L'agriculture biologique est aujourd'hui à un tournant. En effet, il y a juste un an, le 24 mars 2014, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement visant à modifier, sur de nombreux points, les règles actuelles applicables à la production biologique. En janvier, la nouvelle Commission a donné jusqu'à fin juin au Conseil et au Parlement européen pour parvenir à un compromis, faute de quoi elle retirera sa proposition. C'est pourquoi j'ai souhaité, sans attendre l'examen de mon rapport sur l'agriculture biologique, informer la Commission des enjeux importants de cette proposition et l'amener à prendre position sur celle-ci.
Mais en préalable, quelques chiffres. La production biologique, aujourd'hui, se porte bien, que ce soit en Europe ou en France. En 2012, dans l'Union européenne, 235 000 exploitations agricoles cultivaient 9,5 millions d'hectares selon le mode biologique dans les 27 Etats-membres de l'Union européenne. L'agriculture biologique représentait ainsi 5,4 % de la surface agricole utile (SAU) européenne.
Quant à la France, avec 1,1 million d'hectares cultivés en bio par plus de 25 000 exploitants, elle a dépassé l'Allemagne et affiche depuis 2014 la troisième surface bio d'Europe, derrière l'Espagne et l'Italie. 75 % des produits biologiques consommés en France sont aujourd'hui produits en France.
La consommation, justement. En Europe, le bio, c'est un marché de 22,2 milliards d'euros (en 2012) qui a doublé depuis 2004. De même en France, malgré la crise et les prix généralement plus élevés des produits issus de l'agriculture biologique, les consommateurs français se tournent de plus en plus vers le bio. Les ventes ont ainsi atteint 5 milliards d'euros en 2014, soit plus du double de 2007.
Les règles actuelles, issues du règlement no 8342007, ont donc permis un essor remarquable à la fois de la production et de consommation de produits bio. Toutefois, ces règles montrent aujourd'hui leurs limites et celles-ci justifient qu'elles soient modifiées.
Les différentes évaluations du règlement no 8342007 ont en effet mis en avant les insuffisances des règles actuelles au détriment à la fois des producteurs et des consommateurs. Parmi ces insuffisances, trois paraissent importantes :
La première est l'absence d'harmonisation des règles, que celle-ci découle des divergences d'interprétation entre les États-membres ou de la multiplicité des dérogations possibles. Ces divergences et ces dérogations, s'agissant par exemple à l'obligation d'utiliser des semences biologiques, ont une incidence négative sur la production biologique, notamment parce qu'elles entravaient la mise sur le marché d'intrants biologiques. En outre, la gestion et le contrôle de ses dérogations entraînent une charge considérable, tant pour les autorités compétentes que pour les opérateurs. Enfin, divergences et dérogations sont à l'origine de distorsions de concurrence entre les producteurs et sont susceptibles de nuire à la confiance des consommateurs.
La deuxième est la défaillance des mécanismes de contrôle. Un mécanisme de contrôle crédible est fondamental pour la confiance du consommateur et, par conséquent, pour la pérennité et le développement de la production biologique. Or, plusieurs lacunes ont été mises en évidence . D'une part, les méthodes d'analyse des résidus de substances non autorisées et les sanctions applicables ne sont pas harmonisées entre les États-membres ni même entre les organismes de contrôle d'un même État-membre. D'autre part, les autorités compétentes sont elles aussi, parfois, défaillantes dans leur supervision des organismes de contrôle.
Enfin, la troisième est l'insuffisance des règles relatives aux produits bio importés. Celles-ci reposent sur la reconnaissance, par la Commission, d'une « équivalence » des règles des pays tiers et de leurs organismes de contrôle avec les règles et les organismes de contrôle européens. Toutefois, il apparaît que la Commission européenne n'est pas en mesure de s'assurer elle-même de l'application de ces règles et de la réalité des contrôles réalisés dans les pays tiers qui, selon les différentes évaluations, sont souvent peu efficaces.
Dès lors, le règlement no 8342007, après avoir contribué à son développement, contraint la production biologique européenne dans un contexte de forte croissance de la demande et, par la défaillance de ses mécanismes de contrôle, fait peser un risque majeur pour la confiance du consommateur en cas de révélation d'une fraude ou d'une négligence affectant la qualité des produits bio.
Si une refonte du règlement est souhaitable compte tenu de ses insuffisances, la proposition de règlement, malgré des points positifs, présente de nombreux risques. L'enjeu, comme le rappelle la Commission européenne, est « d'assurer une croissance continue de l'offre et de la demande tout en maintenant la confiance des consommateurs ». Or, cet équilibre ne me semble pas respecté dans la proposition de règlement. Dans sa volonté d'uniformiser les règles applicables, elle aggrave les contraintes pesant sur les exploitants, au risque de déprimer la production européenne de produits biologiques. A l'inverse, en allégeant d'autres contraintes, en particulier s'agissant des contrôles, elle est susceptible de nuire à la confiance du consommateur.
