Intervention de François Veillerette

Réunion du 8 avril 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

François Veillerette, porte-parole et ancien président de Générations Futures :

Certains produits utilisables dans l'agriculture peuvent aussi être employés par des jardiniers amateurs.

Les pesticides ont un impact à la fois sur la santé et sur l'environnement. Selon les dernières études au niveau national, on en trouve dans à peu près 90 % des rivières et dans les trois quarts des nappes phréatiques, avec une tendance à l'augmentation. Tout le monde connaît leur impact sur les abeilles, ce qui a conduit à un moratoire sur l'utilisation de certaines familles d'insecticides sur certaines cultures.

Concernant la santé, une évaluation du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a rappelé, il y a quelques semaines, qu'un certain nombre de produits, dont le glyphosate, étaient considérés comme des cancérigènes probables ou possibles, ce qui est en contradiction avec l'homologation de ces produits au niveau européen. Rappelons que les matières actives sont homologuées au niveau communautaire et que le produit phytosanitaire, c'est-à-dire le produit tel qu'il passe du bidon à l'environnement, est homologué au niveau national.

Alors que la preuve a été faite sur l'animal, et qu'on a trouvé des éléments de preuve de l'effet cancérogène du glyphosate sur l'homme, on peut légitimement se demander pourquoi ce produit est autorisé, considéré comme un produit sûr, au niveau de l'Europe. C'est simplement que les exigences du règlement européen sont insuffisantes à plusieurs égards.

Il y a d'abord une mauvaise application du règlement. À chaque fois qu'une matière active revient pour homologation au niveau européen, la firme demandeuse est tenue de verser au dossier l'ensemble de la littérature publiée sur les dangers et les risques présentés par cette matière active. Nous avons montré, avec d'autres associations, qu'un quart seulement des études scientifiques et universitaires disponibles était produit.

Ensuite, au niveau national, le pesticide tel qu'employé par l'agriculteur est testé sur sa toxicité aiguë mais pas sur ses effets de toxicité chronique. Alors qu'ils sont obligatoires pour chaque spécialité pesticide, on ne fait pas de tests sur rats pendant deux ans. On n'a donc aucune idée scientifiquement valable de l'impact du mélange vendu dans le bidon. Or les scientifiques ont souligné l'importance des ratios des composés dans un mélange, ce qu'est précisément un pesticide qui associe une ou plusieurs matières actives avec des surfactants, des diluants, des synergisants et autres.

Tester la toxicité chronique de ces produits, c'était le sens de l'étude du professeur Séralini, qui avait fait polémique il y a quelques années. Son expérience avait été conduite sur des rats nourris aux OGM et avec une formulation à base de glyphosate. D'aucuns diront que les rats étaient en nombre insuffisant, qu'ils étaient de mauvaise souche. Reste que le professeur avait poursuivi son étude sur rats pendant deux ans, ce que ne font jamais les sociétés. Il y a donc, dans la législation, un manque criant qui peut expliquer qu'en dépit de l'homologation des produits, on trouve, dans des populations d'agriculteurs exposés à certains pesticides, des pathologies en surnombre.

Autre défaut dans la réglementation, la problématique spécifique des perturbateurs endocriniens. Le règlement de 2009 prévoit d'exclure a priori de la famille des pesticides, les perturbateurs endocriniens pouvant avoir un effet nocif sur l'homme. Alors qu'il devrait déjà être en vigueur, sa mise en application a été suspendue à la suite d'une polémique scientifique déclenchée par des groupes de pression industriels qui avaient bloqué la publication des critères permettant de définir ce qu'étaient réellement les perturbateurs endocriniens. Ce règlement était novateur dans la mesure où, partant du principe que les produits dangereux à des doses très faibles allaient être exclus, il n'était pas nécessaire de faire une évaluation du risque des effets à très faible dose des pesticides perturbateurs endocriniens. Au lieu d'appliquer ce règlement, on fait une évaluation de ses conséquences socio-économiques. On fait les choses à l'envers : plutôt que de prioriser la santé publique, on met en avant les intérêts économiques, ce qui n'est ni l'esprit ni la lettre du règlement. C'est une cause de mauvaise gestion de l'évaluation et du processus d'autorisation, qui explique en grande partie les pathologies qui viennent d'être listées.

Nous avons aussi des inquiétudes au regard de l'exposition alimentaire, car beaucoup moins d'études ont été faites dans ce domaine. Nous avons du mal à sérier, dans une population, les personnes les plus exposées à la consommation d'aliments contaminés par des pesticides. Toutefois, quand on y arrive, on peut mettre en évidence, dans des groupes d'hommes, par exemple, une qualité du sperme moins bonne que dans les groupes témoins. Les études commencent à montrer les impacts sur les consommateurs les plus contaminés par les résidus alimentaires.

S'ajoute à cela le nombre phénoménal de personnes qui ne peuvent plus sortir de chez elles du mois d'avril au mois de juillet, à cause des pulvérisations dans les champs, dans les vergers ou dans les vignes juste à côté de chez elles. C'est à juste titre qu'elles s'inquiètent, parce qu'elles sont réellement exposées aux produits. De simples analyses de sang ou de cheveux montrent qu'elles sont effectivement contaminées par des cocktails de produits.

Il y a donc là un problème de santé publique global auquel on répond mal, avec une mauvaise évaluation des produits et une mauvaise protection des agriculteurs. D'ailleurs, certains travaux de l'ANSES ont montré que les équipements de protection individuelle des agriculteurs n'étaient pas toujours efficaces. La protection des riverains contre les pulvérisations effectuées très près de chez eux est également mauvaise. L'année dernière, la ministre de l'écologie avait suggéré d'imposer des zones sans pulvérisations aux alentours des écoles, par exemple, ce qui a été refusé. Quoi qu'il en soit, cela serait insuffisant ; il faudrait les interdire partout où peut se trouver une femme enceinte, car elle abrite l'organisme le plus sensible aux perturbateurs endocriniens : le foetus en développement.

Nous souhaitons que les pesticides mis sur le marché soient mieux évalués et que le plan Ecophyto soit mis en oeuvre de manière efficace. À l'évidence, ce plan n'a pas produit les résultats escomptés, sans doute parce que, malheureusement, une grande partie de la profession agricole, tout du moins de ses organismes représentatifs, ne joue pas le jeu. Le président de la FNSEA ne cache pas que ses adhérents ne veulent pas réduire les pesticides, considérant que c'est à l'État et aux sociétés de leur fournir des produits qui ne sont pas dangereux. C'est une façon de se dédouaner de ses responsabilités comme personne ne peut le faire dans cette affaire qui relève d'une responsabilité collective. Tous les acteurs doivent trouver ensemble des solutions, qui deviennent urgentes au regard du problème de santé publique.

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