La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le ministre de la défense, je veux tout d’abord vous dire, ainsi qu’aux forces spéciales françaises au Mali, notre très grande fierté après la libération de l’otage néerlandais retenu par AQMI.
Applaudissements sur tous les bancs.
En tant que vice-président du groupe d’amitié France-Kenya, j’associe mon collègue Stéphane Demilly à cette question pour dire notre effroi, notre peine et notre colère, face à la barbarie qui a frappé ce pays qui pleure aujourd’hui ses enfants.
Pourquoi cette indifférence générale de la communauté internationale que seul le pape a tirée de sa torpeur coupable ?
Le groupe RRDP est viscéralement laïque ; et je suis personnellement athée. Mais il faut aujourd’hui dénoncer cette odieuse réalité : la volonté d’extermination des chrétiens à travers une partie du monde.
Quand des juifs sont assassinés pour ce qu’ils sont, nous condamnons à juste titre l’abjection qu’est l’antisémitisme. Quand des musulmans sunnites massacrent des musulmans chiites et inversement, nous rappelons que les musulmans sont les premières victimes de la sauvagerie islamiste.
Alors, quand des étudiants kényans sont triés et que 142 d’entre eux sont exécutés parce qu’ils sont chrétiens, quand des coptes sont décapités en Libye, quand des chrétiens de Syrie et d’Irak sont crucifiés par Daesh, il faut aussi, avec la même force, crier notre horreur et notre refus.
Applaudissements sur tous les bancs.
Et si nous devons à tout prix ne pas tomber dans le piège de la guerre des religions et des civilisations, la communauté internationale va-t-elle longtemps rester sourde, rester muette, rester aveugle face à ce martyre insupportable que subissent tant de chrétiens d’Afrique et d’Orient ?
Mêmes mouvements.
Monsieur le député, je voudrais moi aussi rendre hommage à nos forces spéciales qui, avec beaucoup de professionnalisme et de courage, ont permis, dans la nuit de dimanche à lundi, de neutraliser un camp de terroristes d’AQMI et de libérer l’otage néerlandais, M. Rijke, prisonnier depuis 1 200 jours – il avait été pris en otage en même temps que notre compatriote M. Lazarevic.
Nous avons pu mener cette opération grâce à une surveillance par des moyens adaptés qui a duré dix jours et qui a rendu possible une manoeuvre impeccable de nos forces spéciales.
M. Koenders, le ministre des affaires étrangères néerlandais, a joint Laurent Fabius pour le remercier. J’ai eu en ligne mon homologue de la défense. Les Pays-Bas souhaitent remercier la France pour son action. Ils sont présents, eux aussi, dans la lutte contre le terrorisme, puisqu’ils participent à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali – MINUSMA – avec 500 militaires, ce qui n’est pas rien.
Pendant ce même week-end pascal, nos forces ont assuré l’évacuation de Français et d’Européens au Yémen, sous le feu, leur permettant ainsi d’avoir la vie sauve. La France prend ses responsabilités, là comme ailleurs, puisque l’opération Barkhane nous permet de lutter en permanence contre les terroristes. Et notre soutien à l’African Union Mission to Somalia ou AMISOM, contre les Shebabs qui ont ensanglanté le Kenya, est total et pertinent, tout comme notre assistance aux forces africaines contre Boko Haram. La France est au rendez-vous de ses responsabilités. Elle souhaite que d’autres y soient aussi.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, en un an, vous avez enregistré quatre échecs électoraux : municipales, sénatoriales, européennes et départementales. Vingt-huit départements basculent à droite.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Votre politique d’austérité est sanctionnée, condamnée. Il faut regarder le bilan en face : hausse de la pauvreté, explosion des inégalités, échec écologique et aggravation du chômage. J’ai reçu dernièrement un courrier d’une habitante de ma circonscription, qui m’avoue prendre sa nourriture dans les poubelles, comme les chiens et les chats ! C’est insoutenable, inacceptable !
Il faut réagir vite, monsieur le Premier ministre, car si vous ne changez pas de cap, les élections régionales de décembre sonneront l’hallali. Ce sera la catastrophe pour notre peuple, avec la victoire de la droite et de l’extrême droite.
Un autre politique est possible, les moyens existent ! En hausse de 30 %, les sommes versées aux actionnaires du CAC 40 sous forme de dividendes et de rachats d’actions ont atteint 56 milliards d’euros l’année dernière. Ces rachats d’actions que le rapport Gallois pour l’industrie proposait de taxer. Pourquoi ne pas le faire ?
Jeudi, la CGT, Force ouvrière, Solidaires et FSU appellent à faire grève contre le pacte de responsabilité, la rigueur budgétaire, la réforme territoriale et la loi Macron : des réformes qui aggravent la situation des salariés. Ceux-ci exigent des augmentations de salaire, des augmentations des pensions et des minima sociaux. Ils ont raison : il faut partager justement les richesses. C’est un défi démocratique pour notre pays.
Les salariés défendent le maintien des emplois, des statuts et des garanties collectives. Ils exigent le retrait du projet de loi Macron. Ils exigent la fin du pacte de responsabilité, un échec reconnu par votre ministre de l’économie lui-même.
Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin écouter la voix des salariés, seuls créateurs des richesses en France ?
La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Monsieur le député, je ne partage pas votre sentiment. Il n’y a pas, en France, de politique d’austérité. Les mesures prises ces dernières années montrent au contraire la volonté du Gouvernement de tenir compte du pouvoir d’achat des salariés.
En 2014, le pouvoir d’achat des ménages a ainsi augmenté de 1,1 % en moyenne. Et, pour le premier semestre 2015, l’augmentation prévue est de 1,6 %.
En outre, cette année, 9 millions de ménages vont bénéficier d’une baisse de l’impôt sur le revenu, grâce à la suppression de la première tranche du barème.
J’ajoute que des efforts particuliers ont été faits pour lutter contre la pauvreté. Le minimum vieillesse a été porté à 800 euros en 2014, mesure qui bénéficie à un demi-million de retraités. Les prestations sociales ont été revalorisées : pour le revenu de solidarité active, c’est une augmentation de 10 % sur cinq ans qui a été actée.
Je précise en plus que dans le projet de loi sur le dialogue social que je défendrai, il y aura une incitation à la reprise d’activité, avec la fusion de la prime pour l’emploi et du RSA socle. Cette incitation, pour un salarié au SMIC, représentera 130 à 180 euros.
Vous le voyez, monsieur le député, je ne partage pas votre sentiment et j’ajoute que le projet de loi dit « Macron » ne mérite pas cet excès d’indignité. Il n’est en rien responsable de ce que vous prétendez être l’austérité. Nous menons une politique de redressement des comptes de ce pays, dans la solidarité.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Thierry Solère, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Voilà un an, monsieur le Premier ministre, que vous êtes chef du Gouvernement.
On vous a vu beaucoup promettre, beaucoup déclarer, beaucoup annoncer et, parfois, vous énerver sur ces bancs, mais il y a quelque chose que nous n’avons toujours vu : ce sont vos résultats.
Le chômage diminue partout en Europe, pas chez nous. La croissance repart chez nos voisins, pas chez nous. La Commission européenne réclame des réformes et vous entretenez le flou. L’État de droit cède du terrain quand un RER est pris d’assaut dans l’Essonne. Il cède aussi du terrain quand vous laissez pourrir la situation à Notre-Dame-des-Landes, où les riverains vivent un véritable calvaire.
Monsieur le Premier ministre, vous parlez des réformes comme s’il suffisait… d’en parler !
Ce matin, le secrétaire général de la CFDT a déclaré que le Gouvernement avait exclu, devant les partenaires sociaux, toute réforme du contrat de travail. Qu’est-ce que cela signifie, monsieur le Premier ministre ?
Que le Gouvernement est plongé dans l’immobilisme et que, jusqu’en 2017, aucune réforme structurelle ne sera votée ? Pas de réforme du marché du travail ? Pas de réforme des retraites alors que leur financement n’est pas pérenne ? Pas de réforme de l’État et de la dépense publique ?
Vous êtes englué dans des négociations de partis. Entre les écologistes, qui organisent des séminaires pour savoir s’ils vont entrer ou non au gouvernement, et les frondeurs qui bloquent toute action réformatrice mais qu’il ne faut surtout pas lâcher à l’approche du congrès du parti socialiste, j’ai deux questions à vous poser : avez-vous décidé de condamner la France à l’immobilisme ? Êtes-vous devenu un Président du conseil de la IV° République ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social…
Protestations sur les bancs du groupe UMP
Monsieur le député Thierry Solère, ce Gouvernement n’a qu’une seule marque : le dialogue social, que nous menons tous les jours avec les partenaires sociaux, tant du côté patronal que syndical.
C’est ainsi qu’à la demande du Premier ministre j’ai préparé un projet de la loi sur la modernisation du dialogue social qui vous sera soumis prochainement.
Ce texte prend en compte un certain nombre de modifications souhaitées par les partenaires sociaux car, pour ce Gouvernement, il ne peut être question de réformer sans d’abord les consulter.
C’est avec eux que nous portons ces réformes, monsieur le député, mais savez-vous pourquoi ?
Parce qu’elles s’inscrivent d’autant plus dans la durée qu’elles sont établies avec ces derniers. Toute réforme décidée sans leur accord ne peut être appliquée sur le terrain, ce que vous savez pertinemment pour en avoir fait les frais lorsque vous gouverniez.
C’est ainsi que le projet de loi dont vous débattrez très prochainement comportera des avancées significatives afin de donner à la fois plus de souplesse aux entreprises, oui, plus de souplesses aux entreprises mais, aussi, de promouvoir une plus grande justice sociale à travers un plus grand nombre de garanties pour les salariés, car c’est l’un des piliers de l’action de ce Gouvernement.
La parole est à M. Jean-Paul Bacquet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Le groupe SRC exprime son émotion suite à la disparition tragique de notre ami Jean Germain. Nous assurons sa famille, ses proches, ses amis, de notre affection et nous leur adressons nos très sincères condoléances.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, la France, le Pakistan, le Danemark, la Tunisie, la Syrie, le Mali : tous ces pays ont été touchés ces derniers mois par la barbarie terroriste.
La semaine dernière, c’est le Kenya qui a été frappé par un drame d’une cruauté indescriptible. Jeudi 2 avril, sur le campus universitaire de Garissa, se déroulait une véritable tragédie.
Tout au long d’une journée effroyable, des terroristes Shebabs ont semé l’horreur et la désolation en assassinant 148 personnes.
Quatre-vingt-dix jours après le drame qui a frappé la France, nous partageons la douleur et la détresse de la nation kényane touchée en plein coeur. Nous lui adressons un message de solidarité et de fraternité.
Plus que jamais, nous devons lutter contre la menace terroriste, cette menace qui s’attaque au savoir, qui s’attaque à l’école, qui s’attaque à la culture, qui s’attaque à la liberté, qui s’attaque à la jeunesse.
Dans cette lutte, nous ne devons ni faiblir, ni renoncer et notre majorité, mais je suis sûr que c’est aussi le cas sur l’ensemble des bancs de cette Assemblée, est aux côtés du Gouvernement pour soutenir les mesures qu’impose la lutte contre le terrorisme.
Monsieur le ministre, quel message la France souhaite-t-elle adresser au peuple du Kenya touché à son tour par la folie terroriste ?
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, écologiste et sur quelques bancs du groupe UDI.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
Comme vous l’avez très bien dit, monsieur Jean-Paul Bacquet, le terrorisme est malheureusement un fléau mondial dont le dernier exemple tragique en date est le carnage – il n’y a pas d’autre mot – qui a eu lieu la semaine dernière, au petit matin, au Kenya, revendiqué par ceux que l’on appelle les Shebabs.
Les terroristes ont frappé les étudiants pendant leur sommeil, et fait près de 150 morts et 78 blessés parmi ces jeunes qui se consacraient au savoir, à la culture et qui n’avaient pas d’autre ambition que de travailler pour le développement de leur pays.
Vous m’avez demandé un message.
Le premier que j’adresse au nom de tous, j’en suis sûr, est un message de solidarité.
Le second est un message d’action pour cette région où la France, d’ailleurs, agit déjà.
Dans la Corne de l’Afrique, comme vous le savez, nous participons avec nos partenaires européens à la reconstruction longue et difficile de la Somalie. Nous apportons une aide au développement, nous aidons concrètement à former les soldats somaliens et, enfin, nous soutenons l’Union africaine sur place.
Le Kenya, comme le Nigeria et d’autres pays d’Afrique, incarne l’espoir de ce continent et c’est pour cela, en particulier, que les Shebabs l’ont frappé.
À l’issue de cette séance, je me rendrai à l’ambassade du Kenya où je dirai au nom du Gouvernement de la République mais aussi, j’en suis sûr, en votre nom à tous, que la France est aux côtés de tous ceux qui luttent contre le terrorisme.
Applaudissements sur tous les bancs.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, le 11 janvier dernier, des millions de Français exprimaient leur attachement viscéral aux valeurs de la République et leur volonté de combattre unanimement le terrorisme islamiste. Vous avez, dans un beau discours républicain prononcé le 13 janvier à cette tribune, prolongé cet esprit d’unité nationale.
Trois mois après, nous sommes en droit de vous demander, monsieur le Premier ministre, ce que vous avez fait de cet esprit du 11 janvier. Oui, nous sommes en droit de vous le demander, lorsque l’on voit qu’une entreprise nationale, la RATP, qui est placée sous le contrôle du Gouvernement, met sur le même plan Daesh et les chrétiens d’Orient ; qu’elle met sur le même plan les bourreaux et leurs martyrs !
Qu’avez-vous fait, monsieur le Premier ministre, de cet esprit du 11 janvier, lorsque vous avez fait repousser sans aucun débat la semaine dernière, en faisant adopter des motions de procédure, les propositions formulées dans le même esprit d’unité nationale par le groupe UMP, notamment une proposition de loi visant à créer une peine d’indignité nationale et de déchéance de la nationalité à l’encontre des terroristes ?
Qu’avez-vous fait de cet esprit du 11 janvier lorsque vous refusez d’octroyer des moyens supplémentaires de sécurité à nos policiers, alors que trente-six d’entre eux sont morts en service depuis 2004 ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Qu’avez-vous fait de l’esprit du 11 janvier en refusant d’adopter la proposition de loi élargissant les conditions de la légitime défense ?
Oui, nous sommes en droit, monsieur le Premier ministre, de vous demander de vous ressaisir, parce que la lutte contre le terrorisme, comme la préservation de l’unité nationale, ne nécessite pas que des mots, mais également des actes.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, ce que vous appelez l’esprit du 11 janvier c’est d’abord l’exigence des Français de nous voir tous unis contre le terrorisme ; de nous voir nous hisser – et cela vaut pour chacun d’entre nous – au niveau requis par les défis auxquels notre pays est confronté, à commencer, bien sûr, par la menace terroriste qui frappe de nombreux pays, comme Laurent Fabius vient de le rappeler.
Sur ces questions, le ton doit rester celui qui a prévalu dans cet hémicycle le 13 janvier.
C’est essentiel, parce que c’est en étant unis et rassemblés que nous serons forts. Le ministre de l’intérieur et moi-même avons déjà eu l’occasion d’annoncer les moyens complémentaires qui sont d’ores et déjà affectés – vous le savez parfaitement – à la Direction générale des services intérieurs, comme extérieurs. Il s’agit de moyens considérables, puisque près d’un milliard d’euros sont consacrés au renseignement, comme à la pénitentiaire.
Vous savez aussi, car Jean-Yves Le Drian a déjà eu l’occasion de l’annoncer ici, que le Président de la République a pris des décisions concernant nos forces armées. Nos militaires doivent pouvoir assurer leur difficile mission non seulement à l’extérieur – M. Falorni a salué il y a un instant leur action au Mali – mais aussi sur notre territoire, où ils ont pour mission de sécuriser les écoles confessionnelles, les mosquées, les synagogues et les équipements publics, ce qui implique des moyens considérables.
J’aurais mauvaise grâce à rappeler ici, car j’abandonnerais alors cet esprit du 11 janvier pour vous rejoindre dans la polémique,…
…les suppressions de postes qui ont été décidées dans la gendarmerie et dans la police pendant plusieurs années.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Face à cette situation, je préfère, monsieur Ciotti, que nous nous retrouvions sur l’essentiel. En commission des lois, grâce au travail de très grande qualité mené conjointement par Jean-Jacques Urvoas, qui dirige les travaux, et Patrice Verchère,
« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP
une proposition de loi est actuellement examinée. Dans le prolongement de la réunion de l’ensemble des groupes politiques autour du Président de la République, cette proposition de loi relative au renseignement, tout en préservant nos libertés publiques, donne davantage de moyens d’action à nos services de renseignement, ce qui est essentiel. Je ne doute pas que nous saurons nous rassembler autour de cette proposition.
Enfin, ne cherchons pas la polémique, surtout quand elle est stérile. L’attitude de la RATP au cours de ces derniers jours – nous l’avons tous dit – n’a pas été appropriée. Elle n’a pas été digne d’une grande entreprise publique.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, UDI et UMP.
Et c’est la raison pour laquelle le Gouvernement est intervenu pour dire très clairement qu’il importe, par des signes et des symboles, de montrer que nous sommes sensibles au martyre des chrétiens d’Orient.
Monsieur Ciotti, une démocratie est forte quand elle donne les moyens à ses forces armées, à ses services de renseignement, à ses policiers, à ses gendarmes et à la pénitentiaire de lutter contre le terrorisme, dont la menace est si présente. Une démocratie est forte quand, au-delà de leurs différences, qui sont normales, tous les responsables politiques sont capables de se retrouver ensemble, comme le peuple français l’a demandé le 11 janvier. Une grande démocratie est forte quand elle ne polémique pas sur l’accessoire, mais qu’elle se rassemble sur l’essentiel. J’espère pouvoir compter sur vous, monsieur Ciotti.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, comme cela a été rappelé, 147 personnes, dont 142 étudiants, en majorité chrétiens, ont été massacrés jeudi dernier à Garissa, au Kenya, dans une université. Nous exprimons ici notre émotion et nous condamnons ces attaques ciblées.
Hier, le pape François a livré un message à la communauté internationale, déclarant que les chrétiens sont nos martyrs d’aujourd’hui, plus nombreux qu’au premier siècle de la chrétienté. Devant cette furie djihadiste, devant la brutalité insensée du massacre au Kenya, le silence complice de la communauté internationale doit cesser.
Monsieur le ministre, le monde, l’Europe, la France ne peuvent rester inertes face aux persécutions subies par les minorités chrétiennes du Proche et du Moyen-Orient. Ce nouveau génocide se déroule malheureusement dans l’indifférence totale de la communauté internationale. La France a pris des initiatives, mais elle ne peut être engagée seule sur tous les fronts, dans la lutte contre la barbarie.
Depuis la fin du mois de juillet, le Gouvernement n’a accordé que 1 500 visas d’asile à des chrétiens d’Orient, alors qu’il avait été annoncé la volonté de favoriser l’arrivée de ces minorités persécutées. Aujourd’hui, monsieur le ministre, envisagez-vous d’intensifier l’accueil de ces populations martyrisées ? La France doit agir pour que cessent ces drames et ces abominations, avec leur cortège de victimes. L’on ne peut plus se contenter de déclarations et de lamentations sur le sort de ces minorités chrétiennes.
La France doit appeler l’Union européenne à prendre des initiatives fortes avant qu’il ne soit trop tard. Aussi, monsieur le ministre, merci de nous indiquer les actions que vous comptez entreprendre pour répondre à cette situation absolument dramatique et intolérable.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
Monsieur le député, vous qui suivez ces questions avec beaucoup d’attention, sachez que j’ai réuni, au nom de la France, le 27 mars, la plus haute instance internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies, avec, à mes côtés, son secrétaire général, M. Ban Ki-moon. Vous appelez à l’action, et vous avez raison : au nom de notre pays, j’ai proposé une charte d’action en quatre volets.
Le premier concerne l’accompagnement humanitaire, parce qu’il ne s’agit pas seulement, ni même essentiellement, d’accueillir des réfugiés. Il s’agit de faire en sorte que ces personnes puissent rester sur place : telle est la priorité, et il faut que les agences des Nations unies prennent des dispositions en ce sens.
Deuxième volet : l’action militaire, car sans sécurité, il n’y a pas de retour viable. Il faut donc que nos actions, y compris au sein de la coalition, soient menées d’une manière telle qu’elles permettent de dégager des zones de sécurité.
Il importe, en troisième lieu, de lutter contre l’impunité. J’ai demandé que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale pour ces agissements…
…et j’ai dit, connaissant le droit, que les crimes d’ordre culturel devaient être inclus dans la pénalisation, au titre de la Cour pénale internationale.
Enfin, j’ai demandé une solution politique d’ensemble, parce que nous ne trouverons une solution que si les États pratiquent une action inclusive. L’Irak a fait un effort en ce sens, lorsque son nouveau Premier ministre a été nommé, mais il y a encore des progrès à faire en ce sens.
Le secrétaire général des Nations unies a bien voulu écouter ce message, et une conférence internationale doit se tenir en France, sur la base du rapport des Nations unies. Mais je vous rejoins tout à fait : il ne s’agit pas simplement de parler. Il s’agit, comme le demande la France, d’agir au niveau européen et au niveau international, parce que pendant que nous discutons, ces gens-là se font massacrer.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à M. Hervé Mariton, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, pourquoi avancez-vous masqué ? Pourquoi refusez-vous un vote du Parlement sur votre programme budgétaire, ce qu’en vocabulaire européen on appelle programme de stabilité ?
Le retour de la croissance exige de la cohérence, de la stabilité dans les choix budgétaires, du courage, des choix pertinents. C’est l’enjeu de la confiance. Cette confiance passe par un vote que vous refusez, monsieur le Premier ministre.
Le Gouvernement va adopter d’ici quelques jours une stratégie, une trajectoire de moyen terme sur les finances publiques, et vous le savez, l’article 14 de la loi de programmation des finances publiques prévoit un vote. Vous le savez si bien, monsieur le Premier ministre, qu’en 2014 vous déclariez : « C’est un respect que nous devons au Parlement quand il s’agit de faire des choix qui engagent la France, sa crédibilité. » Je vous cite encore : « Il est essentiel qu’un vote ait lieu. »
Alors, s’il y avait en 2014 un enjeu de crédibilité, où est votre crédibilité en 2015 ? Aucun débat, aucun vote n’est prévu dans l’hémicycle. Monsieur le Premier ministre, les Français ont besoin de savoir. Quand la Commission européenne demande que soit mis fin à une situation de déficit excessif, quand elle demande 20 milliards de mesures d’économies structurelles en plus, en même temps les frondeurs marquent les tiraillements de votre majorité et exigent des dépenses supplémentaires.
Les Français ont le droit de savoir, vous devez être engagé par un vote. Monsieur le Premier ministre, ferez-vous, conformément à la loi, voter le programme de stabilité ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député Hervé Mariton, vous connaissez parfaitement tous les éléments de ce débat. Le programme de stabilité est un document que chaque pays de l’Union européenne, plus particulièrement de la zone euro, doit présenter à la Commission européenne aux alentours du 15 avril, et dans tous les cas avant la fin du mois d’avril…
…pour lui permettre et nous permettre, entre ministres et entre pays responsables, de regarder la stratégie de chacun d’entre nous. Ce document sera évidemment présenté à la Commission et soumis à l’approbation des uns et des autres.
Et évidemment, comme le prévoient les textes que vous connaissez fort bien et que vous avez tort de déformer, le Parlement sera informé.
J’ai déjà dit que je me tenais à la disposition, ainsi que Christian Eckert, de la commission des finances. Vous étiez en commission des finances lorsqu’il a été constaté par les uns et les autres que pour des raisons qui tiennent à l’organisation de cette assemblée – et je n’ai pas besoin de vous dire pourquoi – la deuxième quinzaine d’avril ne pouvait pas être utilisée pour un débat de cette nature.
Et ce matin même, monsieur le président, sous votre présidence, la conférence des présidents a décidé que serait organisé au début du mois de mai, ce qui est parfaitement légitime, un débat sur la situation économique, sur la politique de la France en Europe et sur la volonté – j’espère partagée – de retrouver une croissance qui soit solide et durable.
J’appelle de mes voeux ce débat, car dans un débat devant l’Assemblée nationale et devant les Français, vous ne pourrez pas vous contenter de pousser quelques petits cris de cette nature, vous aurez à faire des propositions.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Et je serai particulièrement intéressé de savoir où et comment vous voulez réaliser 150 milliards d’économies. Vous avancez des chiffres, mais vous ne donnez aucune précision !
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à Mme Monique Iborra, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le chômage n’est pas seulement un drame personnel, il est aussi source d’inégalités qui sont à l’origine de difficultés à vivre ensemble. Lutter contre les inégalités, c’est lutter contre le chômage, en mettant en place, notamment, des politiques qui favorisent la création d’emplois.
Si nous partageons sur ces bancs l’objectif de ne pas stigmatiser les demandeurs d’emploi, nous savons cependant qu’il est nécessaire de les inciter aussi à retrouver le plus vite possible un travail,…
…sans que la reprise d’activité ne soit vécue par eux comme pénalisante du point de vue de l’indemnisation, ce qui était le cas jusqu’au 1er octobre 2014, puisque les demandeurs d’emploi perdaient leurs droits acquis dès la signature d’un contrat de travail. C’était un dispositif peu incitatif à la reprise d’un emploi.
C’est la raison pour laquelle les partenaires sociaux ont mis en place dès le 1er octobre 2014 un dispositif dit « Droits rechargeables ». Les demandeurs d’emploi ne devraient pas perdre leur droit à l’indemnisation ouvert initialement, même en cas de reprise d’activité. C’est un progrès incontestable que nous saluons. Il va dans le sens d’une politique qui vise en même temps à garantir un droit et à inciter à la reprise d’une activité professionnelle.
Néanmoins, certains allocataires ont été confrontés à des situations non conformes aux objectifs fixés par ce nouveau dispositif. Ils l’ont fait savoir, nous ont interpellés ; il s’agit d’ailleurs essentiellement de jeunes demandeurs d’emploi.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment la situation de ces demandeurs d’emploi a été prise en compte après la réunion des partenaires sociaux du 25 mars dernier ?
Merci. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Madame Monique Iborra, les droits rechargeables, entrés en vigueur le 1er octobre 2014, représentent en effet une véritable avancée sociale. Voulus par ce Gouvernement, sa majorité, et également par les partenaires sociaux, les droits rechargeables permettent ainsi à environ 1 million d’allocataires de voir la durée de leurs droits allongée en moyenne de cinq à six mois. Ils ont ainsi une forte incitation à la reprise d’activité.
Cependant, un certain nombre d’allocataires – environ 350 000 – ont été pénalisés. Le Gouvernement a invité les partenaires sociaux à réagir en aménageant ce dispositif. C’est ce qu’ils ont fait le 25 mars dernier en accordant sous conditions un droit d’option qui va permettre aux allocataires de renoncer à leur reliquat de droits et d’obtenir un recalcul du montant et de la durée de leur indemnisation.
