Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du 8 avril 2015 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • biologique
  • expertise
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  • phytosanitaire
  • substance
  • Écophyto

La réunion

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Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a organisé une table ronde sur les produits phytosanitaires, avec la participation de Mme Laurence Payrastre, biologiste à l'Unité Xénobiotiques de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ; Mme Geneviève Van Maele, professeur au Centre de toxicologie et de pharmacologie de l'Université catholique de Louvain ; M. François Veillerette, porte-parole et ancien président de Générations Futures ; M. Jérôme Audurier, exploitant du réseau DEPHY ; M. Benoît Drouin, président du réseau agriculture durable (RAD) ; M. Daniel Evain, producteur, représentant la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB), et Mme Eugénia Pommaret, directrice générale de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En votre nom à tous, je souhaite la bienvenue à des magistrats et des rapporteurs de la Cour des comptes qui sont en formation professionnelle.

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire suit avec un intérêt particulier la question de l'utilisation des produits phytosanitaires. Nous avons auditionné le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, le 17 juillet 2013, sur l'agro-écologie. Nous avons aussi examiné, en janvier 2014, avec notre rapporteure Brigitte Allain, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national.

À la suite des mauvais résultats obtenus dans le cadre du plan Ecophyto lancé en 2008, le ministre de l'agriculture a présenté, le 30 janvier 2015, un nouveau plan dont l'objectif est de réduire l'usage des pesticides en France de 50 % d'ici à 2025, avec un premier palier de diminution de 25 % d'ici à 2020. Il s'est appuyé sur les conclusions du rapport de M. Dominique Potier, remis en novembre 2014 et intitulé Pesticides et agro-écologie : les champs du possible. Notre collègue nous a présenté son rapport le 10 février dernier.

Poursuivant ses travaux sur le sujet, la Commission attend de cette table ronde de mieux comprendre l'intérêt d'une démarche globale associant le choix des cultures et des systèmes de culture, mais aussi les équipements, la formation des professionnels, le fonctionnement des filières et des marchés, la prise en compte des consommateurs, l'aménagement et la gestion de l'espace ou encore les différentes politiques publiques.

Je souhaite la bienvenue à nos intervenants et leur laisse la parole.

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Marie-Christine Lecomte, directrice de recherches à l'INSERM

Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous présenter très succinctement les principaux constats de l'expertise collective INSERM sur les pesticides et leurs effets sur la santé. Cette expertise répond à une saisine de la Direction générale de la santé. Il s'agissait de faire un bilan de la littérature scientifique internationale sur les effets sanitaires, d'abord, d'une exposition professionnelle liée aux activités agricoles, c'est-à-dire d'évaluer le lien potentiel entre une exposition professionnelle aux pesticides et la survenue d'une pathologie chronique. N'ont pas été abordées dans ce travail les intoxications aiguës. Il nous a, ensuite, été demandé d'aborder les conséquences d'une exposition au cours de la grossesse et de la petite enfance. Enfin, notre dernier objectif était d'identifier les familles ou substances actives pouvant être impliquées dans ces pathologies.

Pour mener cette expertise à bien, nous nous sommes appuyés sur trois disciplines. La première est l'expologie, qui permet de mesurer les expositions, l'exposition étant un élément clé en épidémiologie environnementale et professionnelle. Il faut savoir à quels pesticides les professionnels ont été exposés, ce qui n'est pas si facile quand plus de 1 000 substances actives ont été mises sur le marché, souvent commercialisées en présence d'adjuvants. Les adjuvants ne sont d'ailleurs pas toujours considérés dans les études toxicologiques. Il faut également déterminer à quelle dose les professionnels ont été exposés et pendant combien de temps.

Deuxième discipline : l'épidémiologie, c'est-à-dire l'étude de la fréquence et de la répartition dans le temps et dans l'espace des problèmes de santé dans des groupes humains. Elle permet une estimation du risque ou de la probabilité de survenue d'un effet néfaste pour une population donnée à partir de l'évaluation de l'exposition.

Pour appuyer et conforter les données obtenues en épidémiologie, la troisième discipline sollicitée est la toxicologie, afin d'identifier les mécanismes cellulaires et moléculaires potentiellement induits par les pesticides, qui pourraient participer à la survenue d'une pathologie.

Deux des experts qui ont été réunis par l'INSERM pour réaliser ce travail sont Mme Geneviève Van Maele et Mme Laurence Payrastre, ici présentes.

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Geneviève Van Maele, professeur au Centre de toxicologie et de pharmacologie de l'Université catholique de Louvain

Compte tenu des contraintes liées à cet exposé, je n'aborderai, de manière synthétique, que l'approche épidémiologique. Cette approche prend toute son importance dans la mesure où aucune procédure d'évaluation des risques de substances chimiques, quelle qu'elle soit, basée principalement sur des données animales, ne permet d'apporter une certitude quant à leur innocuité pour l'homme. Après la mise sur le marché de ces substances, une surveillance des populations potentiellement exposées est donc essentielle. C'est là qu'interviennent les études épidémiologiques.

À première vue, la problématique de l'approche épidémiologique pourrait sembler très simple : l'exposition aux pesticides est-elle responsable d'un effet sur la santé ? En réalité, elle se heurte à bien des difficultés. La première est liée au terme même de « pesticides », qui englobe toute une série de substances très variées, définies différemment dans les études épidémiologiques, tantôt selon leur cible – on parle alors d'insecticides, d'herbicides ou de fongicides –, tantôt selon leur mécanisme d'action – les destructeurs endocriniens, inhibiteurs de cholinestérase –, tantôt selon leur classe chimique, organophosphorée, organochlorée, triazine et autres, et très rarement selon leur matière active, comme le glyphosate, le DDT ou l'atrazine. Cela rend très complexe la comparaison des résultats rapportés dans les différentes études.

Une autre difficulté est liée à l'exposition, qui est souvent multiple et variable dans le temps. Les substances sont rarement précisées, de même que les niveaux d'exposition. Autre difficulté, liée aux effets sur la santé eux-mêmes, les pathologies sont souvent mal définies et, sous une même dénomination – leucémie, par exemple –, sont repris différents types et sous-types de pathologies qui n'ont pas nécessairement la même étiologie. Pour garder l'exemple des leucémies, il y a des leucémies aiguës ou chroniques, myéloïdes ou lymphocytiques, et bien d'autres types encore.

Certaines pathologies sont parfois difficiles à définir. C'est le cas, par exemple, de la maladie de Parkinson par rapport au syndrome parkinsonien. De plus, la classification des pathologies a évolué dans le temps selon l'état d'avancement des connaissances, ce qui complique encore la comparaison des résultats.

Sans prétendre à l'exhaustivité, le bilan de l'expertise INSERM a été établi en se fondant sur l'association entre l'exposition professionnelle à tous types de pesticides et les pathologies étudiées chez l'adulte. Il a conclu à une présomption forte de l'existence d'un lien pour les lymphomes non hodgkiniens, le cancer de la prostate, le myélome multiple et la maladie de Parkinson. Une présomption moyenne a été rapportée pour les leucémies, la maladie d'Alzheimer, les troubles cognitifs et l'impact sur la fertilité et la fécondabilité.

Chez les enfants, l'analyse des études a permis d'établir que, dans des populations professionnellement exposées durant la grossesse, une présomption forte a été rapportée concernant les leucémies, les tumeurs cérébrales et les malformations congénitales, une présomption moyenne concernant les morts foetales et une présomption faible concernant le neurodéveloppement.

Dans les populations exposées au domicile, un niveau de présomption fort a été attribué pour les leucémies chez l'enfant et le neurodéveloppement, et un niveau moyen pour les malformations congénitales.

S'agissant des familles et substances potentiellement impliquées dans les excès de risques, la littérature disponible est extrêmement variable d'une substance à l'autre et d'une pathologie à l'autre. Une mise en garde s'impose : ce n'est pas parce qu'une substance a été davantage étudiée qu'elle est potentiellement plus dangereuse ; inversement, ce n'est pas parce qu'une substance n'a pas été étudiée qu'on peut conclure à l'absence d'effets.

Je ne vais reprendre ici que le bilan des études analysées sur l'exposition aux substances actives autorisées en France et en Europe.

Un fort niveau de présomption n'a été attribué à aucune substance étudiée. Un niveau de présomption moyen a été rapporté pour le lien entre le chlorpyriphos et les leucémies, le chlorpyriphos et le neurodéveloppement de l'enfant, entre le mancozèbe, le manèbe et les leucémies, de même qu'avec les mélanomes, entre le 2,4-D et les lymphomes non hodgkiniens et entre le glyphosate et les lymphomes non hodgkiniens. Un niveau de présomption faible a été attribué au lien entre chlorpyriphos et lymphomes non hodgkiniens et entre mancozèbe, manèbe et maladie de Parkinson, de même qu'entre MCPA et Mecoprop et lymphomes non hodgkiniens, et glyphosate et mort foetale.

Compte tenu des moyens humains limités et des contraintes de temps liées à cette expertise, toutes les pathologies n'ont pas pu faire l'objet de notre revue. Les données épidémiologiques que je vous ai rapportées sont renforcées par la mécanistique qui va vous être présentée par Laurence Payrastre.

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Laurence Payrastre, biologiste à l'Unité Xénobiotiques de l'INSERM

Les données de l'estimation du risque et de la présomption d'un lien dans les populations professionnellement exposées telles qu'elles vous ont été présentées par ma collègue ne permettent pas d'affirmer l'existence d'une relation de causalité. Pour appuyer les résultats des études épidémiologiques et apporter des éléments de réponse quant à la plausibilité de la relation entre pesticides et santé chez les professionnels, nous avons recherché, dans le cadre de l'expertise, si les mécanismes d'action des pesticides évoqués pouvaient être comparables à ceux qui sous-tendent certaines pathologies.

Les pesticides sont des composés biologiquement actifs. On sait qu'ils peuvent conduire à l'altération de l'intégrité du matériel génétique. Certains peuvent induire une dérégulation de la prolifération cellulaire ou du processus de mort cellulaire programmée. Ils peuvent aussi perturber des systèmes intracellulaires très complexes qui permettent la transmission des messages de l'extérieur d'une cellule jusque vers le patrimoine génétique et qui induisent la réponse cellulaire, et donc la réponse de l'organisme.

