« Nous partîmes 8 mais par un prompt renfort nous arrivâmes 315 au port. »
Paraphrasant le Cid nous pourrions ainsi évoquer l'acte phare de la nouvelle Commission européenne : le plan Juncker qui ambitionne, avec un très faible apport de fonds publics (16 milliards d'euros), de dynamiser la croissance européenne par la mobilisation de 315 milliards d'euros d'investissements pour créer à nouveau des anticipations positives des acteurs économiques, conduisant ainsi à une relance de l'investissement, pilier de la croissance.
Nous pouvons dire qu'il était temps. Depuis sept ans l'Union européenne traverse la crise économique la plus grave et la plus longue que le monde ait connue depuis 1929. Les résultats économiques de la zone euro, en termes de croissance, ont été ces trois dernières années les plus mauvais des grands ensembles économiques. L'OCDE comme le FMI qui ont appelé la zone euro et l'Union européenne à engager une politique de relance, se sont heurtés à une opposition forte de la précédente Commission européenne et surtout aux profondes divergences de point de vue entre les États.
Il nous faut regretter que la Commission européenne, comme la Banque centrale européenne (BCE), aient mis autant de temps à réagir et que nos partenaires européens n'aient soutenu les demandes formulées par la France, en particulier pour le premier plan de relance de 2012 – intéressant mais insuffisant en volume – que sous la menace d'un refus de ratification du Traité sur la stabilité et la gouvernance en Europe. De même que la politique de « quantitative easing » de la BCE, mise en place aujourd'hui, aurait dû l'être au plus fort de la crise, ce qui aurait évité bien des difficultés. L'investissement, qu'il soit public ou privé, a été l'une des premières victimes de la crise : à l'échelle de l'Union européenne, il est inférieur de près de 15 % à son niveau d'avant-crise.
Ce phénomène touche les États membres de l'Union dans des proportions très différentes. Dans les États les plus touchés par la crise et le phénomène de fragmentation financière, la situation est particulièrement grave et pose une hypothèque sur le potentiel de croissance à moyen-terme. D'autres États connaissent un déficit d'investissement depuis de longues années. À cela s'ajoute une tendance très longue à la baisse de l'investissement public dans l'Union européenne, dans un contexte d'infrastructures vieillissantes dans certains États membres.
Le recul de l'investissement privé s'explique par le coût élevé du financement bancaire dans certains États (lié au phénomène de « fragmentation financière »), l'incertitude chronique qui a caractérisé ces cinq dernières années et le niveau élevé d'endettement expliquent que l'investissement ait reculé. Ainsi que l'a récemment rappelé le FMI, les reprises économiques sans reprises du crédit, et donc de l'investissement privé, sont un phénomène extrêmement rare. Le raffermissement de l'investissement privé est donc la condition du retour à une croissance forte et durable.
Du côté de l'investissement public, l'accent qui a été mis par la précédente Commission sur la consolidation budgétaire ces dernières années et les réductions des dépenses ont porté de manière disproportionnée sur les dépenses d'investissement.
L'investissement public fait également face à plusieurs nécessités : entretenir et préserver le stock et la qualité du capital productif existant et, dans certains États membres, ramener l'investissement à des niveaux comparables à ceux d'avant-crise ou comparable aux moyennes européennes ; et enfin compenser les investissements publics non-réalisés en raison de la crise exceptionnellement longue que l'Union européenne, et en particulier les pays périphériques, viennent de traverser.
Eurostat souligne le net recul des dépenses d'investissement dans l'Union européenne (UE-28), passées de 2 927,5 milliards d'euros à 2 609, 6 milliards d'euros entre 2008 et 2013, soit une diminution de 10,9 % en valeur .