Pour exercer ce droit d’option, l’allocataire devra en faire la demande écrite à Pôle emploi dans un délai de vingt et un jours suivant sa reprise de droits, et satisfaire de manière cumulative à deux conditions. La première, bien évidemment, est d’avoir quatre mois d’affiliation au régime général. La seconde est de bénéficier d’un montant d’allocations journalières en cours inférieur ou égal à vingt euros, ou au moins 30 % du montant de l’allocation journalière.
Sous réserve de ces deux conditions, les demandeurs d’emploi peuvent désormais faire valoir la nouvelle possibilité des droits rechargeables auprès de Pôle emploi à compter du 1er avril. Inutile de vous dire que le Gouvernement se réjouit de cette décision voulue par les partenaires sociaux. Les droits rechargeables sont une avancée sociale majeure pour les demandeurs d’emploi et les travailleurs précaires.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Damien Abad, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
…j’avais considéré que vous étiez l’un des rares espoirs de ce gouvernement, mais permettez-moi de vous dire que j’ai été déçu, comme beaucoup d’entre nous. Cette déception est à la hauteur des attentes que nous avions personnellement placées en vous après votre nomination au ministère de la culture. Après l’affaire Modiano ou l’annonce par mégarde du redressement fiscal de Google, notre déception a été renforcée hier matin en écoutant votre interview sur France Inter. Je vous cite : « Quand on écoute France Inter, on n’écoute pas RTL […] ou Europe 1. Il y a une mission spécifique de décryptage de l’information, d’accès à la culture. »
Madame la ministre, vos propos nous laissent sans voix. Les grandes radios privées, aux qualités plus que reconnues, apprécieront, tout comme leurs auditeurs ! Qu’est-ce que cela signifie ? Seuls les intellectuels écoutant France Inter auraient-ils droit à une information décryptée et de qualité,…
Exclamations sur divers bancs
…quand les pauvres auditeurs de RTL et d’Europe 1 n’auraient droit qu’à un condensé d’informations indigestes ?
On peut certes défendre le service public, mais cela sans insulter les radios privées. Avec mes collègues du groupe UMP, nous nous inscrivons en faux face à ce sous-entendu. Beaucoup d’entre nous étions sur le terrain ces dernières semaines : nous avons entendu, dans nos départements, ces centaines de milliers d’auditeurs, et nous pouvons vous garantir qu’ils ne sont pas moins bien informés en écoutant RTL ou Europe 1, deux radios qui font partie du patrimoine radiophonique et culturel français et qui ont le mérite d’émettre de l’information de qualité 365 jours par an.
Madame la ministre, ma question est simple : consentez-vous à présenter vos excuses à ces deux chaînes de radio…
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur Abad, je vous remercie d’abord pour les mots aimables que vous m’avez adressés au début de votre intervention, même s’ils ont été rapidement démentis par le contenu de votre question.
Je ne vois vraiment pas l’intérêt d’instruire de faux procès,…
…dans une période qui est déjà suffisamment compliquée comme cela.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Tous ceux qui ont l’honnêteté intellectuelle d’avoir écouté l’interview en entier savent très bien ce que j’ai voulu dire.
Je pense que personne ici ne niera la singularité du service public. Je n’ai jamais sous-entendu de considérations méprisantes à l’égard des radios privées. Ces dernières jouent un rôle dans la diffusion de l’information, tandis que le service public a un rôle singulier.
Ce qui me préoccupe surtout aujourd’hui, c’est le conflit qui dure depuis très longtemps à Radio France et dont je souhaite que nous puissions sortir.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Ce conflit illustre bien un aspect de votre question, puisque pour vous, la distinction entre le service public et les radios privées n’est pas si évidente que cela. Vous n’avez absolument pas mené les réformes qui s’imposaient au service public radiophonique
Protestations sur les bancs du groupe UMP
pendant une dizaine d’années : ce fait a été souligné par le rapport de la Cour des comptes et apparaît aujourd’hui dans toute sa lumière.
Mêmes mouvements.
Aujourd’hui, je suis confrontée à la situation suivante : je dois mener les réformes qui ont été repoussées sous le tapis pendant dix ans par la précédente majorité.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je le fais avec courage, avec engagement,…
…et je souhaite aujourd’hui que ce mouvement social arrive à son terme.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Pour autant, ne comptez pas sur moi pour renoncer à mon ambition pour le service public radiophonique…
…et à ma volonté de réforme. Aujourd’hui, je suis totalement concentrée sur un seul objectif : faire en sorte que le dialogue social puisse reprendre à Radio France.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Cela a été le cas, et je suis en situation de communiquer au président de Radio France et aux organisations syndicales les éléments d’arbitrage du Gouvernement.
Je souhaite aujourd’hui que les Français attachés à un service public radiophonique de qualité puissent retrouver prochainement leurs antennes.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.
C’est tout ce qui me préoccupe aujourd’hui.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, jeudi dernier, les négociations sur le programme nucléaire iranien ont abouti à un accord cadre. Ce dernier doit encore être confirmé au mois de juin prochain, après avoir été complété par des précisions techniques indispensables à sa crédibilité. C’est évidemment une étape positive qui vient d’être franchie, mais elle demande à être confirmée et elle suscite des réactions contrastées dans la région. Le gouvernement israélien vient de déclarer que cet accord ne garantissait pas la sécurité d’Israël et que l’option militaire, c’est-à-dire des frappes contre les installations nucléaires iraniennes, restait sur la table.
Depuis le début de ces négociations, la France tient une position exigeante : oui à un programme nucléaire civil en Iran, mais non à la bombe nucléaire ; oui à un accord, car la diplomatie est toujours préférable à la guerre, mais à un accord solide et crédible, capable de rassurer les États voisins de l’Iran, notamment Israël, et d’éviter la prolifération nucléaire dans cette région déjà en proie au terrorisme sauvage et à de terribles guerres. Vis-à-vis de l’Iran, nous avons donc besoin de fermeté, mais non de fermeture, car si ce pays faisait le choix de la diplomatie plutôt que celui de la confrontation, ce serait utile pour contribuer à résoudre les crises qui secouent le Proche et le Moyen-Orient.
Monsieur le ministre, je souhaite vous poser trois questions. Premièrement, quels sont les progrès concrets réalisés depuis l’accord intérimaire du 24 novembre dernier, que la France avait rejeté – on s’en souvient –, en tout cas dans sa rédaction initiale ? Deuxièmement, quelles sont les questions qui restent à régler et les obstacles à surmonter d’ici au mois de juin prochain ? Enfin, cet accord sera-t-il suffisamment robuste et crédible pour rassurer les États de la région et permettre de réinsérer l’Iran dans une coopération internationale constructive ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
Madame la présidente Élisabeth Guigou, en commentant cet accord difficile à obtenir, j’ai dit qu’il comportait des avancées incontestables mais qu’il y avait encore pas mal de chemin à parcourir.
S’agissant des avancées, je prendrai deux ou trois exemples sur ces sujets extrêmement techniques. Jusqu’à présent, l’Iran pouvait disposer de 9 000 centrifugeuses,…
…ces machines qui tournent très vite et permettent d’enrichir l’uranium ; désormais, ce sera 5 060. En outre, l’Iran pouvait compter sur un stock d’uranium de 8 tonnes ; désormais, ce sera 300 kilos. Enfin, cet uranium pouvait être enrichi jusqu’à 20 %, ce qui permettait de l’utiliser à des fins militaires ; désormais, il pourra l’être à 3,65 %. Voilà pour les avancées.
En même temps, il y a des sujets dont nous avons discuté mais sur lesquels nous ne sommes pas arrivés à nous mettre d’accord. Je citerai deux points de désaccord, qui ne sont pas les plus faciles à résoudre. Tout d’abord, le respect de l’accord devra être contrôlé par l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, qui devra pouvoir pénétrer dans tous les sites et interroger toutes les personnes, y compris celles qui peuvent être associées à un programme militaire. Cela n’a pas encore été obtenu. Par ailleurs, la question du rythme de levée des sanctions et du rétablissement de ces dernières si l’Iran ne satisfaisait pas à ses obligations n’a pas non plus été résolue. C’est sur ces questions que nous allons travailler d’ici au mois de juin.
La France conservera la même attitude : nous sommes une puissance indépendante, nous cherchons à lutter contre la prolifération et pour la paix, nous avons une vision constructive mais extrêmement vigilante. Cette position continuera d’être celle du gouvernement de la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe RRDP.
La parole est à M. Philippe Le Ray, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Ma question, à laquelle j’associe Bruno Le Maire et Marc Le Fur, s’adresse à M. le ministre de l’agriculture.
Monsieur le ministre, la situation agricole devient de plus en plus inquiétante ! Les producteurs de lait sont lâchés dans l’inconnu de l’après quotas. Les producteurs de viande bovine ne vivent plus de leur travail.
« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP.
Et surtout, les producteurs de porcs sont dans une situation catastrophique, pour ne pas dire explosive.
Ces situations étaient malheureusement prévisibles. Mais depuis des mois, vous vous référez à votre concept « rêveur » d’agroécologie issu de votre loi d’avenir. Cette loi – votre loi – est complètement déconnectée des réalités économiques.
« Absolument » ! sur les bancs du groupe UMP.
Quelle est la réalité ? Des cours du porc honteusement bas. Des éleveurs au bord du gouffre financier et des éleveurs qui croulent sous les charges administratives, cela dans une totale indifférence !
Lors de vos récents déplacements, vous avez fait un certain nombre de déclarations. Alors concrètement : où en êtes-vous des mesures spécifiques à cette filière sur la réduction des charges ?
Avez-vous toujours l’intention d’écarter des dispositifs d’aide les agriculteurs endettés à plus de 100 % ?
Comme le réclame la profession, avez-vous pris votre arrêté pour interdire la promotion permanente de la viande, tirant les prix vers le bas ?
Monsieur le ministre, si vous avez réellement l’intention de défendre nos éleveurs de porcs, pouvez-vous vous engager à orienter les fonds européens FEADER – redistribués par les régions – non seulement en direction des mises aux normes des élevages, mais également vers un réel plan de modernisation ?
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et sur certains bancs du groupe UDI.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
S’agissant des quotas laitiers, et j’ai bien compris que M. Le Fur et M. Le Maire s’associaient à votre question, je vous rappelle, monsieur Le Ray qu’en 2008,
Exclamations sur les bancs du groupe UMP
au moment où l’on faisait le bilan de la PAC, c’est vous qui avez signé la fin des quotas laitiers.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Je rappelle aussi que M. Le Maire, quand il était ministre, a connu en Bretagne une crise laitière d’une ampleur telle qu’elle a abouti à la grève du lait, que l’on épandait même sur les terrains agricoles. Vous en souvenez-vous, monsieur Le Ray ?
À chaque fois que vous posez une question, vous devriez faire preuve d’honnêteté sur le sujet.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Pour ce qui est de la filière porcine, vous avez évoqué la réunion qui a eu lieu la semaine dernière. Oui, la filière porcine connaît des difficultés. Oui, des décisions ont été prises. Je fais remarquer que le code commercial permet aujourd’hui la remise en cause des promotions. Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait avant ?
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Le ministre de l’agriculture que je suis va mettre en oeuvre un encadrement des promotions afin d’éviter que 70 % du volume de porc commercialisé se fasse par le biais de promotions. Voilà, monsieur Le Ray, des réponses concrètes.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Dans le même temps, je mènerai une réflexion globale sur l’organisation de la filière porcine qui n’a pas été mise en place depuis plus de vingt ans, raison pour laquelle cette filière connaît aujourd’hui des difficultés et qu’il faut sortir du système dans lequel nous sommes. Ce dialogue est engagé. Je vous donne rendez-vous dans le Morbihan à Ploërmel à l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération nationale porcine afin d’aboutir à un pacte global avec cette filière.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur certains bancs du groupe écologiste.
On n’a aucune réponse à notre question !
La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, à en croire François Hollande, qui avait promis la création de 60 000 postes supplémentaires, l’éducation nationale devait être une priorité de ce quinquennat.
Le retour à la réalité est par conséquent brutal pour celles et ceux qui vous ont cru lorsque vous affirmiez, le jour de la rentrée des classes des enseignants, qu’il y aurait bien « un enseignant en face de chaque élève ».
La réalité est tout autre : sur les 22 000 postes créés, 7 000 ne sont pas pourvus cette année et cette pénurie frappe avant tout les établissements en zone prioritaire ! Les conséquences sont désastreuses dans certains départements : certaines classes ferment purement et simplement, d’autres sont surchargées, d’autres encore sont prises en charge par des remplaçants non formés, et les manifestations de parents se succèdent.
Dans le département des Alpes-Maritimes dont je suis l’élu, il était prévu d’ouvrir 27 postes et d’en supprimer 40, y compris parmi les réseaux qui viennent en aide aux enfants en difficulté ! La vive opposition des syndicats, des parents d’élèves et des élus locaux a poussé le rectorat à revoir sa position, mais nous n’avons toujours aucune garantie que la rentrée pourra se faire dans de bonnes conditions !
Autre exemple, en Seine-Saint-Denis, où les syndicats réclamaient 340 ouvertures de classes en janvier, le directeur académique n’en propose que 128 et 60 fermetures de classe.
Cette situation est tout simplement inacceptable. Pour que 150 000 jeunes cessent de quitter le système scolaire sans diplôme, notre école doit donner les mêmes chances à ses enfants d’accéder au savoir, quel que soit le territoire où ils vivent !
Aussi, madame la ministre, ma question est simple : quelles sont les consignes que vous allez donner aux académies afin de mettre fin à cette situation qui angoisse élèves, parents, professeurs et collectivités locales ?
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le député Rudy Salles, l’élaboration de la carte scolaire est un moment attendu avec beaucoup d’impatience et d’attention sur ces bancs chaque année. C’est normal dans la mesure où la vie des écoles structure la vie des territoires. Il n’y a pas si longtemps, je me souviens que chaque rentrée scolaire était synonyme de fermetures de classes, brutales, mécaniques, aveugles, en zone rurale comme en zone urbaine alors que la démographie augmentait, vous vous en souvenez.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
C’était l’époque où le gouvernement précédent avait fait le choix de sacrifier l’éducation
Mêmes mouvements.
Nous avons fait d’autres choix, notamment celui de créer 60 000 postes dans l’éducation nationale
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
À la fin de l’année 2015, 35 000 postes seront créés, je vous le confirme, grâce à un budget de l’éducation nationale qui, sur cette seule année 2015, est en augmentation de plus d’un milliard d’euros.
Monsieur Salles, vous ne nous avez pas fait le plaisir de voter ce budget. Cela ne nous empêche pas, dans votre circonscription, d’ouvrir 27 postes supplémentaires à la rentrée prochaine.
« Hou ! » sur les bancs du groupe SRC.
Pour vous répondre une fois pour toutes sur la question de la répartition des moyens, monsieur Salles : les critères sont simples et transparents. D’abord, la démographie. Oui, il y a des endroits où des classes ferment pour qu’à d’autres endroits où la démographie est en hausse, des classes puissent ouvrir.
« Où ? » sur les bancs du groupe UMP.
Ensuite, s’agissant des moyens, il y a des endroits en France où nous avons besoin de consacrer davantage de moyens parce que c’est là que se concentrent les difficultés sociales et scolaires.
Enfin, prévenir les difficultés en zone rurale : oui, nous avons mis en place des protocoles ruralité pour tous les départements intéressés afin que le regroupement des réseaux d’école puisse s’accompagner du maintien pour tout ou partie des postes qui sont sur le territoire.
Monsieur Salles, si l’on croit vraiment à la nécessité de faire réussir chaque élève, il faut à un moment donné passer du discours aux actes.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Pour ce qui me concerne, vous savez l’ambition qui m’anime et l’importance que j’attache à l’éducation de qualité sur tout le territoire. Alors, passons aux actes.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
La parole est à Mme Véronique Besse, au titre des députés non inscrits.
Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, dans le cadre du projet de loi Santé qui est discuté en ce moment, nous allons évoquer la question du droit à l’oubli, qui touche des millions de Français.
Le droit à l’oubli, c’est donner à toute personne qui a été atteinte d’un cancer et qui en est guérie la possibilité de tourner définitivement la page de sa maladie. C’est la possibilité de construire, de se reconstruire, d’emprunter, de se projeter et de vivre, tout simplement, comme tout le monde.
Le Président de la République s’était engagé l’année dernière, à l’occasion du lancement du troisième Plan cancer, à « instituer un véritable droit à l’oubli [qui] s’appliquera à tous ceux qui, enfant ou adolescent, ont vaincu le cancer, ainsi qu’à tous les autres malades dont les données de la science nous disent qu’ils sont guéris ».
Or, à ce stade de l’examen de votre projet de loi, le droit à l’oubli n’est qu’un demi-droit, car il ne s’appliquera qu’aux pathologies cancéreuses survenues avant l’âge de 15 ans. Comme bon nombre de Français, je crois que c’est insuffisant et qu’il faut aller plus loin.
Le cancer touche chaque année 350 000 personnes dont 100 000 pour des pathologies à très bon pronostic. Or, même reconnu guéri par les médecins, chaque ancien malade est, pour les assurances, marqué durant toute sa vie au fer rouge du cancer. Quinze ans après la fin de ses traitements, les assurances continuent à lui imposer des surprimes qui dépassent parfois 100 %, associées à des exclusions de garantie. Il est temps d’inscrire dans la loi un droit à l’oubli au bout de cinq ans pour tous les malades reconnus guéris.
Aujourd’hui, je vous propose de donner au Président de la République l’occasion de tenir sa promesse. Ce droit à l’oubli concerne près de 10 millions de personnes. Elles ont dû se battre contre la maladie et doivent encore se battre une fois guéries.
Madame la ministre, que comptez-vous faire pour mettre enfin un terme à cette double peine ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Madame la députée, avant de répondre à votre question, vous me permettrez d’exprimer ma très profonde tristesse après le suicide du sénateur Jean Germain. J’exprime aussi la tristesse et les condoléances de l’ensemble du Gouvernement.
Vous évoquez le sujet important du droit à l’oubli et vous avez raison de rappeler que le Président de la République a annoncé, dans le cadre du Plan cancer, que ce droit à l’oubli se mettrait en place.
Le Président de la République a signé voilà quelques jours avec les représentants des assureurs une convention cadre selon laquelle tous les enfants qui ont eu un cancer avant 15 ans bénéficieront automatiquement de ce droit à l’oubli une fois devenus adultes. Pour les autres patients – ceux qui ont été malades après l’âge de 15 ans ou à l’âge adulte – seront définies par l’Institut national du cancer des références permettant de dire au bout de quelle période le malade devra être considéré comme guéri, cette période ne pouvant être supérieure à quinze ans.
Ce travail, c’est l’Institut national du cancer qui le mène actuellement. Le projet de loi en ce moment en débat définit donc le cadre du droit à l’oubli pour les personnes atteintes du cancer, mais prévoit aussi que ce droit devra pouvoir s’appliquer à d’autres malades à l’avenir.
Vous le savez, madame la députée, le Gouvernement est très attentif à cette question, qui préoccupe des millions de nos concitoyens. Nous voulons faire en sorte qu’après la maladie ne vienne pas s’ajouter la peine dans la vie quotidienne.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Yves Foulon, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, malgré la défaite électorale que votre parti a subie, malgré la mobilisation historique des médecins, malgré l’unanimité des professionnels de santé contre vous, vous persistez ! En effet, depuis son adoption en conseil des ministres, votre projet de loi Santé ne fait que susciter le rejet unanime des professionnels et l’incompréhension des Français.
Votre ténacité pourrait finalement forcer l’admiration si elle n’était pas stigmatisante et méprisante à l’égard des professionnels de santé dévoués, qui sont indispensables à notre société, mais aussi à l’égard des viticulteurs ou des buralistes, qui sont également touchés par votre projet de loi.
Vos mesures vont aboutir à la remise en cause de la liberté d’installation des médecins, l’offre de soins va se réduire parce que les médecins vont se déconventionner et vous autorisez la commercialisation du plasma, alors que les Français sont attachés à la gratuité du don du sang.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Au lieu d’améliorer, comme ils l’attendent, la prise en charge des soins, notamment dentaires, vous imposez le tiers payant généralisé. Concrètement, cela obligera les médecins à réaliser un véritable travail de comptabilité, pour pointer tous les paiements chaque jour et expédier les réclamations pour paiements erronés aux différentes caisses. Vous trompez une fois de plus les Français, car ils ne seront pas mieux remboursés pour autant.
Plus qu’une erreur, c’est une faute politique, car votre projet de loi aboutira au démantèlement du système de santé solidaire issu de 1945 et de ce qui fait sa force : la pluralité des acteurs, publics et privés, et la liberté de pouvoir choisir son médecin et son établissement de soins.
Madame la ministre, allez-vous enfin écouter les Français et les 60 syndicats de professionnels de santé qui rejettent en bloc votre texte ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, je voudrais tout d’abord saluer le geste du maire de Tours, successeur de Jean Germain, qui vient de mettre les drapeaux en berne. J’ai eu l’occasion de saluer la mémoire de Jean Germain, comme l’ont fait le Président de la République et beaucoup d’entre vous, et comme l’a fait voilà un instant Marisol Touraine, élue du même département que lui.
Je réponds à votre question sur un sujet important, en rappelant qu’un débat est engagé actuellement à l’Assemblée nationale autour d’un texte de loi qui, comme le montrent les questions posées ici sur tous les bancs et traitant de nombreux sujets, intéresse tout particulièrement nos concitoyens, loin des caricatures que vous proposez.
Protestations sur les bancs du groupe UMP.
Nous avons rencontré voilà quelques jours, avec Marisol Touraine, l’ensemble des organisations représentatives tant du monde médical que des étudiants et avons décidé de nous retrouver de nouveau avec la ministre à Matignon après le vote en première lecture à l’Assemblée nationale. Ainsi, le débat va avancer.
Je voudrais vous dire quelque chose de très simple : les Français, comme nous, sont attachés à leurs médecins.
Ils souhaitent avoir accès aux soins – c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous luttons contre ce qu’on appelle les « déserts médicaux », qui ne sont pas nés ces derniers mois ou ces trois dernières années. Cet attachement aux médecins est une réalité qui se traduit dans le texte.
Ensuite, les Français, ont déjà exprimé aussi – et c’est pourquoi j’ai du mal à vous suivre – leur attachement au tiers payant, qui est une mesure de justice sociale.
Monsieur le député, je vais vous répondre très clairement. Premièrement, les médecins méritent notre soutien et notre plus grande considération.
Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Deuxièmement, nous devons être à l’écoute des Français lorsqu’il s’agit de lutter contre les inégalités sociales et l’injustice et nous mettrons en place, en le généralisant, le tiers payant.
Troisièmement, je dis avec la plus grande clarté mon soutien total et absolu à une ministre courageuse qui combat pour un texte utile aux Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme Régine Povéda, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification. En 2014, la France était le pays le plus avancé en matière d’administration numérique, selon l’ONU. Le numérique est un secteur clef pour notre avenir, et notre gouvernement l’a bien compris. Les complexités administratives coûtent plusieurs milliards d’euros à l’économie française. Simplifier, c’est démocratiser le fonctionnement de notre État ; c’est améliorer concrètement le quotidien des Français ; c’est participer à la relance économique du pays.
Depuis 2012, nous avons tout mis en oeuvre pour accompagner la transition numérique, notamment dans l’administration. Ces réformes ont un impact très concret sur la vie de nos concitoyens, pour les particuliers, d’abord : après la dématérialisation du paiement des impôts, les Français peuvent désormais être informés des aides auxquelles ils ont droit grâce à un simulateur en ligne, mes-aides.gouv.fr. Voilà des réponses rapides et directes : c’est ce que veulent les Français.
Pour les professionnels, ensuite : après l’allégement des obligations comptables, la mise en place de la déclaration sociale nominative remplacera une trentaine de déclarations. Dans l’administration, nous généralisons le système du marché public simplifié, qui permet aux entreprises de répondre à un appel d’offres en fournissant leur numéro Siret sur internet. Voilà ce qu’attendent les entreprises : des démarches faciles et moins coûteuses.
Fin janvier, vous avez présenté un projet de loi qui vise à simplifier davantage les échanges entre les citoyens et l’administration par le recours à l’administration en ligne. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire ce que cette réforme apportera concrètement aux Français qui attendent des simplifications administratives ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification.
Madame la députée Régine Povéda, vous insistez à juste titre sur le fait que ce gouvernement, comme probablement jamais aucun autre avant lui, a mis au coeur de la stratégie de la réforme de l’État la question numérique. Nous l’avons fait pour des raisons d’évidence, que vous rappelez : la simplification dans les démarches de la vie quotidienne, que cette politique met en oeuvre. Nous l’avons fait aussi parce que nous savons que le numérique peut aider à améliorer l’efficacité des politiques publiques. Enfin, nous l’avons fait pour des raisons démocratiques, mais surtout parce que le numérique se diffuse très vite dans la société : si l’administration ne réagit pas à cette accélération du temps de la société, alors la désynchronisation des rythmes entre une puissance publique préoccupée de long terme et une société très rapide peut être très grande.
Vous avez rappelé les démarches en ligne – je n’insiste pas : elles valent à la France d’être aujourd’hui classée premier pays en Europe pour les services numériques et quatrième pays au monde.
Pourtant, forts de ces bons résultats, nous avons décidé d’accélérer autour de quatre chantiers principaux : premièrement, à partir du mois de novembre, l’ensemble des démarches ne nécessitant pas une présence physique au guichet pourront être faites en ligne ; deuxièmement, à partir du 1er janvier de l’année prochaine, les comptes numériques personnels permettront aux Français de ne jamais plus refaire une démarche ou donner une pièce justificative qu’ils auront déjà donnée à quelqu’un ; troisièmement, une grande politique d’ouverture des données – vous en discutez actuellement avec le projet de loi Santé –, cette politique se généralisant grâce à l’administrateur général des données que nous avons nommé ; enfin, quatrièmement, le raccordement des 17 000 sites informatiques de l’État en un site unique.
Une dernière précision : nous ne perdons pas de vue que tous les Français n’ont pas accès au numérique, d’où le travail que fait Axelle Lemaire pour résoudre les zones blanches et le travail d’accompagnement des Français en préfecture, qui reste indispensable.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. M. le Président de la République, le 27 janvier dernier, a commémoré l’extermination des Juifs d’Europe en se rendant au mémorial de la Shoah et à Auschwitz. Le 24 avril, M. le Président de la République se rendra à Erevan pour commémorer le génocide des Arméniens.
Nous sommes le 7 avril ; il y a vingt et un ans, en 1994, un autre génocide avait lieu : le génocide des Tutsis, au Rwanda. Un million de victimes entre le mois d’avril et le mois de juillet, et nous restons silencieux, et les plus hauts responsables de l’État ne se sont pas rendus à Kigali.
Nous avons le sentiment très fort qu’il n’y a pas de volonté, de la part du Gouvernement et de ceux qui l’ont précédé, d’aller sur le chemin de la vérité. Pourtant, un certain nombre de faits ont été établis, ici, à l’Assemblée nationale, par la mission d’information conduite par notre ex-collègue Paul Quilès en 1998, des enquêtes journalistiques, des documents officiels, des recherches historiques. Ces faits nous disent qu’un petit groupe de politiques, de droite et de gauche, sous le deuxième septennat de François Mitterrand, a mené une politique secrète avant, pendant et après le génocide de soutien à un groupe extrémiste, Hutu Power, dont on savait les relents racistes, totalitaires et génocidaires.