Les différentes perturbations que je viens de citer, consécutives à l'impact de certains pesticides, font partie d'un ensemble de processus plus complexes qui conduisent à la cancérogénèse et à certaines perturbations du système nerveux central. On peut donc établir, pour certains composés, une association entre hypothèse mécanistique et données épidémiologiques sur les pathologies. Les effets cellulaires et moléculaires des pesticides évoqués représentent effectivement des arguments plausibles en faveur d'un rôle incident de ces composés dans le développement de la maladie de Parkinson, des leucémies, de lymphomes et du cancer de la prostate.

Bien que beaucoup d'études menées sur des modèles cellulaires in vitro ou sur des modèles animaux aient été conduites, on reste aujourd'hui encore assez prudent et les conclusions ne sont pas toujours très nettes, pour différentes raisons.

Premièrement, il y a une grande hétérogénéité dans les études expérimentales, selon qu'elles s'intéressent aux voies d'exposition, aux doses, à la fréquence ou à la période d'exposition. Deuxièmement, on sait que les pathologies sont multifactorielles. Troisièmement, enfin, l'exposition des professionnels ne concerne pas un seul composé, mais plusieurs, et les valeurs toxicologiques de référence telles qu'elles sont déterminées pour l'autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides concernent des molécules seules. Or en cocktails, les pesticides peuvent avoir des effets divers et pas toujours prédictibles. Certains sont simplement additifs, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'interaction spécifique entre les composés et que les effets résultent seulement d'une addition des doses. D'autres peuvent être synergiques, résultant d'une interaction complexe des composés entre eux. Peuvent également être observés des effets antagonistes ou de potentialisation. Il existe aussi des mélanges qui n'exercent pas d'impact comparativement aux pesticides seuls, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'interaction des composés.

La problématique est donc assez complexe, d'autant que, contrairement à ce que l'on pensait au départ, des interactions entre composés peuvent être aussi observées à très faible dose. En outre, les ratios des composés dans un mélange sont un élément déterminant pour la survenance et la nature des effets.

Aujourd'hui, des modèles mathématiques sont développés pour essayer de définir et de prédire l'effet des mélanges, mais ils présentent certaines limites. Il faut encore améliorer nos connaissances. À cet égard, une recommandation de l'expertise est de développer des démarches expérimentales consensuelles beaucoup plus représentatives de la réalité du terrain du point de vue des voies d'exposition, des doses, des ratios et de la chronicité de l'exposition. Un autre effort devrait porter sur les données sur l'exposition réelle et le lien avec les pathologies.

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Eugénia Pommaret, directrice générale de l'Union des industries de la protection des plantes, UIPP

Les produits phytosanitaires à usage agricole, dits « pesticides », englobent énormément de substances et de produits. Ces produits phytosanitaires sont encadrés par une réglementation européenne spécifique au regard de leur mise sur le marché, de leur évaluation, du suivi post-AMM, de leur utilisation par des professionnels.

Nous ne contestons pas la dangerosité des produits phytosanitaires. C'est précisément parce qu'ils présentent des caractéristiques pouvant générer des risques que les phases de mise sur le marché et post-AMM sont extrêmement encadrées. Mais s'ils sont mis sur le marché, c'est afin d'aider à la poursuite des cultures en combattant les maladies, les ravageurs et essentiellement les mauvaises herbes.

Pour mener à bien une production agricole saine et capable de répondre aux besoins des consommateurs, il est nécessaire, quel que soit le type d'agriculture, de protéger les cultures. La question est de choisir avec quels produits. Cela peut être avec ceux qui ont un mode d'action chimique, qu'ils soient issus de la chimie de synthèse ou constitués de molécules naturelles, celles-là utilisées depuis fort longtemps. L'agriculture biologique a recours à la chimie dite « naturelle », avec des produits comme le cuivre ou le soufre, qui représente environ un quart du tonnage des produits phytosanitaires. Les produits de biocontrôle, aujourd'hui en plein essor et qui représentent 3 % du marché, offrent un autre mode d'action, selon des méthodes biologiques qui consistent à reproduire ce qui se passe dans la nature.

La réglementation évolue en permanence. Nous sommes aujourd'hui sous l'égide d'un règlement qui date de 2009 et qui soumet l'ensemble des États membres de l'Union européenne aux mêmes principes d'évaluation.

D'abord, le principe d'innocuité par rapport à l'environnement. Plus de 300 études en moyenne sont nécessaires avant la mise sur le marché d'un produit. Cela représente environ dix ans de recherche. Suit une phase pendant laquelle seront déterminés les risques liés à l'utilisation de ce produit, compte tenu des pratiques des agriculteurs. S'il obtient l'AMM, l'étiquette apposée sur le produit indiquera les conditions d'utilisation permettant de maîtriser l'exposition, donc le risque. La maîtrise des risques est donc tout aussi importante que l'utilité du produit.

Des progrès ont été accomplis en termes d'harmonisation, puisque les agences d'évaluation travaillent selon les mêmes principes. Pour éviter les distorsions de traitement entre les pays, l'Europe est partagée en trois zones représentatives des conditions pédoclimatiques et agronomiques. Les agences conduisent leurs évaluations en fonction des zones de cultures de façon à harmoniser les conditions d'utilisation. Pour la France, c'est la zone Sud, et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) est une des agences de référence de cette zone.

Pour l'instant, c'est le ministère de l'agriculture qui, en France, délivre l'AMM, mais l'ANSES en sera également chargée à partir du 1er juillet.

En 2009, parallèlement à la mise en oeuvre du règlement relatif à la mise sur le marché des produits et au suivi post-AMM, est sortie une directive européenne visant à harmoniser les conditions d'utilisation pour les usages professionnels, dont les usages agricoles. Cette directive vise de nombreux points – par exemple, l'emploi de certains matériels, qui peut réduire l'exposition et le risque pour l'environnement. Elle a marqué un progrès dans le domaine de l'harmonisation des réglementations relatives aux conditions d'emploi de ces produits dans l'agriculture, domaine où ils sont le plus utilisés.

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François Veillerette, porte-parole et ancien président de Générations Futures

Certains produits utilisables dans l'agriculture peuvent aussi être employés par des jardiniers amateurs.

Les pesticides ont un impact à la fois sur la santé et sur l'environnement. Selon les dernières études au niveau national, on en trouve dans à peu près 90 % des rivières et dans les trois quarts des nappes phréatiques, avec une tendance à l'augmentation. Tout le monde connaît leur impact sur les abeilles, ce qui a conduit à un moratoire sur l'utilisation de certaines familles d'insecticides sur certaines cultures.

Concernant la santé, une évaluation du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a rappelé, il y a quelques semaines, qu'un certain nombre de produits, dont le glyphosate, étaient considérés comme des cancérigènes probables ou possibles, ce qui est en contradiction avec l'homologation de ces produits au niveau européen. Rappelons que les matières actives sont homologuées au niveau communautaire et que le produit phytosanitaire, c'est-à-dire le produit tel qu'il passe du bidon à l'environnement, est homologué au niveau national.

Alors que la preuve a été faite sur l'animal, et qu'on a trouvé des éléments de preuve de l'effet cancérogène du glyphosate sur l'homme, on peut légitimement se demander pourquoi ce produit est autorisé, considéré comme un produit sûr, au niveau de l'Europe. C'est simplement que les exigences du règlement européen sont insuffisantes à plusieurs égards.

Il y a d'abord une mauvaise application du règlement. À chaque fois qu'une matière active revient pour homologation au niveau européen, la firme demandeuse est tenue de verser au dossier l'ensemble de la littérature publiée sur les dangers et les risques présentés par cette matière active. Nous avons montré, avec d'autres associations, qu'un quart seulement des études scientifiques et universitaires disponibles était produit.

Ensuite, au niveau national, le pesticide tel qu'employé par l'agriculteur est testé sur sa toxicité aiguë mais pas sur ses effets de toxicité chronique. Alors qu'ils sont obligatoires pour chaque spécialité pesticide, on ne fait pas de tests sur rats pendant deux ans. On n'a donc aucune idée scientifiquement valable de l'impact du mélange vendu dans le bidon. Or les scientifiques ont souligné l'importance des ratios des composés dans un mélange, ce qu'est précisément un pesticide qui associe une ou plusieurs matières actives avec des surfactants, des diluants, des synergisants et autres.

Tester la toxicité chronique de ces produits, c'était le sens de l'étude du professeur Séralini, qui avait fait polémique il y a quelques années. Son expérience avait été conduite sur des rats nourris aux OGM et avec une formulation à base de glyphosate. D'aucuns diront que les rats étaient en nombre insuffisant, qu'ils étaient de mauvaise souche. Reste que le professeur avait poursuivi son étude sur rats pendant deux ans, ce que ne font jamais les sociétés. Il y a donc, dans la législation, un manque criant qui peut expliquer qu'en dépit de l'homologation des produits, on trouve, dans des populations d'agriculteurs exposés à certains pesticides, des pathologies en surnombre.

Autre défaut dans la réglementation, la problématique spécifique des perturbateurs endocriniens. Le règlement de 2009 prévoit d'exclure a priori de la famille des pesticides, les perturbateurs endocriniens pouvant avoir un effet nocif sur l'homme. Alors qu'il devrait déjà être en vigueur, sa mise en application a été suspendue à la suite d'une polémique scientifique déclenchée par des groupes de pression industriels qui avaient bloqué la publication des critères permettant de définir ce qu'étaient réellement les perturbateurs endocriniens. Ce règlement était novateur dans la mesure où, partant du principe que les produits dangereux à des doses très faibles allaient être exclus, il n'était pas nécessaire de faire une évaluation du risque des effets à très faible dose des pesticides perturbateurs endocriniens. Au lieu d'appliquer ce règlement, on fait une évaluation de ses conséquences socio-économiques. On fait les choses à l'envers : plutôt que de prioriser la santé publique, on met en avant les intérêts économiques, ce qui n'est ni l'esprit ni la lettre du règlement. C'est une cause de mauvaise gestion de l'évaluation et du processus d'autorisation, qui explique en grande partie les pathologies qui viennent d'être listées.

Nous avons aussi des inquiétudes au regard de l'exposition alimentaire, car beaucoup moins d'études ont été faites dans ce domaine. Nous avons du mal à sérier, dans une population, les personnes les plus exposées à la consommation d'aliments contaminés par des pesticides. Toutefois, quand on y arrive, on peut mettre en évidence, dans des groupes d'hommes, par exemple, une qualité du sperme moins bonne que dans les groupes témoins. Les études commencent à montrer les impacts sur les consommateurs les plus contaminés par les résidus alimentaires.

