Madame la ministre, mes chers collègues, nous faisons tous fausse route dans ce débat parce que nous employons des termes qui ne correspondent pas à ce qu’est la toxicomanie.
La toxicomanie n’est pas une maladie : c’est un mode de fonctionnement, un rapport à la réalité, un jeu terrible avec la mort, une volonté d’autodestruction qui naît de la rencontre entre un produit, une personnalité – tout le monde ne devient pas toxicomane lorsqu’il rentre en contact avec un produit – et une culture.
L’article 8 a pour objectif de venir en aide aux professions qui, pour des raisons somatiques, c’est-à-dire pour lutter contre le VIH et autres maladies transmissibles, se sont engagés il y a quelques années dans une politique de distribution de seringues pour l’injection de drogues. Il officialise ce système, en lui faisant franchir une étape supplémentaire, où l’injection n’est plus une exception ni un tabou. Sur le plan symbolique, l’adoption de cet article 8 engagera un processus de rupture radicale avec un interdit non écrit : celui du respect du corps, du « moi-peau » en quelque sorte, cette frontière entre ce qui me constitue et ce qui m’est extérieur, que le toxicomane franchit allègrement tant sa souffrance dépasse ce qu’on appelle maladie.
C’est notre responsabilité d’adulte qui est engagée aujourd’hui. Si, devant les adolescents qui nous écoutent, nous faisons sauter ces derniers tabous et ces dernières limites, nous porterons sur les épaules le poids d’une faute morale terrible.
Nous avons tous, dans notre enfance et notre adolescence transgressé ces multiples petits interdits que nos parents nous opposaient, et vous voulez imposer à la société française des interdits inédits, sur l’alcool, le tabac, la conduite à risque, alors que s’agissant des interdits fondamentaux, ceux qui concernent le rapport à la mort, l’intégrité physique et corporelle, vous transgressez largement toute morale.
Voilà la terrible faute dont nous nous rendrons coupables si nous adoptons l’article 8. Je ne parle pas d’interdiction, mes chers collègues, je parle de respect. Il ne s’agit pas là des petites transgressions de l’enfance ou de l’adolescence, mais d’une transgression majeure.
C’est en cela que notre société faillit. Elle devrait plutôt se demander pourquoi de plus en plus de jeunes consomment des produits toxiques. Pourquoi ont-ils peur de l’avenir et de la vie en société au point de se réfugier dans des paradis artificiels ? C’est la seule question qui vaille.