Cette politique n’a jamais été débattue devant le Parlement, jamais débattue devant les Français. Vingt et un ans après, c’est donc encore le silence qui domine ; vingt et un ans après, résident dans notre pays un certain nombre de personnes soupçonnées d’être génocidaires et qui vivent sur notre sol en toute impunité.
La question qui vous est posée, monsieur le Premier ministre, est de savoir si ce gouvernement est prêt à dire la vérité et à ce que la justice fasse tout ce qui est en son pouvoir pour qu’enfin la vérité soit faite.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
Monsieur Mamère, la réponse est oui ! Bien sûr que nous sommes disposés à dire toute la réalité !
Le génocide rwandais, vous l’avez rappelé, est une des pages les plus tragiques de l’histoire récente : un million d’innocents massacrés parce qu’ils étaient Tutsis ou parce qu’ils s’opposaient à la folie meurtrière d’un système.
Vous avez fait allusion à un rapport de l’Assemblée nationale : vous avez raison ! Une mission parlementaire a étudié très soigneusement le rôle de notre pays ; le rapport est long, mais je vous cite ses conclusions : « Si la France n’a pas apprécié à sa juste valeur la dérive politique du régime rwandais, elle a été le pays le plus actif pour prévenir la tragédie de 1994. »
Applaudissements sur quelques bancs des groupes SRC et UMP.
Je crois qu’il faut dire les choses telles qu’elles sont.
Par ailleurs, vous faites référence à l’actualité et à toute une série de procès. Là encore, je voudrais rappeler la réalité et les chiffres : une condamnation l’année dernière, deux renvois aux assises cette année et plus de vingt dossiers en cours d’instruction, qui seront donc jugés. Il n’y a donc pas lieu de faire état de je ne sais quelle impunité : le Gouvernement français est parfaitement objectif dans cette affaire et l’impunité n’a pas lieu d’être.
Enfin, je voudrais rappeler un élément, qui sort peut-être de notre sujet mais qui est intéressant pour l’avenir : vous savez que nous nous mobilisons pour empêcher à l’avenir les génocides. En ce sens, nous sommes la seule puissance membre permanent du Conseil de sécurité – rejointe par d’autres, je l’espère – qui propose que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité renoncent volontairement à leur droit de veto en cas d’atrocités de masse. Cela dit assez la détermination du Gouvernement français.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.
J’informe l’Assemblée que le président a pris acte, en application de l’article L.O. 176 du code électoral, de la cessation, le 5 avril 2015, à minuit, du mandat de député de M. Olivier Véran et de la reprise de l’exercice du mandat de Mme Geneviève Fioraso, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin par décret du 5 mars 2015.
La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine de l’Assemblée du 11 mai : proposition de loi relative à la protection de l’enfant ; proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité pour l’accueil des mineurs ; proposition de loi relative aux délais de paiement inter-entreprises.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
Vendredi après-midi, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’article 8.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 8.
La parole est à M. Philippe Goujon.
Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, cet article, en levant l’interdit qui pèse sur l’injection de drogue par voie intraveineuse, permet de légaliser l’ouverture des salles de shoot. Avec cette fausse bonne idée vous rompez le consensus autour des politiques de lutte contre les drogues menées par tous les gouvernements successifs depuis vingt ans. Pourtant ces salles ne sont ni utiles ni souhaitables.
Premièrement, depuis Simone Veil et Michèle Barzach, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont conduit une politique de réduction des risques – je l’ai moi-même appliqué à Paris – qui est sans doute la politique la plus aboutie en ce domaine. Nous sommes le seul pays à avoir inscrit le principe de prévention dans son appareil législatif via la loi de santé publique de 2004. L’offre française de réduction des risques est l’une des plus performantes au monde, avec plusieurs centaines de structures d’accueil, dont les CAARUD – centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues – et les CSAPA – centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie –, l’une d’entre elles étant même dédiée aux usagers de crack à Paris. Les résultats sont probants : la moitié des héroïnomanes bénéficient de traitements de substitution ; deux tiers des usagers réguliers de drogue sont pris en charge dans les centres spécialisés ; le nombre des décès par overdose a été divisé par cinq, au point que notre pays en compte aujourd’hui cinq fois moins qu’en Allemagne, pays des salles de shoot ; le nombre des contaminations par le VIH a été divisé par quatre et celles-ci sont aujourd’hui marginales dans notre pays.
J’ajoute que les six pays où existent des salles de shoot n’obtiennent pas de résultats probants. La consommation de drogue s’y exhibe sur la voie publique d’une façon inimaginable en France, et les pouvoirs publics y considèrent que chacun a le droit de faire ce qu’il veut de sa santé, même la détruire, ce qui est bien éloigné de la conception humaniste qui est la nôtre, la mission de santé publique étant inscrite dans le préambule de notre Constitution.
J’ajoute que les Nations Unies déconseillent les salles de shoot et que la prévalence à l’héroïne est quatre fois plus élevée en Suisse et deux fois plus en Espagne, pays qui les autorisent.
Si ces salles ne sont pas utiles, elles ne sont pas non plus souhaitables : elles brouillent le message de l’État, qui ne peut mener une politique de désintoxication tout en facilitant la consommation, l’organisant et l’accompagnant au lieu de la réduire. L’État envoie ainsi un message contradictoire aux éducateurs, aux familles et aux milliers d’usagers qui cherchent à rompre avec leur addiction. De plus, elles lèvent l’interdit de la consommation de drogues, auquel un jeune sur deux est pourtant sensible, et introduisent une déstructuration des repères, légitimant et banalisant la drogue alors que « les interdits sont essentiels » en la matière, pour reprendre les mots d’un ancien ministre de l’intérieur, aujourd’hui Premier ministre. Ces salles ne résoudront pas non plus le problème de la contamination des usagers à l’hépatite C ou au VIH car la plupart d’entre eux sont déjà porteurs de ces facteurs de comorbidité.
Beaucoup d’usagers nous ont dit se méfier des salles de shoot car ils craignent d’être fichés par les autorités, et très peu les fréquentent, préférant consommer sans délai la drogue dans les rues avoisinantes, d’autant que ces salles ne sont ouvertes qu’aux heures de bureau.
Enfin, elles ne régleront pas les problèmes d’insécurité, quand elles ne les aggraveront pas en suscitant des points de fixation et d’attraction pour les toxicomanes et en développant le trafic alentour comme c’est le cas au Quai 9 de Genève.
Nous ne proposons évidemment pas de laisser les usagers de drogue à leur sort, bien au contraire : nous voulons les accompagner dans la voie de la guérison, et non dans celle de l’autodestruction. Les solutions existent : multiplier les équipes mobiles, renforcer les moyens des unités hospitalières consacrées à l’addictologie et les communautés thérapeutiques. Je rappelle que les frais de fonctionnement d’une salle de shoot s’élèvent à un million d’euros par an, soit le coût de l’ouverture de quinze lits dans un service d’addictologie afin d’accompagner vers le sevrage.
Renoncez à ce pari fou, madame la ministre, consistant à accompagner les toxicomanes les plus atteints dans leur dépendance plutôt qu’à les en sortir.
Mon collègue Philippe Goujon a complètement raison et nous sommes nombreux sur ces bancs à nous opposer à une soi-disant expérimentation qui est en fait une légalisation durant six ans des salles de shoot sur tout le territoire. C’est l’objectif de l’article 9, et nous aurons l’occasion d’en débattre à l’occasion de cet article – nous y passerons le temps nécessaire.
L’article 8 établit le fondement juridique de la légalisation des salles de shoot sur l’ensemble du territoire national. C’est à peine d’ailleurs si cet article évoque la question des malades. En effet la prévention des risques existe déjà : c’est la mission des CAARUD et elles l’assument de manière très efficace. Vous omettez de traiter dans cet article la question thérapeutique, celle de la guérison de la dépendance à la drogue, puisque la seule solution que vous offrez aux malades dépendants est de les accompagner dans leur consommation. Cet accompagnement a certes une visée hygiénique, mais une politique de santé publique digne de ce nom devrait viser, premièrement à prévenir, ce dont il n’est quasiment pas question, et deuxièmement à guérir.
Or il n’est absolument pas question de guérison dans ce texte, puisqu’on ne précise pas quels moyens seront mis en oeuvre pour accompagner les malades dépendants de la drogue sur le chemin de l’abstinence et du sevrage. Certes, cette solution est difficile, mais c’est la seule efficace sur le plan médical, c’est le seul moyen de sortir de l’enfer de la drogue et de l’addiction.
Cet article sécurise sur le plan juridique les interventions des militants associatifs qui, dans leurs actions de réduction des risques auxquels les toxicomanes sont exposés, encourent des poursuites pour incitation à la consommation de stupéfiants. On estime entre 210 000 et 250 000 le nombre de consommateurs au long cours de drogue injectable qui sont exposés à d’importants risques sanitaires, pour eux-mêmes et pour leur entourage. Ces risques sont en particulier la transmission du VIH et de l’hépatite, les infections bactériennes ou mycosiques, les problèmes dentaires, mais aussi les troubles psychiatriques.
Mais il y a d’autres moyens de réduire ces risques que d’autoriser les salles de shoot !
La première mise en oeuvre d’une politique de réduction des risques date de 1987 quand, à l’initiative de Michèle Barzach, un programme d’échange de seringues a été lancé ; en 1993, des centres d’accueil sont créés ; en 1995, sous l’égide de Simone Veil, alors ministre de la santé, les traitements de substitution sont autorisés. On voit qu’il fut un temps où la droite n’était pas arc-boutée sur des postures morales : elle était plus intelligente qu’aujourd’hui !
C’est cette démarche de réduction des risques que poursuit le Gouvernement, et que nous soutenons parce qu’elle permet des progrès concrets. Selon un rapport de l’INSERM, le nombre de toxicomanes est relativement stable depuis une quinzaine d’années, et la moitié d’entre eux sont pris en charge dans le cadre d’un programme de substitution.
C’est bien la preuve que la politique conduite jusqu’ici est efficace !
Ils meurent moins du sida ou d’overdoses, même si le nombre de ces dernières est reparti à la hausse depuis 2002. L’injection par voie intraveineuse régresse elle aussi, mais certains consommateurs, souvent les plus jeunes et les plus marginalisés, échappent aux structures et aux dispositifs actuels. Ces faits, qui ne réjouissent personne, montrent qu’il y a lieu de prendre de nouvelles dispositions pour tenter de réduire les risques – je dis bien « tenter » car ce n’est pas facile, et personne ne peut prétendre détenir la vérité en la matière.
L’article 9 est une tentative pour toucher ce public qui reste inaccessible pour les dispositifs existants. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de s’arc-bouter contre des dispositions qui ont une visée humaniste. Il ne s’agit évidemment pas de stimuler la consommation de drogue, mais au contraire d’aider les consommateurs à en sortir.
Madame le ministre, la question des toxiques a toujours vu plusieurs discours s’affronter. D’un côté, les somaticiens mettent l’accent sur l’aspect hygiénique et la prévention des maladies transmissibles. D’autres cependant préfèrent prendre en compte l’individu dans son ensemble et considèrent que le toxicomane joue avant tout à un jeu éminemment dangereux avec la mort. Il remet en cause tous les interdits de la société, à ses propres dépens, notamment en transgressant la règle qui commande qu’on respecte son identité corporelle.
L’article 8 concerne en majorité des personnes qui, en s’injectant des produits toxiques, ont franchi un cap. Je trouve qu’à cet égard on fait preuve d’une prétention excessive : ces personnes connaissent bien mieux que les soignants ces produits, qu’elles expérimentent sur elles-mêmes, qu’il s’agisse de leur dosage, de la fréquence ou du type d’utilisation. Nous devrions donc faire preuve d’une grande modestie dans ce domaine.
Dans votre volonté de défendre, pour des raisons de santé publique, les bénévoles et les personnes qui, depuis des années, se battent aux côtés des toxicomanes pour éviter la transmission de virus et de maladies infectieuses gravissimes, vous allez par cet article aggraver le déséquilibre en officialisant, au mépris de la loi, une vision purement hygiéniste de la consommation de toxiques. Il y a là un paradoxe profond : la semaine dernière, vous promouviez la vision d’un monde où les toxiques légaux, alcool ou tabac, seraient prohibés. Alors que nous vivons dans un monde extrêmement violent, vous avez décidé de renverser, par la loi, les plus grands interdits, et de transgresser les tabous les plus importants !
L’article 9 autorise en effet certaines personnes à fournir ces drogues et des conseils quant à leur utilisation. Mais, de grâce, essayez de comprendre que les personnes qui consomment ces produits en savent bien plus que vous et que les médecins, puisqu’ils expérimentent ces produits sur leur propre corps.
Cet article 8 illustre le déséquilibre de votre projet de loi, puisqu’il n’évoque jamais la question de la liberté et de l’esclavage de la dépendance. Il ne rappelle jamais le devoir de notre société d’accompagner ces personnes vers la sortie de la dépendance en posant des interdits. Certes, ce chemin est difficile et tout le monde ne pourra pas l’emprunter, mais nous devons accepter nos imperfections, voire, à certains moments, notre impuissance. Nous ne pourrons pas sauver les personnes dépendantes aux drogues contre elles-mêmes ! Il n’est pas possible de soigner un patient qui ne le souhaite pas.
A travers l’hospitalisation d’office – anciennement appelée hospitalisation à la demande d’un tiers – la loi permet de porter secours à un frère humain en difficulté. Là, vous faites l’inverse :…
…vous allez entretenir la dépendance, au lieu de proposer aux patients la voie de la liberté.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Je rappelle que le temps de parole des députés inscrits sur l’article est de deux minutes !
La parole est à M. Jean-Pierre Door.
Madame la ministre, nous voulons tous lutter contre la toxicomanie et contre les addictions. Leurs dégâts sont bien connus et les combattre est une obligation. Cependant, le rôle d’un professionnel de la santé est de soigner la maladie, non de l’entretenir !
L’ancienne majorité n’a pas à rougir de son action. Elle a su apporter un soutien financier et matériel conséquent à tous les dispositifs de prise en charge et de traitement des toxicomanes, qu’il s’agisse des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA, des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction, les CAARUD, ou des dispositifs d’hébergement.
Par rapport à ses voisins, la France est en pointe dans ce combat. Même s’il a augmenté ces dernières années, madame la ministre, le niveau de consommation de drogue en France reste très inférieur à ce qu’il est dans d’autres pays de l’Union européenne comme l’Espagne, l’Italie, ou même la Grande-Bretagne : selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, le nombre de consommateurs réguliers de cocaïne a dépassé un million dans ces pays, tandis qu’ils ne seraient qu’environ 250 000 en France.
La politique française, fondée sur l’interdiction et le sevrage, est exemplaire en matière de prévention et de réduction des risques.
Plusieurs centaines de CAARUD sont à la disposition des toxicomanes pour leur permettre d’être soignés.
C’est parce que nous sommes opposés à toute levée de l’interdit, à toute transgression du tabou que nous nous opposerons également à l’ouverture de salles de shoot, proposée à l’article 9.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Je voudrais, madame la ministre, vous lire quelques lignes d’un texte, dont je vous indiquerai ensuite l’auteur.
« Avant d’ajouter une strate supplémentaire à l’usine à gaz déjà bâtie pour la prise en charge des toxicomanies, il est urgent de la revisiter, afin de l’optimiser en coût et en efficacité. La toxicomanie est une affaire trop grave pour être abandonnée à des addictologues victimes du syndrome de Stockholm, devenus les otages indûment empathiques de leurs patients. On nous parle ainsi d’expérimentation : on nous assure que le toxicomane apportera sa drogue, etc. Souvenons-nous que dès que le pied est glissé dans l’entrebâillement de la porte, elle n’a plus ni pêne, ni serrure, ni verrou. Ne soyons pas dupes de cette stratégie du fondu enchaîné, des petits pas successifs saisissant toutes les opportunités pour faire progresser l’interdiction d’interdire, déjà responsable de tant de dérapages et de drames. »
L’auteur de ces lignes est un grand professeur de médecine, puisqu’il s’agit du président du Centre national de prévention, d’étude et de recherche sur les toxicomanies.
Cet article lève le tabou qui pèse sur l’injection de drogue par voie intraveineuse. Il est en rupture complète avec les politiques de santé publique et de lutte contre la drogue menées en France depuis plus de vingt ans par tous les gouvernements. Comme tout malade les toxicomanes ont droit à la compassion, mais le message que vous leur envoyez est irresponsable...
…en ce qu’il contribue à banaliser la drogue, ce que l’on ne peut admettre. Vous laissez les usagers à leurs addictions, au lieu de tout mettre en oeuvre pour les en extraire.
L’expérimentation des salles de shoot, que vous appelez hypocritement « salles de consommation de drogue à moindre risque », est un exemple typique de cette banalisation. Cette expérimentation est d’autant plus déplacée que les résultats de ces salles d’auto-injection, dans les pays qui les ont expérimentées, ne sont pas probants sur le plan médical. Or notre pays dispose déjà d’un nombre important de centres de soins pour les toxicomanes,…
…ce qui n’est pas le cas des pays ayant ouvert des salles de shoot. La France se classe même en tête pour les traitements de substitution. Notre pays a aussi la chance de compter de nombreuses associations de bénévoles et de nombreuses structures de lutte contre les toxicomanies.
Je vous demande donc, madame la ministre, d’axer notre politique de santé publique sur les soins et le sevrage. Vous devez délivrer à nos jeunes un message clair et exempt de démagogie. Les jeunes doivent savoir que la drogue est un fléau, un engrenage dont on sort très difficilement. En ce domaine, le laxisme est irresponsable.
C’est de plus un mauvais signal adressé aux trafiquants de drogue, qu’il nous faut combattre avec la plus grande sévérité.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Cet article prend le contre-pied de la politique de lutte contre les toxicomanies menée jusqu’à présent par notre pays : en cela il constitue une véritable rupture.
Dans l’exposé des motifs, le Gouvernement précise que « la politique de réduction des risques est l’un des succès les plus marquants pour la santé publique dans notre pays. Elle a ainsi permis de voir la proportion d’usagers de drogues contaminés par le VIH passer de 30 % dans les années 1990 à 10 % en 2011, et ils ne représentent plus que 1 % des diagnostics de séropositivité. » Pourtant le Gouvernement propose exactement le contraire dans cet article !
Il est vrai que le parti socialiste, depuis longtemps, prône la dépénalisation…
Mais bien sûr ! Nous recommandons aux Français de prendre de l’héroïne tous les jours !
Il s’agit de tourner le dos à ce qui était jusqu’ici l’objectif prioritaire, à savoir la lutte contre le trafic de drogue, la prévention et la délivrance de produits de substitution, en dépit des résultats que l’on sait. Le message ainsi envoyé, en particulier à la jeunesse, est incompréhensible. Alors que les études les plus récentes montrent que la consommation de cannabis a significativement augmenté chez les plus jeunes, ce texte ne comporte aucune mesure visant à lutter contre cette consommation. Au lieu de cela, on s’acharne sur le tabac et les buralistes !
L’opposition unanime des experts à un tel projet, qu’il s’agisse de l’INSERM, dans son avis de 2011, de l’académie de médecine plus récemment, ou encore du Conseil d’État, à propos du projet d’installation d’une salle de shoot gare du Nord, souligne l’incohérence de la politique que le Gouvernement entend désormais conduire pour lutter contre les toxicomanies.
D’ailleurs, madame la ministre, une expérimentation de six ans, ce n’est plus une expérimentation : c’est une installation ! Vous n’avez pas le premier euro pour financer les salles de shoot : tant pis, on y va quand même ! Vous négligez complètement le fait que la vie des riverains de ces établissements deviendra infernale. Comment pourrez-vous par ailleurs justifier la mise à disposition de produits dans les salles de shoot ? On nage en pleine incohérence !
Je vous rappelle, madame la ministre, que la plupart des expérimentations menées dans ce domaine sont le fait d’États fédéraux. La France étant un État centralisé, c’est l’ensemble de notre pays que vous entraînez sur une pente dangereuse : c’est pourquoi nous ne pouvons accepter ces articles.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Nous savons tous que la prévention, qui est le maître mot de ce projet de loi, se décompose en prévention primaire, secondaire et tertiaire.
Nous savons aussi que la médecine ploie sous le poids des maladies comportementales, qui sont principalement des maladies addictives. Aujourd’hui où nous abordons ce très beau sujet de la réduction des risques, nous devons nous poser la question suivante : devons-nous laisser en dehors du champ de la prévention et de la politique de réduction des risques les plus déshérités, les plus marginaux, ceux dont la situation est la plus difficile, alors qu’ils sont ceux qui en ont le plus besoin ?
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Il n’y a pas que les plus en difficulté qui viendront ! Comment pouvez-vous être sûre que les autres ne viendront pas aussi ?
Vous le savez, monsieur Accoyer, je me suis surtout occupée des personnes âgées.
Je ne fais aucune distinction entre les malades ou les personnes en difficulté, et je suis sûre que vous faisiez de même dans votre exercice professionnel.
La consommation de drogues en France progresse de manière inquiétante, notamment chez les adolescents. Une famille sur vingt serait touchée par la toxicomanie. Pendant de nombreuses années, les pouvoirs publics et le milieu associatif ont dédramatisé la consommation de drogues et à force de la dédramatiser, on l’a banalisée, madame la ministre.
On a laissé penser que la consommation de certaines drogues, comme le cannabis, n’était pas problématique. Le cannabis est pourtant bien souvent la porte d’entrée vers d’autres drogues.
Cette banalisation, qui n’est pas étrangère à la hausse de la consommation de drogues en tout genre, brouille les repères, encourage le relativisme et anéantit le message de prévention. L’approche globale de la dépendance, en mettant sur le même plan l’alcool, le tabac, les psychotropes et les drogues, est aussi un facteur de banalisation, de même que la distinction entre drogue douce et drogue dure. Les études scientifiques démontrent en effet que cette classification est illusoire.
Face à cette situation dramatique, tant sur le plan sanitaire que social, il est urgent d’apporter des réponses claires et sans ambiguïté et de faire preuve d’un vrai courage politique. La lutte contre la toxicomanie doit s’inscrire dans une approche globale allant de la prévention à la prise en charge sanitaire et sociale, de la sanction éducative et graduée à la lutte renforcée contre le trafic.
Au début des années quatre-vingt-dix, la France a développé une politique de substitution visant à réduire les risques liés à la consommation de drogues, notamment pour faire face à la contamination au VIH, mais alors qu’à l’origine, la méthadone était délivrée exclusivement dans les centres spécialisés de soins aux toxicomanes, depuis 2002, tout médecin hospitalier ou travaillant dans une unité de consultation et de soins ambulatoires en milieu carcéral peut délivrer à un patient un tel traitement de substitution.
Allez-vous dresser un état des lieux de cette politique de substitution via la méthadone ou le subutex, qui font d’ailleurs l’objet de nombreux trafics qui coûtent cher à l’État ? Si la politique de réduction des risques doit être poursuivie, la substitution ne doit pas être considérée comme une fin en soi ou comme l’unique solution au traitement de la toxicomanie. La délivrance de produits de substitution ne doit en effet être envisagée que pour une durée limitée. Le sevrage et la diminution du nombre de toxicomanes doivent redevenir l’objectif premier. La première cause de réduction des risques, c’est la réduction de la consommation de drogues. L’État doit accompagner les usagers de drogues vers une sortie définitive de la toxicomanie. Il est donc indispensable de permettre un sevrage médical et psychologique ainsi qu’un accompagnement social et professionnel.
Tout en abordant, comme tous mes collègues, ce sujet avec beaucoup d’humilité, je me réjouis que nous puissions en débattre car c’est l’un des sujets majeurs de notre temps et même des temps à venir. Pour avoir, comme vous tous, eu l’occasion d’entendre des personnes issues des milieux les plus à risque et les plus difficiles, je me suis demandé si la violence ne constituait pas le risque le plus grave pour notre pays dans les années à venir. Or de nombreux maires, éducateurs, et même des médecins – nombreux dans cet hémicycle – m’ont dit s’inquiéter bien davantage de la recrudescence de la consommation de drogue chez les plus jeunes, comme l’a dit à l’instant M. Cinieri. Les chiffres sont terrifiants à cet égard.
On peut voir dans la cruauté de notre temps, la rudesse des conditions de vie d’une très grande partie de la population et l’éclatement, pour diverses raisons, de la cellule familiale, la cause de ce phénomène. Quoi qu’il en soit, je suis effaré de voir ce fléau frapper jusqu’à ceux qui, parmi les personnes que j’ai pu côtoyer depuis une dizaine d’années, me semblaient les moins susceptibles de sombrer – et il ne s’agit pas forcément de jeunes. Je les retrouve après un an ou deux dans un état presque désespéré.
Je n’ai pas encore arrêté ma position sur ce texte. J’ai bien entendu les propos de notre ancien président, M. Accoyer – une conscience –. Je me demande cependant si un fléau d’une telle ampleur n’appelle pas précisément une politique de rupture et s’il ne nous impose pas de porter la plus grande attention à la proposition de Mme la ministre, à condition que l’on fasse le bilan de tout ce qui a été fait jusqu’à ce jour et qu’on donne le sentiment, non de dépénaliser, mais de chercher à assurer la prise en charge de chacun de ceux qui n’ont plus actuellement aucune chance de s’en sortir seuls. Pourvu qu’elle s’accompagne d’un bon suivi et d’une prise de conscience, cette solution permettra peut-être de redonner goût à une vie normale à des hommes et des femmes qui n’ont plus aucune raison d’y croire et d’espérer.
Avec les articles 8 et 9, nous abordons le sujet de l’ouverture des salles de shoot, ou salles à injection protégée. À entendre les collègues de la majorité, on a l’impression qu’il y a, d’un côté, celles et ceux qui sont attachés à l’accompagnement des toxicomanes et à la prévention et, de l’autre, les méchants parlementaires de l’opposition, qui refuseraient, par manque de coeur, de tenir compte de ceux de de nos concitoyens qui ont, du fait de leur dépendance à la consommation de produits illicites, un mode de fonctionnement pathologique. Pourtant nous partageons tous, sur l’ensemble de ces bancs, le même objectif : protéger notre société de la toxicomanie par une politique de prévention mais aussi d’accompagnement de ceux de nos concitoyens qui consomment ces produits.
Vous prenez en exemple six pays européens, mais il est d’autres pays dans le monde qui autorisent les salles de shoot : je pense notamment à l’Australie ou aux États-Unis. Ce que vous oubliez de dire, c’est que la situation n’y est pas comparable à ce qu’elle est en France puisqu’ils ne disposent pas des nombreux filets de protection, d’ailleurs très onéreux pour l’État, structures et dispositifs qui nous permettent déjà d’accompagner ces toxicomanes : les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues – CAARUD –, les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie – les CSAPA –, les centres cantonaux d’addictologie – les CCA –, les centres spécialisés de soins aux toxicomanes, les hébergements d’urgence, les réseaux d’appartements thérapeutiques, les réseaux de familles d’accueil, les unités d’hospitalisation spécifiques pour toxicomanes, les dispensaires ou les « boutiques », les sleep in, les centres de délivrance de la méthadone ainsi que les « bus méthadone », qui vont à la rencontre des utilisateurs, et bien d’autres encore.