S'ajoute à cela le nombre phénoménal de personnes qui ne peuvent plus sortir de chez elles du mois d'avril au mois de juillet, à cause des pulvérisations dans les champs, dans les vergers ou dans les vignes juste à côté de chez elles. C'est à juste titre qu'elles s'inquiètent, parce qu'elles sont réellement exposées aux produits. De simples analyses de sang ou de cheveux montrent qu'elles sont effectivement contaminées par des cocktails de produits.

Il y a donc là un problème de santé publique global auquel on répond mal, avec une mauvaise évaluation des produits et une mauvaise protection des agriculteurs. D'ailleurs, certains travaux de l'ANSES ont montré que les équipements de protection individuelle des agriculteurs n'étaient pas toujours efficaces. La protection des riverains contre les pulvérisations effectuées très près de chez eux est également mauvaise. L'année dernière, la ministre de l'écologie avait suggéré d'imposer des zones sans pulvérisations aux alentours des écoles, par exemple, ce qui a été refusé. Quoi qu'il en soit, cela serait insuffisant ; il faudrait les interdire partout où peut se trouver une femme enceinte, car elle abrite l'organisme le plus sensible aux perturbateurs endocriniens : le foetus en développement.

Nous souhaitons que les pesticides mis sur le marché soient mieux évalués et que le plan Ecophyto soit mis en oeuvre de manière efficace. À l'évidence, ce plan n'a pas produit les résultats escomptés, sans doute parce que, malheureusement, une grande partie de la profession agricole, tout du moins de ses organismes représentatifs, ne joue pas le jeu. Le président de la FNSEA ne cache pas que ses adhérents ne veulent pas réduire les pesticides, considérant que c'est à l'État et aux sociétés de leur fournir des produits qui ne sont pas dangereux. C'est une façon de se dédouaner de ses responsabilités comme personne ne peut le faire dans cette affaire qui relève d'une responsabilité collective. Tous les acteurs doivent trouver ensemble des solutions, qui deviennent urgentes au regard du problème de santé publique.

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Daniel Evain, représentant la Fédération nationale d'agriculture biologique, FNAB

La FNAB partage majoritairement le constat d'échec du premier plan Ecophyto : malheureusement, les pratiques agricoles sont restées quasiment inchangées. Invitée par le Gouvernement à participer au comité consultatif de gouvernance du plan Ecophyto, la FNAB souhaite prendre toute sa part dans la dynamique de la nouvelle politique agro-écologique et contribuer à la réduction des pesticides. Si l'objectif de doublement des surfaces en bio y contribuera, l'objectif de réduction de 50 % des pesticides à l'horizon 2025 passera nécessairement par le changement des pratiques agricoles. La FNAB tient à faire profiter l'ensemble des agriculteurs de sa grande expérience en la matière.

Les agriculteurs bio n'utilisent aucun produit phytosanitaire de synthèse. Ils recourent à des produits naturels en quantités extrêmement faibles par rapport à l'agriculture conventionnelle. La « ferme France » profiterait utilement de l'expérience des réseaux bio et de l'expertise des agriculteurs biologiques pour opérer des transferts de technologie. Ce n'est pas en ciblant le pesticide lui-même que l'objectif de réduction sera atteint ; cela aboutirait au même échec que celui du premier plan Écophtyo. C'est l'ensemble du modèle agricole qu'il faut changer, en ayant une approche systémique de l'ensemble des cultures, en jouant sur la diversité. La recherche en céréales, par exemple, n'est pas à la hauteur des objectifs : le premier blé cultivé en France en agriculture biologique a été inscrit il y a vingt-cinq ans. Ce n'est pas en cultivant de vieilles variétés que nous allons progresser !

Pour finir, nous partageons les recommandations du rapport Potier, notamment en ce qui concerne l'augmentation de la redevance pour pollutions diffuses, afin d'avoir un levier financier en matière de réduction des pesticides.

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Benoît Drouin, président du réseau agriculture durable, RAD

Le réseau agriculture durable, qui regroupe aujourd'hui à peu près 10 000 fermes, est né, il y a une quarantaine d'années, de groupes d'agriculteurs qui réfléchissaient ensemble à la façon d'utiliser moins d'intrants. À l'époque, le sujet n'était pas d'actualité.

Le premier axe de travail de ces groupes, dans le Grand Ouest, était que les vaches mangent de l'herbe. Puis, au milieu des années 2000, des groupes de régions de polyculture-élevage où la tendance céréalière augmentait ont soulevé la problématique de l'utilisation des produits phytosanitaires. C'est pourquoi cette question a été la première abordée dans le cadre du Grenelle de l'environnement, pourquoi aussi nous nous sommes engagés dans le premier plan Ecophyto.

À propos de ce plan, je tiens à rectifier la confusion qui entoure l'augmentation de la consommation globale des pesticides en France. Dans le réseau DEPHY, la consommation des 2 000 fermes engagées depuis les débuts jusqu'à l'année dernière a diminué de 10 %. C'est bien que lorsqu'on s'attelle à un problème, il est possible d'agir.

Notre réseau, avec d'autres, milite pour le retour à des pratiques agronomiques. Depuis le début de cette table ronde, nous entendons des choses assez pessimistes. Pourtant, quand je suis dans ma ferme, je suis très positif : il y a certes beaucoup à faire, mais les solutions existent. Le tort des agriculteurs et de leurs représentants est d'attendre des solutions d'un pseudo-messie qui apporterait des nouveautés non toxiques en bidons. De notre côté, nous avons remarqué que, très souvent, les solutions existent autour de nous mais qu'elles ne sont pas partagées.

Une deuxième caractéristique de nos réseaux est le travail en groupe, une forme de thérapie qui aide bien souvent à trouver la solution à ses problèmes chez le voisin.

La réduction de 50 % des pesticides peut faire peur, mais ils sont déjà nombreux, dans le réseau DEPHY, à l'avoir fait. Ce n'est pas très compliqué avec la diversification des assolements ou l'allongement des rotations. Il ne suffit pas de promettre de nouvelles graines aux agriculteurs, il faut des débouchés. C'est la base du commerce. Par conséquent, il faut que tout le monde s'y mette : les coopératives, les négociants, les fabricants d'aliments pour bétail doivent utiliser, apprendre pour certains, à utiliser ces nouvelles plantes.

Pour ma part, je reste plein d'espoir, car des solutions existent. Jérôme Audurier peut témoigner que tout est possible.

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Jérôme Audurier, exploitant du réseau DEPHY mis en place par le ministère de l'agriculture

Je suis agriculteur dans les Deux-Sèvres, dans une zone à la limite de la plaine et du bocage. J'ai pris la suite de mon père en 1994, dans une exploitation de type polyculture-élevage. Il y avait, à l'époque, un troupeau de quarante vaches laitières dont l'alimentation était surtout à base de stocks d'ensilage et de concentrés. Les cultures étaient menées de façon conventionnelle : le maïs et le tournesol recevaient deux traitements, le blé cinq et le colza pouvait en recevoir jusqu'à sept. À l'époque, je ne me posais pas de questions. Je participais régulièrement aux formations des organismes qui m'entouraient.

Au début des années 2000, avec la naissance de nos enfants, nous avons commencé, avec mon épouse, à nous interroger sur notre manière de consommer, de nous soigner. Puis j'en suis arrivé à me poser des questions sur ma manière de travailler. Alors qu'avec mon beau-père nous avions regroupé nos deux troupeaux laitiers, j'avais entrepris de visiter des exploitations équipées en bâtiments des plus sophistiqués aux plus simples. C'est alors que j'ai rencontré des agriculteurs qui avaient fait le choix d'un bâtiment tout simple et de faire pâturer au maximum leurs animaux.

À l'époque, j'étais plutôt tenté par un bâtiment très robotisé, aussi leur choix m'a-t-il interpellé. J'ai repensé mon projet. En me renseignant sur ce système de production, j'ai découvert les systèmes herbagers, André Pochon, l'agriculture durable, et les centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM). J'en ai trouvé un pas très loin de chez moi, j'ai participé aux formations et appris une autre manière de travailler.

Dans le même temps, j'ai pris conscience du danger des produits chimiques, notamment après avoir vu le film Nos enfants nous accuseront. J'ai commencé par supprimer tout ce qui était insecticides et régulateurs, j'ai diminué les doses de fongicides et d'herbicides, ainsi que les doses d'engrais. J'ai aussi travaillé sur mon assolement, en faisant des rotations plus longues. Je ne refaisais jamais de colza avant cinq ans sur une même parcelle. J'ai mélangé les variétés pour les rendre plus résistantes aux maladies, j'ai associé des céréales et des protéagineux, des légumineuses et des graminées. Petit à petit, j'ai diminué ma surface de culture de vente et augmenté ma surface de prairie. Les dernières années, j'étais passé de sept traitements à un seul pour le colza. Finalement, j'ai constaté qu'il n'y avait pas une forte baisse du rendement et que la marge économique était plutôt meilleure.

Peu à peu, je me formais aussi à la conduite d'un système herbager, avec pâturages tournants, prairies multi-espèces, prairies pour la fauche. La prairie est devenue la base de mon système. Derrière une prairie de quatre ou cinq ans, il est très facile de cultiver le maïs ou une céréale avec très peu d'intrants.

Pour apporter ces changements, je me suis imposé une règle : aller en douceur pour que cela soit plus facile à absorber au niveau de l'exploitation. Aujourd'hui, nous sommes quatre à travailler sur une exploitation de 190 hectares. Nous avons un troupeau de 190 brebis et 100 vaches laitières. Nous produisons 700 000 litres de lait, que nous écoulons dans la filière biologique. Notre système est quasiment autonome. Nos vaches pâturent pendant presque dix mois, nous fermons les silos pendant deux mois, et elles ne mangent que de l'herbe pendant deux mois. Les résultats sont satisfaisants, tant au plan économique qu'au plan humain. Je prends beaucoup de plaisir à travailler de cette façon.

Je n'ai pas fait cela tout seul, et avec le CIVAM, nous n'avons pas attendu non plus le plan Ecophyto. Nous avions déjà un groupe de culture économe avec lequel nous avons organisé des formations sur le désherbage mécanique, la vie du sol, les couverts, ainsi que des visites de fermes. Au sein de notre réseau, nous avons créé un jeu « Mission Ecophyto » pour mesurer l'impact des changements sur nos systèmes. Actuellement, nous sommes une dizaine au sein de notre groupe Ecophyto et nous nous sommes fixé l'objectif de passer à une trentaine de fermes d'ici à trois ans, pour accompagner les agriculteurs qui veulent changer de système.

