Intervention de Michel Sapin

Réunion du 15 avril 2015 à 12h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics :

Madame la députée, je ne m'appelle pas, en effet, Irma Macron. C'est donc en tant que ministre des Finances et des comptes publics que je vous réponds. Les sujets abordés sont très nombreux, et nous aurons l'occasion de débattre plus longuement la semaine prochaine. Emmanuel Macron sera d'ailleurs présent afin d'évoquer le programme national de réforme. Programme de stabilité et programme national de réforme vont de pair : l'un et l'autre visent à améliorer notre capacité de croissance.

S'agissant de la procédure, le texte présenté en Conseil des ministres ce matin est porté à votre connaissance quinze jours avant d'être communiqué à la Commission européenne. Nous sommes donc susceptibles de le modifier, de le faire évoluer en fonction des avis qui s'expriment et des débats qui se développent, et qui sont parfaitement légitimes, notamment au sein des parlements. Ce délai est une manière, qui n'est certes sans doute pas très satisfaisante dans l'absolu, de respecter les avis parlementaires et plus largement les avis citoyens sur ces sujets.

S'agissant de l'opposition entre la trajectoire recommandée par la Commission européenne et celle que nous proposons, nous ne cherchons pas le moins du monde à éluder le débat. Il a bien sûr déjà commencé avec les membres de la Commission, dans un esprit extrêmement positif : je suis très confiant, nous devrions aboutir. Les schémas des pages 5 et 6 montrent qu'en suivant la recommandation de la Commission, nous atteindrions en 2016 une croissance de 0,7 %, alors qu'avec notre trajectoire, nous prévoyons une croissance de 1,5 %. En 2017, ce serait 0,8 % au lieu de 1,5 %. Or, je rappelle que nos hypothèses ont été calculées de façon prudente. Vous le voyez, les conséquences du choix entre l'une ou l'autre trajectoire sont extrêmement fortes : derrière tout cela, il y a des milliards de mesures nouvelles à prendre – la Commission n'en impose pas le détail. Vous comprenez pourquoi nous vous proposons de suivre la trajectoire budgétaire que nous qualifions de « retenue ».

Madame la rapporteure générale, vous évoquez la question des risques financiers. C'est un débat qui dépasse largement les limites du Haut Conseil des finances publiques, et même les frontières de notre pays. Je me rends demain aux États-Unis pour assister aux réunions de printemps du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale : il y a encore six mois, pour le FMI, le risque majeur pour l'économie mondiale, c'était – si l'on omet les problèmes géostratégiques, en Ukraine par exemple – une trop faible croissance en Europe. Aujourd'hui, l'activité reprend en Europe, et une autre inquiétude prend le relais : les politiques monétaires menées aux États-Unis et dans la zone euro ne créent-elles pas un risque financier, en injectant de grandes quantités de liquidités ? Ces politiques ont été utiles pour aider la croissance à reprendre, mais n'est-on pas en train de créer dans tel ou tel secteur une bulle qui, en crevant, aura des conséquences graves ? C'est une réflexion menée par ceux qui veulent à tout prix éviter de reproduire l'erreur commise collectivement avant 2008. L'un des éléments de cette réflexion, c'est bien sûr la régulation du secteur bancaire, mais aussi du shadow banking. Nous y travaillons, dans le cadre du G20 comme dans celui du FMI.

J'en viens à la question des 4 milliards. Christian Eckert y reviendra également. Mais je veux répondre à ceux qui estiment que la somme de 1,2 milliard – qui correspond à la baisse des taux d'intérêt – n'est pas une réduction de dépenses structurelles. Il ne s'agit pas là d'un taux d'intérêt d'une dette nouvelle, mais du résultat du refinancement de la dette du passé : si je voulais être un tout petit peu politicien, je soulignerais que nous refinançons ainsi la « dette Sarkozy » de 2009, 2010 et 2011. Les taux d'intérêt oscillaient alors entre 3,5 % et 4 % ; en 2015, nous nous ré-endettons au même niveau pour une durée similaire, mais avec une économie très substantielle, puisque les taux sont descendus à 0,5 %. Cette baisse est donc récurrente ; elle dure pendant toute la durée du remboursement de cette dette. Pour nous, comme pour les autorités européennes, il s'agit donc – contrairement à ce que beaucoup disent – d'une économie pérenne, considérée comme structurelle dans tous les pays.

Cette économie nous évite-t-elle de réduire les dépenses de nos services publics ? Non. Mais elle est néanmoins pérenne. L'an prochain, nous la retrouverons, et nous constaterons peut-être de nouvelles baisses, liées au refinancement d'autres dettes.

Nos calculs se fondent, je le souligne, sur des hypothèses de taux d'intérêt à dix ans bien supérieures à ce que nous constatons aujourd'hui. Comme sur l'inflation, où notre hypothèse est supérieure au chiffre qui fait aujourd'hui consensus, nous sommes extrêmement prudents. Nous constaterons donc peut-être une économie supplémentaire.

