Intervention de Michel Sapin

Réunion du 15 avril 2015 à 12h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics :

Je croirais, monsieur le président, me retrouver à l'époque où j'étais enfant de choeur et où je me faisais réprimander par le curé pour tous ceux qui étaient absents alors que j'étais là. Nous sommes heureux d'être à votre disposition dès la sortie du Conseil des ministres, de même que nous serons à votre disposition la semaine prochaine pour répondre à des questions plus approfondies.

Nous sommes à la date habituelle des engagements européens de coopération, d'information mutuelle, de solidarité visant à permettre à la Commission européenne et aux autres pays partageant la même monnaie de porter un jugement sur nos stratégies budgétaires et nos plans de réforme. À cette fin, deux documents seront communiqués à la Commission européenne et à l'ensemble de nos partenaires, et donneront lieu à un examen et à un avis de la Commission européenne, avant un vote du Conseil. Ces deux documents sont notre stratégie budgétaire, que nous allons vous présenter ici, et un plan national de réformes. Conformément à la décision prise par la Conférence des présidents de votre Assemblée, un débat aura lieu début mai dans l'hémicycle sur ces questions.

La première caractéristique du présent programme de stabilité est le retour à la croissance. C'est le sujet fondamental : une croissance supplémentaire permet de faire reculer le chômage, principale préoccupation de nos concitoyens. Nous apportons dans le programme de stabilité les éléments, déjà évoqués la semaine dernière, concernant les moteurs de cette croissance.

Un premier moteur s'est allumé : la consommation des ménages. Elle était déjà repartie en 2014 et la tendance se confirme en 2015. Certains phénomènes la soutiennent : une inflation nulle, des revenus qui continuent à augmenter à une vitesse supérieure à celle de l'inflation, des décisions de diminution des impôts – neuf millions de Français verront leurs impôts baisser cette année, ce qui soutiendra leur capacité de consommation. Il faut entretenir ce moteur.

Le deuxième moteur est celui des exportations. Sous l'effet d'un niveau de l'euro bien plus favorable, notre capacité à l'exportation s'est renforcée, de même que notre capacité à résister aux importations hors zone euro. En outre, la croissance est plus forte sur l'ensemble de la zone, notre principal partenaire. Ce moteur s'est également allumé et continuera de monter en puissance.

Le troisième moteur est celui de l'investissement, en particulier des entreprises. Des mesures ont été prises la semaine dernière. Le premier élément qui permettra aux entreprises d'investir est la reconstitution de leurs marges au niveau de 2010 ; ces marges parviendront au niveau de 2007 ou 2008 en 2016 et 2017. Sous-jacente à la croissance en 2015 et 2016 : une légère reprise de l'investissement, de 1,2 %, en 2015, et une plus forte reprise en 2016, de 4,6 %. C'est parfaitement en ligne avec ce qui se passe habituellement en période de reprise.

Nos hypothèses de croissance sont inchangées pour 2015, à 1 %, même si tout converge pour indiquer que la croissance pourrait être supérieure. Nous avons également décidé de faire des hypothèses extrêmement réalistes, prudentes en 2016 et 2017, de 1,5 % chacune de ces années. J'ai apprécié que le Haut Conseil des finances publiques déclare ce matin que nos hypothèses sur ces trois années sont prudentes ; c'est la première fois que cette institution porte un tel jugement. C'est un élément de crédibilité de notre démarche.

D'une stratégie de plafond, par laquelle on se fixe un objectif de croissance, que l'on avait tendance, les uns et les autres, à ne pas atteindre, nous passons à une stratégie de plancher. Nos hypothèses de croissance sont des hypothèses planchers : notre stratégie doit nous permettre d'aller au-delà. Ce n'est pas une vision pessimiste mais réaliste ; si la croissance est plus élevée, il sera plus agréable de répondre à la question de savoir que faire de la croissance supplémentaire plutôt qu'à celle de savoir ce qu'il faudra faire faute d'avoir atteint les objectifs de croissance que l'on s'était fixés.

Notre stratégie de réduction des déficits consiste, après une période d'explosion en 2009 et 2010, à les diminuer, non seulement pour respecter la règle des 3 %, mais surtout pour enrayer l'endettement de la France et retrouver des marges de manoeuvre pour financer nos priorités. Nous proposons cette année un objectif de 3,8 % de déficit, alors que la Commission européenne recommandait 4 % ; nous proposons 3,3 % pour l'année prochaine, alors que la Commission européenne recommande 3,4 % ; et 2,7 % pour 2017 alors que la Commission européenne recommande 2,8 %. C'est une trajectoire quasi identique à celle que vous avez votée dans la loi de programmation des finances publiques en décembre dernier. Ce n'est donc pas parce que l'on nous aurait demandé de le faire que nous le faisons mais parce que nous l'avons décidé. Il se trouve que ce que nous avons décidé et les recommandations qui nous sont faites par le Conseil convergent, et c'est bien ainsi ; je préfère les convergences aux divergences. Mais nous appliquons nos décisions.