Le changement est possible. Il faut seulement accepter de se former, d'apprendre, et comprendre qu'on peut travailler différemment. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

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Cela fait des années que nous avons été alertés sur les dangers de certains produits chimiques. Régulièrement, de nouvelles études mettent au jour leurs impacts sur la santé.

Comment sortir de ce cercle vicieux dans lequel sont pris les agriculteurs, entre la sauvegarde de leur exploitation et la contrainte de nourrir toujours plus de population, et les risques sur leur santé et sur celle de leurs proches, et plus globalement sur celle la société ? Autrement dit, où en est-on du fameux équilibre « bénéficerisque » ?

D'après les premiers retours, il ne semble pas que le moratoire européen interdisant, pendant certaines périodes, trois nicotinoïdes sur le maïs, le colza et le tournesol, ait eu un impact négatif sur les rendements ou la qualité des récoltes. Les rendements pour le colza ou le tournesol se situeraient même au-dessus de la moyenne de ces dernières années. J'aimerais avoir vos commentaires sur ces résultats.

S'agissant du biocontrôle, nombre de start-up et d'entreprises y travaillent depuis des années – dix ans, avez-vous dit. Pourquoi son taux est-il de seulement 3 % ?

Que pensez-vous du plan Ecophyto 2, qui propose notamment de mettre en place un dispositif expérimental de certificats d'économie de produits phytosanitaires, de promouvoir et de développer le biocontrôle ainsi que l'agriculture biologique, de renforcer la recherche pluridisciplinaire sur les impacts sanitaires et environnementaux des pesticides, ou encore d'instaurer un dispositif de pharmacovigilance doté de moyens suffisants ?

En tant que coprésidente du groupe d'études Santé environnementale, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'exposome, qui prend en compte les effets croisés de certaines expositions dans un environnement global pour en déterminer l'impact sur la santé. La confrontation de différents systèmes nous permettrait-elle d'envisager une vraie responsabilité collective ? Pouvons-nous réellement adopter des comportements plus responsables sans renoncer à nourrir toutes nos populations ? Je rappelle que, comme pour l'amiante, l'État pourrait se voir condamner pour ne pas avoir interdit certains produits dangereux.

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À l'origine, les produits phytosanitaires sont destinés à protéger les espèces végétales cultivées, à en améliorer les rendements, en repoussant ou en éliminant les nuisibles, les parasites, les plantes concurrentes ou nuisibles. Les produits jugés les plus écotoxiques sont étiquetés comme tels, conformément à la réglementation, qui évolue avec les connaissances scientifiques. L'ANSES est chargée de l'évaluation de la toxicité de ces produits.

Le vendredi 20 mars dernier, trois pesticides ont été classés comme cancérigènes probables par l'OMS : le glyphosate, très utilisé par les jardiniers et les agriculteurs, et deux insecticides. On retrouve d'ailleurs des traces de glyphosate dans l'air, dans l'eau et dans la nourriture. Par ailleurs, le lien entre certains produits phytosanitaires qui ne sont plus utilisés en France et les atteintes à la fertilité masculine a été clairement établi, mais des doutes subsistent sur des produits actuellement employés.

J'ai remarqué que vos propos étaient empreints de beaucoup d'incertitudes. Nous ne sommes pas dans le domaine de la science exacte pour un certain nombre de substances actives employées.

Les plantes génétiquement modifiées n'ont pas été mentionnées. Pourraient-elles être une solution, même partielle, pour la diminution de l'emploi des pesticides ? Nos voisins espagnols, allemands, italiens et belges cultivent la pomme de terre « Fortuna », une OGM qui limite à trois le nombre de passages de fongicide.

La quantité de produits phytosanitaires utilisés en France est passée de 120 000 tonnes en 2000 à 63 700 tonnes en 2012, nous plaçant au quatrième rang mondial des utilisateurs en quantité absolue ; 90 % sont utilisés dans l'agriculture et 10 % par les services de voirie, la SNCF ou les jardiniers. Selon les chiffres, deux tiers de ces 10 %, soit 6 500 tonnes, sont utilisés par les jardiniers ; cela signifie qu'à surface égale, l'utilisation des produits phytosanitaires par les jardiniers est dix à vingt fois supérieure. En comparaison des recommandations faites aux agriculteurs et au vu du nombre de produits phytosanitaires exposés sans aucun contrôle dans les jardineries, on peut se demander s'il n'y a pas un problème d'information des jardiniers.

La tonne est-elle une unité pertinente pour mesurer l'utilisation des produits phytosanitaires et la consommation au niveau national ? Ce qui compte, c'est la matière active utilisée au mètre carré.

Enfin, considérez-vous globalement que l'utilisation des pesticides est positive pour notre société ?

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Je regrette que l'on n'ait pas invité de grandes organisations agricoles. Ce n'est pas tout d'avoir raison seuls ; si les constats ne sont pas partagés par l'ensemble des agriculteurs, les blocages perdureront.

La question de l'expertise me semble fondamentale. Les agences spécialisées ne travaillent pas toujours ensemble ; il y a parfois des expertises différentes, notamment dans le domaine de la biodiversité. Peut-être ces agences ne sont-elles pas dotées de moyens suffisants. Si l'étude du professeur Séralini avait été conduite pour le compte d'une agence disposant d'un budget de 10 millions d'euros, sans doute n'y aurait-il eu aucune controverse sur l'expertise. Quel jugement portez-vous sur ces agences ?

Les études réalisées par les professionnels qui lancent un produit sur le marché sont l'objet de controverses : que ces mêmes professionnels les paient suffit à les entacher d'un manque de transparence. La profession est-elle prête à évoluer sur le partage de ces études, tant en termes de gouvernance que de pluridisciplinarité, ainsi que sur la place réservée aux usagers ? Sans cela, les controverses vont se multiplier, vous serez de plus en plus bloqués et, de notre côté, nous aurons beaucoup de mal à prendre des décisions, confrontés à des avis complètement divergents.

Parallèlement, l'expertise d'usage, celle des agriculteurs au quotidien, révèle des problèmes nombreux au regard des prairies, des rivières, des abeilles. Mais cette expertise, développée en particulier par le réseau DEPHY, est partagée avec beaucoup de mal. Quel déclic faut-il faire jouer pour généraliser l'expertise d'usage ?

Enfin, nos concitoyens ne sont peut-être pas suffisamment imprégnés de culture scientifique pour comprendre que toute avancée n'est acquise qu'au prix de reculs, de retours en arrière, d'incertitudes. Des problèmes, il y en aura toujours ; ce n'est qu'une question d'évolution scientifique et cela n'a rien de dramatique. Ne faudrait-il pas réserver, dans notre pays, une place au développement de la culture scientifique ?

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Notre débat part du constat que le plan Ecophyto a échoué à réduire de 50 % le recours aux pesticides avant 2018. Au lieu de cela, il a augmenté de plus 9,2 % en 2013, nous offrant une triste troisième place sur le podium mondial des pays consommateurs de pesticides. D'après le rapport de notre collègue Dominique Potier, la dynamique collective n'a pas fonctionné au-delà des réseaux initiés.

Le ministre chargé de l'agriculture a annoncé un plan Ecophyto 2, qui est déjà jugé nettement insuffisant par les acteurs concernés. La fondation Nicolas Hulot, par exemple, réclame une séparation nette entre les structures de vente et les structures de conseil. Cela me paraît effectivement souhaitable, et je voudrais avoir votre avis sur ce sujet.

Plus largement, pourquoi, depuis une décennie, les gouvernements successifs échouent-ils dans la lutte contre ce fléau ? Est-ce dû au manque de sanctions, alors que la taxe spécifique sur les produits phytosanitaires rapporte environ 100 millions d'euros par an ? Ou bien est-ce dû à la toute-puissance du lobby de l'agrochimie ?

On ne peut que se réjouir de l'adoption de l'amendement de notre collègue Gérard Bapt interdisant l'usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes à compter du 1er janvier 2016. Pour devenir effective, cette interdiction doit être adoptée par le Sénat, ce qui paraît pour le moins mal engagé au vu du rejet par celui-ci de la proposition de résolution du sénateur Joël Labbé proposant un moratoire sur ces pesticides en France et au niveau européen. Je rappelle que la production de miel en France a de nouveau chuté d'un tiers par rapport à 2013. Devant cette frilosité inquiétante, il est indispensable que l'Union européenne agisse pour que les herbicides soient proscrits par les agriculteurs et que les objectifs du plan Ecophyto soient atteints.

Selon un sondage effectué en 2010, seulement 32 % des jardiniers amateurs estimaient que les pesticides étaient dangereux. En 2013, un accord-cadre Ecophyto, dit « Biocontrôle », a été signé en vue de vulgariser les méthodes de biocontrôle et à promouvoir leur utilisation dans les jardins d'amateurs. Avez-vous pu mesurer l'impact de ces dispositions à la fois sur les jardiniers amateurs et sur les distributeurs ?

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J'ai moi-même respiré, pendant ce week-end passé à la campagne, une puissante odeur d'ammoniaque, qui n'était autre que celle du Roundup que l'on venait d'épandre dans les champs. (Murmures divers) Ce que subissent les campagnes, les villes le subissent aussi, ramené par la pollution atmosphérique.

Les écologistes sont attachés à l'agriculture biologique, seul moyen, selon eux, de garantir la santé de tous ainsi qu'une agriculture durable. Aujourd'hui, pourtant, cela me semble assez mal parti. Les représentants de la FNSEA ne participent pas à cette table ronde, mais ils ont un lobby tellement puissant qu'ils savent se faire entendre. Pour ma part, je suis ravie d'entendre les représentants de l'agriculture biologique et le témoignage d'un agriculteur qui a réussi cette transition. S'il est vrai que cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, à un moment donné, il faut que la décision politique soit prise d'interdire un certain nombre de produits.

Si le Sénat venait à repousser l'amendement de Gérard Bapt et Delphine Batho tendant à interdire les néonicotinoïdes, j'espère que l'Assemblée le voterait à nouveau. Il est essentiel de donner des signes forts de notre volonté collective de soutenir le développement d'une agriculture durable. Contrairement à ce que d'aucuns laissent entendre, l'agriculture biologique peut nourrir le monde. De nombreuses études ont été faites sur ce sujet. Pourtant, le lobby hyperpuissant de l'agrochimie raconte en permanence que cela n'est pas possible, qu'il faut en rester à l'agriculture conventionnelle, qu'on ne pourra jamais se passer de ces produits, quitte à les modifier et à en diminuer l'utilisation. Finalement, c'est toujours l'agrochimie qui prend le dessus, pas l'agriculture.