Si vous persistez cependant dans votre volonté d’instituer des salles de shoot, je vous demanderai, dans un souci de pragmatisme, de tenir compte des inquiétudes de mes collègues parlementaires, notamment ceux qui sont également maires, qui craignent la proximité de ces salles avec des écoles ou des centres commerciaux.
Pourquoi ne pas les ouvrir au sein des établissements de santé, comme les CHU, afin d’établir un lien direct entre les professionnels de santé et les toxicomanes, ce qui rendra la prise en charge plus efficace ?
Je constate que cet article, censé aborder le problème de l’addiction, se limite à l’addiction aux drogues dures, laissant de côté le problème de la dépendance au cannabis. Rien n’est prévu pour prévenir l’entrée des jeunes dans la consommation de cannabis, alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à consommer cette drogue, et de façon de plus en plus précoce.
On ne peut que s’interroger sur le message que vous voulez faire passer en faisant figurer ces articles 8 et 9 dans un texte censé moderniser notre système de santé. Mais au lieu de traiter ouvertement de la dépénalisation – on sait que le débat entre partisans et opposants à la dépénalisation des drogues traverse le parti socialiste –, vous préférez remettre en question ce qui fait pourtant la force de notre système de santé : la prévention, d’abord, les soins et l’accompagnement, ensuite.
Le message que vous transmettez ainsi à notre jeunesse n’est pas des plus engageants pour l’avenir. On a le sentiment que votre politique de santé consiste à remplacer tous les dispositifs d’accompagnement existants par cette belle invention qui s’appelle salle de shoot – même si vous refusez ce terme. Mais que faites-vous des autres dispositifs ? N’aurait-il pas mieux valu continuer à faire de la prévention et du soin et surtout de l’accompagnement social ? En autorisant l’ouverture de telles salles, votre but ne serait-il pas de vous donner une image de modernité, madame la ministre ?
Vous dites qu’il s’agirait d’une expérimentation de six ans. De qui se moque-t-on ? Avez-vous déjà vu une expérimentation d’une telle durée ? Si au moins vous nous aviez proposé une durée de deux ans, nous aurions pu croire à votre volonté d’évaluer réellement ce dispositif. Mais proposer une expérimentation de six ans, c’est se moquer de nous et laisser tomber tous les autres dispositifs.
Vous dites vouloir mener une politique en faveur des plus marginaux et des plus malades, mais que proposez-vous aux autres ?
Je tiens à recentrer le débat sur les dispositions prévues par ce texte, notamment à l’article 8, car certains propos m’ont réellement choquée : vous dites, chers collègues de l’opposition, que nous allons faciliter la consommation, lever les interdits et remettre en cause les dispositifs d’accompagnement.
Apparemment vous n’avez pas lu l’article 8 ! En effet la prévention est un axe central de ce texte, notamment en direction des enfants et des adolescents. Si vous aviez été présents lors de nos débats, vous sauriez que le parcours éducatif de santé vise précisément à prévenir l’apparition de certains comportements psychosociaux chez les enfants.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Nous examinerons également la question du rôle du pédiatre en matière de prévention.
L’article 8, quant à lui, définit le cadre général de la politique de réduction des risques à l’égard des usagers de drogues. Il vise à prévenir les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux, la transmission des infections, la mortalité par surdose liée à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants.
Il s’agit donc d’abord de définir un cadre avant de passer à l’étape suivante.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Je rappelle d’abord que nous abordons l’examen de l’article 8 et non de l’article 9, relatif aux salles de consommation à moindre risque. Je précise à ce propos qu’elles devraient s’appeler « salles de consommation supervisées à moindre risque » et non pas « salles de shoot ».
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
À propos de la distinction entre drogues dures et drogues douces, je souscris à ce qui a été dit par M. Dhuicq vendredi dernier. Selon lui, une drogue n’est ni douce, ni dure : il s’agit à chaque fois de la rencontre entre un produit et une personnalité à un moment donné et cela ne donne pas dans tous les cas le même résultat. Lorsqu’une personne consacre l’essentiel de ses journées à la recherche d’alcool, ce produit peut être considéré comme une drogue dure.
S’agissant des salles de shoot, je rappelle qu’il existe quatre-vingt-seize salles dans le monde, réparties dans dix pays et que la première a déjà trente ans. Vous nous avez demandé, madame Dalloz, de ne pas laisser de côté la prévention de la consommation de cannabis, mais vous oubliez qu’il existe d’ores et déjà des consultations réservées aux jeunes consommateurs, même si ce n’est pas le cas partout.
Vous semblez opposer la solution proposée à l’article 8 à une politique de prévention primaire, mais l’une n’empêche pas l’autre : les deux approches sont complémentaires. Si cette première barrière de la prévention primaire – la préconisation d’une consommation modérée d’alcool, l’interdiction de fumer du cannabis ou de s’injecter de l’héroïne par exemple –, n’a pas marché, il faut passer à la prévention secondaire car on ne peut pas laisser les personnes concernées sur le bord de la route.
Monsieur Aboud, comment pouvez-vous soutenir que les acteurs de la politique de réduction des risques, qui travaillent notamment au sein des CSAPA, des CAARUD ou des réseaux ville-hôpital, donnent raison aux consommateurs de drogues sous l’effet de je ne sais quel syndrome de Stockholm ? Cela me fait de la peine pour eux, même s’il s’agit d’une citation.
Quoi qu’il en soit, j’ai du mal à accepter de tels propos, comme eux-mêmes sans doute, qui suivent aujourd’hui nos débats.
C’est vous, je crois, monsieur Accoyer, même si je ne veux pas toujours vous charger…
Sourires.
…qui avez dit que six ans était une durée trop longue pour une expérimentation. Je rappelle qu’on avait envisagé d’expérimenter les communautés thérapeutiques pendant trois ans et que les acteurs ont jugé cette durée insuffisante pour permettre de les évaluer. Six ans me paraît donc la bonne durée, d’autant que cela ne nous dispensera pas d’un petit bilan d’étape tous les ans ou tous les deux ans – je crois que Mme la ministre sera de cet avis.
Par ailleurs, monsieur Accoyer, des expertises ont été menées, notamment par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Je ne crois pas qu’on puisse mettre en cause les expertises de l’INSERM. Or en 2010, cet institut concluait que les salles de consommation avaient leur place parmi ces dispositifs.
Vous n’avez cité ni l’Académie nationale de médecine ni l’Académie nationale de pharmacie.
J’ai de la peine à considérer ces articles 8 et 9 comme un progrès pour notre jeunesse de France et j’ai de la peine à considérer qu’il ne s’agit pas d’un basculement de notre droit sous couvert d’expérimentation.
Je rejoins les propos tenus par Arnaud Robinet : si on poursuit effectivement un objectif de prévention des risques, notamment des risques sanitaires, pourquoi ne pas prévoir expressément dans la loi que ces fameuses salles de consommation seront installées en milieu hospitalier ? Un tel choix serait cohérent avec un objectif de prévention sanitaire. Toute autre localisation de ces salles nous ferait prendre le risque d’envoyer un message tout différent : celui d’un basculement de notre droit du côté, non pas de la prévention mais de la dépénalisation ou du moins d’une forme d’autorisation délivrée par la société. Prévoyons donc expressément dans la loi, comme Arnaud Robinet le propose, que ces futures salles de consommation seront situées en milieu hospitalier.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Je voudrais rappeler en quelques mots le cadre dans lequel s’inscrit l’action qui vous est proposée et qui est constitué par les article 8, 8 bis, et 9, ce dernier étant au coeur de des débats.
Si j’ai été sensible aux interventions qui ont manifesté une certaine humilité face aux réalités que nous avons à prendre en compte, je regrette certains excès. Certes, monsieur Robinet, il n’y a pas d’un côté les gentils qui veulent soigner et de l’autre les méchants qui veulent stigmatiser, mais j’ai entendu sur les bancs de l’opposition des déclarations au moins aussi caricaturales. Prétendre que le Gouvernement veut remettre en cause trente ans de politique de prévention et supprimer les moyens de cette politique…
…c’est faire preuve, au mieux de mauvaise foi, au pire de l’irresponsabilité la plus totale.
Notre but est simplement de tenir compte de la diversité des situations.
Je voudrais répondre plus précisément à certains des points qui ont été évoqués, et d’abord – sans m’y attarder car, franchement cela n’en vaut guère la peine – à l’accusation que le Gouvernement voudrait légaliser ou dépénaliser la consommation de drogues douces. Depuis 2012, celle-ci n’a jamais varié : le Gouvernement est et restera résolument opposé à tout laxisme, à toute ambiguïté ainsi qu’à toute dépénalisation en la matière.
Si j’accepte les débats de fond, je n’accepte pas les faux débats : jamais vous ne trouverez un propos, dans ma bouche ou dans celle d’un membre du Gouvernement, favorable à cette dépénalisation.
Ce n’est pas pour autant que je partage de quelque manière que ce soit la croyance qu’il suffirait d’entrer dans la consommation du cannabis pour se retrouver dépendant des drogues dures : on sait bien qu’il s’agit de mécanismes différents.
Depuis vingt ans, notre pays s’est résolument engagé dans une politique de lutte contre le syndrome d’immunodéficience acquise, le SIDA, à l’initiative notamment des associations de lutte contre cette épidémie, dont je veux saluer le travail exceptionnel. Elles ont contribué à la prise de conscience dans notre pays de la nécessité absolue de lutter contre la propagation des risques. Cette politique a effectivement permis de réduire de façon significative les risques, notamment celui de transmission des infections.
Cette politique a donné des résultats dont nombre de pays pourraient s’inspirer. En vingt ans, le taux de contamination par le VIH est passé de 30 % à 10 % chez les usagers de drogues.
Le taux de séropositivité n’est plus que de 1 % chez ces mêmes usagers.
Malheureusement 44 % des personnes qui s’injectent des drogues sont infectées par le virus de l’hépatite C, ou VHC, et le nombre de décès par overdose est d’environ 400 chaque année, ce qui est trop. Nous avons donc besoin d’approfondir cette politique et de tenir résolument le cap qui a été fixé : c’est ce que nous faisons. Nous l’avons fait à l’article 7, nous le faisons à l’article 8 et nous le ferons aux articles suivants.
Il nous faut rechercher quelles réponses nous pouvons apporter à celles et ceux qui restent totalement inaccessibles aux dispositifs existants.
Je veux rappeler à ceux qui pensent de bonne foi que nous remettons en cause les politiques de prévention que, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale, le Parlement a voté un engagement de 388 millions d’euros en faveur des politiques et des structures d’addictologie. S’y ajoutent les financements en provenance des agences régionales de santé, à travers les fonds régionaux d’intervention. On ne peut pas nous accuser de renoncer aux politiques de prévention lorsque nous nous engageons à ce niveau.
On ne peut pas non plus considérer que cette loi signerait un quelconque renoncement, quand l’article précédent nous a permis de sécuriser la distribution et l’utilisation de tests de diagnostic rapide par les associations, de faciliter la mise à disposition de ces mêmes tests auprès de l’ensemble des acteurs concernés et de prévoir la mise en place d’auto-tests au bénéfice de celles et ceux qui sont réfractaires à toutes les solutions existantes. Le sens de l’article 9 est précisément de nous adresser à eux de la manière que nous voulons la plus juste possible. Je le dis avec une certaine humilité, sans chercher à me glorifier de quoi que ce soit, madame Dalloz : je constate simplement qu’il y a 400 overdoses par an et que c’est trop.
Que vous le vouliez ou non, des hommes et des femmes se droguent dans les jardins publics, dans les rues, dans les gares : on ne peut se satisfaire d’une telle situation ! Ce n’est pas en faisant tomber un voile opaque sur cette réalité sociale qu’on la fera disparaître.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La position du Gouvernement vise simplement, de façon pragmatique et réaliste, à renforcer les actions en direction de celles et ceux que jusqu’à présent rien n’a permis d’atteindre et qui se trouvent à l’écart de tout. Ces salles de consommation à moindre risque…
…sont précisément destinées à une population très particulière et très précarisée, souvent sans domicile fixe, et qui ne peut pas se retrouver dans les structures habituelles. J’ajoute, pour qu’on prenne la mesure de cette disposition, que le coût de cette expérimentation serait de 800 000 euros par an.
Cette somme est à rapporter aux 388 millions d’euros que nous consacrons chaque année à la prévention et à la lutte contre les addictions.
Certains se sont demandés pourquoi on ne pourrait pas installer ces salles dans les hôpitaux. La question est légitime mais il est absolument essentiel de ne pas confondre les personnes qui fréquenteront ces salles avec des patients habituels. Le problème n’est pas qu’elles soient installées ou non au sein d’un hôpital : il faut avant tout garantir un accès autonome et indépendant à ces installations. Aucune confusion ne doit être possible. Les personnes qui ont besoin d’être prises en charge ne doivent pas avoir le sentiment qu’on veut les tirer, en quelque sorte de force, vers une structure exclusivement sanitaire.
L’enjeu est social : il s’agit d’accompagner ces personnes tout en protégeant, disons-le clairement, le personnel.
Il faut en effet que les personnels qui vont intervenir dans ces salles bénéficient de protections spécifiques puisqu’ils seront exposés à des risques particuliers.
Toutes ces raisons nous ont amenés à proposer une expérimentation d’une durée maximale de six ans. Il fut un temps, mesdames et messieurs de l’opposition, où certains responsables de vos partis s’exprimaient en faveur de telles expérimentations et faisaient preuve de beaucoup plus d’ouverture d’esprit que celle dont vous faites preuve aujourd’hui.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je vous invite à vous reporter aux déclarations des uns et des autres, d’origines géographiques ou politiques très diverses.
Mais je trouve que ce débat mérite mieux qu’un débat politicien.
Il s’agit en effet de soutenir, d’accompagner et de soigner des femmes et des hommes qui sont aujourd’hui laissés à eux-mêmes. Tel est le sens de l’article 9, qui s’inscrit dans un cadre rénové et adapté aux réalités sociales d’aujourd’hui comme aux difficultés rencontrées par celles et ceux qui sont entrés dans l’enfer de la dépendance.
Cet enfer, il faut donc autant que possible les aider à en sortir, et à tout le moins limiter les risques auxquels ils sont exposés. Tel est le sens de l’action portée par le Gouvernement dans ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Nous avons achevé la discussion sur l’article.
Je suis saisie de six amendements identiques, nos 39, 218, 383, 588, 771 et 1770, visant à supprimer l’article 8.
La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 39.
Nous avons tous pour ambition de soigner le toxicomane, et nous ne vous en faisons pas, madame la ministre, le procès. Mais nous considérons, pour notre part, qu’on le soigne en l’aidant à se défaire de son addiction par la seule méthode qui vaille, c’est-à-dire par le sevrage. Nulle intoxication ne peut être soignée par le produit qui l’a créée.
Or le sevrage va de pair avec l’interdit de l’injection par voie intraveineuse que vous levez dans cet article 8. Cette interdit n’a pas un but moralisateur mais poursuit un objectif de prévention. Selon l’étude European School Project on Alcohol and other Drugs, dite ESPAD, la moitié des jeunes âgés de dix-sept ans et plus qui ne se droguent pas disent justement ne pas le faire parce que c’est interdit. Or vous levez cet interdit.
Non.
Si, puisque c’est précisément l’objet de l’article 8. Ouvrir des salles de shoot pour accompagner les toxicomanes dans leur dépendance irait totalement à l’encontre de la mission régalienne de santé publique de l’État.
Nous pensons que les autorisations d’analyse de drogues ne feront qu’ouvrir la voie au testing des produits illégaux, dont le trafic continuera à enrichir les réseaux criminels, sans permettre de connaître en temps utile la toxicité des produits que s’injecteront les usagers de drogue dans ces salles.
Une étude australienne a montré que le danger de faire une overdose était trente-six fois plus élevé dans la salle qu’à l’extérieur parce que le toxicomane, se sentant protégé par la supervision médicale de l’État, consomme plus et plus intensément. Vous reconnaissez vous-même le degré élevé de ce risque puisque vous comptez autoriser l’usage du naloxone pour le réduire.
Vous êtes même obligés de proposer d’exonérer de toute responsabilité pénale les professionnels de santé. C’est que vous savez que ces salles contreviennent aux obligations et aux principes qui s’imposent au corps médical, l’aide à l’administration de substances de nature à provoquer un dommage corporel grave ou entraîner la mort étant réprimée par l’article L. 221-5 du code pénal. Mais qu’en sera-t-il de la responsabilité des professionnels de santé en cas d’overdose dans la salle, mais aussi à l’extérieur, du fait d’un produit injecté sous leur surveillance ?
Le corps médical est très divisé sur ce projet, alors qu’il faut un consensus dans un tel domaine. Dans tous les États -– tous fédéraux d’ailleurs, comme le soulignait Bernard Accoyer – où l’ouverture de telles salles a été autorisée, il y a eu consensus en ce sens. Ce n’est pas du tout le cas en France, comme vous pouvez le constater ici même.
Vous ne pouvez négliger de surcroît, je le répète, les avis négatifs, non pas seulement de l’opposition, que vous fustigez à longueur de temps, mais également des académies de médecine et de pharmacie, de l’ordre des médecins, de l’Organe international de contrôle des stupéfiants, dont la recommandation 32 exige même la fermeture de ces salles partout dans le monde.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de l’article 8.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Sur les amendements identiques nos 39, 218, 383, 588, 771 et 1770, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Bernard Accoyer, pour soutenir l’amendement no 218.
Vous nous avez longuement expliqué, madame la ministre, que le Gouvernement voulait conduire une politique radicalement inverse de celle qui a été conduite jusqu’à présent tout en vous félicitant des résultats de vos prédécesseurs – ce qui est assez rare de la part d’un gouvernement socialiste. Vous ne nous avez cependant pas convaincus. En effet cette levée de l’interdit qu’est l’ouverture de salles de shoot va à l’encontre de tout ce qui a été fait dans ce domaine, notamment de la loi de 1970. C’est une remise en cause de la pénalisation et, pour tout dire, l’ouverture d’une voie vers la légalisation.
Qui fournira les toxicomanes dans ces salles, dont le statut sera officiel ? Les dealers seront-ils tolérés aux abords de ces salles d’intoxication ? Quid du droit des riverains à la sécurité et la tranquillité, et quid de la sécurité aux abords de ces salles ?
Protestations sur les bancs du groupe SRC.
Je ne comprends pas vos protestations, mes chers collègues, alors que ces questions ont déjà été posées lorsque la mairie de Paris a eu le projet d’ouvrir une salle de shoot, projet que le Conseil d’État a dénoncé dans l’un de ses avis.
Comme l’a expliqué Mme la ministre, ce n’est pas un sujet politicien : c’est un sujet de santé publique. Il s’agit de prévenir l’un des principaux maux qui frappent notre pays. C’est parce que cet article ne permettra pas de le régler qu’il faut le supprimer.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 383.
À ce stade de nos débats, mes chers collègues, je tiens à dénoncer le cynisme dont fait preuve le gouvernement de Manuel Valls sur ces questions.
Protestations sur les bancs du groupe SRC.
La position de la majorité n’est pas claire sur ce sujet. Il y a ceux qui, avec le groupe écologiste, sont résolument pour la légalisation de l’usage des drogues ; quelques-uns au sein du parti socialiste sont pour sa dépénalisation et le gouvernement de Manuel Valls, sous l’autorité de François Hollande, tente, comme d’habitude, une improbable synthèse en proposant d’expérimenter les salles de shoot pendant quelques années. S’il ne s’agit pas d’une légalisation totale de la consommation de drogues, c’est assurément un pas dans cette direction.
La position de la droite, elle, est claire et simple : nous souhaitons que soit maintenue, aujourd’hui et dans l’avenir, l’interdiction de l’usage des drogues. C’est pourquoi nous vous proposons ces amendements de suppression et regrettons le cynisme dont font preuve le Gouvernement, Manuel Valls et Mme Touraine sur ces questions. Pour régler les problèmes internes de votre majorité, vous prenez en otages les familles, les adolescents qui, à cause de cet article que vous allez voter, se drogueront demain, détruiront leur santé.
Protestations sur les bancs du groupe SRC.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous faisons tous fausse route dans ce débat parce que nous employons des termes qui ne correspondent pas à ce qu’est la toxicomanie.
La toxicomanie n’est pas une maladie : c’est un mode de fonctionnement, un rapport à la réalité, un jeu terrible avec la mort, une volonté d’autodestruction qui naît de la rencontre entre un produit, une personnalité – tout le monde ne devient pas toxicomane lorsqu’il rentre en contact avec un produit – et une culture.
L’article 8 a pour objectif de venir en aide aux professions qui, pour des raisons somatiques, c’est-à-dire pour lutter contre le VIH et autres maladies transmissibles, se sont engagés il y a quelques années dans une politique de distribution de seringues pour l’injection de drogues. Il officialise ce système, en lui faisant franchir une étape supplémentaire, où l’injection n’est plus une exception ni un tabou. Sur le plan symbolique, l’adoption de cet article 8 engagera un processus de rupture radicale avec un interdit non écrit : celui du respect du corps, du « moi-peau » en quelque sorte, cette frontière entre ce qui me constitue et ce qui m’est extérieur, que le toxicomane franchit allègrement tant sa souffrance dépasse ce qu’on appelle maladie.
C’est notre responsabilité d’adulte qui est engagée aujourd’hui. Si, devant les adolescents qui nous écoutent, nous faisons sauter ces derniers tabous et ces dernières limites, nous porterons sur les épaules le poids d’une faute morale terrible.
Nous avons tous, dans notre enfance et notre adolescence transgressé ces multiples petits interdits que nos parents nous opposaient, et vous voulez imposer à la société française des interdits inédits, sur l’alcool, le tabac, la conduite à risque, alors que s’agissant des interdits fondamentaux, ceux qui concernent le rapport à la mort, l’intégrité physique et corporelle, vous transgressez largement toute morale.
Voilà la terrible faute dont nous nous rendrons coupables si nous adoptons l’article 8. Je ne parle pas d’interdiction, mes chers collègues, je parle de respect. Il ne s’agit pas là des petites transgressions de l’enfance ou de l’adolescence, mais d’une transgression majeure.
C’est en cela que notre société faillit. Elle devrait plutôt se demander pourquoi de plus en plus de jeunes consomment des produits toxiques. Pourquoi ont-ils peur de l’avenir et de la vie en société au point de se réfugier dans des paradis artificiels ? C’est la seule question qui vaille.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Ce que vous recherchez, c’est à assurer la tranquillité de la bourgeoisie urbaine. Circulez, il n’y a rien à voir, on va fournir des produits et tout le monde restera bien tranquille. C’est un monde terrible que vous préparez pour nos enfants.
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement no 771.
C’est en effet un signal catastrophique qui est envoyé à la population française puisque, que vous le vouliez ou non, l’État organisera une exception légale à la consommation et à la détention de substances illicites : autrement dit, l’État organisera une violation de la loi. C’est un renversement de principe, qui ouvre la porte à bien des dérives. Il se fera ainsi le complice de la consommation et de la dépendance plutôt que le garant de l’interdiction des drogues dangereuses.
C’est une politique de résignation que vous nous proposez : le shoot hygiénique plutôt que le sevrage. Cette politique, les Français n’en veulent pas. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de la vive opposition des habitants au projet d’installation d’une salle de shoot à Paris. Il est vrai que ce sont eux qui devront subir demain les allers retours des toxicomanes shootés à la drogue dure sur la voie publique, avec les risques que cela comporte pour les résidents.
Vous vous référez aux conclusions d’un certain nombre d’études consacrées aux précédents étrangers. Or, d’une façon assez surprenante, le rapport de 2009 de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, qui reprend largement les conclusions de son rapport de 2004, pointe dans son propos liminaire « les limites méthodologiques récurrentes sur les analyses systématiques d’études ». L’INPES formule les mêmes réserves : nous manquons du recul nécessaire pour apprécier l’efficacité de ces salles de shoot.
Plus inquiétant, l’observatoire remarque que les toxicomanes adeptes de ces salles retardent leur entrée en cure de désintoxication en raison du « confort » éprouvé dans ces centres spécialisés,…
…et que, par ailleurs, il semble que le trafic de drogue se développe autour des salles de shoot.
C’est pourquoi je m’oppose à ce principe et propose la suppression de l’article 8.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 1770.
Madame la ministre, étant donné les résultats des politiques qui ont été conduites jusqu’à présent, et que vous avez vous-même évoqués dans votre intervention, pourquoi fallait-il écrire cet article 8 ?
Mais si j’ai déposé un amendement de suppression, c’est surtout en raison de l’alinéa qui instaure une rupture de la barrière symbolique…
…que constitue l’interdiction stricte et formelle de fournir des produits d’injection et de favoriser l’injection en tant que telle. Le problème de fond est là. Très franchement, le reste de l’article ne change pas énormément de choses par rapport à ce qui existe déjà.
On pourrait même dire qu’il se contente de présenter de façon un peu différente des dispositions déjà très courus. Vous avez bien fait de consacrer 388 millions d’euro à cette prévention spécifique. Contentons-nous de cela et voyons comment cela fonctionnera.
Si, comme je le crains, cet article ne sert effectivement qu’à introduire l’alinéa autorisant l’injection, c’est là une raison suffisante pour le supprimer.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales, pour donner l’avis de la commission sur cette série d’amendements.
Vous prétendez qu’il n’y a qu’une seule position à droite, monsieur Larrivé, mais j’ai entendu des responsables de droite défendre une autre position que la vôtre. M. Jean-Christophe Lagarde a dit dans une émission de grande écoute qu’il était, favorable à l’ouverture de telles salles de consommation dans sa ville, tout simplement par respect pour le principe de réalité. Je pense par ailleurs à M. Alain Juppé, maire de Bordeaux, qui s’exprime sur le sujet depuis des années.
Je rappelle à ceux qui l’ignoreraient, qu’il y a un consensus très large en faveur de cet article 8, notamment parmi les professeurs qui oeuvrent au sein de la fédération française d’addictologie.
La protection des intervenants dans les réseaux d’addictologie est d’ores et déjà prévue dans l’article 9.
Monsieur Accoyer, le Conseil d’État ne s’est absolument pas prononcé sur le fond dans son avis d’octobre 2013 : il n’a fait que demander une base légale pour que ces salles puissent ouvrir. Il faut appeler un chat un chat.
C’est précisément la raison pour laquelle vous revenez sur la loi de 1970 !
On a l’impression que notre débat oppose les partisans du laxisme à ceux qui le refusent, mais ce n’est pas le sujet. Doit-on fermer les yeux sur le fait qu’une partie des toxicomanes n’a pas accès aux dispositifs existants ? Ce n’est pas le choix qu’a fait le Gouvernement, qui veut garder les yeux ouverts sur cette réalité : il y a des toxicomanes qu’aucun des dispositifs existants ne parvient à atteindre.
Vous pouvez prendre le problème par le bout que vous voulez, ces gens n’arriveront jamais jusqu’à ces dispositifs. C’est également la raison pour laquelle de telles salles ne peuvent pas être ouvertes dans des hôpitaux.