Notre plan de 50 milliards d'économies sur trois ans, 2015, 2016 et 2017, n'augmente pas l'effort demandé : c'est celui que vous avez voté. Certaines économies programmées ne se matérialisant pas du fait que nous passons d'une hypothèse d'inflation de 0,9 % à une inflation nulle, ces économies qui ont disparu doivent être compensées, en particulier par des mesures nouvelles à hauteur de 4 milliards cette année. Ce ne sont pas 4 milliards en plus des 21 milliards. Nous ne proposons rien d'autre que d'atteindre l'objectif que vous avez voté. Des mesures complémentaires devront être prises en 2016, dans le même état d'esprit.

Au-delà de la stratégie de croissance et de la réduction des déficits, la question des prélèvements obligatoires est également importante. Alors que 2014 a été l'année de la stabilité des prélèvements – les impôts n'ont pas augmenté par rapport à 2013 –, 2015 sera celle de la diminution des prélèvements par rapport au PIB, et nous continuerons en 2016 et 2017. C'est un engagement qui a été pris. La trajectoire que nous proposons est donc la fin des hausses d'impôts commencée en 2009 et conduite jusqu'en 2013, et, après la stabilité en 2014, la baisse dès cette année.

Un autre élément important en termes de crédibilité est le poids de la dette par rapport à la richesse nationale. Celui-ci n'a cessé d'augmenter ces dernières années, avec un ressaut considérable les années 2009, 2010 et 2011, par rapport à un PIB lui-même en difficulté. Après cette explosion, la dette a continué d'augmenter en 2012, 2013 et 2014. Elle continuera d'augmenter légèrement en 2015 mais se stabilisera en 2016 et diminuera en 2017. Puisque nous partons d'hypothèses de croissance très prudentes, toute croissance supplémentaire ferait diminuer le poids de la dette par rapport au PIB. Les symboliques 100 % de dette par rapport au PIB ne sont pas dans notre trajectoire, bien au contraire.

En quoi ce programme de stabilité est-il différent de la dernière recommandation de la Commission et du Conseil ? Il n'y a pas de différence sur le déficit ; à 0,1 ou 0,2 point près, nous sommes même légèrement en dessous du déficit recommandé. Il n'y en a pas non plus sur les dépenses. Nous avons cependant un point de différence sur l'effort structurel demandé par la Commission européenne en 2016 et 2017. En 2014, la Commission européenne craignait que nous n'ayons pas respecté nos engagements ; elle avait donc une vision critique de la situation. Au moment de sa première recommandation, elle pensait, comme nous d'ailleurs, que nous étions à un déficit de l'ordre de 4,3 % en 2014. Le déficit constaté a en fait été de 4 %. Ceux qui avaient des craintes sur l'exécution de 2014 sont donc aujourd'hui rassurés. Il n'y avait aucune raison de montrer la France du doigt, les obligations en termes d'effort structurel ont été acquittées.

La Commission européenne a considéré raisonnable de recommander 3 % en 2017, au lieu de 2015 initialement, mais elle a souhaité en contrepartie qu'un effort particulier soit déployé en 2016 et 2017 : 0,8 % d'effort structurel en 2016 et 0,9 % en 2017. Or nous avons regardé les choses de près. Si nous vous proposions un tel effort aujourd'hui, cela ne nous permettrait pas d'atteindre la cible plus facilement, au contraire, car cet effort supplémentaire, pour le plaisir du structurel, ferait chuter la croissance en dessous de 1 % et empêcherait la France de faire reculer le chômage et d'atteindre ses objectifs nominaux de déficit. C'est pourquoi nous vous proposons un effort structurel de 0,5 %, qui est déjà exigeant pour toutes les catégories des administrations publiques.

Il existe sur ce point une différence d'appréciation. Le programme de stabilité l'indique clairement : il constate les conséquences de la recommandation de la Commission européenne et propose une autre voie, celle que je vous viens de vous décrire. Je rassure ceux qui pensent qu'une attitude de dialogue est préférable : la Commission européenne ne découvrira pas aujourd'hui ce que nous proposons. J'ai déjà commencé à informer les commissaires concernés. Ils participent à cette réflexion car, au sein même de la Commission européenne, certains ont compris qu'il serait absurde de demander trop si c'est pour aboutir à une croissance plus faible.

La France représente 21 % du PIB de la zone euro ; c'est le deuxième plus haut PIB après l'Allemagne. Ce qui se passe dans notre pays concerne 100 % des autres pays. Diminuer la croissance de ces 21 %, à cause d'une trop grande rigidité, conduirait donc à une diminution de l'ensemble du socle de la zone euro.

Par ailleurs, quand on représente 21 % du PIB, on a aussi une responsabilité vis-à-vis des autres, et il faut que nous l'assumions. C'est ce que nous proposons avec ce programme de stabilité dont les grands équilibres sont fondés sur la réalité, la prudence, le dégagement de marges de manoeuvre, une exigence de maîtrise de la dépense publique. Rien de ce qui sera proposé par ce Gouvernement n'entravera donc la reprise de l'activité. Nous devons au contraire prendre des décisions qui confortent et amplifient la reprise de la croissance, ce qui est le seul moyen de recréer des bases économiques, sociales et budgétaires à la fois solides et durables.

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