Outre leurs effets sur les produits que nous mangeons et sur l'air, les produits phytosanitaires participent également à la pollution des sols. Plus on met de désherbant, plus il faut en mettre. Si l'on n'interdit pas clairement le Roundup de Monsanto ou d'autres produits équivalents, les sols vont mourir et ne produiront plus. Ce serait une catastrophe pour les agriculteurs et pour nous tous.

La conversion à l'agriculture biologique doit être accompagnée. C'est une agriculture techniquement compliquée, qui n'est pas enseignée dans les écoles. Il est indispensable de recentrer la formation des agriculteurs sur des modes de développement durable de l'agriculture.

Par ailleurs, les recherches de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) devraient être aussi largement orientées vers l'agriculture biologique, ce qui n'est pas encore le cas. Aucun plan ne fonctionnera sans une volonté réelle, au niveau du Gouvernement et des instances de recherche et développement, de mise en oeuvre sur le terrain à travers l'aide aux coopératives ou encore la taxation des produits – car c'est aussi cela qui fera changer les choses. Si les produits de l'agriculture conventionnelle sont moins chers que ceux de l'agriculture biologique, c'est que les pollueurs ne se voient pas appliquer le principe « pollueur payeur ». Non seulement nous payons ces pollutions de notre santé, et les agriculteurs au premier chef, mais elles ne sont pas taxées. N'est-il pas temps de faire preuve de responsabilité politique et de prendre des mesures fortes dans ce domaine pour sauver notre agriculture ?

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L'échec du premier plan Ecophyto est à peine constaté que le doute entoure déjà la mise en place du nouveau. Ce n'est guère encourageant ! Le problème, c'est que, dans un monde où le productivisme est le logiciel système, c'est toujours la rentabilité qu'on oppose. Alors même que nous sommes loin de ce qui devrait être en matière de normes environnementales, un maraîcher de mon territoire dénonce la concurrence injuste des producteurs espagnols et marocains, qui ne sont pas soumis aux mêmes obligations. Comment résoudre ce problème de distorsion de concurrence, qui décourage la vertu en France ?

C'est dans ma circonscription, à Villeneuve-de-Blaye, qu'une école a été concernée par la récente affaire de pollution par pulvérisation de la vigne. Or le viticulteur était bio et le produit incriminé était du sulfate de cuivre, ce qui n'est pas non plus anodin. Une agriculture compétitive, avec zéro pollution et zéro contamination, est-elle envisageable aujourd'hui ? Peut-on changer l'agriculture sans remettre complètement en cause le système ?

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un amendement au projet de loi sur la biodiversité, l'interdiction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques deviendrait effective le 1er mars 2016 au lieu du 1er janvier 2020. Je me félicite de cette décision.

En tant qu'élu d'une zone urbaine, je parlerai plutôt de parcs et de jardins. Courbevoie, la ville dont je suis maire, n'a pas attendu une quelconque réglementation pour gérer durablement ses espaces. Depuis 2008, les squares, les parcs ou les voies publiques y sont désherbés de manière thermique pour les grandes superficies ou manuellement pour les plus petites. Pour lutter contre les mauvaises herbes, on pratique aussi le paillage des sols, en broyant en copeaux les branches des arbres élagués.

Les résultats sont là. D'abord, le personnel communal n'est plus en contact avec des produits chimiques, et le coût reste raisonnable. Enfin, la biodiversité reprend peu à peu ses droits. L'exemple de notre ville montre qu'il est possible, pour les collectivités locales, de s'engager sur la voie du développement durable en ne recourant plus aux produits phytosanitaires. Je ne suis pas dans le réseau DEPHY, mais je pourrais fort bien en faire partie ! Quel serait l'impact de cette mesure restrictive sur l'usage global des pesticides en France ?

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Que pensez-vous de la décision du ministre de l'agriculture de faire baisser de 50 % l'usage de pesticides d'ici à 2025, et non plus, comme fixé initialement, à 2018 ?

Le plan présenté en janvier dernier par Stéphane Le Foll, doté de 70 millions d'euros, prévoit aussi de développer la recherche et d'adopter des mesures permettant, d'une part, de mieux utiliser les mécanismes naturels que les végétaux déploient pour se protéger, d'autre part, de promouvoir des équipements écologiquement vertueux, comme des pulvérisateurs permettant de mieux diffuser une moindre quantité de produit. Selon vous, ce plan permettra-t-il d'atteindre les objectifs fixés ?

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Le réseau DEPHY est très implanté en Pays de la Loire et assez présent dans le département de la Sarthe, à forte dominante polyculture-élevage et grandes cultures. Comment le réseau travaille-t-il avec les agriculteurs et éleveurs ? Procédez-vous au cas par cas ? Selon quelle méthodologie ? Comment est réalisé le diagnostic avec l'agriculteur ?

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de nouvelles pratiques ayant pu être mises en place et s'étant diffusées rapidement dans le réseau, que ce soit dans les fermes ou dans les lycées agricoles ?

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La France est le pays où la réglementation en matière de produits phytopharmaceutiques est la plus stricte. (Murmures sur les bancs SRC) Le fait que les règles environnementales ne soient pas les mêmes dans tous les pays engendre une concurrence déloyale et pénalise nos agriculteurs qui consentent pourtant beaucoup d'efforts.

Outre l'aspect économique du sujet, les questions de santé publique sont essentielles. La grande complexité des pesticides rend l'évaluation de leur dangerosité difficile. Comment appréciez-vous la notion de dose maximale acceptable, tant pour l'utilisateur que pour le consommateur des produits traités ?

Enfin, personne n'a mentionné les études qui ont pu être réalisées en Europe, en Amérique ou en Asie sur les produits phytopharmaceutiques. Les chercheurs pourraient-ils nous en dire un mot ?

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Nous avons voté, dans le cadre de la loi d'avenir pour l'agriculture, une mesure visant à améliorer la traçabilité des importations de produits phytosanitaires au sein de l'Union européenne, afin de mieux lutter contre les importations de produits phytosanitaires interdits en France. À partir du 1er janvier 2016, sur toute la chaîne de production, du fabricant au stockeur, jusqu'au distributeur final, les professionnels devront enregistrer au registre des ventes le contenu de chaque lot, son numéro et sa date de fabrication. L'administration des douanes aura également de nouvelles habilitations en matière de contrôle à l'importation.

Le renforcement des contrôles s'inscrit pleinement dans l'objectif que nous poursuivons de réduire les risques environnementaux et sanitaires pour les agriculteurs et pour les citoyens. Comment évaluez-vous les gains environnementaux et sanitaires de cette mesure ? Identifiez-vous actuellement des réticences ou des freins à sa mise en oeuvre effective dans le contexte européen de libre circulation des marchandises ?

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Je respecte toutes les idéologies et toutes les techniques de production agricole, mais il est dommage d'expliquer les siennes en se sentant obligé d'attaquer 90 % d'une population qui fait de son mieux. Je regrette que l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), qui regroupe tous les syndicats agricoles, ne soit pas présente ce matin. Il est dommage également de s'appuyer sur l'étude Séralini qui, on le sait, a été un fiasco et dont les financements sont plus que douteux. (Murmures)

Puisque chacun y va de son expérience, je vous parlerai d'une coopérative agricole et viticole que je connais bien. Sur 240 hectares exploités, les 12 qui le sont en agriculture biologique ont dégagé une production de zéro en 2013 et 2014, en raison des conditions climatiques. On reproche à la viticulture de consommer 20 % des pesticides alors qu'elle représente 3 % des terres cultivées en France ; c'est oublier que le soufre, qui est un élément naturel, intervient pour une large part dans ces 20 %.

Pas besoin d'aller voir un film pour considérer que les pesticides sont dangereux (Murmures) : ils sont dangereux, comme tous les médicaments. Lorsqu'on est malade, on prend un médicament ; lorsqu'une plante est malade, qu'elle est victime d'une attaque, il existe des produits qui permettent de la sauver.

Dispose-t-on d'études démontrant les risques liés à l'ingestion de produits alimentaires ayant subi des attaques, notamment de mycotoxines, qui sont particulièrement graves pour l'alimentation ?

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Je donne un coup de chapeau à M. Audurier, agriculteur dans mon département des Deux-Sèvres. Avec d'autres, il a montré qu'un agriculteur peut modifier sa façon de travailler. Qu'il en soit remercié.

Comme d'autres de mes collègues, je m'inquiète que des produits phytosanitaires non contrôlés, issus du trafic qui se développe sur notre territoire, puissent parfois se retrouver dans nos assiettes.

Je voudrais insister sur les conséquences de l'utilisation massive des produits phytosanitaires sur la biodiversité en général, et plus particulièrement sur la biodiversité des sols. À cet égard, que pensez-vous du concept de préjudice écologique sur lequel nous sommes en train de travailler ?

Quel est votre sentiment sur les VrTH, ces plantes obtenues par mutagénèse ou par sélection, qui deviennent résistantes aux herbicides ? Les adventices devenant, elles aussi, résistantes, on utilise finalement de plus en plus de produits non seulement nocifs pour la santé et pour la biodiversité, mais qui posent aussi des problèmes d'ordre socio-économique, en particulier du point de vue de l'agriculture biologique.

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La France figure parmi les pays dont la réglementation en matière de produits phytosanitaires est la plus stricte. Avec l'objectif de diviser par deux l'usage des pesticides, le plan Ecophyto va plus loin que la réglementation européenne. Je le dis clairement, c'est indéniablement salutaire pour la santé publique. Néanmoins, cet objectif met en jeu la survie de certaines exploitations agricoles. Outre que les produits de substitution peuvent être très coûteux, notre agriculture est directement concurrencée par celle de pays européens où les coûts de production sont moins élevés qu'en France et où l'on utilise des molécules interdites dans notre pays. Chacun a en tête l'exemple des fraises d'Espagne.

Quelles sont vos solutions pour conserver une agriculture française compétitive ?

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En Picardie, cinq réseaux DEPHY – grandes cultures, polyculture-élevage, captage, légumes industriels et herbicides –, sont animés par la chambre d'agriculture régionale, qui mobilise l'ensemble des partenaires de la recherche, du développement, du transfert. Monsieur Veillerette, quel regard général portez-vous sur l'ensemble des réseaux ?

Monsieur Audurier, quelles relations entretenez-vous avec vos collègues ? Parvenez-vous à les convaincre sur des éléments factuels, des méthodes utilisées ?