Vous avez évoqué l’avis de l’Académie nationale de médecine et celui de l’Académie nationale de pharmacie.
J’ai eu l’occasion de débattre il y a quelques mois avec un membre éminent de l’Académie nationale de médecine. Je ne veux pas le mettre en cause, mais cette personne a osé dire, sur un média national et à une heure de grande écoute, que les pays qui avaient ouvert ces salles de consommation voulaient « nettoyer » les rues.
Nettoyer les rues ? Est-ce ainsi que l’on parle d’hommes et de femmes ? Les membres de l’Académie nationale de médecine tiennent parfois des propos quelque peu déplacés ! Avis défavorable.
Protestations sur les bancs du groupe UMP.
Attaquer les académiciens, on n’a jamais vu cela au Parlement ! C’est de l’obscurantisme !
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, pour donner l’avis du Gouvernement.
L’avis est défavorable. Je m’étonne que certains disent que nous devrions écarter toute polémique politicienne sur un tel débat tout en multipliant les interventions qui ne sont que politiciennes. Des arguments de santé publique, je n’en ai pas entendu, pas plus que des arguments de prévention !
Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir à l’article 9, mais je veux dire d’ores et déjà que personne ne présente les salles de consommation à moindre risque comme la solution qui permettrait de régler l’ensemble des difficultés.
Nous nous engageons dans une démarche expérimentale, en prenant pour base ce qui se fait déjà dans beaucoup de pays développés, certains pratiquant ce dispositif depuis trente ans. On y observe une baisse du nombre de personnes qui s’injectent des drogues dans les espaces publics, une réduction des déchets à recycler et une diminution du nombre de morts par overdose.
Protestations sur les bancs du groupe UMP.
Ce sont ces éléments qui nous ont amenés à réfléchir en toute sérénité. Nous nous sommes dit qu’il y avait là une expérimentation qui méritait d’être tentée, dans l’intérêt de la santé de ces personnes, que rien actuellement ne permet de prendre en charge.
Madame la ministre, il y a déjà eu une telle expérimentation en France : en 1995, une salle de shoot a été ouverte à Montpellier.
Et pourquoi a-t-elle été fermée ? À la suite de l’overdose d’un mineur, qui a entraîné la mise en examen des responsables de cette salle de shoot. Pourquoi n’en parle-t-on jamais ici ?
Outre le fait que cela n’a nulle part réduit le nombre de drogués, il y a des problèmes de responsabilité qui se posent en cas d’accident, qu’il s’agisse d’une overdose survenue à l’intérieur ou d’un crime ou un délit commis à l’extérieur. Renseignez-vous : Montpellier a déjà fait cette expérimentation et a été obligé de fermer sa salle de shoot !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Madame la présidente de la commission, je connais la passion que vous mettez dans vos combats, mais je ne peux pas vous laisser parler ainsi de l’Académie de médecine.
Il faut écouter ce que disent les médecins et ne pas escamoter débat. On ne peut pas demander à un médecin qui ne connaît ni la nature ni la concentration du produit – par ailleurs ni stérile ni apyrogène – de pratiquer un tel geste. Je ne suis pas dogmatique et je suis prêt à entendre tous vos arguments, mais un tel geste engage la responsabilité, non seulement médicale, mais aussi pénale. Une personne toxico-dépendante qui commettrait un crime – cela n’est pas rare – à la sortie d’une salle de shoot, pourrait, sur les conseils d’un bon avocat, se retourner contre le praticien qui a pratiqué l’injection. Voilà des questions claires et précises, et nous attendons des réponses !
J’ai discuté de cette question avec des juristes. Vous savez que tout un chacun, et le corps médical en particulier, peut voir sa responsabilité engagée s’il n’a pas porté secours à une personne en danger. En dehors même du cadre de cette expérimentation, on pourrait ainsi incriminer quiconque ne porterait pas assistance à une personne se faisant une injection dans des conditions d’hygiène déplorable.
Par ailleurs, je voudrais saluer ici Alain Juppé pour la position qu’il a prise sur ce sujet. Il ne l’a pas fait de façon dogmatique, mais après avoir envoyé plusieurs de ses adjoints en Suisse étudier la question et avoir reçu des spécialistes bordelais de l’addictologie. Je vous invite, amicalement, à suivre son exemple !
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 39, 218, 383, 588, 771 et 1770.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 95 Nombre de suffrages exprimés: 95 Majorité absolue: 48 Pour l’adoption: 38 contre: 57 (Les amendements identiques nos 39, 218, 383, 588, 771 et 1770 ne sont pas adoptés.)
Cet amendement vise à dire les choses telles qu’elles sont, en précisant à l’alinéa 4 que la mortalité par surdose est liée à l’injection de drogue intraveineuse. Avec cette expérimentation de salle de shoot – en fait, une légalisation et une généralisation –, l’État encadrera l’injection de poison dans les veines de personnes malades.
L’observation de Bernard Debré est tout à fait juste. Que se passera-t-il en cas de décès ? Ce n’est pas parce que vous appelez cela des salles « de réduction du risque » que vous supprimerez le risque : le risque de la présence d’une bulle d’air ou d’une overdose existe. Qui sera responsable ? L’État, qui encadre l’injection de ce poison dans les veines des malades toxicomanes ? Le personnel présent ? Madame la ministre, nous attendons toujours votre réponse à cette question.
La rédaction de l’article 8 indique sans ambiguïté que « la politique de réduction des risques et des dommagesvise à prévenir […] la mortalité par surdose liés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants ». Cette consommation ne se fait pas forcément par injection. En proposant d’ajouter spécifiquement « la mortalité par surdose liée à l’injection de drogue intraveineuse », vous restreignez le champ des objectifs que nous nous sommes fixés.
Cet ajout, un peu polémique et inutile, entraîne de surcroît une confusion : l’injection par voie intraveineuse n’est qu’une modalité de consommation du produit stupéfiant. Or c’est le produit lui-même qui cause la surdose. Ainsi, les psychotropes – dont les Français figurent parmi les plus grands consommateurs – que les médecins prescrivent de façon tout à fait régulière et licite, sont malheureusement utilisés pour des suicides.
Votre amendement tend à faire croire qu’une drogue présente un risque de surdose moindre si elle est fumée ou ingérée. La loi n’a pas à entrer dans ce genre de considérations scabreuses. Le risque spécifique lié à l’injection par voie intraveineuse n’est pas principalement la surdose, mais la transmission des infections.
Avis défavorable.
Je veux dire, pour éclairer l’hémicycle, que c’est bien parce que le geste d’injection – car c’est bien lui qui est essentiellement visé à l’article 8 – n’est pas anodin, qu’un gouvernement précédent a autorisé l’usage du subutex. Or les toxicomanes, dans leur génie de l’autodestruction, en ont fait un véritable objet de trafic, qu’ils pilent et s’injectent.
C’est là notre drame : nous pensons naïvement que pour résoudre la question de la toxicomanie, il suffit de légiférer sur un produit. Mais ce que vous devez comprendre, mes chers collègues, c’est que lorsqu’un produit devient licite, les toxicomanes continuent leur entreprise de remise en question des interdits en se tournant vers d’autres produits. C’est ainsi qu’ils ont détourné de son usage la kétamine, d’usage vétérinaire à l’origine. Vous aurez toujours un métro de retard. Ceux d’entre vous qui pensent naïvement – je le dis sans agressivité – qu’ils résoudront le problème éternel de la toxicomanie par la libéralisation de la consommation, que ce soit par l’autorisation du produit ou par son mode d’administration, se trompent.
Vous déplacerez toujours le problème vers l’usage d’autres produits. Vous entrez, madame la ministre, dans un cycle sans fin.
Le confrère de l’Académie de médecine avait parfaitement raison. J’ai parlé de puritanisme la semaine dernière ; je répète ce mot aujourd’hui. L’article 9 ne sert qu’à déplacer un problème : « Circulez, il n’y a rien à voir ! ». Sous couvert de générosité, vous allez aggraver le malheur de ceux qui se trouvent aujourd’hui dans l’esclavage de la dépendance.
Je voudrais dire, pour finir, que je préfère au terme d’ « addictologie » le mot français de « dépendance », bien plus parlant pour ceux qui suivent nos débats.
L’amendement no 2311 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Dominique Orliac, pour soutenir l’amendement no 2246.
Au cours des années 1990, l’épidémie du SIDA a nécessité des réponses de la part des pouvoirs publics en matière de réduction des risques. Si après vingt ans, le bilan est positif, les traitements substitutifs aux opiacées permettant de rompre plus facilement le cycle de la dépendance, de nouvelles problématiques sont apparues depuis.
Ces problématiques de mésusage sont largement soulignées par l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, de la direction générale de la santé ou encore des associations. Une politique publique de prise en charge doit être développée pour ces usagers, car une sortie de la dépendance est fortement envisageable dans le cadre d’un parcours de soins et d’un accompagnement global. C’est le sens de cet amendement.
Votre amendement est déjà satisfait à l’alinéa 7, qui prévoit la mise en oeuvre d’un « parcours de santé », formulation préférable à celle de « parcours de soins » que vous proposez, puisqu’il ne s’agit pas seulement d’actions curatives, mais d’actions de prévention – ce qui se rapproche de l’éducation thérapeutique – visant à préserver le maintien du capital santé des personnes en addiction. Ce parcours doit être adapté à la situation spécifique de chacun, ce qui rejoint votre intention.
Par ailleurs, la commission a précisé à l’alinéa 10 la mission de veille sur les usages, ce qui satisfait également votre intention d’adaptation des actions à l’évolution des modes de consommation et des produits consommés.
Enfin, la commission n’a pas jugé que l’expression « morbi-mortalité par surdose » était particulièrement bienvenue : la surdose entraîne le décès, mais elle n’est pas en elle-même associée à des maladies identifiées. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, à défaut de quoi l’avis sera défavorable.
Avis défavorable.
Je maintiens l’amendement car j’estime qu’il n’est pas totalement satisfait.
L’amendement no 2246 n’est pas adopté.
Cet amendement a pour but de rappeler ce que devrait être l’objectif final de ce projet de loi, dit de « santé » : « L’objectif final de la politique de santé est de permettre et proposer aux usagers de drogues un accompagnement vers le sevrage et l’abstinence de tout produit. » Vous ne pouvez pas injecter des millions d’euros dans vos salles de shoot sans même évoquer le rôle d’accompagnement des encadrants en matière d’orientation des toxicomanes vers les thérapies qui fonctionnent et qui, seules, leur permettent de retrouver le chemin de la liberté et l’espoir d’une vie normale. Le grand absent de ce débat, c’est le malade dépendant de la drogue : on parle simplement de réduction hygiénique des risques d’injection, mais on ne parle pas du malade dépendant. Que lui proposez-vous pour sortir de son addiction et de l’enfer de la consommation ? Rien dans ce projet de loi.
Cet amendement a donc pour but de redéfinir l’objectif ultime et final, qui devrait être l’objectif principal : guérir le malade.
Je suis encore d’accord avec M. Dhuicq, bien que je le sois rarement par ailleurs : les usagers de drogues ne sont pas des malades.
Relisez par ailleurs l’alinéa 7 de l’article, monsieur Moreau. Il dispose que la mise en oeuvre de la politique de réduction des risques comprend et permet les actions visant à « orienter les usagers de drogues vers les services sociaux, les services de soins généraux ou de soins spécialisés afin de mettre en oeuvre un parcours de santé adapté à leur situation spécifique et d’améliorer leur état de santé physique et psychique et leur insertion sociale ». Le but est donc bien qu’ils sortent de cette addiction,…
…sachant que dans ce domaine, la seule politique qui vaille est une politique de tout petits pas. Pour bien connaître le sujet, je sais qu’un injecteur compulsif va d’abord s’injecter la buprénorphine, alors qu’elle doit normalement être prise par voie perlinguale, et il peut se passer des années avant qu’il ne passe à une prise par voie perlinguale. Voilà ce que j’appelle une politique des petits pas, et je crois que l’article 8 répond à votre objectif car le but est bien que l’usager de drogues, de petit pas en petit pas, s’en sorte.
Les drogues licites, prescrites par le médecin et qui, apparemment ne vous choquent pas, peuvent avoir cette fonction, car ne pensez pas qu’on sorte d’une addiction aux drogues illicites comme ça, sans passer auparavant par d’autres substances, licites et prescrites par le médecin !
Défavorable.
Quand on consacre des millions d’euros et un débat parlementaire à ces personnes, on ne peut pas dire qu’elles ne sont pas malades. La dépendance est quand même une maladie, quelle que soit la définition psychiatrique ou somatique donnée par notre collègue Dhuicq.
Je voudrais revenir rapidement à l’amendement no 2311. Si nous avons, avec mon collègue Moreau, voulu ajouter la précision de l’injection intraveineuse, c’est aussi parce que les drogues consommées ainsi sont adultérées, au fil de coupages successifs, par des ingrédients variés qui ajoutent leur propre toxicité à celle de la drogue.
Madame la présidente de la commission des affaires sociales, vous nous dites que quelqu’un qui se rendra dans ces salles de shoot entrera automatiquement dans un parcours de sevrage. Ce serait l’idéal, mais je crois que c’est le contraire qui est vrai.
Plutôt que de grands discours, je me permettrai de vous faire part de la réponse que m’a faite un membre de ma famille, qui s’est drogué par le passé et a écrit un livre sur son expérience, alors que je lui demandais ce qu’il aurait fait s’il avait eu la possibilité d’aller dans ces salles de shoot : « Ça aurait été l’idéal ! Pourquoi aurais-je dans ces conditions suivi un parcours pour me désintoxiquer, alors qu’il n’y aurait plus eu ni risque, en dehors de celui de faire une overdose, ni problème juridique, et que j’aurais été pris en charge. À la limite, on m’aurait même proposé une drogue meilleure à celle trop coupée qu’on consomme d’ordinaire. »
« Dans ces conditions pourquoi serais-je allé suivre un parcours de désintoxication ? »
C’est cela qui me gêne profondément. Si vous aviez raison, je serais cent fois d’accord avec vous, parce que, en tant que député, mais aussi en tant que médecin, je pense qu’il faut tout faire pour venir en aide aux toxicomanes. Le problème c’est ce que je ne crois pas que ce que vous proposez les aidera en rien.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
L’amendement no 2380 n’est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement no 1869.
Tout à l’heure, quelqu’un a fait observer sur les bancs de l’opposition que l’on allait demander aux médecins d’injecter des produits qu’ils ne connaissaient pas. Il est vrai que la qualité des produits injectés peut poser problème, soit en raison d’un surdosage, soit parce que de nouveaux produits circulent dont on ignore la dangerosité. C’est pourquoi cet amendement vise à donner une base légale au testing des produits, sans lequel il est difficile d’agir.
Monsieur le député, parler de « qualité » à propos de ce type de produits me paraît quelque peu paradoxal et incompatible avec la politique de réduction des risques et des dommages.
En outre, nous avons déjà introduit, à l’alinéa 10, un 5° qui dispose que la politique de réduction des risques et des dommages comprend et permet les actions visant à « participer à […] la veille et à l’information à destination des pouvoirs publics et des usagers, sur la composition, […] la transformation […] et sur la dangerosité des substances consommées ». Je crois qu’il faut s’en tenir à cette terminologie et ne pas parler de « qualité ».
La commission a en conséquence repoussé cet amendement.
Défavorable, madame la présidente.
Faisons un peu d’histoire, et même de préhistoire pour les jeunes qui nous écoutent. Le nom du célèbre groupe The Doors vient du titre du livre d’Aldous Huxley : The Doors of Perception, Les Portes de la perception. C’était un temps où l’on pensait qu’il était possible de consommer du LSD sans dommage, et que cette drogue ouvrait d’autres dimensions à l’esprit humain. Le résultat fut différent de celui espéré combien restèrent « collés au plafond », comme on disait alors, après avoir consommé du LSD, pourtant un produit pur !
J’en viens à un deuxième point. L’amendement de M. Roumegas s’inscrit tout à fait dans la logique de ce texte, madame la ministre, dont il manifeste la faiblesse. De toute manière, chaque fois que vous légaliserez un produit, je le redis ici solennellement, le toxicomane emploiera tout son génie – même si c’est un génie de mort – à trouver un autre produit illicite, parce que son rôle est de transgresser les interdits majeurs de la société.
Vous avez, j’ose le dire, une vision profondément bourgeoise de la civilisation et de la société : une société uniforme, sans bruit, sans différence, où tous pensent de la même façon, où tout est calme. Dormez tranquillement, braves gens, nous, les bons, les gentils, les merveilleux, nous allons faire en sorte que la jeunesse du pays puisse continuer à prendre les produits les plus purs possibles, qu’elle continue à rechercher les paradis artificiels !
La noblesse de la politique serait plutôt de poser les questions de fond : pourquoi tant de personnes se sentent aliénés ? Pourquoi tant d’adultes s’acharnent à dépeindre le monde comme noir, dangereux, difficile ? Et pourquoi tant d’enfants et d’adolescents consomment ces produits, quels qu’ils soient ?
Votre projet de loi, madame la ministre, ne répond à aucune de ses questions, mais la réflexion de M. Roumegas est intéressante en ce qu’il est idéologiquement dominant à gauche et que ce qu’il nous indique là c’est l’avenir : l’officialisation des paradis artificiels, à côté de la télévision.
Je crois, madame la présidente de la commission, qu’il faut avoir l’honnêteté de parler de la qualité et de la pureté de ces produits. Pourquoi le refuser, alors que vous avez vous-même reconnu que ces produits pouvaient être totalement frelatés, avec le risque de provoquer des accidents extrêmement graves ? En outre, ils sont quelquefois additionnés les uns aux autres. S’ajoutant à cela la facilité avec laquelle on consomme désormais ces nouvelles drogues, par injection et par ingestion, on assiste à des catastrophes invraisemblables.
Comment saura-t-on qu’un toxicomane fréquentant une salle de shoot ne consommera que les produits qu’il s’y injectera ? Est-ce qu’il ne va pas prendre d’autres produits à la sortie ?
Le LSD, pardonnez-moi, mais c’est du passé, ça n’existe plus. Ça existait au Moyen Âge, sous le nom de bal des ardents, si vous voulez tout savoir, puisque c’était l’acide lysergique qu’on voyait quand…
Sourires.
Maintenant les toxicomanes consomment des produits extrêmement sophistiqués et extrêmement dangereux et qui peuvent être couplés ou coupés. Vous avez donc raison, monsieur Roumegas, de parler de la pureté des produits.
Il est évident, madame la présidente de la commission que, ni dans ma bouche ni dans le texte de l’amendement, le mot de qualité n’impliquait une quelconque promotion de ces produits. Sa signification ici est neutre : il s’agit simplement d’indiquer la nécessité d’analyser la dangerosité des produits. Cependant, si le sens du 5°, ajouté en commission, est bien celui que vous indiquez, il répond à la nécessité d’offrir une base légale au testing. En conséquence, je retire mon amendement.
L’amendement no 1869 est retiré.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales, pour soutenir l’amendement no 659 rectifié.
L’amendement no 659 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.
Je maintiens, madame la présidente de la commission, que les toxicomanes qui subissent l’enfer de l’addiction sont des malades dépendants que nous devons accompagner vers la guérison. Celle-ci est possible par le sevrage et l’abstinence et sans avoir recours à des produits de substitution : je peux vous emmener visiter des centres où les toxicomanes sont accompagnés sur ce chemin, le seul possible. Il est vrai que les toxicomanes, malades dépendants de la drogue, sont sous le joug de leur dépendance. Ils ont besoin d’aide, et l’honneur des pouvoirs publics n’est pas de les aider à se shooter hygiéniquement, « à moindre risque » pour reprendre les termes de votre texte : il est de les guider vers d’autres lieux et sur d’autres chemins, dont certains mènent à la guérison.
Reconnaissons qu’ils sont malades, et reconnaissons que, conformément à l’objectif de santé publique qui nous est commun, nous pouvons les amener sur le chemin d’une thérapie qui fonctionne et qui permet de sortir de cette addiction.
En fait, monsieur Moreau, j’ai presque envie de dire que l’amendement que vous présentez va dans notre sens.
D’abord, votre amendement est satisfait par l’alinéa 7, qui prévoit la mise en oeuvre d’un parcours de santé. Surtout, proposer qu’ils soient aidés dans leurs démarches administratives, c’est admettre qu’il est une population tellement éloignée du droit commun et des dispositifs existants, qu’il ne faut pas attendre qu’elle vienne vers nous, mais leur proposer une solution facilement identifiable. Ce n’est que dans un deuxième temps que, peut-être, elles s’engageront dans une démarche administrative.
Bien évidemment, j’émets un avis défavorable, mais, même s’il a été repoussé par la commission, votre amendement démontre qu’il y a toute une population de toxicomanes qui échappe aujourd’hui aux dispositifs existants.
Défavorable.
J’entends bien votre argumentation, madame la présidente de la commission, mais permettez-moi de vous faire part de ma surprise. Oui, c’est vrai, il faut traiter, et faire en sorte que celles et ceux qui se droguent, qui sont des addicts à tous ces produits, s’engagent dans la voie du traitement et s’adressent à des centres susceptibles de les traiter. Mais je suis un peu choqué de vous entendre dire : « Comme certains ne peuvent pas être contactés, on va les attirer dans des salles de shoot et on pourra alors les informer ». Ce serait donc une sorte de piège !
Pourtant, le bilan des salles de shoot montre que l’on aboutit rarement, si ce n’est jamais, à une diminution du nombre de drogués. Les drogués vont dans ces salles par facilité, et parce que cela coûte moins cher, mais peu s’y font soigner. Alors, ne nous dites pas que l’alinéa 7 vise à les orienter sur le bon chemin, celui de la désintoxication, car ce n’est pas vrai !
Je suis d’accord avec mon collègue Moreau : il faut donner plus d’argent aux centres de désintoxication. D’ailleurs, ceux qui y travaillent affirment qu’ils ont la possibilité d’aller au-devant des drogués, sans que l’on ait besoin de piéger ceux-ci.
Ils le font avec des psychiatres et des médecins pour, sinon les raisonner, car c’est très difficile, du moins prendre contact avec eux. C’est pourquoi il conviendrait de mieux financer les centres de désintoxication plutôt que d’utiliser une partie de l’argent disponible pour ouvrir ces centres d’intoxication appelés « salles de shoot ».
Il y a un terme que mes maîtres m’ont appris : il s’agit de « la demande ». C’est peut-être là que réside la grande différence entre la psychiatrie et les autres spécialités médicales. Nous devons accepter de ne pas pouvoir sauver tout le monde, et de ne pas pouvoir sauver quelqu’un qui refuse de l’être – hors cas d’urgence que la loi a prévu, avec l’hospitalisation sous contrainte.
Madame la ministre, mes chers collègues, je comprends les intentions de ce texte ; elles sont généreuses, mais c’est une générosité de surface.
Vous allez vous casser les dents sur la réalité du fonctionnement d’une personne toxicomane ! La toxicomanie, c’est autre chose qu’une maladie, c’est un mode de fonctionnement, et un fonctionnement profondément transgressif envers ces limites fondamentales que sont le corps et la mort. Votre projet de loi, animé d’une générosité de surface, va se briser sur ce mode de fonctionnement. Quelle mesure faudra-t-il prendre le jour où vos salles d’intoxication échoueront ? Quelle crédibilité aurons-nous, nous autres adultes, qui serons nus devant les toxicomanes parce que nous aurons à la fois adopté une législation autorisant l’accès aux produits et tenu un discours sur la nocivité de ces mêmes produits ? Où est la cohérence du raisonnement ? Nous leur disons simultanément : « Allez-y, nous vous donnons un produit pour vous détruire » et « Attention, cher ami, c’est mauvais pour votre santé » ! Qu’aurons-nous à proposer à celles et ceux qui, au bout d’un long chemin, auront échappé à la mort et demanderont des soins pour pouvoir accéder à la vraie liberté, celle de vivre sans produits ?
L’amendement no 2312 n’est pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements, nos 1676 et 334, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Guy Delcourt, pour soutenir l’amendement no 1676.
La parole est à Mme Chantal Guittet, pour soutenir l’amendement no 334.
Cet amendement tend à substituer aux mots « mettre en garde » les mots « faire prendre conscience des pratiques à risque ». « Mettre en garde » nous semble trop directif ; les personnes qui souffrent d’addiction ont besoin de ne pas être culpabilisées si l’on veut qu’elles puissent guérir.
Je demande le retrait des amendements ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
« Mettre en garde » a un sens objectif : on sait de quoi il relève. En revanche, une « prise de conscience » est plus difficile à évaluer de manière objective. Par conséquent, je préfère que l’on en reste à la rédaction initiale.
Défavorable, pour les mêmes raisons.
L’amendement no 1676 est retiré.
Ces amendements illustrent bien ce que je viens de dire. Il existe dans la langue française un très beau mot, que les jeunes qui nous écoutent devraient retenir : « l’anosognosie », c’est-à-dire l’absence de prise de conscience de la maladie et des troubles qu’elle engendre.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
C’est pourquoi de nombreux alcoologues se sont cassé les dents sur des patients dépendants à l’alcool. Vous avez beau leur montrer des photos abominables de cirrhose, leur expliquer les effets de l’alcool à haute dose sur les artères, cela ne fonctionne pas. C’est la même chose ici ! Ce serait merveilleux, mes chères consoeurs, si l’on pouvait faire arrêter un patient toxicomane en lui montrant les conséquences des toxiques. Mais non ! Notre esprit ne fonctionne pas comme cela.
Encore une fois, madame la ministre, votre loi sera un échec parce que, structurellement, vous et votre majorité ne voulez pas entendre ce que nous répétons, à savoir que le mode de fonctionnement d’un patient toxicomane n’est pas le vôtre. Vous aurez beau mettre ce patient en garde, il n’entendra pas vos arguments tant qu’il ne sera pas prêt à arrêter – et cela au terme d’un long parcours, la mort étant passée juste à côté de lui.
Un dernier mot à propos de l’alcoolisme. Un psychiatre disait fort justement : « Au mieux, nos interventions thérapeutiques n’empêchent pas le processus naturel de guérison. » C’est dire s’il faut être modeste sur ces sujets !
Votre test est positif, monsieur Dhuicq : tout le monde ici se souvient que vendredi dernier, vous aviez déjà fait référence à l’anosognosie. Personne n’en est victime !
Rires sur les bancs du groupe SRC.
J’appelle l’attention de mes collègues de droite sur le risque de « dhuicisation » des esprits et des discours. Même M. Debré, que je respecte beaucoup, y a cédé !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
L’amendement no 334 n’est pas adopté.
Je suis saisie d’un amendement no 2180 qui fait l’objet d’un sous-amendement no 2447.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales, pour soutenir l’amendement.
Les acteurs qui interviennent dans ces salles, ou dans les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues – CAARUD –, ou encore dans les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie – CSAPA – ne font pas le geste : ils l’accompagnent, au sens où ils réduisent les risques. Les actions de supervision des gestes et des comportements ne visent donc en aucun cas à faciliter l’usage illicite de produits stupéfiants. Je vous propose de lever toute ambiguïté en rappelant l’existence d’une garantie pénale, par un renvoi à l’article 122-4 du code pénal.
