Intervention de Laurence Payrastre

Réunion du 8 avril 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Laurence Payrastre, biologiste à l'Unité Xénobiotiques de l'INSERM :

Les données de l'estimation du risque et de la présomption d'un lien dans les populations professionnellement exposées telles qu'elles vous ont été présentées par ma collègue ne permettent pas d'affirmer l'existence d'une relation de causalité. Pour appuyer les résultats des études épidémiologiques et apporter des éléments de réponse quant à la plausibilité de la relation entre pesticides et santé chez les professionnels, nous avons recherché, dans le cadre de l'expertise, si les mécanismes d'action des pesticides évoqués pouvaient être comparables à ceux qui sous-tendent certaines pathologies.

Les pesticides sont des composés biologiquement actifs. On sait qu'ils peuvent conduire à l'altération de l'intégrité du matériel génétique. Certains peuvent induire une dérégulation de la prolifération cellulaire ou du processus de mort cellulaire programmée. Ils peuvent aussi perturber des systèmes intracellulaires très complexes qui permettent la transmission des messages de l'extérieur d'une cellule jusque vers le patrimoine génétique et qui induisent la réponse cellulaire, et donc la réponse de l'organisme.

Les différentes perturbations que je viens de citer, consécutives à l'impact de certains pesticides, font partie d'un ensemble de processus plus complexes qui conduisent à la cancérogénèse et à certaines perturbations du système nerveux central. On peut donc établir, pour certains composés, une association entre hypothèse mécanistique et données épidémiologiques sur les pathologies. Les effets cellulaires et moléculaires des pesticides évoqués représentent effectivement des arguments plausibles en faveur d'un rôle incident de ces composés dans le développement de la maladie de Parkinson, des leucémies, de lymphomes et du cancer de la prostate.

Bien que beaucoup d'études menées sur des modèles cellulaires in vitro ou sur des modèles animaux aient été conduites, on reste aujourd'hui encore assez prudent et les conclusions ne sont pas toujours très nettes, pour différentes raisons.

Premièrement, il y a une grande hétérogénéité dans les études expérimentales, selon qu'elles s'intéressent aux voies d'exposition, aux doses, à la fréquence ou à la période d'exposition. Deuxièmement, on sait que les pathologies sont multifactorielles. Troisièmement, enfin, l'exposition des professionnels ne concerne pas un seul composé, mais plusieurs, et les valeurs toxicologiques de référence telles qu'elles sont déterminées pour l'autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides concernent des molécules seules. Or en cocktails, les pesticides peuvent avoir des effets divers et pas toujours prédictibles. Certains sont simplement additifs, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'interaction spécifique entre les composés et que les effets résultent seulement d'une addition des doses. D'autres peuvent être synergiques, résultant d'une interaction complexe des composés entre eux. Peuvent également être observés des effets antagonistes ou de potentialisation. Il existe aussi des mélanges qui n'exercent pas d'impact comparativement aux pesticides seuls, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'interaction des composés.

La problématique est donc assez complexe, d'autant que, contrairement à ce que l'on pensait au départ, des interactions entre composés peuvent être aussi observées à très faible dose. En outre, les ratios des composés dans un mélange sont un élément déterminant pour la survenance et la nature des effets.

Aujourd'hui, des modèles mathématiques sont développés pour essayer de définir et de prédire l'effet des mélanges, mais ils présentent certaines limites. Il faut encore améliorer nos connaissances. À cet égard, une recommandation de l'expertise est de développer des démarches expérimentales consensuelles beaucoup plus représentatives de la réalité du terrain du point de vue des voies d'exposition, des doses, des ratios et de la chronicité de l'exposition. Un autre effort devrait porter sur les données sur l'exposition réelle et le lien avec les pathologies.

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