Comment voyez-vous le rôle des collectivités territoriales, communes et intercommunalités, pour favoriser la mise en oeuvre du nouveau plan Ecophyto ?

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Monsieur le président, je vous remercie d'avoir organisé cette table ronde et je félicite les différents intervenants pour la qualité de leurs interventions. Permettez-moi de regretter, à mon tour, l'absence des grandes organisations agricoles.

J'ai lu que beaucoup de substances actives n'ont pas encore pu faire l'objet d'études épidémiologiques. Pouvez-vous nous le confirmer ?

S'agissant des autorisations de mise sur le marché, je ne pense pas que les produits mis en circulation avant 2009 y aient été soumis. Pouvez-vous le confirmer ? Les contraintes liées à ces AMM sont-elles comparables à celles qui entourent les médicaments à usage humain ?

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J'ai bien entendu ce qui a été dit en matière d'assolement et de maintien des prairies, et je crois que même dans les secteurs de grandes cultures, comme l'est la circonscription dont je suis élu, les solutions doivent être étudiées globalement. Lors des réaménagements fonciers qu'occasionnera bientôt, chez nous, le canal Seine-Nord-Europe, la reconstitution des haies pourra être utilement couplée à la lutte contre l'érosion des sols. En contribuant à la biodiversité, cette solution globale ne pénalise pas forcément l'agriculture.

Mme Abeille vient de nous dire avoir respiré récemment des odeurs très nocives. Ne pourrait-on pas généraliser les contrôles de l'air en milieu rural comme on le fait en milieu urbain ? Cela permettrait de disposer d'une donnée objective supplémentaire.

Enfin, il ne faut pas stigmatiser mais, au contraire, encourager le monde agricole à investir davantage dans la recherche. De la même façon, peut-être faudrait-il inciter les agriculteurs à utiliser un matériel de pointe substitutif aux produits chimiques, notamment en matière de désherbage.

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Le département de Seine-et-Marne se singularise par une surface agricole couvrant 60 % de son territoire. Ces dernières années, il a mis en place un laboratoire pour mesurer les effets du plan Ecophyto et déployé deux réseaux de fermes DEPHY.

Des dynamiques collectives ont émergé entre les agriculteurs et les exploitants, notamment en ce qui concerne le traitement du blé et du colza. La réduction des produits phytosanitaires a atteint 25 %, assez loin certes des objectifs fixés, mais cela représente toutefois un effort important pour nos agriculteurs. Malheureusement, trop peu d'entre eux ont réussi à modifier profondément leur système de culture, en raison de nombreux problèmes, en particulier des pertes économiques non compensées et l'apparition de maladies non maîtrisables.

Les agriculteurs, que je rencontre régulièrement, sont volontaires pour travailler à des solutions viables, tout comme les négociants et les coopératives qui sont des partenaires actifs de l'agro-écologie. À cet égard, je rejoins mes collègues sur l'utilité d'un échange entre agriculteurs et organisations écologistes travaillant sur ces questions. Une table ronde pourrait réunir l'ensemble de ces intervenants.

Beaucoup de maires ruraux de ma circonscription s'efforcent de limiter l'utilisation des pesticides selon une règle de proportionnalité. Les communes très étendues et employant peu de personnels – parfois un seul agent – ont diminué la quantité d'intrants et de produits phytosanitaires, mais de façon limitée. Par exemple, une commune de 500 habitants pourra réduire ses achats de produits de 800 euros mais devra dépenser 5 000 euros en main-d'oeuvre. Ne serait-il donc pas pertinent que des expérimentations alternatives soient menées dans le domaine rural ? À Nemours, nous avons réduit l'usage des produits phytosanitaires, ce qui est plus simple dans une commune urbaine que dans une commune rurale.

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Comme mes collègues du groupe UMP, je regrette l'absence d'organisations syndicales plus larges.

J'ai été impressionné par les exposés de Jérôme Audurier et Benoît Drouin, mais à l'instar de Bertrand Pancher, je m'interroge sur la pertinence du réseau DEPHY. Si, en ayant diminué par sept l'apport de produits phytosanitaires, votre bilan économique est plutôt bon, pourquoi les agriculteurs français ne vous imitent-ils pas, monsieur Audurier ?

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Le biocontrôle a déjà séduit différents secteurs - maraîchage, culture de la vigne, arboriculture –, mais peine à trouver sa voie dans les grandes cultures. Les études font pourtant état de rendements satisfaisants. Certes, dans un premier temps, les coûts sont plus élevés mais, au final les agriculteurs sont gagnants puisque les rendements sont meilleurs. Pour les inciter à changer de méthode, il faudrait les sensibiliser sur cette possibilité d'augmenter leur marge de productivité, donc leurs revenus.

La communication sur le biocontrôle est-elle satisfaisante, tant du point de vue du dialogue avec les chambres d'agriculture et les grandes organisations syndicales agricoles que de la formation des conseillers agricoles et des agriculteurs ? Nous, législateurs, allons-nous vers une modification de la législation et de la réglementation ? Nous n'avons rien vu à ce sujet dans la loi d'avenir pour l'agriculture. Elle aurait pourtant été le bon vecteur pour affirmer l'intérêt du biocontrôle qui est, me semble-t-il, la méthode la plus porteuse d'avenir.

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Marie-Christine Lecomte, directrice de recherches à l'INSERM

Je souhaitais préciser que le rapport de l'INSERM s'appuie sur la littérature scientifique internationale, soit environ 2 000 publications, et non sur quelques études seulement.

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Geneviève Van Maele, professeur au Centre de toxicologie et de pharmacologie de l'Université catholique de Louvain

Le document que nous vous avons remis est une synthèse du travail de l'expertise ; le rapport proprement dit compte plus de mille pages.

Les chercheurs qui travaillent sur des études de revue de littérature ont beaucoup de difficultés à trouver les financements nécessaires.

Je ne peux pas donner de jugement sur les agences d'expertise. Pour ma part, j'ai participé à une expertise de l'INSERM, mais je n'en fais pas partie ; je travaille à l'Université catholique de Louvain. L'intérêt d'une telle expertise, qui avait rarement été conduite jusqu'à présent, est d'avoir permis de confronter les données de l'épidémiologie avec la mécanistique, car il est difficile de tirer des conclusions de l'une sans l'autre.

S'agissant de la dose maximale acceptable de notre point de vue de scientifiques, c'est une question qui sort de mon domaine de compétences, car elle fait davantage appel à l'évaluation des risques que des dangers. Or ma spécialité, en tant qu'épidémiologiste, est d'évaluer les dangers. Je ne peux donc pas vous donner d'avis sur le sujet.

Des études ont été menées sur les risques suite à des ingestions alimentaires, mais, pour ma part, je n'ai pas d'expérience dans ce domaine, mes recherches récentes ayant surtout porté sur l'exposition professionnelle aux pesticides ainsi que l'exposition domestique.

Vous demandez pourquoi certaines substances actives n'ont pas fait l'objet d'études épidémiologiques. L'expertise INSERM fait état de toute la littérature que l'on a pu trouver sur les pathologies qu'on a pu étudier. Mais cette revue n'est pas exhaustive et certains pesticides ont pu échapper à la publication de certaines études sans que ce soit nécessairement délibéré. Tout dépend aussi du domaine sur lequel porte la littérature. En matière de cancers, il y a un temps de latence assez long entre le moment de l'exposition et celui de l'apparition du cancer. Il faut donc attendre plusieurs années avant de voir les effets. Par exemple, en matière de néonicotinoïdes, qui sont des agents relativement récents, les seules données actuellement disponibles concernent des expositions aiguës, c'est-à-dire des empoisonnements accidentels ou volontaires ; on ne trouve rien sur les cancers, faute du recul suffisant.

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Laurence Payrastre, biologiste à l'Unité Xénobiotiques de l'INSERM

Les agriculteurs sont exposés aux produits phytosanitaires de diverses façons. Certains utilisent des équipements lors de la dispersion des pesticides en premier traitement, mais ils prennent apparemment beaucoup moins de précautions au moment de la rentrée dans la culture, qui est pourtant une situation très exposante.

Le problème de l'utilisation ne se pose pas en termes de dose maximale acceptable puisque l'appréciation est faite à partir d'une dose sans effet. Il faut savoir néanmoins que, du point de vue toxicologique, des effets peuvent être observés à très faible dose. En outre, les valeurs de référence sont définies sur des molécules seules, alors que l'exposition des professionnels ou des consommateurs concerne des mélanges de composés.

Enfin, s'agissant du risque d'ingestion de mycotoxines par la consommation de plantes non traitées aux pesticides, je sais que des études ont montré l'impact de certaines toxines sur des modèles cellulaires en culture. Mais je ne suis pas spécialiste des mycotoxines, et je ne peux pas vous apporter de réponse.

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Eugénia Pommaret

Du point de vue de la consommation moyenne par hectare de pesticides, la France se situe au dixième rang européen. Son agriculture est reconnue pour sa qualité, le dynamisme et la diversification de ses productions. Rien ne sert d'opposer les modes de production pourvu qu'ils répondent aux demandes légitimes des consommateurs.

L'importance de l'agriculture française interdit de réduire tout débat sur le sujet à une simple discussion sur les quantités. On lui reproche d'être le troisième utilisateur de produits phytosanitaires, mais la réalité c'est que la diversité des cultures ne permet pas toujours de répondre aux dangers sanitaires qui guettent. Chacun a en tête les exemples récents de la mouche de l'olivier ou le problème dramatique des producteurs de cerises. Malheureusement, les activités d'échanges, qu'elles concernent les variétés, les semences ou même le commerce, n'arrangent pas les choses. La vitesse de pénétration en France, et plus globalement en Europe, de problèmes sanitaires liés à des maladies ou à des ravageurs, a tendance à s'accentuer.

Sans un arsenal innovant répondant aux besoins des agriculteurs, la « ferme France » risque de se tourner vers les cultures faciles, qui sont moins sujettes aux attaques de ravageurs – le blé plutôt que le colza, par exemple. Or si l'on veut conserver une agriculture diversifiée, il faut pouvoir offrir des solutions pour la protection des plantes. Les industriels et la filière agricole n'ont pas attendu le plan Ecophyto pour se préoccuper de protection intégrée, notamment par le biais de variétés résistantes. Sur ce plan, la France ne doit pas être en perte de vitesse. Puisque les variétés ont changé, les produits de traitement doivent changer eux aussi, de façon à pouvoir toujours apporter des solutions.