Quant au sevrage et à l’abstinence, ils seront possibles, et proposés ; mais ils ne peuvent s’adresser qu’à ceux qui en ont la capacité. Il s’agit de proposer une offre graduée et complémentaire, étant entendu qu’il faut avoir l’humilité et l’objectivité de penser que chacun dispose de son propre parcours – voire de sa propre solution.
La parole est à M. Stéphane Claireaux, pour soutenir le sous-amendement no 2447.
Ce sous-amendement tend à substituer les mots « l’intervenant agissant » aux mots : « le professionnel intervenant », de manière à intégrer les intervenants bénévoles dans la sécurisation juridique des acteurs de la réduction des risques et des dommages.
Une telle modification semble plus adaptée à l’activité des CAARUD, animés très largement par des acteurs associatifs bénévoles, ainsi qu’aux différents types d’actions de réduction des risques et des dommages.
Si l’on limitait aux seuls professionnels la protection mentionnée à l’article 122-4 du code pénal, il y aurait un flou juridique concernant les intervenants bénévoles.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement et le sous-amendement ?
Favorable aux deux.
Le diable est dans les détails, madame la présidente de la commission ! Faut-il traiter ou entretenir l’addiction ? Votre amendement touche à la responsabilité médicale et au code de déontologie. Comment pouvez-vous, vous qui êtes une professionnelle de santé, introduire une « garantie pénale » par amendement à un projet de loi ? Voilà qui pose question au Conseil de l’Ordre des médecins !
Vous proposez d’exempter de leurs responsabilités les professionnels de santé qui regarderaient ou surveilleraient les personnes qui se shootent. L’exemple de Montpellier, évoqué tout à l’heure, est pourtant catégorique : des salles de shoot, cela signifiera des surdoses et des décès brutaux, sans que l’on ait la possibilité de ranimer. L’impunité est une question morale. Voilà des années que nous débattons de la responsabilité civile professionnelle, madame la présidente Lemorton. Et là, vous shootez dedans ! Personnellement, cela me choque. Vous devriez demander l’avis du Conseil de l’ordre.
Je vais aller dans le même sens que M. Door. Je suis extrêmement surpris : ce n’est plus le geste ou l’attitude, c’est le lieu qui va soustraire ces professionnels de santé, voire d’autres, à l’application de la loi. S’ils faisaient la même chose ailleurs, ils seraient condamnés – ou du moins condamnables ; mais dès lors qu’ils le feront dans un endroit para-étatique – puisque ces lieux seront vraisemblablement municipaux –, ils ne seront pas pénalisés.
Et s’ils assistent à une injection ou à une prise de comprimé et que la personne droguée commet à proximité un crime ou un délit, ne seront-ils pas responsables ? Pourront-ils dire : « Je suis enfermé dans un local, la salle de shoot, qui me déresponsabilise » ?
Je ne veux pas parler au nom du comité d’éthique ou de l’Académie de médecine, mais je ne vois pas comment on peut défendre cet amendement.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Il y a confusion. Cet amendement ne contredit ni le code de déontologie ni la responsabilité civile. L’article 122-4 du code pénal prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit et autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Il s’agit d’une marque de reconnaissance pour les équipes, qui travaillent le plus souvent en bonne intelligence avec les forces de police, de gendarmerie ou des douanes, dont les membres bénéficient, eux, dans l’exercice de leurs missions, d’une immunité pénale.
À l’inverse, on peut considérer qu’un médecin ou un professionnel de santé prend des risques quand il laisse quelqu’un en danger. Il s’agit de protéger le professionnel de santé dans les cas rudes, pour qu’on ne puisse l’accuser d’inciter à la consommation de substances illicites.
Enfin, j’aimerais que l’on s’appelle « collègue » dans l’hémicycle. Nous ne sommes ni consoeurs ni confrères : nous ne sommes ni dans un hôpital ni dans un centre de santé. Merci !
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.– « Elle a raison ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Madame la présidente de la commission, je comprends quant à moi le sens de votre amendement. Il apporte, à la limite, une forme de reconnaissance aux équipes médicales et paramédicales. Mais il y a quand même un grand flou. Quand on est observateur ou organisateur, on ne peut être attaqué. Mais il s’agit de populations très fragiles, au plan psychologique comme au plan somatique. Quand il y a une intervention du soignant – il y en aura fatalement – cette immunité va-t-elle s’appliquer ? Ou bien sort-on du cadre de la loi parce qu’il y a eu intervention ?
C’est un point très important et l’Ordre des médecins a appelé notre attention sur cette difficulté.
L’expérience de Montpellier, je la connais très bien. Je ne vous appellerai ni « consoeur » ni « collègue », mais je suis issu de cette université. Il y a eu des dysfonctionnements majeurs, graves même. Nous allons assister aux mêmes problèmes.
Mes chers collègues, je ne suis quant à moi ni médecin ni spécialiste des questions de santé.
Je suis un simple citoyen et aussi un élu d’une ville qui connaît les conséquences tragiques de la drogue. Il se trouve que la salle de shoot dont on parle à Paris depuis des années doit être implantée à quelques pas de ma circonscription et je connais les craintes de la population.
Sur le plan du droit, je voudrais souligner que l’on trouve une formulation très similaire à l’alinéa 4 de l’article 9 : « Le professionnel intervenant à l’intérieur de la salle de consommation à moindre risque et qui agit conformément à sa mission de supervision ne peut être poursuivi pour complicité d’usage illicite de stupéfiants et pour facilitation d’usage illicite de stupéfiants ». Je vous soumets donc l’idée d’harmoniser les deux articles, puisque nous y retrouvons le même concept.
Ce concept a quelque chose de choquant. Que se passe-t-il à l’intérieur d’une salle de shoot ? J’ai pu en voir à l’étranger : les équipes médicales sont les témoins actifs d’actes terribles, d’actes d’intoxication qui peuvent avoir des conséquences graves, jusqu’à la mort.
Le citoyen vous pose donc la question suivante, madame la ministre et madame la présidente de la commission : comment se fait-il que, dans cette assemblée, on traite pendant des semaines de la responsabilité du médecin devant la fin de vie, on rappelle à ce propos le caractère sacré de sa mission qui consiste à sauver et non à accélérer la mort, même quand celle-ci est souhaitée, et qu’au détour d’un texte sur la santé et donc sur la protection de la santé, non seulement on va faire en sorte que l’État distribue de la drogue,…
…mais on va dédouaner à l’avance les médecins de toutes les conséquences de leurs actes ?
Je comprends, naturellement, qu’il faille protéger les médecins qui travaillent dans ce genre de centres, mais vous inscrivez dans la loi quelque chose qui est profondément contraire à l’éthique médicale.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Nous renvoyons à une clause générale plutôt que de lister des infractions particulières. Puisque cela figure à l’article 9, comme vous l’avez très bien dit, il faut que ce soit aussi précisé à l’article 8, pour que non seulement les professionnels de santé, mais aussi les acteurs sociaux qui vont travailler dans ces centres soient protégés à raison de leur action de santé publique. Je rappelle que nous parlons de cas rudes, pour être en cohérence avec l’article 9.
Le sous-amendement no 2447 est adopté.
L’amendement no 2180, sous-amendé, est adopté.
Cet amendement a pour objet de supprimer l’alinéa 11qui stipule que « La politique de réduction des risques et des dommages s’applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral. »
Le mot « réduction » n’a rien à voir avec le mot « prévention ». Implicitement, il signifie qu’il y a consommation de drogue dans les prisons.
Je ne suis pas tout à fait naïf : nous savons que cela existe, mais il me semble qu’au lieu de viser la réduction des risques, il conviendrait d’avoir une stratégie pour empêcher que la drogue entre dans les prisons. C’est la priorité qui devrait être la vôtre.
Avis défavorable. Par définition, les prisons sont des lieux particuliers, au fonctionnement particulier.
Nous partons du terrain. Je suis d’accord avec vous, l’idéal serait qu’aucune sorte de drogue n’entre dans les prisons. Or, nous savons très bien que ce n’est pas le cas.
Je considère que la prison fait encore partie de la République. Les règles valables hors les murs doivent pouvoir s’adapter à l’intérieur. Si on est en prison, c’est pour payer sa dette à la société et non pour contracter le VIH ou une hépatite.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Défavorable.
J’en conviens, on ne va pas en prison pour attraper le VIH, mais pas non plus pour consommer de la drogue, jusqu’à preuve du contraire. Qu’il entre un petit peu de drogue, à l’occasion d’un trafic exceptionnel, on peut le comprendre, mais qu’il soit aussi facile de se procurer de la drogue que du tabac c’est inacceptable.
Si nous en sommes là, c’est parce qu’en matière de drogue, la stratégie adoptée n’est pas toujours celle de la répression. Au passage, je vous signale que le Subutex compte parmi les dix produits les plus remboursés en France.
La parole est à M. Jean-Louis Touraine, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Tout le monde ici est d’accord pour reconnaître que la peine du prisonnier consiste en une privation de liberté, mais non en une privation de santé.
Il est de notre devoir de veiller à ce que les contaminations soient moins nombreuses que dans le passé. Or, aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’a pu empêcher la circulation de drogue dans les prisons.
Protestations sur les bancs du groupe UMP.
Je pense non seulement à la drogue, mais aussi aux anabolisants et autres produits que les prisonniers s’injectent, trop souvent avec du matériel qui n’est pas à usage unique. Il y a donc un taux de contamination très élevé. Entre l’entrée et la sortie, un nombre significatif de prisonniers se contaminent durant leur séjour. Il est donc logique de continuer à prendre des mesures, de plus en plus efficaces et pragmatiques, tout en poursuivant la lutte contre l’introduction de drogue en prison. Mais sachons que, malgré tout, il y a encore et il y aura encore des détenus parvenant à se procurer différentes sortes de drogues. Soyons réalistes et protégeons les prisonniers contre toute atteinte à leur santé. Sinon, nous serions coupables.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je suis stupéfait. Comment le législateur peut-il autoriser qu’on aille contre la loi, qui interdit rigoureusement la détention et la consommation de stupéfiants en milieu carcéral ? Comment pouvez-vous aller à l’encontre de la loi de la République ?
C’est incroyable ! Je ne sais pas quelle est la position de la contrôleuse des lieux de privation de liberté. Je sais qu’elle voulait faire entrer les portables dans les prisons. Je voudrais bien avoir son avis sur cette autorisation par le législateur de la consommation de drogue en milieu carcéral.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Monsieur Robinet, nous sommes tous d’accord pour dire que, hors les murs de la prison, la consommation d’héroïne est interdite par la loi. Or, il me semble que depuis des décennies, Mme Barzach ayant eu la bonne idée – et je l’en félicite – d’autoriser la vente de seringues, des programmes d’échange de seringues existent, compte tenu du retard qu’avait pris notre pays pour lutter contre l’épidémie de sida.
Effectivement, la loi interdit, mais il y a un principe de réalité. Est-ce à dire, monsieur Robinet, que vous êtes contre les programmes d’échange de seringues en dehors des prisons ? Je ne vous comprends pas.
Pour donner un élément factuel, je rappelle que selon le rapport de l’INSERM publié en 2010, à l’initiative de Mme Bachelot, entre 16 % et 60 % des sujets s’injectent encore des produits en détention. Évidemment que la prison est un haut lieu de consommation de drogue ! Évidemment que c’est un haut lieu de contamination, qu’il s’agisse du VIH ou de l’hépatite C !
Comment faire ? Il y a des programmes de substitution, comme le disait Mme Lemorton, mais la réalité s’impose à nous. Il est essentiel de réduire les risques, mais vous ne pouvez pas passer outre la réalité.
Madame la ministre, comment se fait-il que le Gouvernement ne modifie pas la loi pour que les équipes cynophiles de l’administration pénitentiaire puissent contrôler les familles à l’entrée ? Comment se fait-il que les portiques millimétriques ne soient pas installés aux accès ? Comment se fait-il que les familles de prisonniers reçoivent des menaces à l’extérieur si elles n’adoptent pas certains comportements ?
Comment se fait-il que vous vouliez donner une information, mais que Mme le garde des sceaux laisse nos prisons devenir de véritables passoires, y compris les centrales de France, où le règlement pénitentiaire n’est pas appliqué ? J’avais interrogé à ce sujet le ministre de l’intérieur, avant qu’il devienne Premier ministre : il avait acquiescé à ce sujet. Malgré les caricatures faites dans les médias, je redis que le simple règlement pénitentiaire n’est pas appliqué dans les centrales de France.
Je vous invite à voir ce qui se passe en Suède, même pour le tabac : le patient dispose d’un casier où il laisse son tabac et il n’a le droit de fumer que dans certains endroits.
Nous savons, madame la ministre, que dans notre pays la drogue circule largement et plus encore en prison qu’ailleurs.
Comprenez les inquiétudes et les interrogations des députés de l’opposition : votre objectif est-il de donner, en quelque sorte, une information « prophylactique » sur les abus de substances, quelles qu’elles soient, ou préparez-vous à terme l’ouverture en milieu carcéral de salles comparables à celles que vous instituez à l’extérieur ? Voilà ce qui nous inquiète !
Nous savons fort bien que l’abus de ces substances est un problème majeur en milieu carcéral, que ce soit en maisons d’arrêt ou en centrales – où, en l’occurrence, le problème de la surpopulation ne se pose pas, mon excellent collègue Joaquim Pueyo l’expliquerait beaucoup mieux que moi.
Au lieu de rédiger une loi de santé de plus, je demanderais quant à moi que le simple règlement de l’administration pénitentiaire protégeant les gardiens et les prisonniers soit appliqué, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais les propos que j’entends m’incitent à le faire.
On ne peut pas considérer que la prison serait un lieu où le droit à la santé serait exclu par principe.
Je vous rappelle que c’est la loi du 18 janvier 1994, votée par une majorité que vous souteniez et portée par Mme Veil, qui a posé opportunément le juste principe de l’égalité d’accès aux traitements entre le milieu carcéral et le milieu ordinaire.
En l’occurrence, il ne s’agit pas de traitement ! Cela n’a rien à voir !
Parce que c’est une grande loi à destination des personnes détenues, j’ai eu à coeur de célébrer l’année dernière le vingtième anniversaire de son adoption.
À cette occasion, les professionnels de santé et les associations qui interviennent en milieu carcéral se sont exprimés. Tous ont jugé qu’il était absolument nécessaire de pouvoir intervenir auprès des détenus dans des conditions de droit identiques.
Aujourd’hui, la prévalence du VIH est six fois supérieure en prison qu’en milieu ordinaire. Une fois sur quatre, ce virus est détecté au moment de l’incarcération. Nous avons donc besoin de porter des politiques concrètes de prévention des risques en les adaptant au milieu carcéral.
J’entends le discours qui consiste à dire qu’au fond, il ne devrait pas y avoir de drogue en prison.
Eh bien oui ! Il ne devrait pas y avoir de drogue en prison. Les personnels pénitentiaires font d’ailleurs leur travail en luttant contre cet usage et en le limitant. En même temps, nous savons que des hommes et des femmes détenus s’injectent des produits – parfois même de l’eau de Javel, mesdames, messieurs les députés.
Leur état de manque est tel qu’ils ont besoin de s’injecter des produits avec la même seringue. Quelle que soit la nature du produit que ces hommes et ces femmes s’injectent, nous devons faire en sorte de sécuriser la situation et d’empêcher la circulation des seringues.
Ce n’est pas en fermant les yeux sur les réalités que l’on apporte les meilleures réponses.
Il s’agit de soigner…
…et d’éviter la propagation de la maladie, non de porter des jugements moraux. Pour ma part, je m’en tiens là.
Avis défavorable.
Juste un mot pour vous dire, madame la ministre, que l’égalité de traitement ne justifie pas vos propos selon quoi il serait normal que la drogue circule en prison…
…et qu’il le serait donc tout autant d’utiliser des produits de substitution.
Monsieur le rapporteur, nous examinerons dans une semaine un projet de loi sur le renseignement dont une partie, figurez-vous, concerne le milieu carcéral.
Sur les 77 000 détenus que compte notre pays nombreux sont ceux qui, malheureusement, se livrent au djihadisme et utilisent des petits téléphones portables qui leur parviennent en prison – je les ai vus, j’ai été sur place, où on me les a montrés.
Plusieurs collègues de l’opposition ont demandé que l’État bloque la possibilité d’utiliser ces téléphones qui, je le rappelle, sont interdits en prison. Le Gouvernement fera donc installer des systèmes de brouillage et multipliera les interdictions des téléphones portables.
En l’occurrence, nous parlons de l’entrée, tout aussi illégale, de drogue en prison et que dites-vous ? Qu’une telle situation est bien regrettable mais que nous allons traiter les drogués et que nous continuerons à leur permettre de consommer en prison !
C’est le monde à l’envers – je rejoins de ce point de vue-là M. Robinet – lorsqu’une majorité politique contourne le code pénal en demandant à l’Assemblée nationale…
Lorsque l’on écrit le droit, on évite de contredire le code pénal et la loi qui sera votée dans quinze jours !
L’amendement no 955 n’est pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements, nos 335 et 336, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à Mme Chantal Guittet, pour les soutenir.
L’amendement no 335 vise à supprimer, à la fin de l’alinéa 11, après le mot « détenues », les mots : « selon des modalités adaptées en milieu carcéral ». En effet, cette dernière partie de phrase, qui n’apporte pas de véritable contenu, pourrait motiver une application plus restrictive de la loi.
L’amendement de repli no 336 vise quant à lui à remplacer les mots « au milieu carcéral » par les mots « aux lieux privatifs de liberté », lesquels intègrent différents dispositifs d’enfermement ne relevant pas nécessairement du milieu carcéral.
Hors la prison, dont le fonctionnement est particulier et implique une détention de court, moyen ou long terme, les autres zones de privation de liberté recouvrent des réalités très différentes. Il serait donc difficile d’adapter des dispositifs d’accompagnement – je ne dis pas que cela serait impossible, mais cela serait vraiment très compliqué.
En effet, cela concerne les centres de rétention, les locaux de garde-à-vue, les dépôts des tribunaux, des secteurs psychiatriques, des zones d’attente dans les ports, les gares et les aéroports. Tout cela me paraît donc très compliqué.
Je préfère donc que l’on en reste aux termes de « milieu carcéral ».
Avis défavorable.
Même avis.
J’avais demandé la parole sur un amendement précédent, mais celui-ci est à peu près de la même veine.
Je suis effaré de constater combien le principe de réalité a bon dos. En son nom, on admet tout et on accepte toutes les dérives.
Je rappelle en cette enceinte que si la loi se contente de suivre l’évolution de la société, il ne sera bientôt plus nécessaire de la faire.
Laissons donc les choses aller et dériver, laissons les voyous dire ce qu’il faut faire et ne rédigeons plus de lois !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Nous sommes en train de dénaturer complètement le sens de la loi.
Lorsque j’entends Mme la présidente de la commission et Mme la ministre dire qu’il faut agir ainsi parce que telle est la réalité, je considère que c’est un déni de droit.
Il faudrait tout de même que certains voient les armes blanches fabriquées par les prisonniers. De retour d’une séance de sport, ils passent sous le portique mais ils laissent leur sac de côté avant de le reprendre.
Je souhaite donc que les membres de l’administration pénitentiaire, qui souffrent tous les jours, qui sont agressés quotidiennement, entendent vos propos.
Avec les seringues, on s’apprête à laisser circuler des armes blanches supplémentaires en prison. Bravo, quand on sait combien il est difficile de travailler dans le milieu pénitentiaire et d’assurer la sécurité des gardiens ainsi que des prisonniers qui sont l’objet de vexations de la part de leurs codétenus !
Je comprends la générosité dont témoignent les amendements de notre collègue, mais les lieux privatifs de liberté intègrent aussi des services d’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie et les chambres d’isolement.
Ce texte comporte d’ailleurs un article complètement fou, qui associe deux prescriptions totalement différentes – contention et isolement – via la tenue d’un registre. J’espère que nous évoquerons ce soir ce sujet délirant !
Je comprends donc la générosité dont vous faites preuve, chère collègue, mais vous devriez retirer votre amendement car son adoption compliquerait sacrément la tâche des membres de l’administration pénitentiaire – qui est déjà assez compliquée comme cela – et celle des soignants, en particulier en hôpital psychiatrique.
Je me demande si certains collègues ne se sont pas trompés de semaine. Je croyais que nous discutions du projet de loi relatif à la santé et non d’un texte sur la sécurité.
Nous aurons l’opportunité de discuter des conditions de sécurité en milieu carcéral, mais si nous discutons des problèmes de santé, il est de notre devoir de garantir cette dernière à tous nos concitoyens – et même au-delà. En temps de guerre, c’est notre honneur de soigner les blessés du camp ennemi comme ceux de notre camp.
Il est donc clair que nous travaillons ici à protéger aussi la santé des personnes détenues.
En outre, les interdits, leur transgression et les risques que cela comporte ne concernent pas le seul milieu carcéral. Par exemple, le binge drinking est interdit et nous soignons bien les comas éthyliques de tous les jeunes qui se sont saoulés de façon outrancière !
De la même façon, les mineurs n’ont pas le droit d’acheter du tabac et lorsqu’ils ont des maladies respiratoires, nous les soignons.
La santé de ceux qui transgressent des interdits doit aussi être protégée. Ce sont deux choses différentes.
L’amendement no 335 n’est pas adopté.
L’amendement no 336 est retiré.
La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement no 1870.
Dans le même esprit que l’amendement présenté tout à l’heure par Mme la présidente de la commission, celui-ci vise à proposer une sécurisation pénale des acteurs et usagers – et non une dépénalisation générale.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Il s’agit ainsi de permettre un accès effectif aux politiques et dispositifs de réduction des risques.
L’amendement dispose que ne peut être poursuivie des chefs d’usage illicite et de détention illicite de stupéfiants la personne qui détient pour son seul usage personnel des stupéfiants dans le cadre d’actions de réduction des risques.
Il est de bon sens, précis et cohérent. On ne peut d’un côté ouvrir des espaces médicalisés où seront mises en oeuvre des politiques de réduction des risques et en user comme des pièges pour incarcérer les usagers. Soit on considère ces derniers comme des délinquants, soit on les considère comme des patients qui doivent être soignés et protégés.
Les professionnels qui agiront dans le cadre de la politique de réduction des risques doivent également être sécurisés pénalement.
Certains ont fait référence à des expériences qui ont été menées dans le passé, où des actions contradictoires se sont produites.
J’insiste, en particulier, sur la situation des professionnels de santé et paramédicaux qui agissent dans ce cadre-là. Ils remplissent pour la société des missions extrêmement difficiles et ils ont parfois été poursuivis.
Ils ne cherchent pas à gagner de l’argent, pas plus qu’ils ne contribuent à promouvoir la toxicomanie. Ils accomplissent des missions extrêmement difficiles pour notre compte à tous afin d’éviter que la situation d’un certain nombre de gens n’empire.
Puisque nous inscrivons dans la loi cette politique de réduction des risques, il faut protéger pleinement ceux qui en seront les acteurs.
Votre amendement, monsieur Roumegas, est satisfait par l’amendement no 2180, qui vient d’être adopté et qui rappelle que l’article 122-4 du code pénal s’applique.
Par ailleurs, la rédaction que vous proposez a l’inconvénient d’être trop restrictive : elle risquerait d’entraîner la pénalisation de toutes les infractions que votre amendement ne vise pas. Ce que vous tentez de faire à travers cet amendement, et c’est votre droit, c’est d’inscrire à l’article 8 l’expérimentation prévue par l’article 9. Or ce n’est pas de cette manière que nous avons conçu l’articulation de ces deux articles. Donc, avis défavorable.
Même avis.
Madame la ministre, alors que nous sommes sur le point de voter l’article 8, vous n’avez pas répondu à la question simple que je vous ai posée, et qui intéresse les médecins, les militants, les bénévoles et les acteurs médico-sociaux qui suivent notre débat.
Mme la présidente de la commission a déposé, à juste titre, un amendement sur l’immunité des soignants. Ma question est simple, et fondée sur l’expérience du passé : l’immunité des soignants sera-t-elle appliquée en cas d’observation ou en cas d’intervention ? Tous les acteurs concernés nous surveillent, nous suivent, et ils attendent une réponse claire à cette question. Si l’immunité ne concerne pas l’intervention, ces acteurs ne feront rien du tout, par crainte des poursuites. Ma question est simple, mais je n’ai toujours pas de réponse !
Je me demande si certains de nos collègues sont sérieux ou s’ils font de l’humour – auquel cas il y aura de nombreux nominés pour l’édition 2015 du prix de l’humour politique.
Les mêmes qui, la semaine dernière, considéraient presque les fumeurs comme des délinquants, et les vignerons comme des meurtriers
Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP
nous disent aujourd’hui qu’il faut protéger les consommateurs de produits illicites lorsqu’ils sont dans des salles de shoot. Je peux vous dire que les salles de shoot vont avoir un vrai succès ; tout le monde va y aller ! Et vous allez favoriser le trafic, puisque les trafiquants de drogue pourront pénétrer aisément dans ces salles qui seront des zones de non-droit où ils ne seront inquiétés ni par la police ni par la justice. C’est irresponsable de la part du législateur !
Vous racontez vraiment n’importe quoi ! Vous ne pouvez pas croire à ce que vous dîtes !
Monsieur Robinet, ce n’est pas digne de vous ! Personne sur ces bancs n’a jamais comparé les fumeurs à des délinquants. Les fumeurs sont des victimes de stratégies qui, malheureusement, nous dépassent bien souvent…
…et qu’en tout cas nous avons beaucoup de difficulté à contrôler. Voilà ce qui a été dit sur le tabac. Et vous ne trouverez pas un mot qui aille en sens contraire.
Avec cet amendement, et avec la réponse de Mme la présidente de la commission, nous voilà hélas arrivés à ce que nombre d’entre nous redoutaient, à savoir une dépénalisation de fait de la consommation de drogue dans notre pays.
La loi de 1970 interdit la consommation de drogue. Or vous êtes en train de nous dire que, dans certains secteurs, dont on ne connaît même pas le périmètre – seront-ils limités aux salles de shoot ou s’étendront-ils sur une zone de 10 kilomètres alentour ? – les usagers pourront consommer de la drogue sans être interpellés ni jugés pour usage personnel.
De surcroît, vous allez tout bonnement permettre la dépénalisation des trafiquants. En effet, comment ferez-vous la différence entre un usager simple et un trafiquant qui se dira usager, mais qui aura en réalité deux ou trois doses sur lui ? La meilleure preuve de ce que j’avance, c’est que la garde des sceaux, en ce moment même, est en train de réaliser, dans une région française, une expérimentation de non-mise en détention des usagers de drogue à partir du moment où ils sont seulement usagers. Cela va évidemment servir les petits trafiquants, qui n’encourront aucune peine s’ils se disent usagers. Vous êtes donc en train de dépénaliser la consommation de drogue en France.
Je voudrais d’abord inviter mes collègues à ne pas caricaturer ce que font les uns et les autres. Pensez-vous vraiment qu’il faille mettre en prison les consommateurs pour leur simple usage personnel de stupéfiants ?