Je voudrais en particulier aborder cinq points qui me paraissent importants.
Le premier point est la « mixité » des exploitations bio, que la Commission souhaite interdire afin de limiter les risques de contamination. Cependant, une telle interdiction d'associer production bio et non bio, souhaitable dans son principe, est de nature à rendre plus difficile la conversion des exploitations, à contraindre certaines d'entre elles d'abandonner la production biologique ou à les inciter à séparer juridiquement production biologique et production conventionnelle, rendant ainsi plus difficile la mise en oeuvre des contrôles.
Le deuxième point concerne les règles de production et les dérogations. A quelques exceptions près, les règles de production restent globalement inchangées dans la proposition de règlement. J'attire toutefois votre attention sur le renforcement considérable des contraintes liées au bien-être animal. En effet, l'attache des animaux – qui serait strictement encadrée – ou certaines pratiques, qui peuvent apparaître comme des mutilations (interdites par principe), sont parfois nécessaires à la sécurité physique des éleveurs et des animaux (écornage), à la sécurité sanitaire des animaux (coupe de la queue), ainsi qu'à la qualité nutritionnelle et gustative des produits (castration) ; qu'à ce titre, des dérogations doivent pouvoir continuer à être accordées aux éleveurs lorsqu'elles sont nécessaires.
S'agissant des dérogations, je partage l'objectif de la Commission européenne, qui souhaite réduire leur nombre ainsi que les limiter dans le temps. Ces dérogations sont en effet de nature à déséquilibrer les conditions de la concurrence entre les producteurs européens, à défavoriser la recherche pour la mise au point d'intrants biologiques autant qu'à nuire à la confiance du consommateur. Toutefois, j'attire votre attention sur le fait que la réduction du nombre des dérogations aux règles de production, comme leur limitation dans le temps, en particulier pour les semences, n'a de sens qu'à la condition de disposer d'alternatives biologiques.
Dans ces conditions, si un effort important en matière de recherche n'est pas mis en oeuvre, la fin des dérogations, même fixée à 2021, est susceptible de déprimer la production bio en privant les producteurs des intrants nécessaires.
Le troisième point porte sur les contrôles. C'est un point important car de la crédibilité de ces contrôles dépend la confiance des consommateurs et, par conséquent, la pérennité et le développement de la production bio. Dès lors, je regrette que la proposition de règlement supprime, pour des raisons de coût, l'obligation de contrôle annuel physique des exploitations biologiques au profit d'un mécanisme de contrôle basé sur l'évaluation des risques. C'est d'autant plus dommageable que cette obligation, régulièrement mise en avant par les producteurs, est aisément compréhensible par les consommateurs.
En revanche, je suis favorable à la possibilité d'une certification bio groupée pour les petits producteurs. En mutualisant son coût, elle est de nature à faciliter la conversion des exploitations vers la production biologique.
Mais le véritable « point noir », selon moi, de cette proposition de règlement est la volonté de la Commission européenne de fixer un seuil très bas (0,01 mgkg) pour les résidus de substances non-autorisés dans les produits biologiques. Harmoniser ce seuil me semble important car c'est favorable à la confiance des consommateurs. Toutefois, avant d'harmoniser le seuil, il faudrait aussi harmoniser les stratégies d'échantillonnage des organismes de contrôle, les conditions de réalisation de leurs prélèvements, leurs méthodes d'analyse et les décisions de leur comité de certification. De plus, il faut aussi définir de manière précise les conditions de mise en cause de la responsabilité du producteur et l'auteur de la contamination ainsi que celles de son indemnisation éventuelle. Sans ces préalables, un tel seuil créerait des distorsions de concurrence et de graves difficultés financières pour les producteurs dont la production serait décertifiée.
Le quatrième point, très positif, de cette proposition de règlement est le renforcement des règles applicables aux produits biologiques importés. Au terme d'une période de transition, les produits bio importés devront être conformes et non plus seulement équivalents aux règles européennes de production biologique. Les conditions du contrôle par la Commission des autorités et des organismes de contrôle dans les pays tiers seront également améliorées. Toutefois, il est essentiel que la Commission européenne parvienne, plus qu'aujourd'hui, à dégager les ressources matérielles et humaines nécessaires à un contrôle efficace.
Enfin, le cinquième point porte sur le nombre considérable d'actes délégués prévus par la proposition de règlement. Celle-ci comporte en effet 45 articles dont 29 renvoient à des actes délégués. Si l'on peut comprendre que le progrès technique ou des éléments de contexte exigent une adaptation rapide des règles, un nombre aussi considérable de renvois à des actes délégués autant que l'imprécision de leur formulation constituent une source d'insécurité juridique majeure pour les opérateurs.
La proposition de résolution qui vous est soumise reprend l'ensemble de ces éléments.