Les produits de biocontrôle représentent aujourd'hui 3 % du marché des phytosanitaires. Au passage, je signale que la France est le seul pays à avoir adopté la dénomination de produits de biocontrôle, si bien que nous rencontrons quelques problèmes de cohérence par rapport à la réglementation communautaire. Or les entreprises mettent sur le marché des produits à visée européenne, ce qui est normal quand l'agriculture est encadrée par une même politique.

La faible part de marché des produits de biocontrôle s'explique d'abord par leur diffusion récente. Ensuite, la lutte contre les pucerons par le recours à des larves de coccinelle est une science moins exacte que l'action chimique, qu'elle soit naturelle, à base de cuivre ou de soufre, ou de synthèse. La science doit encore beaucoup progresser dans ce domaine, et c'est pourquoi nous investissons.

Contrairement à ce que j'ai pu entendre, la loi d'avenir pour l'agriculture a mis l'accent sur le biocontrôle. Plus de la moitié des produits dans le périmètre du biocontrôle sont mis sur le marché par des adhérents de l'UIPP. C'est donc un secteur dynamique. Cependant, ces produits ne sont pas utilisables seuls ; ils sont employés en complémentarité, et s'inscrivent dans un programme de traitement. Dans une logique d'utilisation raisonnée, de protection intégrée, l'agriculteur va d'abord observer, mesurer le seuil d'infestation avant de choisir entre produits de biocontrôle, de synthèse ou de chimie naturelle. Les années se suivent sans se ressembler, comparer des indicateurs d'une année sur l'autre n'a pas plus de sens que de comparer l'utilisation d'un médicament en faisant abstraction des conditions sanitaires ou climatiques. En revanche, sur le temps long, l'UIPP a constaté une réduction des tonnages de près 20 % entre 2008 et 2013, date de la mise en place du plan Ecophyto.

Monsieur Potier, je ne souhaite pas entrer dans un débat sur les indicateurs – vous connaissez bien, d'ailleurs, mon avis sur la question. Ce qui serait incitatif pour les agriculteurs, serait d'avoir une mesure de la réduction des risques et des impacts sur l'environnement, d'une part, et des indicateurs de moyens, d'autre part. C'est ce que font tous les autres pays de l'Union européenne. Nous regrettons que la France prenne toujours un chemin différent qui nous met souvent en difficulté dans nos obligations de reporting fixées par les directives européennes. Je ne dis pas que l'indicateur du plan n'a pas de sens, mais la comparaison ne doit pas se faire d'une année sur l'autre. Ce qu'il faut prendre en compte, ce sont les tendances.

Si d'autres indicateurs avaient été retenus pour évaluer les efforts des agriculteurs, on verrait que la France a été la première à mettre en place les bandes enherbées pour protéger l'eau, à contrôler les pulvérisateurs, à organiser la formation des trois-quarts des agriculteurs en cinq ans, à s'engager dans la traçabilité des produits pour les suivre de la fourche à la fourchette, et j'en passe. On parle très rarement de ce qui va bien en France. Il serait pourtant important que les agriculteurs français puissent tirer fierté de leur activité qui, à la fois, répond aux attentes légitimes de la population d'une offre diversifiée et de proximité, et reste orientée vers l'export avec des productions de qualité. C'est en France que les critères d'évaluation de mise sur le marché et d'utilisation des produits sont les plus stricts. Nous avions une longueur d'avance que l'on aurait pu mesurer si le plan Ecophyto avait utilisé les bons indicateurs.

Pour autant, je considère que le plan Ecophyto n'est pas un échec. Beaucoup a été fait, en particulier pour réduire les risques d'exposition des agriculteurs, sujet qui nous préoccupe énormément. Nous avons engagé une démarche industrielle auprès des agriculteurs pour comprendre quels pourraient être les freins au respect des conditions d'emploi des produits indiquées sur les étiquettes et pour leur apporter des solutions pragmatiques, notamment en termes d'équipements de protection.

Les experts qui sont autour de cette table pourraient apporter, je pense, un éclairage sur la distinction entre détection et contamination, dont les lanceurs d'alerte font souvent état sans apporter d'éléments sur les risques encourus par le consommateur ou l'environnement. On est capable aujourd'hui de détecter n'importe quelle substance chimique ou biologique en quantités infinitésimales ; reste à savoir quel en est le risque pour la santé. C'est pourquoi il faut bien faire la distinction entre le danger intrinsèque des substances et celui lié à leur exposition. C'est le fondement de l'évaluation au niveau européen. Partant du principe que l'on doit proposer des produits répondant aux besoins de l'agriculture, la question n'est pas de savoir comment ceux-ci doivent être mis sur le marché, mais de continuer à investir en savoir pour réduire l'exposition.

À cet égard, l'ANSES aurait pu participer à cette table ronde puisque c'est elle qui évalue les produits phytosanitaires. Chaque substance active, chaque produit est réévalué tous les dix ans. S'agissant des sept substances fléchées par l'expertise INSERM, on a demandé à l'ANSES s'il fallait devancer l'évaluation décennale. Elle n'y a pas vu de raison. En plus des nombreuses connaissances disponibles, l'ANSES associe dans ses instances l'ensemble des parties prenantes, chacune apportant son regard sur l'ensemble des risques. Elle met également en ligne tous les avis qui sont donnés sur les produits phytosanitaires. En prévision du transfert dans ses missions des AMM, elle prépare des process qui permettront aux parties prenantes d'intervenir, ce qui garantira la transparence.

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Nous avons reçu le directeur général de l'ANSES, Marc Mortureux, la semaine dernière, c'est pourquoi nous avons déjà recueilli son avis sur tous ces sujets.

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François Veillerette, porte-parole et ancien président de Générations Futures

Je mesure le chemin qui reste à parcourir entre nous, madame Pommaret, à nos différences d'appréciation. La réduction des risques liés à l'usage des pesticides était une préoccupation d'avant 2007. Depuis, il y a eu le Grenelle de l'environnement, les conférences environnementales et deux plans Ecophyto. Puisqu'il a été scientifiquement montré que les effets de certaines molécules peuvent être plus importants à des doses très faibles, ce sont les critères de danger qu'il faut prendre en compte pour exclure des produits. Or on voit bien que les industriels essaient de maintenir sur le marché des molécules qui, à mon sens, n'ont plus rien à y faire.

Je serai assez critique à l'égard de l'autorité européenne de sécurité des aliments. M. Gérard Bapt, qui a géré le dossier du bisphénol A, le sait bien, l'EFSA, se basant sur trois ou quatre études financées par l'industrie et mettant de côté toutes les études universitaires, a toléré des doses admissibles des milliers de fois supérieures à celles que l'ANSES considère comme sûres. Si cette même ANSES a vraiment intégré des éléments qui vont dans le sens de la protection de la santé publique, elle conduit l'évaluation des pesticides sur la base du cahier des charges européen. Puisque celui-ci n'exige pas d'études sur les effets chroniques des spécialités phytosanitaires, elle n'a pas le droit d'exiger des entreprises qu'elles fournissent ces études. Aussi l'évaluation des risques n'est-elle pas du tout satisfaisante.

Je veux, moi aussi, souligner les points positifs. Parmi les solutions qui marchent bien, il y a, en région Picardie, monsieur Jean-Louis Bricout, des réseaux de fermes qui s'appuient à la fois sur l'INRA et les chambres d'agriculture aidées par la région. Ces groupes obtiennent des performances intéressantes du point de vue de la réduction des herbicides et atteignent les objectifs du Grenelle de l'environnement depuis plusieurs années, sans perte de revenu, parfois même avec des revenus en légère augmentation. Si l'on constate des pertes faibles de rendement, la faiblesse des dépenses en intrants divers se traduit par une augmentation de la rentabilité. Rendement et rentabilité sont deux éléments à ne pas confondre.

S'agissant des mycotoxines, je vous renvoie au rapport de 2003 de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) qui a conclu à l'absence de différence notable entre productions biologiques et productions conventionnelles. D'autres études réalisées au plan européen montrent que la présence de mycotoxines est d'abord une question de précédent agricole, de rotation. Cultiver du blé derrière du maïs dans une région où la terre est battante et humide est plus propice aux mycotoxines que de cultiver une légumineuse qui favorisera le drainage du sol. La culture biologique n'engendre pas la prolifération de mycotoxines.

S'agissant des types d'exposition, il importe de les considérer dans leur ensemble, car l'organisme humain ne fait pas la distinction entre les pesticides à usage agricole ou domestique et les autres produits toxiques. Outre la prise en compte de l'exposome, le projet de loi relatif à la santé doit comporter un volet sur la santé environnementale.

Les OGM constituent-ils une solution pour diminuer l'usage des pesticides ? Sachant que 99 % des cultures OGM sont des plantes à pesticides – 75 % environ étant résistantes aux traitements herbicides, presque toutes les autres sécrétant une toxine insecticide –, cela ne semble pas évident. D'ailleurs, dans les pays où l'on cultive des OGM en plein champ, comme l'Argentine, le Brésil ou les États-Unis, on s'aperçoit que l'utilisation de pesticides augmente régulièrement.

M. Gérard Menuel demande si le tonnage est un indicateur pertinent. Dans le plan Ecophyto, l'indicateur de référence est le nombre de doses unités (NODU), qui fait abstraction de la masse utilisée par unité de surface. C'est donc la dépendance aux pesticides des systèmes de culture qui est évaluée. Il existe d'autres indicateurs complémentaires.

La transparence sur les études est un point essentiel. Du point de vue de Générations futures, dans le cadre de la procédure des autorisations de mise sur le marché, les industriels pourraient ne pas divulguer des éléments relevant du secret industriel, comme la composition précise du produit. En revanche, les résultats biologiques obtenus après des tests sur les rats sont des données médicales à fournir à l'ensemble des équipes scientifiques qui doivent pouvoir les expertiser, les critiquer. C'est de cette façon que la science progresse.

M. Olivier Falorni a évoqué la séparation entre le conseil et la vente. Effectivement, il est essentiel que le conseil agricole soit réellement indépendant pour éviter tout conflit d'intérêts. Trop souvent, les pesticides sont présentés comme la solution pour gérer les ennemis des cultures, maladies ou ravageurs. Ils peuvent l'être en dernier recours, après que d'autres solutions agronomiques ont été explorées. C'est d'ailleurs ainsi que procèdent nombre d'agriculteurs. Les rotations, la succession des cultures sur la parcelle, le choix des variétés, la préservation des abords des champs comme refuges pour les insectes utiles permettent déjà de diminuer considérablement les quantités de pesticides. En admettant que l'emploi de pulvérisateurs de dernière génération ou de techniques améliorées contribue à réduire l'utilisation des pesticides de 10 à 15 %, moins 5 % encore avec les produits de biocontrôle, on atteindra difficilement les 25 % si l'on n'explore pas d'abord les voies de l'agronomie. C'est la combinaison de ces différents facteurs qui satisfera la commande publique d'une réduction de 50 %.