Il nous semble que l'Histoire jugera sévèrement ce manque de réactivité européenne et pour cela, avec Razzy Hammadi, nous nous référons à notre rapport sur le « Pacte pour la croissance et l'emploi » arrêté par le Conseil européen des 28 et 29 juin 2012, du 4 décembre 2012, dans lequel nous soulignions que : « La mise en perspective du Pacte avec les données économiques générales est indispensable : une croissance dynamique en Europe implique de lutter contre la surévaluation de l'euro, de promouvoir l'allongement du calendrier de retour à l'équilibre budgétaire… ».
Les points 4 à 9 des conclusions adoptées alors par notre Commission nous semblent toujours d'actualité avec néanmoins un point nouveau : la BCE n'a pas attendu que les autorités européennes le lui demandent pour engager une politique qui a conduit à une forte baisse de l'euro par rapport au dollar.
Il ne nous paraît pas excessif d'estimer que l'accent mis sur la rigueur par la Commission européenne, avec l'appui de l'Allemagne et des pays nordique a été somme toute une erreur. Comme l'illustre la baisse de l'investissement public. Ainsi, aux côtés de pays où la formation brute de capital fixe des administrations publiques est restée relativement stable tout au long de la période 2008-2013, comme l'Allemagne et la France, d'autres ont vu leur investissement public reculer fortement, à l'instar de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce.
L'action de la nouvelle Commission européenne, malgré quelques ambiguïtés, a fait naître des espoirs.
Dans sa nouvelle publication sur les perspectives économiques mondiales, l'OCDE insiste sur l'impérieuse nécessité d'alléger le poids de la rigueur en zone euro. A l'appui de sa recommandation, l'organisation internationale évoque le risque que fait peser sur la croissance mondiale une zone euro qui pâtit d'une croissance anémique (le PIB ne devrait croître que de 0,8 % en 2014 et de 1,1 % en 2015), d'un chômage élevé et d'une inflation très basse. Relevant que la zone euro représente un quart de la croissance mondiale, les experts de l'OCDE craignent qu'une stagnation prolongée dans cette partie du monde freine la croissance globale et ait des effets de contagion sur les autres économies avec lesquelles elle est liée sur les plans commerciaux et financiers.
Mais, surtout l'organisation du Château de la Muette estime, que les raisons des mauvaises performances économiques de la zone euro sont essentiellement dues à la faiblesse de la demande, et en particulier de la consommation et de l'investissement. L'OCDE plaide pour une réaction vigoureuse des décideurs publics européens pour stimuler la demande et favoriser une croissance plus forte. Selon elle, cela passe par la mise en oeuvre simultanée de politiques budgétaires moins restrictives, d'une politique monétaire de la BCE plus accommodante qu'elle n'est actuellement, avec le lancement d'un véritable programme d'achat massifs d'actifs financiers, et des réformes structurelles plus poussées. Concernant la situation des finances publiques de la France et l'Italie, l'OCDE estime que la faiblesse de la croissance de leurs économies justifierait un report des efforts budgétaires demandés à ces deux pays. Cette prise de position de l'OCDE est intervenue au mois de novembre 2014, au moment où la Commission européenne, sous l'influence de l'Allemagne, exigeait des efforts supplémentaires d'austérité budgétaire de la part de la France et de l'Italie, susceptibles de casser l'amorce de reprise économique dans ces deux pays et, au final d'être contreproductive.
Nous nous félicitons évidemment que la BCE ait engagé une politique qui aide à la relance et nous souhaitons que la Commission européenne considère que la situation de la zone euro est suffisamment fragile, sur le double plan de l'économie et de la politique, avec la montée de l'euroscepticisme, pour s'engager ouvertement dans une politique de relance, car en appuyant simultanément sur l'accélérateur avec le plan Juncker et le frein, avec l'exigence de rigueur budgétaire, nous risquons une forme d'embardée politique.
Mais, malgré les réserves que nous venons d'évoquer nous devons nous féliciter du plan Juncker qui permet à l'Union européenne d'afficher de nouvelles ambitions économiques.