Monsieur le Premier ministre, l’Assemblée a commencé hier l’examen du projet de loi relatif au renseignement que vous avez présenté. La procédure accélérée que vous avez choisie réduit le temps de débat au Parlement de ce texte pourtant d’une très grande importance, puisqu’il touche au fragile équilibre entre sécurité et libertés fondamentales. Comme l’écrit très justement le président de la commission des lois, « les conditions d’examen de la procédure accélérée ne permettent pas aux parlementaires de travailler de manière satisfaisante. »
Monsieur le Premier ministre, ce texte, qui ne saurait être réduit à la seule lutte contre le terrorisme, suscite des inquiétudes et des critiques légitimes dans la société. Le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, Jean-Marie Delarue, estime qu’il comporte des dérives portant atteinte aux libertés individuelles. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dénonce quant à lui un climat social dangereux au sein duquel chacun pourra être considéré comme un potentiel suspect.
Les critiques visent également l’élargissement des finalités assignées désormais aux services de renseignement, qui vont de la lutte contre le terrorisme à la « prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions », en passant par la protection des « intérêts majeurs de la politique étrangère de la France ». Ce projet de loi autorise aussi le recours à des outils de recueil technique de données de très grande ampleur, pour ne pas dire de masse – notamment des outils mobiles de proximité de captation directe de données, et des sondes et algorithmes opérant sur les flux électroniques – sans offrir toutes les garanties de protection pour nos libertés. Je regrette à cet égard que l’amendement des écologistes assurant la protection de certaines professions – avocats, journalistes, médecins et magistrats – ait été rejeté par la commission des lois. J’espère que le Gouvernement réparera cette erreur.
Monsieur le ministre, au-delà des conséquences de ce texte pour les libertés, nous nous préoccupons de son impact économique. Nombre d’hébergeurs français s’inquiètent sérieusement de voir leurs clients fuir leurs services pour des pays où l’espace numérique n’est pas soumis à de tels contrôles. Nous risquons de pénaliser l’emploi et l’industrie numérique dans notre pays. Pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, si toutes les conséquences du texte ont été réellement évaluées par votre gouvernement ?