Les VrTH sont des plantes tolérantes aux herbicides, c'est-à-dire qu'elles vont engendrer l'utilisation d'herbicides supplémentaires, ce qui ne réglera pas le problème.

Pour finir, d'aucuns considèrent que la France martyrise ses agriculteurs avec sa réglementation exigeante en matière de produits phytosanitaires. Mais les contraintes sont avant tout européennes, et elles sont les mêmes pour toute la zone où nous nous trouvons. On ne peut pas dire que l'on ne prend pas en compte les intérêts des agriculteurs français, le premier étant leur santé et celle de la population. Les agriculteurs qui sont déjà engagés dans les alternatives montrent que cela fonctionne ; ils sont l'exemple à suivre.

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Daniel Evain, représentant la Fédération nationale d'agriculture biologique, FNAB

Pour ma part, en tant qu'agriculteur biologique, j'utilise des produits de biocontrôle seuls, et non en complément de la chimie comme l'indiquait Mme Pommaret.

Certains députés ont regretté l'absence des grands syndicats agricoles ; je remarque que les semenciers auraient pu également être présents. S'ils ne fournissent pas de variétés suffisamment résistantes aux divers parasites – maladies ou insectes –, on aura du mal à réduire l'utilisation des pesticides. Il est regrettable que la sélection variétale n'ait pas progressé dans la voie de la performance. À la décharge des semenciers, ils n'ont fait que suivre le modèle agricole qui a développé une logique de rendement par les pesticides plutôt que par l'acquisition de variétés plus résistantes.

On peut effectivement s'interroger sur l'efficacité des néonicotinoïdes. Pour avoir travaillé pendant dix ans comme ingénieur de recherche sur les traitements de semences pour le compte de Cargill et Monsanto, je peux vous dire que les agriculteurs n'ont pas l'impression d'avoir une nouveauté s'ils n'achètent pas des semences traitées. Il faut dire qu'ils y ont longtemps été incités, ce qui rend aujourd'hui extrêmement difficile pour un semencier de vendre des semences non traitées. Il faut donc changer les mentalités. Je suis agriculteur biologique depuis maintenant quinze ans. Je n'utilise plus aucun produit de traitement de semences, et je n'ai jamais eu d'accident. Je ne dis pas que le risque n'existe pas, mais il est si faible qu'il ne justifie pas l'utilisation des produits de traitement de semences.

Le problème soulevé par M. Olivier Falorni de la séparation entre le conseil et la vente est indéniable. Il fut un temps où les agriculteurs étaient organisés, d'un côté, en coopératives de collecte pour valoriser leurs récoltes, d'un autre côté, en coopératives d'achats. Les entités et les opérations économiques étaient bien séparées. Aujourd'hui, les deux types de coopératives ont fusionné. Lorsque le marché des céréales baisse, la coopérative prend une marge très faible sur la collecte pour montrer à l'agriculteur qu'elle le rémunère au maximum de ce qu'elle peut, mais pour équilibrer ses comptes, elle est obligée de faire une marge sur l'approvisionnement, et elle se rattrape en vendant davantage de produits.

M. Jean-Marie Sermier a dénigré l'agriculture biologique en évoquant le cas d'une production nulle en 2013 et 2014. Pourtant, on observe depuis quelques années un très fort développement de l'agriculture biologique. Si les exploitants ne récoltaient rien chaque année, cette forme d'agriculture disparaîtrait. À l'inverse, il arrive qu'on ne puisse rien produire en agriculture conventionnelle. À cause d'un problème de résistance aux sulfonylurées, un herbicide contre les graminées, mon voisin a dû mettre en jachère un champ de dix hectares qu'il exploitait selon une rotation colza-blé-blé ou colza-blé-orge, un système qui implique un retour relativement rapide des mêmes cultures, donc des mêmes herbicides. Au final, le ray-grass est devenu résistant à l'herbicide, rendant le champ incultivable. Non seulement l'agriculture biologique se développe, mais c'est un modèle qui marche. Un grand nombre d'exploitations en agriculture biologique sont extrêmement viables et compétitives.

Le coût du matériel agricole est une donnée importante. Si l'on veut modifier les pratiques, il faut envisager un système de mutualisation. En mode conventionnel, on ne peut pas à la fois avoir du matériel pour désherber chimiquement et du matériel pour désherber mécaniquement. Le développement de synergies entre agriculteurs permettrait de développer les techniques utiles à la réduction de l'utilisation des herbicides. C'est ainsi qu'un de mes voisins agriculteur conventionnel emprunte régulièrement ma bineuse pour désherber ses betteraves.

Un autre changement à introduire chez les agriculteurs est la référence au rendement. Le réseau DEPHY ne se développe pas davantage parce que le résultat économique n'est pas encore le critère de valeur sur une ferme. Quand deux agriculteurs se rencontrent, ils comparent leurs rendements, pas leur résultat économique.

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Benoît Drouin, président du réseau agriculture durable, RAD

Les freins au changement sont multiples. Comme l'a dit M. Evain, les agriculteurs ne comparent pas les marges qu'ils font à l'hectare mais plutôt les rendements.

Parmi les gens qui changent leur mode de production, on en trouve qui ont une culture scientifique, qu'elle soit agricole ou non, et qui abordent la gestion de leur ferme d'une façon différente. D'autres ont rencontré des problèmes de santé. D'autres encore ont été confrontés à des difficultés économiques, s'engageant, au gré des restructurations du monde agricole, dans des systèmes dont ils ont perdu la maîtrise et qui n'ont plus eu comme alternative que d'arrêter ou de changer.

Le revenu agricole, ce n'est pas seulement un produit ; c'est un produit moins des charges. On cherche toujours à maximiser le produit, ce que fait l'agriculture biologique en vendant plus cher une quantité moindre, mais on ne travaille pas sur les charges. Lorsque j'ai repris la ferme de mes parents, j'ai eu du mal à dissocier le conseil de la vente. La première année, un conseiller est passé me voir et m'a dit de faire tant de blé, tant de maïs et d'appliquer tel traitement à telle époque. Ce fut, pour moi, le choc qui a déclenché la construction d'un système beaucoup plus économe et autonome. Aujourd'hui, la notion de conseil est très vaste ; je préfère parler d'accompagnement. Ce qui manque aux agriculteurs que j'ai rencontrés, c'est une autonomie dans la décision. Dans beaucoup de fermes aujourd'hui, on ne sait pas qui décide. Il faut rendre cette faculté aux agriculteurs.

Le problème des pesticides doit s'affranchir des querelles des décideurs. On n'en réduira l'usage que si l'on redéfinit notre modèle alimentaire. À quoi bon parler d'un modèle de production agricole si l'on ne définit pas ce que l'on veut manger ? C'est mettre la charrue avant les boeufs ! Le ministère de l'agriculture est aussi celui de l'alimentation : là est la clé.

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Jérôme Audurier, exploitant du réseau DEPHY mis en place par le ministère de l'agriculture

Vivant dans une zone de polyculture-élevage, il m'a été beaucoup plus facile de diminuer le nombre de traitements sur le colza, car je n'étais pas entouré de grandes étendues de colza qui se touchent. La biodiversité, avec ses cultures différentes et ses prairies, facilite le changement.

Si un film ne suffit pas à sensibiliser sur l'impact des produits phytosanitaires, en tout cas, beaucoup d'agriculteurs n'en sont pas encore conscients. Ils sont très peu à porter des masques et des combinaisons de protection. S'ils ne se protègent pas, c'est qu'ils n'ont pas conscience du danger.

Les nouvelles technologies ont un coût. Tout le monde n'en a pas les moyens. En revanche, pour ceux qui veulent changer de modèle économique, il est simple de réintroduire l'agronomie. Ce n'est pas difficile de revenir aux rotations, de mélanger les espèces, et les résultats sont rapides.

Il y a quelques années, pour pouvoir utiliser les produits chimiques, les agriculteurs devaient suivre une formation Certiphyto. Pendant ces journées, on nous expliquait que les produits phytosanitaires étaient dangereux et qu'il fallait porter des gants, mais jamais on ne nous a dit comment limiter leur utilisation. Quelle dérision, tous les fonds VIVEA qui ont été engloutis dans ces formations pour un tel résultat ! Selon moi, le maître-mot en matière de formation, c'est « autonomie ». Avec le modèle bio, j'ai l'autonomie fourragère, l'autonomie de décision, et même l'autonomie financière. Plus on acquiert d'autonomie, plus il est facile de changer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous ne regrettons pas d'avoir organisé ce débat, qui s'est déroulé de manière apaisée. Chacun a pu s'exprimer très librement et respectueusement. Au nom des parlementaires, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et à nos différentes questions.

Même si nous avons pu constater, au travers des interventions, quelques différences d'analyse, les plans Ecophyto 1 et 2, mis en place successivement, l'un par la précédente majorité, l'autre par l'actuelle, témoignent d'une identité de vues sur les objectifs à moyen et long terme et sur les enjeux sanitaires et environnementaux.

Ce matin, un parlementaire m'a dit qu'en organisant une telle table ronde, j'allais mettre « le feu aux campagnes ». Ce n'est pas parce que le ministre de l'agriculture a décidé un plan Ecophyto 2 que le débat s'arrête et que nous ne devons pas continuer à échanger. D'autant que de nouvelles informations nous arrivent tous les jours. Ici, c'est la décision du CIRC relative à certains produits phytosanitaires ; là, c'est l'interdiction des néonicotinoïdes, à compter du 1er janvier 2016, que l'Assemblée nationale a adoptée il y a une dizaine de jours dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la biodiversité. Notre environnement bouge, et notre responsabilité de parlementaires et de politiques, c'est d'être capables de décider dans les meilleures conditions, en ayant connaissance des différents enjeux et des risques.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 8 avril 2015 à 9 h 30

Présents. – Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. – M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Patrice Carvalho, Mme Florence Delaunay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Napole Polutélé, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. – M. Gérard Bapt, Mme Delphine Batho, M. Jean-Pierre Blazy, M. Dino Cinieri, M. Dominique Potier, M. François Vannson, M. Jean-Luc Warsmann