S'agissant de la croissance potentielle, je pourrais répondre à M. Mariton que si son critère pour juger de la réussite ou de l'échec d'une politique – atteindre le niveau de la croissance potentielle – était le bon, alors ce serait un formidable moyen de montrer l'échec du quinquennat précédent ! L'échec serait ainsi largement partagé entre les uns et les autres.

Ces questions de croissance potentielle, de déficit structurel, d'écarts de production… – dont je plaisante parfois en disant que je n'y comprends goutte – sont des sujets importants, auxquels des gens travaillent avec beaucoup de sérieux. La question de la croissance potentielle fait aujourd'hui, après la crise, dans les conditions nouvelles que nous connaissons, d'un vrai débat : je ne rencontre plus deux personnes qui me disent la même chose. À l'instar de certains parmi les plus sages de cette commission – je ne nomme personne, mais vous les reconnaîtrez – je préfère donc m'en tenir au critère du déficit. On peut l'appeler nominal si l'on veut. Mais enfin le déficit, je comprends exactement ce que c'est : c'est celui que je ne peux combler qu'en allant sur les marchés financiers pour emprunter de l'argent ! Et même si le taux d'intérêt n'est qu'à 0,43 % comme c'est le cas en ce moment, c'est toujours 0,43 % de trop, car ces intérêts devront être remboursés par les générations à venir. De plus, c'est bien une règle de déficit nominal qui est fixée par l'Union européenne. Si vous et nous avions au cours des dernières années respecté les déficits nominaux que nous nous étions fixés, personne ne nous poserait de questions abracadabrantesques sur la croissance potentielle et autres concepts économiques compliqués – même s'il est légitime, bien sûr, de s'intéresser à ces sujets de façon théorique, car ils ont aussi des conséquences pratiques.

Je m'intéresse donc au critère du déficit, en m'interrogeant sur les moyens d'accroître nos capacités de croissance.

J'en viens à l'investissement. Il a été beaucoup trop faible, ces dernières années, dans la zone euro en général, et en Allemagne en particulier – l'investissement est aujourd'hui beaucoup plus bas en zone euro qu'il ne l'était en 2007, et il est beaucoup plus bas en Allemagne qu'en France ! L'Allemagne peut sans doute être donnée en exemple pour l'état de ses finances publiques, mais certainement pas pour son niveau d'investissement, et les Allemands en sont d'ailleurs très conscients. Ce retard est gravissime, car pendant ce temps, d'autres continents ont, eux, investi très intelligemment, ont énormément modernisé, innové, formé, et pourraient bien, dans cinq ou dix ans, nous balayer. M. Muet a raison : la question de l'investissement – ne parlons pas ici de politique de l'offre, car c'est une catégorie compliquée – est décisive. L'investissement stimule la croissance tout de suite, et construit une nouvelle croissance pour plus tard.

Monsieur Muet, vous êtes intervenu avec intelligence et pertinence. En effet, les mesures décidées la semaine dernière visent à stimuler l'investissement, et pas n'importe lequel mais celui qui nous paraît le plus propre à transformer et à moderniser notre économie. Monsieur Sansu, vous m'interrogez sur l'avenir du pacte de responsabilité. Je vous réponds sans cachotteries : nous avions décidé de mettre en place des mesures en faveur de l'offre pour 41 milliards d'euros. Le CICE monte en charge progressivement et atteindra son plafond en 2016. Nous avons aussi abaissé les cotisations salariales – baisse passée inaperçue car, si beaucoup d'entreprises souhaitent que cette baisse soit effective rapidement, peu expriment une ferme volonté de l'afficher sur les feuilles de paie... Il est dommage que les salariés ne soient pas informés que les cotisations ont baissé. Il y aura encore, de 2015 à 2017, de nouvelles diminutions de cotisations familiales, cette fois pour des salaires supérieurs à 1,6 SMIC et jusqu'à 3,5 SMIC. La C3S a déjà été partiellement supprimée ; nous entendons aller jusqu'à sa suppression totale en 2016-2017. Enfin, un « paquet IS » – impôt sur les sociétés – comprend la fin de la surcotisation d'IS pour les très grandes entreprises et l'amorce d'une diminution du taux de l'IS.

Le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause le volume global de mesures : c'est un point fondamental pour donner de la visibilité, pour aider les entreprises à prendre des décisions. Mais un débat a lieu par exemple, au sein du monde patronal même, sur l'opportunité d'agir plutôt sur la C3S ou plutôt sur l'IS, débat qui s'était d'ailleurs déjà amorcé lors de la discussion du pacte de la responsabilité. et que je comprends. Il n'y a pas d'urgence à trancher, et nous avons encore le temps de débattre d'ici à la préparation du projet de loi de finances pour 2016. Mais, je le répète, le Gouvernement souhaite conserver ce volume global de 41 milliards, et c'est ainsi que nous avons conçu ce programme de stabilité. Il faut continuer de redonner des marges aux entreprises – elles se sont déjà redressées, mais l'objectif est de revenir à leur niveau de 2007, car cela stimulera l'investissement.

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