La proposition de résolution que je rapporte aujourd'hui a été adoptée il y a quinze jours par la Commission des affaires européennes ; notre collègue Yves Daniel en était le rapporteur.
L'agriculture biologique répond à un souci croissant de notre société de remettre l'alimentation au coeur du débat public. Elle contribue, par le fort niveau d'engagement réglementaire auquel elle est soumise, à donner – et redonner – confiance aux consommateurs dans leur alimentation quotidienne.
Elle peut se définir comme un système d'exploitation agricole s'interdisant l'utilisation de substances de synthèse et s'inscrivant de manière plus large dans une gestion durable de l'agriculture en termes environnementaux et de bien-être animal. Elle répond à une logique d'alimentation de proximité et de saisonnalité, et au souci d'éviter le gaspillage alimentaire.
L'agriculture biologique représentait un marché de plus de 4,5 milliards d'euros en France en 2013 ; c'est un secteur en croissance continue, qui a doublé entre 2007 et 2012. Les produits issus de l'agriculture biologique représentent 2,5 % du marché alimentaire ; les Français sont près d'un sur deux à consommer « bio » au moins une fois par mois.
Les importations ont fortement diminué au cours des dernières années, passant de près de 40 % en 2009 à 25 % en 2012. Il s'agit pour 44 % de produits exotiques, qui ne sont pas disponibles en France métropolitaine. Les ventes de produits issus de l'agriculture biologique à l'extérieur de la France, constituées à 60 % par les ventes de vins, sont estimées à 380 millions d'euros en 2013, ce qui représente une hausse de plus de 20 % par rapport à 2012.
Je me réjouis de cette quasi-autonomie alimentaire dans ce domaine, car j'estime qu'il est plus logique que ce type de produits répondent en premier lieu aux besoins des populations locales.
L'agriculture biologique est régie par le règlement (CE) n° 8342007. La Commission européenne a publié en mai 2012 un rapport sur l'application de ce règlement, qui concluait à la nécessité de mener une réforme de la législation sur l'agriculture biologique afin notamment d'assurer un meilleur contrôle et de rationaliser le système d'importation. La Commission a soumis au Parlement européen et au Conseil européen un projet de règlement en mars 2014. Elle a annoncé qu'elle retirerait sa proposition de règlement si celle-ci n'était pas adoptée par les deux instances précitées avant la fin du premier semestre 2015. Le Conseil semble sur le point de parvenir à un accord. Quant au vote en plénière au Parlement européen, il devrait intervenir d'ici au mois de septembre 2015.
Je suis très attachée à l'élaboration d'un texte respectant le délicat équilibre entre confiance du consommateur – indispensable à la croissance du marché des produits issus de l'agriculture biologique – et le développement de la production qui suppose, sinon l'allégement, au moins la non-aggravation de certaines contraintes. Il faudra que la Commission interprète de manière souple le délai qu'elle s'était initialement fixé, afin de laisser le temps nécessaire aux institutions pour parvenir à un compromis satisfaisant pour l'ensemble des parties.
On constate aujourd'hui une application non harmonisée du règlement. Premièrement, les règles applicables à l'agriculture biologique peuvent varier d'un État membre à l'autre, notamment selon l'activation ou non des dérogations prévues par le règlement. La mise en oeuvre des dérogations aux règles communes relatives à l'agriculture biologique peut avoir des effets délétères. Ainsi, les États membres peuvent autoriser l'utilisation de semences non biologiques non traitées si des semences biologiques ne sont pas disponibles. Or la base de données nationale des semences disponibles n'est pas identique d'un État membre à l'autre. Comme le prix des semences biologiques est plus élevé que celui des semences non bio, les producteurs d'un pays dont l'État reconnaît peu de semences biologiques disponibles bénéficient d'un avantage par rapport à leurs concurrents.
Deuxièmement, il existe des lacunes importantes en matière d'harmonisation des règles relatives aux contrôles entre les États membres.
La proposition formulée par la Commission est intéressante à plusieurs égards. D'une part, elle permet la simplification et la sécurisation du système d'importation, en prévoyant de soumettre les produits en provenance des pays tiers, pour lesquels il n'existe pas d'accord d'équivalence, à l'obligation de conformité totale avec les règles européennes ; cela permet d'éviter d'éventuelles distorsions de concurrence et d'assurer aux consommateurs un niveau élevé d'assurance.
D'autre part, la certification de groupe offre aux producteurs la possibilité de mutualiser les coûts, ce qui facilitera la conversion des exploitations vers la production biologique – qui, en outre, s'inscrit parfaitement dans la logique collective promue par la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt adoptée par notre commission.
