagent, et le consensus est un élément important de la construction d'une politique de l'Union. Je rappelle que nous avons négocié pied à pied pour que ces sanctions n'affectent pas nos intérêts. En outre, elles ne sont pas identiques à celles qui ont été prises par les Américains : elles touchent essentiellement des personnes physiques, à qui nous ne délivrons pas de visa pour venir en Europe. Sont notamment concernés un certain nombre de responsables qui ont délibérément soutenu les opérations de M. Poutine en Ukraine, dont plusieurs parlementaires. Selon moi, ces interdictions individuelles seront levées un jour ou l'autre, mais l'effet des sanctions dans leur ensemble va durer de nombreuses années.

Les économies russe et ukrainienne sont, à l'évidence, très imbriquées. Je ne suis donc pas surpris d'entendre que l'Ukraine s'approvisionne en charbon en Russie ou qu'elle exporte des biens vers cette dernière. D'ailleurs, s'il y a des difficultés temporaires, il n'y a pas d'embargo complet ni définitif entre les deux pays. Nous l'avons bien vu avec la Géorgie : peu de temps après la guerre de 2008, les intérêts russes et géorgiens se sont entendus pour faire profiter à nouveau les populations des échanges commerciaux, notamment des exportations de vin géorgien. Je suis prêt à parier que le commerce bilatéral entre la Russie et l'Ukraine aura repris d'ici à deux ans, même s'il ne retrouvera pas nécessairement son niveau initial.

Je connais bien la propagande de la télévision russe à propos des « fascistes ukrainiens ». Mais, pour avoir observé ces derniers d'assez près, je puis dire qu'ils ne se placent pas dans la perspective d'une extermination des populations comme le faisaient les groupes fascistes à une autre époque. Il y a, certes, un excès du nationalisme ukrainien, mais il n'y a eu aucune attaque délibérée contre des russophones ou contre les minorités tatare, juive, catholique uniate ou autre. Le mouvement nationaliste ukrainien reste, au fond, marginal : le parti le plus extrémiste a obtenu moins de 3 % des voix aux dernières élections législatives.

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