Puisque vous n’admettez pas qu’il puisse exister des lieux où les toxicomanes soient pris en charge de façon sanitaire et où ils puissent être traités…
…afin d’éviter des situations tragiques, dois-je en déduire que la seule solution que vous envisagez est d’incarcérer immédiatement les simples consommateurs – puisque c’est bien d’eux que nous parlons ? Vous savez très bien que ce n’est pas la pratique dans notre pays : aucun juge ne met systématiquement en prison un simple consommateur.
Outre que cela serait impossible, car on manquerait de place dans les prisons, cela ne résoudrait absolument rien. Il n’est pas question ici de trafic : il faut arrêter les caricatures ! Nous sommes tous d’accord pour combattre le trafic de drogue, c’est évident, et de la façon la plus sévère. Il n’est question ici que de consommateurs, et de cas pathologiques.
Vous ne voulez tout de même pas mettre des malades en prison ? Nous sommes bien d’accord ? Alors ne caricaturez pas notre position.
Compte tenu des explications données par Mme la présidente de la commission, je retire mon amendement, qui est effectivement satisfait.
L’amendement no 1870 est retiré.
L’article 8, amendé, est adopté.
La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement no 1852.
J’espère que cet amendement ne sera pas caricaturé comme le précédent. Je regrette d’ailleurs d’avoir à le présenter juste après le débat que nous venons d’avoir, car je crains que certains ne fassent des amalgames.
Il s’agit de dépénaliser l’usage du cannabis thérapeutique, qui existe déjà en France sous forme médicamenteuse, pour le traitement de douleurs et d’affections de longue durée. C’est ce que font déjà certains pays aussi civilisés que le nôtre.
Des autorisations de mise sur le marché ont été accordées pour des produits à visée thérapeutique contenant du cannabis. Restons-en là et ne permettons pas que tout un chacun puisse consommer du cannabis, parce que cela lui fait du bien et lui permet de supporter une pathologie, aussi lourde soit-elle. Je vous entends bien, monsieur Roumegas, mais votre amendement marquerait un débordement qui n’est voulu ni par le Gouvernement ni par la commission. Avis défavorable.
Défavorable. Ce débat ne mérite pas d’être caricaturé, mais je tiens à dire de manière extrêmement claire et ferme que des médicaments à base de cannabis sont déjà commercialisés ou sur le point de l’être en Europe, et donc en France. Ces médicaments vont servir à lutter contre la douleur, notamment des personnes atteintes de sclérose en plaques, dont les douleurs sont réfractaires à tout autre médicament. Nous parlons là de médicaments contenant du cannabis.
Or ce que vous proposez, c’est autre chose : c’est de se servir du cannabis pour lutter contre des douleurs ou des situations qui seraient mal prises en charge par les médicaments. Il y a là une part d’ambiguïté et d’incertitude…
…qui n’entre pas dans le cadre de la politique menée par le Gouvernement. Je vous le dis très explicitement : le Gouvernement n’est pas favorable à la dépénalisation de l’usage du cannabis.
Cela étant posé, nous ne voulons pas qu’il y ait la moindre ambiguïté. Dès lors que des comprimés contenant du cannabis peuvent être prescrits par des professionnels, dans certains cas très précis, le besoin que vous évoquez est satisfait. J’ai veillé, vous le voyez, à ne pas caricaturer le débat que vous avez ouvert.
Je me réjouis que Mme la ministre et Mme la présidente de la commission se soient opposées aux deux amendements de M. Roumegas. Pour autant, nous ne sommes pas pleinement rassurés.
Dans ces deux amendements, que je considère comme particulièrement dangereux, je vois, plus encore que des amendements d’appel, des amendements d’avenir. On met le pied dans la porte, en instaurant un système dans lequel ceux qui le souhaitent peuvent aller consommer de la drogue dans des salles qui leur sont spécialement dédiées, dans les prisons et en dehors de celles-ci. Et petit à petit, dans quelques mois,…
…en dépit des dénégations de Mme le ministre et de l’apparente fermeté du Gouvernement qui se dit hostile à la dépénalisation de l’usage de la drogue, on va nous dire, au nom du principe de réalité, dont il a tant été question aujourd’hui, qu’il faut dépénaliser. Et on le fera, non pas de manière brutale, non pas de manière systématique, mais petit à petit, comme vient de le proposer notre collègue Jean-Louis Roumegas.
Pour ma part, je vous remercie, monsieur Roumegas, d’avoir soulevé cette question. Mme la ministre a indiqué qu’ont déjà été introduits sur le marché des médicaments contenant des cannabinoïdes.
Cela s’appelle des dérivés cannabinoïdes ! Ces médicaments comportent une indication thérapeutique unique, la sclérose en plaques, et ce pour une double raison : la spasticité et les douleurs. Pour ma part, si je souscris totalement à ce qu’a dit Mme la présidente de la commission, à savoir qu’il n’est pas question de légaliser le cannabis, je suggère qu’une réflexion s’ouvre en vue d’étendre l’indication médicale de ces produits, en particulier aux personnes très âgées qui souffrent à la fois de spasticité et de douleurs chroniques qui les clouent sur place.
Ces questions sont très sérieuses, madame Greff, et je vous demande de ne pas m’interrompre.
J’ai participé à l’élaboration du rapport Vaillant et j’étais, à l’époque, favorable à l’ouverture d’une réflexion sur la légalisation du cannabis. Si je suis aujourd’hui tout à fait opposée à une telle légalisation, comme notre gouvernement, c’est parce que j’ai pu constater les pressions que nous subissons de la part des cigarettiers – et il s’agit pourtant de multinationales ayant pignon sur rue. J’imagine ce que nous aurions à subir si le cannabis venait à être légalisé : c’est avec la mafia de la drogue que nous devrions discuter, et nous aurions leurs colts sur nos bureaux.
Je regrette que certains agitent des peurs ou considèrent que certaines questions sont taboues. La population est beaucoup plus réaliste et informée que cela…
…et je vous remercie d’ailleurs, madame la ministre, de ne pas avoir caricaturé le débat, même si je comprends la position du Gouvernement.
Nous proposons non pas d’autoriser le cannabis en général, mais seulement que, sur prescription médicale et dans certains cas, comme cela se fait déjà en Suisse, par exemple, ou pour des indications très précises, on autorise des gens à fumer parce que leur maladie le justifie. Certains États des États-Unis le pratiquent et on n’y rencontre pas, pour autant, des drogués à tous les coins de rue. Il faut arrêter de caricaturer : ce n’est pas en agitant les peurs et en refusant le débat que l’on responsabilisera qui que ce soit. Je maintiens mon amendement, et je refuse qu’il soit caricaturé.
Nous voyons bien, avec cet amendement de notre excellent collègue Roumegas, combien cette proposition est absurde. Mme Delaunay a bien rappelé que lorsque l’on fait un médicament, on isole un principe actif, on l’étudie, on le fabrique et on le standardise. Lorsque l’on consomme une plante dont on fume les feuilles, les fleurs ou l’huile, on a une concentration différente, et l’on n’est jamais sûr de ses effets. Il y a donc un premier principe théorique pour lequel cet amendement ne pourra pas atteindre son objectif, puisqu’on ne saura jamais exactement ce qui est ingéré.
Deuxièmement, s’il y a une lutte contre toute forme de consommation de tabac – que je regrette, car je ne confonds pas tabagisme et consommation de tabac – notons que le cannabis est fumé, et souvent avec du tabac. Je ne comprends donc pas pourquoi les mêmes qui se battent contre le tabac ne se battraient pas non plus contre l’inhalation de fumée de cannabis.
Il y a un double traitement dans nos débats : tout se passe comme si cette plante, par ailleurs une très jolie plante qui a besoin de soleil, de suffisamment de chaleur, de ne pas être trop arrosée – nous connaissons tous cela – et qui pousse même dans certains bois de nos campagnes, était parée de toutes les vertus.
Dernière remarque sur vos amendements, monsieur Roumegas : Que ferez-vous avec les produits du futur ? Parce que nos chimistes, ceux qui travaillent dans les laboratoires en Amérique du Sud ou ailleurs, inventent chaque jour de nouveaux produits addictogènes, pour tout le monde, de la jeunesse dorée de la Côte Ouest des États-Unis à Hong Kong, en fonction des marchés.
Le seul pays qui ait réussi à interdire la drogue, c’est le Japon, parce que les yakuzas s’étaient rendu compte il y a quelques années que faire entrer certains produits déstructurait la société japonaise. En bons savants de la société japonaise, ils avaient lutté contre l’introduction de drogues. Faut-il regretter que nous n’ayons pas les yakuzas chez nous ? Je me le demande.
Sourires.
L’amendement no 1852 n’est pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 2168 rectifié et 2213 rectifié.
La parole est à Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission, pour soutenir l’amendement nos 2168 rectifié.
La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour soutenir l’amendement no 2213 rectifié.
Il vous est proposé par cet amendement que les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie assurent obligatoirement des missions d’accompagnement médico-psycho-social, de soins, de réduction des risques et des dommages et de prévention individuelle et collective.
Les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie – les CSAPA – sont l’un des principaux dispositifs chargés de décliner la politique de santé en matière d’addiction. Ils développent une mission de prévention de proximité qu’ils déploient sous des formes et dans des contextes différents.
Dans un rapport de février 2014, l’IGASS recommande de rendre obligatoire la mission de prévention des CSAPA. C’est l’objet de cet amendement, qui est identique à l’amendement présenté par Mme Lemorton.
Avis favorable.
Au risque de vous surprendre, je suis défavorable à cet amendement en vertu du principe de réalité, que vous avez employé tout à l’heure. Il est question d’une discipline sous-dotée, en faillite, la psychiatrie. Où allez-vous trouver des psychologues et des psychiatres formés et en nombre suffisant, alors qu’ils manquent déjà dans les services d’hospitalisation de secteur et toutes les structures qui existent ?
Le terme « obligatoirement » prévu par cet amendement me gêne terriblement, pour une deuxième raison théorique que je rappelle : il faut qu’il y ait une demande. Si vous voulez sauver quelqu’un, il faut qu’il le demande et qu’il l’accepte. Vous ne pourrez jamais sortir de la drogue et de l’alcool une personne qui le refuse. Vous pourrez parer au danger, le protéger au maximum, vous ne pourrez jamais l’en faire sortir s’il ne le veut pas. Donc le terme « obligatoirement » est profondément gênant et difficile au regard de la situation des professionnels de santé mentale en France, qui crient famine.
J’entends les arguments de notre collègue Nicolas Dhuicq, et voyez Mme Delaunay qu’il n’y a pas de « Dhuicquisation » du groupe UMP, puisqu’il est dans sa grande majorité favorable à cet amendement.
Sourires.
C’est ce que nous défendons depuis le début : renforcer la prévention et donner parfois plus de missions aux structures qui existent.
Nous préférons aller dans ce sens plutôt que d’ouvrir des salles d’injection, ou salles de shoot suivant la dénomination employée par les uns ou les autres. Nous sommes donc favorables à cet amendement que nous voterons.
Les amendements identiques nos 2168 rectifié et 2213 rectifié sont adoptés.
La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne, pour soutenir l’amendement no 1225.
Je propose d’insérer après l’article 8 un article additionnel ainsi rédigé : « Dans un délai de six mois, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les possibilités de prise en charge par l’assurance maladie, dans les conditions précisées par la loi de financement de la Sécurité sociale, des dépenses afférentes aux actions de prévention, de formation et de recherche en matière de pratiques addictives mises en place par les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie ou auxquelles ils contribuent. »
Depuis 2002, l’assurance maladie contribue au financement des seules missions d’hébergement des CSAPA. Vous demandez un rapport pour étudier la mise à la charge de la CNAM des dépenses de prévention, de formation et de recherche des CSAPA qui relèvent aujourd’hui de l’État et des collectivités territoriales. On ne peut pas envisager un dispositif impliquant un tel transfert de charges sans compensation pour la CNAM, ce qui relève de la loi de financement de la Sécurité sociale qui se discute tous les mois d’octobre chaque année. Toute évolution du champ d’intervention de l’assurance maladie ne pourra être envisagée qu’à l’issue du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les pratiques addictives qui vient à échéance en 2017. Avis défavorable.
L’amendement no 1225, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.
De nombreux orateurs sont inscrits sur l’article. La parole est à M. Philippe Goujon.
L’article 8 levait l’interdit d’injection de drogues par intraveineuse, justement pour permettre de légaliser les salles de shoot à l’article 9, nous y sommes. Nous considérons qu’il s’agit d’une atteinte particulièrement grave au souci de protection de la santé publique qui a toujours guidé le législateur. Il est même inscrit dans notre norme juridique suprême via le préambule de la constitution de 1946, ce qui nous permettra d’ailleurs de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel.
Ces salles de shoot que vous souhaitez instaurer, non seulement à Paris dans le dixième arrondissement, mais aussi sur toute l’étendue du territoire, cautionnent l’abandon par l’État de l’ambition de guérir les toxicomanes de leur addiction, car même les publics auxquels elles sont destinées, c’est-à-dire les quelques centaines ou quelques milliers d’usagers problématiques de drogues, les fréquenteront peu, parce qu’ils ne veulent pas être fichés et qu’ils ont beaucoup de mal à aller dans ce genre de centres. Partout où elles ont été installées, ces salles n’ont pas permis de réduire leur contamination au VIH ou à l’hépatite C. C’est d’ailleurs confirmé par le rapport de l’Inserm qui a déjà été cité, tout en étant contraire à l’éthique des professionnels de santé.
De surcroît, les expériences étrangères ont prouvé que ces salles ne peuvent fonctionner que si elles font l’objet d’un consensus total parmi la population, les élus, les professionnels de santé, les autorités judiciaires et de police, ce qui – reconnaissez-le – est loin d’être le cas dans notre pays, et notre débat en témoigne.
Vous avez même dû outrepasser la censure du Conseil d’État qui vous faisait le reproche de violer la loi de 1970. Je ne reprendrai pas l’argumentation que beaucoup d’entre nous avons développée à l’article 8 sur les bienfaits de ces salles en matière de réduction des risques, puisque les usagers problématiques de drogue qui les fréquenteront seront les plus marginaux, qui pourront certes y recevoir des soins – il n’y a pas que là – mais qui y accéderont, hélas, déjà contaminés pour la plupart par le VIH ou l’hépatite C. Cela ne servira donc à rien de ce point de vue, et c’est ce qui ressort aussi bien des expériences étrangères que du rapport de l’Inserm.
Nous y voilà, à l’article 9, qui tend à la légalisation et à la généralisation des salles de shoot. Pour ouvrir le débat sur cet article, je voudrais, au nom des cent cinq députés qui ont signé la résolution parlementaire visant à interdire les salles de shoot sur l’ensemble du territoire national, donner la parole aux premiers concernés, et notamment à une toxicomane, Zoé, qui m’a écrit il y a quelques jours et qui plante remarquablement et précisément le décor de nos débats.
« Bonjour monsieur le député, je m’appelle Zoé et je suis dépendante. J’ai été toxicomane active pendant plus de quinze ans, mon produit de choix était l’héroïne et mon mode d’administration l’injection. Je tenais vraiment à prendre part au débat en vous exposant mon opinion au sujet des salles de shoot. J’ai eu en effet l’occasion d’en fréquenter à Genève, car j’ai vécu en Suisse pendant trois ans. »
« Je vivais en Valais, à une heure trente de Genève en train, et j’allais à Genève me fournir en quantité nécessaire pour la semaine. La salle de shoot se trouvait collée à la gare. Le quartier, de ce fait ou pas, puisque je ne l’ai pas connu avant, était envahi par les dealers et donc par énormément de consommateurs. Il y en avait partout. D’un côté de la gare, il y avait des petits dealers qui vendaient à la dose – une injection pour dix euros – et tous les acheteurs, moi y compris, préféraient les toilettes des cafés ou les toilettes publiques pour s’injecter. De l’autre côté de la gare, il y avait les grossistes, ceux que j’ai le plus fréquentés. Et là, c’était la même dynamique. Dès que nous avions acheté ce dont nous avions besoin, on se cachait soit derrière un buisson, soit dans les toilettes publiques, pour consommer. Les toxicomanes en général, mais en tout cas moi, j’avais peur de la police. »
« Dans ces salles de shoot, on nous demandait notre nom et de ce fait, nous faisions demi-tour de peur d’être fichés. La réalité était que cette salle de shoot était vide. Il m’est arrivé par deux fois d’aller chercher des seringues propres là-bas, mais son utilité s’arrêtait là. La campagne pour la distribution de matériel a eu un vrai but sanitaire et m’a sûrement sauvée d’une maladie de type sida ou hépatite. Cependant, je ne vois vraiment pas l’intérêt d’un lieu où l’on puisse consommer des produits illégaux sous couvert de la loi, c’est pour moi banaliser l’utilisation des drogues. De plus, ce lieu ne serait ouvert que trente-cinq heures par semaine, et les toxicomanes consomment vingt-quatre heures sur vingt-quatre. »
Cet article permet effectivement l’expérimentation de salles de consommation à moindre risque pour six ans maximum, au terme desquelles un rapport d’évaluation nous sera remis. Il n’est évidemment pas question de taire le fait que ces dispositifs posent un certain nombre de questions légitimes, qu’il s’agisse de leurs lieux d’implantation ou de leurs modalités de fonctionnement, et des moyens à mettre en oeuvre pour qu’ils soient réellement utiles.
Mais il n’est pas davantage question de se voiler la face et de faire comme si le problème de la toxicomanie n’existait pas. L’étude de l’Inserm montre que la recrudescence des overdoses coïncide avec l’apparition d’une nouvelle population de toxicomanes, notamment des jeunes migrants souvent venus d’Europe de l’Est et totalement démunis, mais aussi de jeunes errants en rupture complète avec leurs familles.
C’est pour atteindre ces populations très marginalisées que l’Inserm, dans son étude, préconise la mise en place de salles de consommation qui permettraient de les sensibiliser à la réduction des risques, de les accompagner vers une démarche de sevrage, et de réduire la consommation sur les lieux publics.
Les exemples étrangers sur lesquels se fonde cette étude montrent clairement que ces salles permettent d’augmenter, parmi ces usagers très marginalisés, le nombre de ceux qui acceptent d’être traités, c’est un argument fort.
Certes, la mise en place des salles de consommation n’est un geste enthousiasmant pour personne. Mais c’est un geste responsable face à une situation concrète, aussi regrettable et préoccupante soit-elle. Elle implique évidemment des moyens suffisants pour permettre que ces lieux ne soient pas seulement dédiés à la consommation, mais aident ces personnes à en sortir et à reconstruire une vie digne.
L’article 9 est un article symbolique. Les salles de shoot sont un marqueur de ce projet de loi et, plus généralement, un des marqueurs sociétaux de la gauche. À Paris, la municipalité agite la question depuis une bonne dizaine d’années.
La gauche est connue pour brandir un certain nombre d’idées prétendument à la mode, que je ne citerai pas ici pour ne pas choquer. Celle-ci en fait partie.
Le projet d’ouvrir des salles de shoot est choquant à plusieurs égards.
Il l’est d’abord au regard des missions régaliennes de l’État. Il appartient à l’État de soigner, pas de se substituer aux dealers ou de devenir lui-même un dealer en distribuant de la drogue ou des substituts. Si l’on appliquait votre démarche aux accidents de la route ou à d’autres pathologies sociales, madame la ministre, on pourrait aller très loin !
Pourtant, c’est dans cette voie que vous vous engagez. Dans ce texte par ailleurs très sévère à l’égard des addictions au tabac et à l’alcool, vous en êtes à ouvrir des salles où l’on distribuera de la drogue alors même que notre politique de santé publique est fondée sur la prévention et le sevrage !
Plusieurs études ont montré que ces politiques sont des échecs à l’étranger. Elles se traduisent au contraire par une dissémination de l’usage de la drogue. Le témoignage de cette jeune droguée lu par notre collègue Yannick Moreau traduit exactement la réalité : le seul effet des salles de shoot, c’est d’organiser le deal tout autour.
Dans le Xe arrondissement de Paris, qui est limitrophe de ma circonscription et où M. Delanoë avait proposé une telle création, on débat de la question depuis de longues années. La population est férocement contre : tout le monde sait bien que l’ouverture d’une salle de shoot provoque un appel d’air pour le trafic de drogue à proximité.
Nous rêvons tous d’un monde meilleur, madame la ministre. Si tel n’était pas le cas, nous ne nous serions d’ailleurs pas engagés en politique. Hélas, le monde n’est pas tel que nous souhaiterions qu’il fût. Il est fait de personnes biologiquement inégales, qui présentent de ce fait des risques plus ou moins importants de vulnérabilité au développement d’une dépendance. Nous pouvons du reste nous interroger sur la dépendance au travail et à la politique qui nous a conduits ici : peut-être certaines dépendances sont-elles utiles à la société – du moins espérons-le !
Votre texte est profondément paradoxal en ce qu’il compliquera considérablement le travail des soignants. Face à certaines pathologies, ces derniers ont d’abord pour rôle de poser ou de rappeler des interdits que les personnes utilisant des produits illégaux n’ont souvent pas reçus ou pas compris. Face à elles, ils se trouvent fréquemment en position de père ou de mère symbolique. Or vous envoyez un message contradictoire. Quel parent digne de ce nom voudrait transmettre à son enfant le message qu’il peut continuer à consommer ces produits ? Or ce que nous allons dire avec cet article, c’est : « Entrez ici, vous y trouverez les produits que vous souhaitez ! »
En outre, il ne vous sera possible de trier ni les produits – nous l’avons vu à l’article 8 – ni les personnes qui entreront dans vos centres. Comme certains de mes collègues, je crains que les personnes les plus éloignées des cadres juridiques habituels ne franchissent pas leurs portes. En revanche, vous verrez affluer des personnes qui trouveront là un moyen confortable de rester dans la toxicomanie.
Madame la ministre, la communauté scientifique vous est reconnaissante d’avoir eu le courage d’introduire cette expérimentation dans votre projet de loi. Vous saviez bien – car c’est un marqueur de droite – l’opposition dogmatique que vous trouveriez en face de vous.
Je me contenterai ici d’évoquer la méta-analyse publiée par l’INSERM à partir de mille publications scientifiques sélectionnées selon des critères de qualité précis, en résumant les conclusions de ce travail considérable : amélioration majeure des conditions de sécurité et d’hygiène, en particulier s’agissant des infections ; réduction de la morbidité et de la mortalité dues aux overdoses ; création d’un lieu permettant de diriger les personnes de manière progressive et sécurisante vers les professionnels du soin, les structures et les services d’addictologie ; diminution des injections en public et des abandons de matériel d’injection dans les lieux publics ; au total, une mesure complémentaire mais nécessaire dans le parcours de soins des usagers de drogue.
La question de l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque mérite d’être traitée de manière rationnelle et argumentée, loin des caricatures et des outrances. Le dispositif est intéressant à plusieurs égards.
Je veux d’abord revenir sur le vocabulaire employé. Si nous parlons de salles de consommation à moindre risque et non de salles de shoot, c’est non seulement parce que l’objectif est bien la réduction des risques, mais aussi parce qu’il y va de la dignité des personnes concernées.
Ensuite, contrairement aux contrevérités énoncées sur les bancs de l’opposition, ces salles s’adressent à des personnes en situation de marginalisation qui ne sont pas aujourd’hui prises en charge par les dispositifs d’accompagnement existants. On peut faire comme si ces personnes n’existaient pas ; pour notre part, nous faisons le choix de les regarder et de les accompagner. Les salles de consommation à moindre risque sont un moyen de sortir de la spirale de l’exclusion et de la rue les usagers qui ne se rendraient pas dans des structures les CAARUD – centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogues – ou dans les hôpitaux,…
…et de les mettre en relation avec des travailleurs sociaux et des personnels médicaux.
Nous sommes bien dans une logique de prévention et de santé publique. Que vous le vouliez ou non, des exemples internationaux l’attestent. En Espagne, le nombre de morts par overdose est passé de 1 833 en 1991 à 733 en 2008. À Vancouver, l’ouverture de la salle a été suivie d’une hausse de 33 % des admissions en cure de désintoxication.
Enfin, le dispositif a également une fonction d’amélioration de la tranquillité publique : on constate une réduction du nombre de seringues usagées laissées dans l’espace public aux abords de ces salles, donc une réduction du nombre d’accidents. Soutenir l’inverse, c’est mentir et instrumentaliser les riverains !
Pour dénoncer la politique gouvernementale en matière de drogue, j’établirai une comparaison entre deux fléaux : celui de la vitesse en voiture et celui de la drogue.
Alors que la vitesse était de plus en plus meurtrière sur les routes, on a longtemps pris des mesures préventives d’une efficacité discutable. Puis, il y a une dizaine d’années, on en est venu à des décisions très fortes sur le plan de la répression, qui ont divisé par cinq le nombre de morts en voiture.
C’est la même chose pour ce qui est de la drogue. Le fléau continue de s’aggraver. La drogue pourrit tout. Ce qui est vrai à Paris ou à Genève l’est également dans ma petite ville de province : la dose coûte 10 euros. Le petit jeune qui « chouffe », qui fait le guet, se fait 500 euros par semaines, plus que l’instituteur. Mais il ne va plus la classe, il gagne si bien sa vie à côté !
Tout cela ne peut pas durer. Le Gouvernement ne s’intéresse pas au coeur du problème. Nous l’avons vu à propos de la drogue en prison : pour vous, madame la ministre, le principal sujet est la réduction des risques pour le consommateur. La priorité devrait être la lutte !
En outre, comment ferez-vous la différence entre l’« usager majeur de substances psychoactives » qui fréquentera vos salles de shoot et l’usager mineur qui, sans doute, sera tenté de s’y rendre ?
Enfin, on ne saurait imaginer que la qualité des produits consommés dans ces salles de shoot puisse être garantie. Viendra forcément un jour où l’on y consommera des substances particulièrement frelatées et où il y aura des victimes. Comment vous en tirerez-vous sur le plan légal ?
Je souhaite revenir sur l’exemple de l’Espagne, où trois villes seulement ont mis en place des salles de shoot. Les chiffres que vous avez donnés, madame Carrey-Conte, sont plutôt le résultat d’une politique active de prévention dans les centres de soins.
Il est certes important d’inclure les questions relatives à la drogue dans un projet de loi relatif à la santé, madame la ministre, mais la santé publique est une chaîne. Or, loin de renforcer le maillon de la prévention, vous ouvrez une voie parallèle. En voulant bien faire, vous faites sortir le patient d’une chaîne de soins pour le faire entrer dans une structure dont vous n’avez toujours pas précisé la nature juridique.
Je ne céderai pas. L’Assemblée va voter aujourd’hui deux articles majeurs sans que nous ayons obtenu de réponse claire quant à l’immunité pénale des personnels médicaux et paramédicaux qui, M. Roumegas l’a rappelé, exerceront dans ces dispositifs de façon bénévole et militante.
Avec l’article 9, madame la ministre, nous abordons votre proposition d’expérimenter ce que le texte appelle des « centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogues » ou « salles de consommation à moindre risque » – en d’autres termes, des salles de shoot. L’objectif, selon vous, est de permettre aux toxicomanes de consommer leurs propres produits dans de bonnes conditions d’hygiène, en étant supervisés par des personnels de santé.