Malheureusement, la proposition initiale de règlement de la Commission posait certaines exigences inacceptables, à commencer par l'interdiction des exploitations mixtes. La proposition de règlement impose qu'à l'issue de la période de conversion, les exploitations biologiques ne puissent plus comporter d'unités de production conventionnelle. J'estime cette approche très partiale et partielle. En effet, elle se fonde sur une approche très idéologique au mépris des réalités économiques d'un secteur en plein développement. Si l'on peut admettre, à terme, l'objectif d'exploitations produisant uniquement d'une manière biologique, il faut également reconnaître la difficulté de le mettre en pratique dans un futur proche : l'interdiction de la mixité aurait pour conséquence la disparition de 25 % des exploitations biologiques françaises. En outre, il ne faut pas négliger le fait que la possibilité de pratiquer la mixité peut constituer une approche « douce » assurant l'équilibre économique de l'exploitation pendant une période de transition qu'il est difficile d'estimer a priori au regard de la diversité des critères entrant en jeu.
La mixité ne résulte d'ailleurs pas toujours d'un choix : elle peut être subie, par exemple dans le cas de produits souffrant de l'absence d'une filière allant de l'amont à l'aval – je pense notamment à la betterave sucrière. Enfin, en soutenant qu'il existe un plus grand risque de fraude dans les exploitations mixtes, on néglige le fait qu'il existe toujours la possibilité de séparer juridiquement les unités de production biologique et conventionnelle en deux exploitations distinctes : dans ce cas, l'organisme certificateur ne peut contrôler que l'exploitation biologique sans avoir accès, par exemple, à la liste des produits non autorisés achetés par l'exploitation conventionnelle.
Par ailleurs, la Commission européenne a prévu de substituer la méthode d'analyse des risques à la fréquence minimale d'un contrôle physique par an par exploitation. Ce changement d'approche dans la mise en oeuvre des contrôles risque, à mon sens, d'entamer la confiance des consommateurs dans les produits issus de l'agriculture biologique.
Enfin, la Commission prévoit l'instauration d'un seuil maximal de présence de résidus de substances non autorisées en production biologique et, au-delà de ce seuil, le déclassement des produits biologiques en produits conventionnels. Elle instaure de ce fait une obligation de résultat venant remplacer l'obligation de moyens qui prévalait jusqu'à présent. La mise en oeuvre de cette mesure pose de nombreuses questions, notamment sur l'indemnisation en fonction de l'origine de la contamination.
La proposition de résolution européenne soutenue par la Commission des affaires économiques vise à parvenir à un compromis plus équilibré, s'établissant sur quatre axes. Premièrement, il convient de ne pas précipiter l'interdiction de la mixité : j'estime que la proposition de résolution transmise par la Commission des affaires européennes constitue de ce point de vue un juste équilibre car, si je partage l'objectif de la Commission européenne de supprimer, à terme, de la mixité des modes de production par les exploitations à l'issue de la période de conversion, j'appelle néanmoins votre attention sur l'impossibilité de fixer une date d'interdiction, à moins de déprimer fortement le développement de l'agriculture biologique.
Deuxièmement, il importe de définir des règles relatives au bien-être animal mesurées et proportionnées : c'est pourquoi la proposition de règlement renforce de manière substantielle les règles applicables qui peuvent s'avérer problématiques selon l'interprétation qui en est faite.
Troisièmement, la problématique du seuil de déclassement des produits biologiques doit s'intégrer dans un cadre plus large. Bien que consciente de l'intérêt de la proposition visant à déclasser les produits biologiques dès lors qu'ils comportent un niveau de résidus supérieur à un seuil déterminé, j'estime que la réflexion n'est pas encore mûre à ce stade. Il conviendrait donc plutôt de renforcer les contrôles en cas de détection de substances non autorisées, afin de déterminer les causes de la contamination. Je suis en faveur d'un compromis visant à harmoniser les pratiques de détection des résidus, tout en introduisant une notion de proportionnalité des sanctions en fonction de l'origine de la contamination.
Quatrièmement, après avoir rencontré l'ensemble des représentants de la profession, je suis convaincue de l'importance, notamment vis-à-vis des consommateurs, du maintien d'un contrôle physique des exploitations au moins une fois par an. Les agriculteurs y sont également très attachés car ce contrôle représente, selon leurs propres dires, une véritable occasion de « se mettre à jour » en matière d'évolutions réglementaires : de ce point de vue, ce contrôle est plutôt vécu comme un partenariat – à la différence des contrôles effectués dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), que les professionnels ressentent souvent comme une sanction.