Après les auditions auxquelles j’ai participé, je me suis renseigné sur les pays qui menaient ou avaient mené cette expérience. J’en ai trouvé une dizaine, principalement en Europe. Si l’on y a constaté, en général, une amélioration des conditions sanitaires dans lesquelles un certain nombre de toxicomanes se livraient à leur addiction, les expérimentations n’ont en revanche entraîné aucune diminution de la consommation de drogue : elles se sont plutôt traduites par une augmentation.
Cela étant posé, pouvez-vous nous indiquer le coût précis de l’expérience que vous entendez mener ? Combien de salles de shoot installerez-vous ? Dans quels endroits ?
Je trouve assez choquant pour les Français que l’on dépense de telles sommes d’argent. Mercredi dernier, lorsque nous débattions de la médecine scolaire, j’insistais sur le manque de médecins dans les établissements, notamment dans les lycées. Il n’y a plus, disais-je, qu’un médecin scolaire pour 12 000 élèves. C’est pourtant à l’école que commence le travail de prévention qui permettrait d’éviter l’augmentation du nombre de toxicomanes dans notre pays. C’est là qu’il faut concentrer les moyens, et non dans des dispositifs qui poseront inévitablement de nombreux problèmes.
Permettez-moi d’évoquer une expérience personnelle récente. Dans une rue de Montpellier, je suis tombé sur deux personnes qui se piquaient en plein jour, derrière une voiture, sans aucune condition d’hygiène, sur un trottoir où pouvaient passer des enfants. Leur état de délabrement avait de quoi vous retourner les tripes !
Je vous raconte cela parce que cette scène m’a beaucoup touché et pour vous faire comprendre que ces salles s’adressent à un public particulier. Ce ne sont pas des personnes qui se droguent dans de beaux appartements. Il s’agit d’un public sans domicile fixe, complètement paumé, qui se drogue dans la rue, dans des parkings. Vous n’allez pas poster des flics partout pour surveiller chaque coin de rue. Ce n’est pas vrai.
Il s’agit à la fois d’assistance à personne en grand danger – de personnes à la limite – et d’ordre public. Pour ce qui me concerne, je ne peux pas tolérer que de telles scènes aient lieu dans nos villes, parfois devant des enfants.
Face à ce phénomène, et parce que vous ne serez pas en mesure de poster des policiers partout, vous n’avez pas de solutions.
Loin des discours moralisateurs, il faut des solutions pragmatiques pour répondre à ces situations. Les salles de consommation à moindre risque y correspondent. Les personnes qui y travaillent font preuve d’abnégation et d’une grande rigueur. Cessons de les caricaturer. Au contraire, donnons-leur les moyens d’agir pour nous tous.
Nous sommes tous d’accord, madame la ministre, pour lutter contre la toxicomanie, mais la voie que vous nous proposez n’est pas la bonne. Vous proposez une rupture grave s’agissant des politiques de lutte contre les toxicomanies menées en France en ouvrant des salles de consommation de drogue, passant outre la décision du Conseil d’État et la loi de 1970, qui instaurait le principe de prohibition.
En outre, la loi ne sera plus la même pour tous selon que l’on consomme des substances stupéfiantes à l’intérieur des salles de shoot ou à l’extérieur. Drôle de conception de l’égalité devant la loi.
Drôle de conception encore de vouloir expérimenter des salles qui ont montré leurs limites ou qui ont été un échec dans les pays qui sont allés dans ce sens.
Par ailleurs, quel sera le coût de ces salles : un million d’euros par an et par salle. Il vaudrait mieux les consacrer à d’autres formes d’accompagnement.
Proposons d’aider les toxicomanes dépendants à s’extraire de leurs addictions par l’encouragement des méthodes de sevrage qui ont prouvé leur efficacité, avec le soutien de l’État aux communautés thérapeutiques : un modèle connu dans les pays anglo-saxons qui repose sur une méthode innovante, axée sur l’abstinence de tout produit modifiant le comportement et qui permet, sur une période d’accompagnement de deux à trois ans, à deux toxicomanes dépendants sur trois de retrouver une stabilité sociale et professionnelle durable.
C’est dans cette voie qu’il faut aller, madame la ministre. Nous vous demandons de revenir sur cette proposition qui ne va pas dans le sens que nous souhaitons et qui ne représente pas les valeurs que nous défendons.
Il faut dire clairement à nos concitoyens ce qu’est une salle de consommation à moindre risque. C’est un endroit où les toxicomanes apportent leur propre drogue et se font injecter des produits totalement illégaux sous surveillance médicale.
Admettre une telle pratique revient à mettre à néant tous les efforts de lutte contre les trafics de drogue engagés depuis un certain nombre d’années. On ne peut pas à la fois dire que l’on combat d’une façon déterminée les trafics de stupéfiants et, en même temps, autoriser que l’on apporte des drogues, ce qui est illégal, dans les centres d’injection. Il y a là un contresens considérable qui brouille complètement le message sur la lutte sans merci que l’on doit mener contre les drogues.
Autoriser ces centres d’injection est irresponsable et constitue une démission totale. Cela va simplement donner bonne conscience à un certain nombre de personnes. En France, nous avons une politique de prévention et de réduction des risques bien meilleure que celle qui existe dans d’autres pays.
On ne doit pas se cacher la vérité : un toxicomane est à la fois un malade et peut être un délinquant, car il enfreint la loi. Rappelons que dans les pays qui ont mis en place de tels centres, les infractions n’ont pas diminué, ni en matière de consommation de stupéfiants ni s’agissant des délits connexes, vols, violences, prostitution. Ces établissements n’ont donc, au final, aucune utilité. Ils n’enrayent pas les trafics et n’ont pas non plus d’impact sur le plan fondamental de la santé des toxicomanes.
Au lieu de garder les toxicomanes dans la dépendance et de les laisser mourir, il faut mettre en place une politique sur le sevrage encore plus efficace.
Ce texte n’est pas véritablement un marqueur de droite, chers collègues de l’opposition. Si j’ai bon souvenir, cette expérimentation avait été proposée par la précédente ministre de la santé, Roselyne Bachelot-Narquin.
« Absolument ! »
sur les bancs du groupe SRC.) Elle avait recueilli le soutien de l’ensemble des membres du groupe SRC dont je faisais partie.
S’agissant de l’autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, je me souviens, car j’étais rapporteure, vous aviez d’abord été d’accord, puis vous aviez totalement changé d’avis.
Aujourd’hui, ce que nous cherchons à faire, c’est une expérimentation pour les plus faibles, ceux qui sont totalement en dehors du système de soins et qui de toute façon n’iront pas dans les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogues. Je rappelle que ces centres ont été créés en 2004. S’ils avaient été opérants pour ces personnes, cela se saurait.
Nous proposons seulement de soigner des malades. Ne dites pas qu’il ne faut pas soigner des malades parce qu’ils sont délinquants. Ne pas agir, ne rien faire, c’est choisir de les laisser mourir dans l’indifférence, comme l’a rappelé notre collègue Roumegas.
Les salles de consommation, c’est pour aller vers eux. Il faut avoir une vision humaniste de notre société. C’est ce que soutiennent les radicaux de gauche et les députés apparentés à notre groupe.
Il ne s’agit en aucun, contrairement à ce que vous prétendez, une légitimation de la toxicomanie, un encouragement ou un « toxico-bar » comme certains le laissent penser dans leurs discours. Les usagers de la drogue seront accompagnés par des équipes pluridisciplinaires, des travailleurs sociaux, des militants associatifs.
Concernant les expériences qui ont été menées à l’étranger, les résultats sont significativement encourageants.
J’émets une réserve : le texte prévoit que les maires soient uniquement destinataires du rapport annuel sur le déroulement de l’expérimentation, alors qu’il faudrait qu’ils soient consultés sur ces projets.
La mise en place de salles de consommation à moindre risque ou salles de shoot est, avec l’article 9, légalisée. Il nous faut combattre la toxicomanie, nous en sommes tous d’accord. Mais pour combattre ce mal, il faut agir avec lisibilité et visibilité. Il faut de la cohérence.
Vous vous appuyez sur des expériences menées dans d’autres pays : je rappelle que sur six pays ayant tenté l’expérience que vous proposez, trois pays – l’Australie, la Suisse et le Canada – commencent à revenir sur cette idée, voire à y renoncer. Rappelons aussi que l’Allemagne a enregistré une augmentation de plus de 15 % du nombre de toxicomanes.
Cette mesure que vous présentez comme étant une mesure de santé publique, de sécurité sanitaire, aura des effets pervers et des conséquences dommageables.
Quels en seront les effets pervers ? D’une part, vous donnez un mauvais signal en banalisant par la loi la consommation de drogue. D’autre part, vous introduisez un changement d’orientation de la politique française de lutte contre les toxicomanies.
Parmi les conséquences dommageables figure le risque de favoriser les consommations de drogue au lieu d’orienter les toxicomanes vers les réseaux de soins. Vous ne pouvez le nier. En outre, vous fléchez des fonds vers les salles de shoot au détriment des actions de prévention et de l’information. À cet égard, j’espère que vous répondrez à M. Lurton qui vous a interrogée sur ce sujet.
Je crains, madame la ministre, que vous ne donniez un mauvais signal à notre jeunesse, aux familles en mettant à mal le besoin de repères indispensables pour qu’un être humain se construise.
Le projet de modernisation de notre système de santé est incohérent. D’un côté, il stigmatise le tabac et, de l’autre, il ouvre une voie à un usage légalisé de stupéfiants.
Les addictions aux substances psychoactives créent un état qu’il convient de traiter et non d’entretenir. Nous sommes bien entendu opposés à votre projet de salles de shoot ou de salles de réduction des risques. D’abord, parce qu’il existe des structures de prévention et d’accompagnement de soins, cela a été rappelé par Mme la présidente de la commission. Il faut améliorer les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA, nous vous avons soutenu sur ce point, madame la présidente. Il s’agit en effet de structures extrêmement performantes.
Ensuite, parce que les pays qui ont mené cette expérience sont peu nombreux et ceux qui l’ont engagée reviennent sur leur décision, car ils doutent de ses résultats. La Suisse a réduit le nombre de sites. Vancouver, contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, commence à douter également et semble prêt à arrêter. Enfin, certaines expériences ont eu des effets délétères comme à Montpellier où il y a eu des décès de toxicomanes en salle de shoot.
Enfin, la création de telles salles entraînera des dépenses, Philippe Goujon l’a rappelé : dépenses immobilières, dépenses d’équipements, rémunérations d’équipes. Ces dépenses sont évaluées à un million d’euros, ce qui n’est pas rien, 1,2 million d’euros à Paris pour une salle. Or combien de salles seront ouvertes dans le pays ?
Avec cet argent, nous pourrions mieux équiper les CSAPA et les CAARUD, les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogue,…
…ouvrir des appartements thérapeutiques car on manque de places.
En conclusion…
Si vous aviez confiance en vous, madame la ministre, et dans les expériences étrangères, pourquoi expérimenter en France sur une période de six ans ? On aurait pu le faire d’emblée, sans expérimentation.
Je voudrais dénoncer à la fois une contradiction et une illusion. Il est pour le moins contradictoire d’inscrire une telle disposition dans un texte relatif à la santé, c’est-à-dire un texte destiné à protéger, notamment les plus faibles. Or on ne protégera rien ni personne, vous le savez pertinemment.
Il est également contradictoire avec d’autres messages que vous délivrez dans ce texte. Alors que vous pourfendez le tabagisme avec des mots extrêmement durs, vous adoptez une position tout à fait laxiste à l’égard des drogues.
Comment voulez-vous que ceux qui liront votre loi, si par malheur elle était votée, comprennent la moindre chose à ces deux messages contradictoires ?
D’un côté, vous pénalisez le tabac et de l’autre, vous légalisez les salles de shoot.
Illusion ensuite. Tant Bernard Debré que Nicolas Dhuicq, médecins expérimentés, ont montré que vous ne régleriez rien en proposant l’ouverture de salles de consommation, au contraire. On peut craindre que cela ne contribue à augmenter les tendances addictives d’un certain nombre de ceux qui fréquenteront ces salles de consommation.
Enfin, je veux insister sur la précarité juridique de votre dispositif. Le Conseil d’État vous l’a rappelé l’an dernier lorsque vous avez voulu vous aventurer dans la création par voie réglementaire d’une salle de consommation à Paris. Vous avez été rattrapée par le Conseil d’État ainsi que par la Haute autorité de santé. Vous persistez dans la contradiction, l’illusion alors que votre dispositif législatif va à l’encontre d’un certain nombre d’autres dispositifs qui visent précisément à lutter contre l’utilisation et la consommation de drogue.
Depuis le début, je redoutais ces deux articles. J’avais raison, mais la manière dont nous en parlons est très digne.
Je rejoins mes collègues Lamblin et Perrut pour ne citer qu’eux. Il faudrait peut-être s’inspirer de ce que nous avons fait en matière de code de la route en prenant des mesures fortes afin de limiter le nombre d’accidents. Il faut faire en sorte d’éviter que le fléau de l’addiction n’explose dès le collège ou le lycée. Or si mes informations sont exactes, tel est déjà le cas et nos enfants et petits-enfants sont concernés.
S’agissant de l’article 9, il est évident que les exemples étrangers ne sont pas très concluants.
Pour moi, néanmoins, nous sommes face à un fléau. J’ai été sensible aux propos de M. Roumegas et, de fait, un jour ou l’autre, il faudra y venir : non seulement ces personnes sont de très grands malades, mais elles sont dans des états d’angoisse et de peur, à bout de toute croyance humaine, et ne sont pas capables de se gérer.
Je suis conscient que le signal envoyé par une telle décision sera peut-être mal perçu, surtout si c’est la France qui la prend, car notre pays possède – j’y crois toujours – une dimension universaliste, mais il faut parfois franchir le pas. J’ai retenu de la proposition de notre collègue de l’UMP que ces centres ne doivent pas faire peur et qu’ils doivent être installés à l’hôpital, au grand jour, avec le plus de sérénité possible.
Je voudrais vous livrer le témoignage de Julia, une habitante du quartier de La Chapelle – témoignage intéressant et un peu désespéré sur l’installation d’une salle de shoot dans ce quartier : « J’habite depuis plus de quinze ans, en tant que locataire – pour qu’on ne m’accuse pas d’avoir des propos motivés par des intérêts immobiliers –, le quartier de La Chapelle, proche de la Gare du Nord, et à moins de 300 mètres de huit établissements scolaires ou crèches accueillant près d’un millier d’enfants. C’est près de ce quartier qu’il est question d’ouvrir une salle de shoot.
« Personne ne se pose la question de l’augmentation des risques pesant sur les conditions de vie des habitants de ce quartier, qui sont déjà, depuis 2012, en constante dégradation. Ce quartier, coincé entre la Goutte d’Or et Stalingrad, subit déjà le report de trafics en tout genre de ces deux zones de sécurité prioritaires – ZSP –, dispositif mis en place par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur.
« On constate une concentration de toutes les problématiques. C’est une liste à la Prévert, mais qui n’a rien de poétique : une occupation illégitime et permanente de l’espace public, les parcs, jardins, trottoirs et dessous du métro aérien occupés par des vendeurs à la sauvette, des groupes d’hommes inactifs, des populations migrantes sans-abri, un défaut de propreté générant une situation sanitaire préoccupante, une insécurité quotidienne – vols à l’arraché et par ruse des téléphones et des sacs –, un accroissement de la prostitution et du racolage, un trafic de stupéfiants – occupation de halls d’immeubles, guetteurs dans la rue –, une recrudescence des incivilités, en particulier vis-à-vis des femmes, un renforcement des manifestations communautaires, un défaut de services de transport public – certains accès de métro sont fermés, suite à l’incapacité de maintenir la sécurité. »
Bref, vous organisez en plein Paris la ghettoïsation que vous prétendez combattre.
Tous les députés de cet hémicycle veulent lutter contre la toxicomanie, mais la différence entre nous est une différence d’approche. En effet, la réalité est qu’il y a dans notre pays des toxicomanes marginalisés qui échappent à tous les dispositifs existants et qui se droguent dans des conditions sanitaires déplorables – dans les jardins publics, dans les toilettes publiques, dans les parkings, dans les cages d’escalier ou à proximité des écoles.
Cette situation est en effet dramatique – d’abord pour eux, mais également pour les riverains. Face à cela, que propose l’opposition ? Le statu quo,…
… alors même que les acteurs de terrain nous demandent d’agir. Nous, nous ne nous résignons pas. Notre démarche d’expérimentation de salles de drogues à moindre risque est guidée par le seul objectif de la prévention. Il ne s’agit pas d’une lubie, mais d’une première étape dans le parcours de réduction des risques et de soins pour ces publics. L’expérimentation de ces salles de drogue à moindre risque a été faite dans plusieurs pays et a fait ses preuves – mes collègues en ont montré les résultats en matière de réduction des risques et de diminution des nuisances dans l’espace public.
Arrêtez donc de vouloir faire peur ! Il ne s’agit nullement de vouloir ouvrir des salles partout en France et de manière définitive. Bien au contraire, le Gouvernement fait preuve de pragmatisme, puisqu’il s’agit de répondre à des réalités, à la demande d’élus confrontés à des salles de drogue à ciel ouvert – c’est la députée de la Gare du Nord qui le dit.
Ce que vous dites est faux : nous ne sommes pas dans une zone de non-droit.
C’est une contrevérité ! Vous n’y habitez pas ! C’est du mépris des gens. Allez donc voir !
La réalité est là. Je veux donc saluer l’action du Gouvernement, qui agit sans brutalité et dans la concertation, à tous les stades de l’expérimentation – aussi bien pour l’ouverture de ces salles que pour la durée de leur exploitation. Alors, agissons, expérimentons, et bravo au Gouvernement !
Ce n’est pas possible d’être élue de cet arrondissement et de dire des choses pareilles !
Madame Orliac, sur ces bancs, nous sommes tous humanistes – du moins, je l’espère –, mais il faut avoir conscience de la réalité. M. Goujon a peut-être rappelé que, selon une étude réalisée en 2010-2011 par l’INSERM – organisme à propos duquel j’espère, madame la présidente de la commission, que vous émettrez moins de doutes que sur l’Académie de médecine –, ces centres – je le dis objectivement – sont capables d’orienter les usagers vers des structures de soins. Dès lors, pourquoi ne pas suivre notre proposition de placer ces centres d’expérimentation au niveau des établissements de santé ? L’étude montrait aussi qu’ils pouvaient aussi réduire l’injection en public, pour autant qu’ils couvrent les besoins – ce qui suppose un coût très important.
Cependant, ils semblent sans effet sur l’incidence du VIH du VHC, même si la promotion de l’hygiène de l’injection et la mise à disposition de matériel stérile, ainsi que la supervision de l’injection, peuvent se traduire par une diminution des abcès. Ils n’ont en outre aucun effet sur la consommation de drogues chez les usagers ou dans la communauté, ni sur les délits liés à l’acquisition de drogues dans les zones où ils sont implantés. L’existence sporadique de nuisances – rassemblement de consommateurs ou de dealers – a été rapportée.
D’après l’INSERM, les coûts d’implantation et d’exploitation de ces centres sont importants. Nous faisons bien des propositions, chère collègue – c’est ainsi que nous déposons, avec M. Jean-Pierre Door et les membres du groupe UMP, un amendement tendant plutôt à une expérimentation dans le cadre des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues – CAARUD.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, dernier orateur inscrit sur l’article.
La situation que tente de traiter le Gouvernement est compliquée et je comprends bien les différents rappels à l’humilité formulés tout à l’heure par Mme la présidente de la commission et Mme la ministre.
Nous n’en avons pas moins une différence d’approche. Tout d’abord, le dispositif que vous voulez mettre en place n’aura aucune efficacité pour la santé des toxicomanes, car il contribue à les maintenir dans leur état : il est difficile de parler de prévention dans ce cas.
Deuxièmement, vous semblez ne tenir aucun compte des expériences étrangères. Je suis en effet surpris d’entendre certains de nos collègues affirmer que les expériences menées à l’étranger auraient été concluantes, alors qu’elles sont partout en repli, que certains dispositifs qui étaient ouverts sont en train de fermer, qu’aucun pays n’a envisagé de déployer ce dispositif et de le généraliser ou de l’ouvrir davantage sur son propre territoire et que six pays seulement, à ma connaissance, l’ont expérimenté jusqu’à présent.
Troisièmement, il faut également tenir compte de tous les effets induits. De fait, vous ne donnez pas l’impression de prendre en compte l’ensemble des perturbations que causera l’installation de tels dispositifs dans l’environnement, ni des conséquences symboliques et matérielles qu’ils auront sur l’ordre public en général.
Ce sont ces différents aspects que nous contestons et c’est la raison pour laquelle je défendrai tout à l’heure un amendement de suppression de cet article.
Nous en avons terminé avec la liste des inscrits.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Il faut savoir de qui on parle ! Si certains s’expriment par dogmatisme, d’autres le font par méconnaissance. De fait, on ne peut pas tout connaître – ce n’est pas une accusation : c’est ainsi.
Pour une fois, je ferai part de mon expérience de quinze ans dans un réseau de réduction des risques, à Toulouse – l’un des premiers, que nous avons mis en place en 1995 et qui a du reste été pris en exemple voilà cinq ans comme étant l’un des plus efficients.
Les salles de consommation s’adressent à des personnes qui ne sont plus dans le droit commun, qui sont en rupture familiale, qui vivent dans des squats, au mieux dans des groupes – mais des groupes dans la rue –, qui n’ont même pas la CMU, alors qu’ils y ont droit. Au mieux, ils vont de temps à autre voir un pharmacien pour l’échange de seringues. Ils n’ont pas de toit et ont, à un moment donné, besoin d’un lien, toujours le même, au même endroit. Je le répète, ce sont des gens avec lesquels on travaille vraiment à petits pas.
J’entends parler de coût. S’il vous plaît ! Le coût arrive vraiment au deuxième plan ! Ces gens ont parfois vingt ans et sont en rupture familiale depuis l’âge de quatorze ou quinze ans – j’ai des visages en tête. Parfois, ils se trouvent à 600 kilomètres de leur lieu de résidence familiale et leurs parents ne savent même pas ce qu’ils sont devenus, ni où ils sont. Je n’invente rien : je parle de l’expérience, de la réalité.
Quand ces gens ont la chance de trouver une pharmacie qui s’ouvre à eux, il faut parfois un an, voire deux, trois ou quatre, avant qu’ils ne commencent à ouvrir la porte de leur vie et à dire qu’ils en ont assez de vivre comme ça – et ce n’est que le début, une toute petite marche ! On n’est pas encore à la fin du parcours.
Ces salles de consommation s’adressent à ces gens qui ont disparu du radar de notre société, en un sens très large – radar amical et familial, radar du droit commun, radar des droits à la Sécurité sociale, aux allocations logement, aux allocations familiales. Bref : des gens en perdition, au bout du bout de la chaîne, qui ont une espérance de vie de 35, 40 ou 45 ans.
C’est ce que j’ai appelé tout à l’heure la solution graduée complémentaire. Ces salles de consommation ne sont pas la solution unique. Je reconnais en effet tout ce qui a déjà été mis en place, mais ces gens-là échappent aux solutions existantes. Ils n’iront pas dans les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie – CSAPA –, ni dans les CAARUD, et ne savent même pas ce que c’est que la salle d’attente d’un médecin.
Ces salles de consommation, je le répète, ne sont pas la solution unique – ce serait trop facile –, mais une solution pour rattraper certains jeunes, ou moins jeunes, en rupture de tout. Contrairement à ce que vous dites, ces salles ne sont pas faites pour augmenter leur consommation, mais pour que vienne un moment où une main leur soit tendue et pour qu’un jour ils mettent leur main dans cette main pour dire qu’ils voudraient éventuellement faire quelque chose pour s’en sortir.
En entendant tout ce qu’ont dit certains de mes collègues, complètement à côté de la réalité, je voudrais leur proposer de venir faire un stage dans un squat ou dans la rue pour voir exactement ce qu’il en est.
Je conclurai en vous posant une seule question : trouvez-vous acceptable qu’une personne se pique dans la rue, au vu et au su de tous, voire à cent mètres d’une école ou dans un bac à sable ? Cette image vous paraît-elle acceptable ? Je suis sûr que vous répondrez : non.
À cette question, l’une des réponses est précisément la salle de consommation. Excusez-moi, mais en disant cela, je pense avoir raison pour cette population, ou du moins pour une partie de cette population.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Quelques mots seulement puisque je me suis exprimée tout à l’heure en ouverture de l’article 8, en indiquant que la politique portée par le Gouvernement était un tout.
Je veux répéter ce qui vient d’être présenté par Mme la présidente de la commission : en matière de prévention des risques, il n’y a pas une solution et une seule, et c’est vrai même pour les politiques de prévention les plus classiques.
Les tests de dépistage, par exemple, se faisaient il y a quelques années uniquement dans le cadre hospitalier, avec une tonalité sanitaire très forte. Or on s’est aperçu que certains patients, des hommes principalement, n’avaient pas l’envie d’aller dans ce cadre-là : c’est pour cela que les associations ont déployé des tests rapides. Aujourd’hui, on s’aperçoit que certains hommes ne veulent aller ni à l’hôpital, ni chez un médecin, ni dans une association ; on met donc à disposition des autotests.
Concernant les toxicomanes utilisateurs de drogues dures, nous sommes face à la même situation. La seule question qui vaille est : que fait-on face à ces hommes et à ces femmes qui sont éloignés de tout, qui n’ont accès à rien et ne cherchent rien, à ces hommes et à ces femmes qui ont été marginalisés au fil des années ? Votre réponse consiste à dire « Trouvons autre chose ! », mais on ne sait pas quoi.
Au fond, notre position n’est pas une position morale ; ce n’est pas un jugement de valeur : nous regardons la réalité telle qu’elle est, en essayant de faire évoluer progressivement cette réalité et d’apporter des réponses – des réponses sociales, des réponses d’accompagnement, des réponses thérapeutiques – à des hommes et à des femmes qui sont totalement ailleurs.
Pourquoi expérimenter, monsieur Door, si cela se fait dans d’autres pays ? Parce que dans chacun des autres pays où cela se fait, les modalités de mise en oeuvre sont différentes. Contrairement à ce qui se dit et contrairement à ce que vous relayez, il n’y a pas de fermeture de ces salles de consommation à moindre risque.
Il y a éventuellement des évolutions, mais il n’y a pas de fermeture, en particulier en Suisse et en Australie. Chaque pays a ses caractéristiques…
…et c’est pour cela que nous expérimentons. C’est aussi une façon de dire aux collectivités locales qu’elles ont la responsabilité de s’engager ou pas dans cette expérimentation.
L’un de vos collègues, M. Lurton, me demandait tout à l’heure combien de salles nous allions ouvrir : je lui répondrai que ces salles étant des expérimentations, il faut que des collectivités s’engagent avec des associations. Les cahiers des charges seront évidemment examinés au niveau national. Vous le voyez, monsieur le député, chacun assume ses responsabilités ; le Gouvernement assume les siennes.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la santé.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly